← Retour

Histoire du Bas-Empire. Tome 04

16px
100%

[657] Ausone, dans le septième des petits poèmes qu'il a consacrés à la gloire des principales villes de l'empire romain, s'écrie, en s'adressant à cette ville, qu'elle a été heureuse d'avoir été spectatrice des triomphes obtenus sur le brigand breton par le héros italien, Théodose.

Felix quæ tanti spectatrix læta triumphi,
Punisti Ausonio Rutupinum marte latronem.

—S.-M.

[658] La première date est dans la Chronique d'Idatius; pour l'autre, elle se trouve dans Socrate, l. 5, c. 14.—S.-M.

[659] Paucis Maurorum hostium, quos secum velut agmen infernum moriturus incluserat, et duobus, aut tribus furiosi gladiatoris lanistis in belli piaculum cæsis, reliquos omnes, venia complexa, velut quodam materno sinu clausit. Pacat. c. 45.—S.-M.

LXII.

Mort d'Andragathe.

Andragathe, après avoir inutilement cherché Valentinien sur les mers d'Italie et de Grèce, avait reçu sur les côtes de Sicile, un échec dont on ignore les circonstances. Il faisait voile vers Aquilée pour rejoindre Maxime, lorsqu'il apprit sa défaite et sa mort. Ce furieux, qui ayant trempé ses mains dans le sang de Gratien, ne pouvait espérer de pardon, prévint son supplice en se précipitant lui-même dans la mer[660].

[660] Andragathius comes, cognita Maximi nece, præcipitem sese e navi in undas dedit, ac suffocatus est. Oros. l. 7, c. 35. Claudien dit aussi (in 4º cons. Honor. v. 91.) qu'Andragathe se précipita dans les flots en se donnant la mort.

.............. Hic sponte carina
Decidit in fluctus.

Socrate rapporte, l. 5, c. 14, qu'il se précipita dans un fleuve voisin d'Aquilée, où il trouva la mort, εἰς τὸν παρακείμενον ποταμὸν ῥίψας ἑαυτὸν ἀπεπνίγη.—S.-M.

LXIII.

Guerre des Francs.

Victor, fils de Maxime, qui dans un âge encore tendre[661], portait déja le titre d'Auguste, était demeuré dans la Gaule. Son père avait confié le soin de sa personne, et la défense du pays à Nanniénus[662] et à Quintinus, qu'il avait établis maîtres de la milice[663]. Tandis que Maxime était occupé de la guerre contre Théodose, ces généraux en avaient deux à soutenir contre les Saxons et contre les Francs[664]. Les premiers avaient fait une descente sur les côtes de la Gaule[665]: ils furent aisément repoussés. Il n'en fut pas de même des Francs[666]; conduits par trois princes, Génobaudès, Marcomir et Sunnon, ils passèrent le Rhin[667], ravagèrent le pays, massacrèrent les habitants, et donnèrent l'alarme à Cologne [Colonia Agrippina]. La nouvelle en étant venue à Trèves, Nanniénus et Quintinus assemblèrent des troupes et marchèrent à l'ennemi. A leur approche, la plupart des Francs repassèrent le Rhin avec leur butin. Ceux qui demeurèrent en deça, furent taillés en pièces près de la forêt Carbonnière[668]; c'était une partie de la forêt des Ardennes qui s'étendait entre le Rhin et l'Escaut. Après ce succès, les deux généraux se séparèrent. Nanniénus refusa de poursuivre les Francs dans leur pays, persuadé qu'on les trouverait en état de se bien défendre; il se retira à Mayence [Mogontiacum]. Quintinus, plus téméraire, prit seul le commandement de l'armée, et passa le Rhin près de Nuitz [Nivisium[669]]. Au second campement, il trouva de grands villages abandonnés[670]. Les Francs feignant d'être effrayés, s'étaient retirés dans des forêts dont ils avaient embarrassé les chemins par de grands abatis d'arbres. Les soldats romains mirent le feu aux habitations et passèrent la nuit sous les armes. Au point du jour, Quintinus entra dans les forêts, où il s'égara; enfin, trouvant toutes les routes fermées, il prit le parti d'en sortir, et s'engagea dans des marais dont ces bois étaient bordés. On aperçut d'abord un petit nombre d'ennemis qui, élevés sur les monceaux d'arbres abattus comme sur des tours, lançaient des flèches empoisonnées, dont la moindre blessure portait la mort. Leur nombre croissant à chaque moment, les Romains tentèrent d'abord de traverser les marais pour gagner la plaine; mais ils reconnurent bientôt que c'était chercher une perte assurée. Les hommes et les chevaux s'enfonçant de plus en plus à chaque pas dans une vase molle et profonde, y demeuraient engagés et immobiles, exposés à tous les coups des ennemis. Il fallut donc retourner sur leurs pas à travers une grêle de traits. Dans ce désordre, toute l'armée fut détruite; plusieurs périrent dans les marais. Ceux qui gagnèrent les bois, cherchant en vain une retraite, trouvèrent partout l'ennemi et la mort. Héraclius, tribun des Joviens, et presque tous les officiers y laissèrent la vie. Il n'y eut que très-peu de soldats qui se sauvèrent à la faveur de la nuit[671]. Quintinus revint en Gaule couvert de honte. Il y apprit la mort de Maxime, et se vit lui-même en grand danger de subir le même sort. Arbogaste, envoyé par Théodose en cette province, fit mourir le jeune Victor. Nanniénus et Quintinus, dépouillés du commandement, ne conservèrent leur vie que par la clémence du vainqueur.

