← Retour

Histoire du Bas-Empire. Tome 04

16px
100%

LIVRE XIX.

I. Complots formés contre Valens. II. Devins consultés pour savoir quel sera son successeur. III. Caractère de Théodore. IV. Découverte de cette intrigue. V. Théodore est arrêté. VI. Punition de quelques conjurés. VII. Interrogatoire de Théodore et des principaux complices. VIII. Leur supplice. IX. Funeste crédit de Palladius et d'Héliodore. X. Histoire d'Héliodore. XI. Innocents condamnés. XII. Funérailles d'Héliodore. XIII. Persécution excitée contre les philosophes. XIV. Cruautés de Festus. XV. Mort du philosophe Maxime. XVI. Para roi d'Arménie, attiré à Tarse. XVII. Para s'échappe. XVIII. Il regagne l'Arménie. XIX. Il est assassiné. XX. Négociations avec Sapor. [XXI. Varazdat est nommé roi d'Arménie par Valens.] XXII. Assassinat de Gabinius roi des Quades. XXIII. Les Quades vengent la mort de leur roi. XXIV. Le jeune Théodose repousse les Sarmates. XXV. Paix avec Macrianus. XXVI. Débordement du Tibre. XXVII. Lois de Valentinien. XXVIII. Saint-Ambroise évêque de Milan. XXIX. Valentinien marche en Pannonie. XXX. Il apprend les vexations de Probus. XXXI. Il ravage le pays des Quades. XXXII. Mort de Valentinien. XXXIII. Valentinien II empereur. XXXIV. Conduite de Gratien à l'égard de son frère. XXXV. Caractère de Gratien encore César. XXXVI. Qualités de Gratien empereur. XXXVII. Mort de Théodose. XXXVIII. Punition de Maximin. XXXIX. Lois de Gratien. XL. Irruptions des Huns. XLI. Origine des Huns. XLII. Caractère et coutumes des Huns. XLIII. Idée générale de leur histoire. XLIV. Origine des Alains. XLV. Mœurs des Alains. XLVI. Les Huns passent en Europe. XLVII. Ils chassent les Ostrogoths. XLVIII. Défaite des Visigoths. XLIX. Les Goths s'assemblent sur les bords du Danube.

VALENTINIEN, VALENS, GRATIEN.

An 374.

I.

Complots formés contre Valens.

Amm. l. 29, c. 1.

Zon. l. 13, t. 2, p. 33.

La révolte de Firmus ne causait à Valentinien que de légères inquiétudes; il se reposait de la conservation de l'Afrique sur la capacité de Théodose. Mais son frère Valens vivait dans de perpétuelles alarmes: naturellement cruel et avare, il avait jusqu'alors forcé son caractère; enflé des médiocres avantages qu'il venait de remporter sur les Perses, il crut n'avoir plus besoin de se contraindre; ses courtisans avides, qu'il avait su retenir aussi-bien que ses vices, commencèrent à abuser de leur faveur pour ruiner les familles les plus opulentes. Ce prince environné de flatteurs qui fermaient tout accès aux plaintes et aux remontrances, plus obstiné dans sa colère lorsqu'elle était moins raisonnable, crédule aux rapports secrets, incapable par paresse d'examiner la vérité, et par orgueil de la reconnaître, ne lançait plus que des arrêts d'exil et de confiscation. Il se faisait un mérite d'être implacable, et il répétait souvent que quiconque s'apaise aisément s'écarte aisément de la justice. Plus de distinction entre l'innocent et le coupable; c'était par la sentence de condamnation que les objets de sa colère apprenaient qu'ils étaient soupçonnés[1]; ils passaient en un instant, comme dans un songe, de l'opulence à la mendicité. Le trésor du prince engloutissait toutes les fortunes, pour les verser ensuite sur ses favoris; et ses largesses ne le rendaient pas moins odieux que ses rapines. Tant d'injustices excitèrent la haine; et la haine publique produisit les attentats. Il se formait sans cesse des conspirations contre Valens: un jour qu'il dormait tranquillement après son dîner, dans un de ses jardins entre Antioche et Séleucie, un de ses gardes, nommé Salluste, fut sur le point de le tuer; et ce prince ne fut sauvé de ce péril et de plusieurs autres, que par les décrets de la Providence qui l'avait condamné à périr de la main des Goths.