[661] Zosime l'appelle, lib. 4, c. 47, un jeune enfant, τὸ μειράκιον.—S.-M.

[662] Il est probable que ce général est le même que celui qui est appelé Nannéïus, par Ammien Marcellin, l. 28, c. 8, et qui fut en l'an 370, chargé de combattre les Saxons. Voy. tom. 3, pag. 409, liv. XVIII, § 18.—S.-M.

[663] Nannenus et Quintinus militiæ magistri, quibus infantiam filii et defensionem Galliarum Maximus commiserat. Sulp. Alex. apud Greg. Tur. l. 2, c. 9.—S.-M.

[664] Saint Ambroise indique en ces termes tous les lieux où Maxime eut à soutenir la guerre et ceux où il fut vaincu. Ille igitur statim à Francis, à Saxonum gente, in Sicilia, Sisciæ, Petavione: ubique denique terrarum victus est. Ambros. ep. 40, ad Theod. t. 2, p. 953.—S.-M.

[665] Cette invasion des Saxons n'est connue que par le passage de S. Ambroise, que je viens de citer.—S.-M.

[666] Nous n'en saurions pas davantage sur la guerre des Francs, sans un fragment d'un historien perdu, nommé Sulpitius Alexandre, et qui nous a été conservé par Grégoire de Tours, l. 2, c. 9.—S.-M.

[667] Genobaude, Marcomere et Sunnone ducibus, Franci in Germaniam prorupere. Sulp. Alex. ap. Greg. Tur. l. 2, c. 9. Par la Germanie, cet auteur entend la partie de la Gaule, limitrophe du Rhin et divisée en inferior et superior.—S.-M.

[668] Apud Carbonariam, dit Sulpitius Alexandre, apud Gregor. Tur. l. 2, c. 9.—S.-M.

[669] Cet endroit, appelé Novesium dans d'autres manuscrits, est qualifié par Sulpitius Alexandre du titre de Castellum.—S.-M.

[670] Secundis à fluvio castris, casas habitatoribus vacuas atque ingentes vicos destitutos offendit (Nannenus). Sulp. Alex. apud Greg. Tur. lib. 2, c. 9.—S.-M.

[671] Le morceau de Sulpitius Alexandre, d'où est tiré ce récit de la guerre contre les Francs, et quelques autres fragments conservés dans Grégoire de Tours, sont tout-à-fait propres à faire regretter l'ouvrage historique qui avait été composé par cet auteur.—S.-M.

LXIV.

Clémence de Théodose.

Claud. in 4º Consul. Honor.

Ambr. ep. 40 et 41, t. 2, p. 946 et 956.

Aug. civ. l. 5, c. 26, t. 7, p. 142.

Pacat. c. 45, et 46.

Oros. l. 7, c. 35.

Ruf. l. 12, c. 17.

Vict. epit. p. 232.

Zos. l. 4, c. 47.

Cod. Th. l. 15, tit. 14, leg. 6.