[1] Inexpiabile illud erat, quod regaliter turgidus, pari eodemque jure, nihil inter se distantibus meritis, nocentes innocentesque malignâ insectatione volucriter perurgebat: ut dum adhuc dubitaretur de crimine, imperatore non dubitante de pæna, damnatos se quidam priùs discerent quam suspectos. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

II.

Devins consultés pour savoir quel sera son successeur.

Amm. l. 29, c. 1 et 2.

Liban. or. 26, t. 2, p. 602.

Zos. l. 4, c. 13-15.

Greg. Naz. ep. 137, 138, t. 1, p. 864 et 865.

Chrysost. ad vid. Jun. t. 1. p. 343 et 344, et orat. 3 cont.

Anom. p. 470.

Socr. l. 4, c. 19.

Soz. l. 6, c. 35.

Philost. l. 9, c. 15.

Zon. l. 13, t. 2, p. 32.

Cedr. t. 1, p. 313.

La même impatience qui faisait naître contre lui tant de complots, excita quelques visionnaires à rechercher quel serait son successeur. Fidustius, Irénée et Pergamius, tous trois d'un rang distingué, s'adressèrent pour cet effet à deux devins célèbres, nommés Hilaire et Patricius[2]. Je n'exposerai pas ici les ridicules cérémonies que ces devins pratiquèrent[3], et dont on prétend qu'ils firent eux-mêmes le détail dans leur interrogatoire. Il suffira de dire qu'ayant gravé autour d'un bassin les caractères de l'alphabet grec, ils suspendirent au-dessus un anneau enchanté, qui, par ses vibrations diverses, marqua les lettres, dont l'assemblage formait la réponse de l'oracle. Elle était conçue en vers héroïques, et signifiait que le successeur de Valens serait un prince accompli; que leur curiosité leur serait funeste; mais que leurs meurtriers éprouveraient eux-mêmes la vengeance des dieux, et périraient par le feu dans les plaines de Mimas[4]. Comme l'oracle ne s'était exprimé sur le prince futur qu'en des termes généraux, on demanda quel était son nom. Alors l'anneau ayant frappé successivement sur ces lettres THEOD, un des assistants s'écria que les dieux désignaient Théodore. Tous les autres furent du même avis; et la chose parut si évidente, qu'on s'en tint là sans pousser plus loin la recherche. Il faut avouer que si ce récit était vrai dans toutes ses circonstances, jamais l'art magique n'aurait enfanté une prédiction plus juste ni plus précise; c'est ce qui doit en faire douter. En effet, les auteurs ne s'accordent pas sur le moyen qui fut employé: les uns disent qu'on fit usage de la nécromancie; quelques-uns racontent qu'on traça sur la terre un grand cercle, autour duquel on marqua, à distances égales, les lettres de l'alphabet; qu'on les couvrit ensuite de blé, et qu'un coq placé au centre du cercle avec des cérémonies mystérieuses, alla choisir les grains de blé semés sur les lettres que nous venons de dire.

[2] On apprend de deux fragments d'Eunapius, insérés dans le lexique de Suidas, sous les noms de ces deux personnages, que le premier était Phrygien et le dernier Lydien. Zosime en dit autant, l. 4, c. 15. Le même auteur leur joint un certain Andronicus de Carie, qu'il qualifie aussi du nom de philosophe. Presque tous les philosophes de cette époque se mêlaient de magie et de divination.—S.-M.

[3] Ammien Marcellin en donne longuement le détail, l. 29, c. 1, d'après les dépositions d'un des accusés.—S.-M.

[4] Ces vers qui sont en grec, et qui paraissent bien avoir été supposés après coup, se trouvent dans Ammien Marcellin, l. 29, c. 1.—S.-M.

III.

Caractère de Théodore.

Ce Théodore en faveur duquel on était si fortement prévenu, était né en Gaule, d'autres disent en Sicile, d'une famille ancienne et illustre. Une éducation brillante avait perfectionné ses talents naturels, et les graces de l'extérieur y ajoutaient un nouvel éclat: ferme et prudent, bienfaisant et judicieux, modeste et savant dans les lettres, il était chéri du peuple, respecté des grands, considéré de l'empereur; et quoiqu'il ne tînt que le second rang entre les secrétaires du prince, il était presque le seul qui fût assez courageux pour lui parler avec franchise, et assez habile pour s'en faire écouter. Eusérius, qui avait été vicaire d'Asie, et qui était dans le secret de la consultation, l'instruisit des prétendus desseins du ciel sur sa personne. Une tentation si délicate fit connaître que sa vertu n'était pas à l'épreuve de l'ambition. Théodore se sentit flatté, et aussitôt il devint criminel: il écrivit à Hilaire qu'il acceptait le présent des dieux, et qu'il n'attendait que l'occasion de remplir sa destinée.

IV.

Découverte de cette intrigue.

Il n'en eut pas le temps; la conspiration où l'on avait déja engagé un grand nombre de personnes considérables, fut découverte par un accident imprévu: Fortunatianus, intendant du domaine[5], poursuivait deux de ses commis[6], coupables d'avoir détourné les deniers du prince. Procope, ardent délateur, les accusa d'avoir voulu se tirer d'embarras, en faisant périr Fortunatianus, et de s'être adressés, pour cet effet, à un empoisonneur nommé Palladius, et à l'astrologue Héliodore[7]. L'intendant du domaine fit aussitôt saisir Héliodore et Palladius, et les mit entre les mains de Modestus, préfet du prétoire. Dans les tourments de la question, ils s'écrièrent qu'on avait tort d'employer tant de rigueurs pour éclaircir un fait si peu important; que si on voulait les écouter, ils révéleraient des secrets d'une toute autre conséquence, et qui n'allaient à rien moins qu'au renversement général de l'état. A cette parole on suspendit les tourments, on leur ordonna de dire ce qu'ils savaient: ils étaient instruits de la conspiration, et ils en exposèrent toute l'histoire. On leur confronta Fidustius, qui avoua tout; Eusérius fut mis en prison. On informa le prince de cette découverte; les courtisans, et surtout Modestus, s'empressaient à l'envie d'exagérer le péril et d'enflammer la colère du souverain; et comme il paraissait dangereux de faire arrêter tant de personnes, dont plusieurs avaient un grand crédit, le préfet, flatteur outré et impudent, élevant sa voix: Et quel pouvoir, dit-il, peut résister à l'empereur? il pourrait, s'il l'avait entrepris, faire descendre les astres du ciel, et les obliger de comparaître à ses pieds[8]. Cette hyperbole insensée ne révolta nullement l'imbécile vanité de Valens.

[5] C'est-à-dire qu'il était Comes rerum privatarum ou Comes rei privatæ. Ce Fortunatianus avait été très-lié avec Libanius, comme on le voit par les lettres de ce dernier.—S.-M.

[6] C'étaient deux officiers du palais palatini, appelés Anatolius et Spudasius.—S.-M.

[7] Fatorum per genituras interpres. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

[8] Ad extollendam ejus vanitiem sidera quoque, si jussisset, exhiberi posse promittens. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

V.

Théodore est arrêté.