Jamais victoire, après une guerre civile, ne fut moins sanglante ni plus désintéressée. Théodose pouvait regarder comme sa conquête tout l'Occident, et surtout les provinces que Maxime avait enlevées à Gratien, et que le jeune Valentinien n'avait jamais possédées. La perfidie de ceux qui s'étaient livrés au tyran, et qui avaient secondé son usurpation, le mettait en droit de les punir. Il rendit à Valentinien tout ce qu'il avait perdu; il y ajouta le reste de l'Occident, et n'écouta point les conseils d'une politique avide et ambitieuse, qui aurait bien su lui établir des droits spécieux sur la Gaule, l'Espagne et la Grande-Bretagne. Il accorda une amnistie générale à ceux qui avaient suivi le parti de Maxime; il leur conserva leurs biens et leur liberté. En les dépouillant des dignités qu'ils tenaient de la main du tyran, il les laissa jouir de celles qu'ils possédaient avant la révolte. Toutes les inimitiés cessèrent avec la guerre. Théodose oublia qu'il avait vaincu; et, ce qui est plus difficile encore et plus avantageux pour assurer la paix, les vaincus oublièrent qu'ils avaient été ses ennemis. On vit alors, ce qui, selon la remarque d'un auteur payen, ne peut être que l'effet d'une vertu rare et sublime, un prince devenir meilleur lorsqu'il n'eut plus rien à craindre, et sa bonté croître avec sa grandeur. Théodose veilla plus que jamais à entretenir ses sujets dans la prospérité et dans l'abondance; et tandis que les autres princes croyent faire beaucoup après une guerre civile, en rendant aux légitimes possesseurs leurs terres dépouillées et ravagées, il tira de son propre trésor de quoi restituer aux particuliers les sommes d'or et d'argent qui leur avaient été enlevées par le tyran. Il prit soin de la mère et des filles de Maxime, et leur assigna des pensions pour subsister avec honneur[672]. La femme de ce tyran avait apparemment fini ses jours; autrement, l'histoire n'aurait pas oublié le traitement que lui aurait fait Théodose. Ce caractère de clémence était soutenu par les conseils de saint Ambroise, qui n'employait son crédit auprès du prince que pour combattre la flatterie toujours cruelle, et les passions des courtisans, toujours basses et intéressées.

[672] Inimici tui filias revocasti, nutriendas apud affinem dedisti, matri hostis tui misisti de ærario tuo sumptus. Ambr. ep. 40, t. 2, p. 955.—S.-M.

LXV.

Actions de justice.

Ruf. l. 12, c. 17.

Cod. Th. l. 4, tit. 22, leg. 3 et ibi God. l. 10, tit. 21, leg. 2, et ibi God. l. 15, tit. 14, leg. 7 et 8.

Till. vie de S. Ambr. art. 53.

Idem, Theod. art. 45.

Cependant, il était de la justice de ne pas étendre l'indulgence jusqu'à laisser subsister les actes injustes du tyran. C'est pourquoi Théodose cassa les lois que Maxime avait publiées, et déclara ses jugements nuls et sans effet[673]. Il obligea ceux qu'il avait revêtus de jurisdiction de rendre leurs brevets; il ordonna que les sentences qu'ils avaient prononcées fussent rayées de tous les registres publics, comme étant sans autorité; il excepta les actes et les conventions civiles, passées sans fraude et sans contrainte entre les particuliers[674]. On voit même par une loi de l'année suivante, qu'il confisqua les biens de ceux qui avaient abusé de la faveur de Maxime pour exercer dans la Gaule des concussions et des violences. C'est ainsi que Théodose rendit la paix à l'empire. La mort de Justine assura celle de l'Église. Cette princesse arienne n'eut pas la satisfaction de voir son fils rétabli dans ses états; avant que la guerre fût terminée, elle alla rendre compte à Dieu des persécutions qu'elle avait suscitées aux catholiques. Théodose, après s'être arrêté deux mois à Aquilée, vint à Milan, où il passa le reste de l'année et les cinq premiers mois de la suivante[675]. Il demeura trois ans en Italie, pour rétablir l'ordre dans l'Occident, et pour instruire dans l'art de régner le jeune Valentinien, dont il gouverna les états avec le zèle et l'autorité d'un père. Ce grand prince ne croyait au-dessous de lui aucun des détails qui pouvaient contribuer au succès des affaires. Les provinces qui abondaient en mines de fer, étaient obligées d'en fournir une certaine quantité pour forger les épées et les autres armes: elles acquittaient ainsi leur tribut. On en tirait beaucoup des mines du mont Taurus et de la Cappadoce. Mais on voit que les fraudes, si préjudiciables à l'état dans ce qui regarde la fourniture des armées, étaient dès-lors connues et pratiquées. Des entrepreneurs infidèles et avares se faisaient donner de l'argent au lieu de fer, et employaient pour les armes des soldats, des matières de mauvaise qualité, qui leur coûtaient beaucoup moins qu'ils n'avaient reçu. Ces misérables, pour le plus léger profit, auraient fait perdre vingt batailles. Théodose, dans son expédition contre Maxime, s'étant aperçu de cette fraude, la défendit par une loi du 18 octobre de cette année, et ordonna que les provinces fourniraient en nature le meilleur fer. Il n'est pas dit qu'il ait puni, et par conséquent l'abus dut continuer.