On envoya en diligence à Constantinople pour enlever Théodore, qu'une affaire particulière y avait rappelé. En attendant son retour, on passait les jours et les nuits à interroger les complices qui se trouvaient dans Antioche; et sur leurs dépositions, on dépêchait de toutes parts jusque dans les provinces les plus éloignées, pour saisir les coupables et les amener à la cour. Plusieurs d'entre eux étaient distingués par leur noblesse et par leurs emplois. Les prisons publiques, et même les maisons particulières, étaient remplies de criminels, chargés de fers, tremblants pour eux-mêmes, et plus encore pour leurs parents et leurs amis dont ils ignoraient le sort. Théodore arriva: comme on appréhendait quelque violence de ses partisans, on le fit garder dans un château écarté sur le territoire d'Antioche. Sa disgrace avait du premier coup abattu son courage; et son ame qui avait paru si ferme à la cour, ne se trouva pas d'une trempe assez forte pour se soutenir à la vue d'une mort prochaine qu'il avait méritée.

VI.

Punition de quelques conjurés.

Valens forma un tribunal composé de grands officiers, auxquels présidaient le préfet du prétoire. On donnait alors la question aux criminels dans la salle même de l'audience, en présence de tous les juges. Quand les bourreaux eurent étalé à leurs yeux les instruments des diverses tortures, on fit entrer Pergamius. C'était un homme éloquent et hardi; mais sentant bien qu'il ne pouvait éviter la mort, au lieu de nier son crime et de désavouer ses complices, il prit une voie toute contraire; et soit pour effrayer Valens, soit pour prolonger sa vie, il n'attendit pas les interrogations des juges qui paraissaient embarrassés, et dénonça des milliers de complices, nommant avec une volubilité incroyable tout ce qu'il connaissait de Romains dans toute l'étendue de l'empire; il demandait qu'on les fît tous venir, et promettait de les convaincre. Une pareille déposition devenant inutile par l'impossibilité d'en éclaircir la vérité, on lui imposa silence pour lui prononcer son jugement, qui fut sur-le-champ exécuté. Après qu'on en eut fait mourir plusieurs autres que l'histoire ne nomme pas, on envoya chercher dans la prison Salia, qui avait été peu de temps auparavant trésorier général de la Thrace[9]. Mais pendant que ses gardes le détachaient pour le faire sortir du cachot, frappé d'effroi comme d'un coup de foudre, il expira entre leurs bras. On introduisit ensuite Patricius et Hilaire; on leur ordonna de faire le détail de leur procédé magique: comme ils hésitaient d'abord, on leur fit sentir les ongles de fer, et on les força ainsi d'exposer toutes les circonstances de la consultation; ils ajoutèrent, par amitié pour Théodore, qu'il ignorait tout ce qui s'était passé. Ils furent mis à mort séparément.

[9] C'est-à-dire Receveur-général de la Thrace. Salia, thesaurorum paulo antè per Thracias Comes. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

VII.

Interrogatoire de Théodore et des principaux complices.

Ces supplices n'étaient que le prélude de la principale exécution. On fit enfin comparaître ensemble tous les conjurés distingués par des emplois et des titres d'honneur. A la tête des coupables étaient Théodore, portant sur son visage tous les signes d'une profonde douleur. Ayant obtenu la permission de parler, il en usa d'abord pour demander grace par les plus humbles supplications; le président l'interrompit, en lui disant qu'il était question de réponses précises, et non pas de prières. Théodore déclara qu'ayant appris d'Eusérius la prédiction qui faisait son crime, il avait plusieurs fois voulu en informer l'empereur; mais que le même Eusérius l'en avait toujours détourné, sous prétexte que cette prédiction n'annonçait qu'une destination innocente, et qu'il parviendrait à l'empire par l'effet d'un accident inévitable, auquel il n'aurait lui-même aucune part. Eusérius, appliqué à une question cruelle, s'accordait parfaitement avec Théodore; mais la lettre écrite à Hilaire les démentait tous deux. Tous les autres, entre lesquels étaient Fidustius et Irénée, furent interrogés et convaincus. Eutrope, alors proconsul d'Asie, le même dont nous avons un abrégé de l'histoire romaine[10], et dont saint Grégoire de Nazianze parle avec éloge[11], quoiqu'il fût païen, avait été injustement confondu avec les conjurés. L'envie attachée au mérite avait saisi cette occasion de le perdre; il fut redevable de sa conservation au philosophe Pasiphile, qui résista constamment à toute la violence des tortures, par lesquelles on s'efforçait de lui arracher un faux témoignage. Un autre philosophe, nommé Simonide, signala sa hardiesse: il était encore fort jeune, mais déja célèbre par l'austérité de ses mœurs[12]. On l'accusait d'avoir été instruit de toute l'intrigue par Fidustius; il en convint, et ajouta qu'il savait mourir, mais qu'il ne savait pas trahir un secret. Fidélité louable, si elle n'eût pas été employée à favoriser un crime.

[10] Eutropius Asiam proconsulari tunc obtinens potestate. Amm. Marc. l. 29, c. 1. Festus qui avait tenté de le faire périr le remplaça dans sa magistrature (voyez ci-après, § 14, p. 16). Il fut préfet du prétoire en 380 et en 381, et consul en 387, sous le règne de Théodose-le-Grand.—S.-M.

[11] Ce saint personnage lui avait eu de grandes obligations pendant sa préfecture d'Asie; il nous reste deux lettres qu'il lui adressa et dans l'une desquelles il l'appelle le grand Eutrope, Εὐτρόπιος ὁ μέγας.—S.-M.

[12] Adolescens ille quidem, verum nostrâ memoriâ severissimus. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

VIII.

Leur supplice.

Le tribunal ayant envoyé toutes les dépositions à l'empereur, le pria de prononcer sur la punition. Il condamna tous les accusés à perdre la tête; le seul Simonide, dont l'intrépidité lui parut une insulte, fut destiné à un supplice plus rigoureux; Valens ordonna qu'il fût brûlé vif. Ils furent tous exécutés dans la place publique d'Antioche, à la vue d'une multitude innombrable, qui oublia leur crime pour s'attendrir sur leur supplice. La haine qu'on avait conçue contre l'empereur, leur tint lieu d'apologie; et le peuple voulut croire qu'entre ceux qui périrent alors, l'avarice du prince avait enveloppé un grand nombre d'innocents. La constance de Simonide rendit encore l'exécution plus odieuse: il se laissa dévorer par les flammes sans pousser aucun soupir, sans changer de contenance[13], et renouvela le spectacle de cette effrayante fermeté, dont le philosophe Pérégrinus avait fait volontairement parade sous le règne de Marc-Aurèle. La femme de Théodore, qui égalait son mari en noblesse, dépouillée de ses biens, fut réduite à vivre en servitude; n'ayant sur les femmes nées dans l'esclavage que le triste privilège de tirer des larmes à ceux qui, en la voyant, se rappelaient sa fortune passée.

[13] «Fuyant la vie comme une maîtresse furieuse, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 1, il mourut en riant». Qui vitam, ut dominam fugitans rabidam, ridens subitas momentorum ruinas, immobilis conflagravit. Il est bien difficile ici comme en beaucoup d'autres endroits de rendre exactement les expressions recherchées de l'auteur latin.—S.-M.

IX.

Funeste crédit de Palladius et d'Héliodore.