[673] Par deux lois, rendues la première à Aquilée le 22 septembre, et l'autre à Milan le 10 octobre 388.—S.-M.

[674] Par une loi donnée à Milan, le 14 janvier 389.—S.-M.

[675] On voit par une loi, qu'il était encore à Milan le 27 mai de l'an 389.—S.-M.

LXVI.

Théodose refuse de rétablir l'autel de la Victoire.

Ambr. ep. 57, t. 2, p. 1010.

Symm. l. 2, ep. 13 et 31.

Socr. l. 5, c. 14.

Till. Théod. art. 46.

L'inclination bienfaisante de Théodose fut pour les sénateurs payens un motif de faire une nouvelle tentative en faveur de l'idolâtrie. Maxime leur avait donné lieu d'espérer le rétablissement de l'autel de la Victoire. Ils députèrent à Théodose pour demander cette grace[676]. Ils trouvèrent encore auprès du prince un obstacle invincible dans le zèle de saint Ambroise: le prélat s'opposa à leur requête avec son courage ordinaire; et comme Théodose semblait flatté du désir de satisfaire le sénat de Rome, Ambroise cessa de le voir et se tint pendant quelques jours éloigné de la cour. Son absence donna un nouveau poids à ses remontrances, et Théodose rejeta la demande des sénateurs. Symmaque, qui avait peut-être encore cette fois plaidé la cause du paganisme, voulut profiter de l'occasion pour se laver du reproche qu'on lui faisait avec justice, d'avoir déshonoré son éloquence en faveur de Maxime. Il prononça un éloge de Théodose, dans lequel il faisait sa propre apologie, et montrait qu'il s'était personnellement ressenti des injustices de l'usurpateur[677]; mais comme il eut la hardiesse de revenir encore sur la demande du sénat, Théodose, irrité de cette opiniâtreté importune, le fit sur-le-champ arrêter, avec ordre de le conduire à cent milles de Rome. Symmaque s'échappa et se réfugia dans une église; et le prince se laissa bientôt adoucir par les prières de plusieurs personnes distinguées[678]. Il pardonna à Symmaque, et lui rendit même toute la faveur dont il l'honorait depuis long-temps.

[676] Voici l'indication chronologique de toutes les tentatives faites par le sénat, pour obtenir le rétablissement de l'autel de la Victoire. La première fois en 382, on s'adressa à Gratien qui refusa d'entendre les députés. La seconde en 384, auprès de Valentinien, durant la dispute de Symmaque avec Saint Ambroise; la troisième en 388, auprès de Théodose; c'est celle dont il s'agit ici: et enfin en 392, auprès du jeune Valentinien.—S.-M.

[677] Non puto, dit-il, bonis temporibus eam causæ meæ conditionem futuram; quæ sub tyranno fuit, cujus litteris ad Marcellini suggestionem datis homines meos scis esse mulctatos. Quod in panegyrici defensione non tacui. Symmach. lib. 2, ep. 31.—S.-M.

[678] Parmi lesquelles Socrate compte, l. 5, c. 14, Léontius, évêque des Novatiens de Rome.—S.-M.

LXVII.

Synagogue de Callinicus.

Ambr. ep. 40 et 41. t. 2. p. 946-963.

Paulin, vit. Ambr. § 22.

Till, vie de S. Amb. art. 53-55.

Fleury, hist. ecclés. 1. l. 19. art. 14, 15.

Quoique Théodose fût ennemi de l'erreur, il exigeait des chrétiens la modération et la douceur qui fait le plus beau caractère de la religion qu'ils professent. Callinicus[679] était une ville épiscopale de l'Osrhoène, sous la métropole d'Édesse; elle fut depuis nommée Leontopolis. Les Juifs y avaient une synagogue, et les hérétiques Valentiniens[680], un temple enrichi d'un grand nombre d'offrandes. Les habitants chrétiens brûlèrent la synagogue; et les moines, troublés dans l'exercice de leurs cérémonies religieuses[681] par les hérétiques, mirent le feu au temple, dont les richesses furent consumées[682]. Le comte d'Orient, en écrivit à Théodose, qui était à Milan, et accusa l'évêque d'avoir conseillé ces violences. Le prince ordonna que l'évêque rebâtirait la synagogue à ses dépens, que les moines seraient sévèrement punis, et qu'on dédommagerait les Valentiniens de la perte qu'ils avaient faite. Ambroise était alors à Aquilée. Ayant appris l'ordre de l'empereur, il lui écrivit pour en obtenir la révocation. Il se plaignait qu'on eût condamné l'évêque sans l'avoir entendu: il représentait que les ordres du prince allaient faire ou des prévaricateurs, si les chrétiens y obéissaient, ou des martyrs, s'ils aimaient mieux obéir à la loi de Dieu et de leur conscience: que l'on avait laissé impunies les violences tant de fois exercées contre l'église, soit par les Juifs, soit par les hérétiques[683]: quelle honte serait-ce pour un empereur chrétien, qu'on eût sujet de dire que son bras ne s'armait que pour venger les hérétiques et les Juifs! Cette lettre n'ayant pas produit l'effet qu'il désirait, il retourna promptement à Milan; et l'empereur étant venu à l'église, l'évêque prit le ton du prophète Nathan, en faisant parler Dieu à Théodose en ces termes: C'est moi qui vous ai choisi pour vous élever à l'empire; je vous ai livré l'armée de votre ennemi; je l'ai réduit sous votre puissance; j'ai placé vos enfants sur le trône; je vous ai fait triompher sans peine; et vous faites triompher de moi mes ennemis! Comme il descendait de la tribune, Théodose lui dit: Mon père, vous avez bien parlé aujourd'hui contre nous: Non pas contre vous, prince, repartit Ambroise, mais pour vous. L'empereur avoua qu'il était trop dur d'obliger l'évêque à la réparation de la synagogue; mais, ajouta-t-il, les moines sont coupables de beaucoup de désordres[684]. Comme Timasius, maître de la milice, naturellement hautain et insolent, qui était présent à cet entretien, s'emportait en invectives contre les moines: Je parle à l'empereur, lui dit Ambroise; avec vous je traiterais autrement[685]. Il obtint que l'ordre fût révoqué, et ne consentit à célébrer les saints mystères, qu'après avoir tiré de Théodose une parole réitérée. Ce n'est pas que ce saint prélat autorisât les procédés violents en matière de religion: il avait montré le contraire dans l'affaire de Priscillien. Mais il regardait comme un crime, de forcer des chrétiens à rétablir des édifices dans lesquels Dieu était outragé. Cependant, comme les chrétiens, trop souvent animés contre les Juifs d'une haine que le christianisme n'autorise pas, continuaient en Orient de détruire ou de piller leurs synagogues: cinq ans après, Théodose ordonna de punir sévèrement ces excès[686], déclarant que la secte judaïque n'était proscrite par aucune loi, et qu'elle devait avoir par tout son empire le libre exercice de sa religion.

[679] Voyez au sujet de cette ville, qui s'appelle actuellement Rakkah, tom. 3, pag. 65, not. 3, liv. XIV, § 7.—S.-M.

[680] Ces hérétiques, dit saint Ambroise, ep. 40, t. 2, p. 951, adorent trente-deux éons qu'ils appellent dieux, isti triginta et duos æonas colunt, quos appellant deos. Ces hérétiques appelés aussi Gnostiques, faisaient partie de ces sectes, qui unissaient la philosophie et la théologie des Orientaux, aux dogmes du christianisme.—S.-M.

[681] Ils avaient été insultés pendant la célébration de la fête des Macchabées.—S.-M.

[682] In partibus orientis in quodam castello à christianis viris synagoga Judæorum et lucus Valentinianorum incendio concremata sunt, propterea quod Judæi vel Valentiniani insultarent monachis christianis. Paulin. Vit. Ambros. § 22.—S.-M.

[683] Saint Ambroise parle des églises brûlées par les Juifs du temps de Julien, et en particulier de deux basiliques à Damas. Elles étaient encore en ruines de son temps; elles avaient été à peine réparées, non pas aux frais de la synagogue, mais à ceux de l'église. Quarum una vix reparata est, sed ecclesiæ non synagogæ impendiis: altera basilica informibus horret ruinis. L'évêque de Milan fait mention de beaucoup d'autres églises brûlées à Gaza, à Béryte, à Ascalon et à Alexandrie; et il termine en employant ces paroles peu charitables: Ecclesia non vindicata est, vindicabitur synagoga.—S.-M.

[684] Re vera de synagoga reparanda ab episcopo durius statueram, sed emendatum est. Monachi multa scelera faciunt. Ambr. ep. 41, tom. 2, p. 963.—S.-M.

[685] Ego cum imperatore ago, ut oportet: quia novi quod habeat domini timorem; tecum autem aliter agendum, qui tam dura loqueris. Ambr. ep. 41, t. 2, p. 963.—S.-M.

[686] Par une loi rendue le 29 septembre 393, et adressée à Addæus, commandant des troupes d'Orient, dans l'Osrhoène.—S.-M.

LXVIII.

Théodose exclus du sanctuaire.

Theod. l. 5. c. 17.

Soz. l. 7. c. 25.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 6. c. 15.

Ce fut un bonheur, pour l'état et pour l'Église, d'avoir en même temps un évêque dont la liberté héroïque retenait dans de justes bornes la puissance souveraine, et un souverain dont la généreuse docilité se prêtait aux conseils salutaires de l'évêque. C'était une coutume introduite par la flatterie et tolérée par la timide complaisance des prélats, que les empereurs, pendant la célébration de l'office, fussent assis dans le sanctuaire, où les prêtres seuls avaient leur place, selon l'ancienne discipline. Un jour que Théodose y était resté après avoir fait son offrande, Ambroise s'en étant aperçu, lui envoya demander ce qu'il attendait: J'attends, répondit l'empereur, le moment de participer aux saints mystères. Alors l'évêque lui fit dire par un de ses diacres, que le sanctuaire était réservé aux seuls prêtres; que la pourpre donnait droit à l'empire, mais non pas au sacerdoce, et qu'il devait prendre place avec les autres laïques. Théodose reçut cet avis avec respect, et se retira hors de la balustrade, en disant, qu'il n'avait eu dessein de rien entreprendre contre les canons de l'Église; qu'il avait trouvé cette coutume établie à Constantinople, et qu'il remerciait l'évêque de l'avoir instruit de son devoir. Il retint si fidèlement cette leçon, qu'étant retourné à Constantinople, la première fois qu'il vint à l'église, il sortit du sanctuaire, après avoir porté son offrande à l'autel. L'évêque Nectarius lui ayant envoyé demander pourquoi il ne restait pas dans l'enceinte sacrée: Hélas! dit-il en soupirant, j'ai appris bien tard la différence d'un évêque et d'un empereur! Que de temps il m'a fallu pour trouver un homme qui osât me dire la vérité! Je ne connais qu'Ambroise qui soit digne du nom d'évêque. Depuis ce temps les empereurs prirent leur place dans l'église à la tête du peuple, hors de l'enceinte destinée aux prêtres; et cette coutume subsista sous les successeurs de Théodose; jusqu'à ce que les princes usurpèrent une partie des fonctions ecclésiastiques; et que, par un mélange bizarre, voulant être tout à la fois empereurs et évêques, ils ne furent ni évêques ni empereurs.

FIN DU LIVRE VINGT-TROISIÈME.

Chargement de la publicité...