Les bons princes sont sévères par nécessité, et indulgents par caractère; leur penchant naturel les ramène promptement à ces sentiments de douceur, qui font autant leur félicité que celle de leurs sujets. Mais Valens ne se lassa point de punir; il ouvrit son cœur à tous les soupçons, ses oreilles à tous les délateurs; et pendant quatre années, il ne cessa de frapper, jusqu'à ce que les Goths, exécuteurs de la justice divine, l'appelérent lui-même au bruit de leurs armes, pour recevoir la punition de tant de cruautés. Palladius et Héliodore, qui n'avaient évité le supplice qu'en dénonçant les conjurés, s'autorisant du service qu'ils avaient rendu à l'empereur, étaient devenus redoutables à tout l'empire: maîtres de la vie des plus grands seigneurs, ils les faisaient périr ou comme complices de la conjuration, ou comme coupables de magie, crime proscrit depuis long-temps, mais devenu irrémissible depuis qu'il avait donné naissance au dernier complot. Ils avaient imaginé un moyen infaillible de perdre ceux dont les richesses excitaient leur envie: après les avoir accusés, lorsqu'on allait par ordre du prince saisir leurs papiers, ils y faisaient glisser des pièces qui emportaient une condamnation inévitable. Ce cruel artifice fut répété tant de fois, et causa la perte de tant d'innocents, que plusieurs familles brûlèrent tout ce qu'elles avaient de papiers[14], aimant mieux perdre leurs titres que de s'exposer à périr avec eux.

[14] C'est principalement dans les provinces orientales que se firent ces recherches inquisitoriales. Inde factum est, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 2, per Orientales provincias, ut omnes metu similium exurerent libraria omnia: tantus universos invaserat terror.—S.-M.

X.

Histoire d'Héliodore.

Héliodore était plus puissant et plus accrédité que Palladius, parce qu'il était encore plus fourbe et plus méchant[15]. Il avait été d'abord vendeur de marée[16]. Comme il passait par Corinthe, son hôte qui avait un procès, tomba malade, et le pria de se rendre pour lui à l'audience. Lorsqu'il eut entendu les avocats, il se persuada qu'il réussirait dans cette profession: il partagea son temps entre son commerce et l'étude des lois. La nature lui avait donné l'impudence, et ce talent suppléa à tous les autres. Il trouva assez de dupes pour faire une médiocre fortune. S'étant ensuite adonné à l'astrologie[17], il s'attacha à la cour. Parvenu à la faveur du prince par la voie que nous avons racontée, les courtisans le comblaient de présents, et il les payait en accusations calomnieuses contre ceux qu'ils haïssaient. Sa table était somptueuse; il entretenait dans sa maison plusieurs concubines, auxquelles toutes les personnes en place se croyaient obligées de payer un tribut. Le grand-chambellan lui rendait de fréquentes visites de la part de l'empereur. Valens qui se piquait d'éloquence jusque dans ces cruelles sentences qu'il prononçait contre les innocents, s'adressait à Héliodore pour donner à son style le tour et les graces oratoires.

[15] Heliodorus, tartareus ille malorum omnium cum Palladio fabricator. Amm. Marc. l. 29, c. 2.—S.-M.

[16] Ἄνθρωπος δέ τις γάρου κάπηλος, καὶ τοῦτο ποιῶν διὰ τῆς θαλάττης, Ἡλιόδωρος ὄνομα αὐτῷ. Liban. or. 26, t. 2, p. 602.—S.-M.

[17] Il était ce que l'on appelait alors un mathématicien, mathematicus ut memorat vulgus, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 2. Les mathématiciens de cette époque étaient des espèces de diseurs de bonne aventure.—S.-M.

XI.

Innocents condamnés.

Ces deux scélérats firent périr plus de noblesse, que n'en aurait détruit une maladie contagieuse. Diogène, ancien gouverneur de Bithynie, était noble[18], éloquent, chéri de tous par la douceur de ses mœurs, mais il était riche; il fut mis à mort. Alypius, autrefois vicaire des préfets dans la Grande-Bretagne, le même que Julien avait inutilement employé pour rebâtir le temple de Jérusalem[19], s'était retiré de la cour et des affaires. La calomnie vint l'arracher de sa retraite. On l'accusa de magie avec son fils Hiéroclès, dont la probité était connue. Le père fut condamné au bannissement et le fils à la mort. Comme on traînait celui-ci au supplice, tout le peuple d'Antioche courut au palais de l'empereur, et obtint par ses cris la grace de ce jeune homme qui n'avait besoin que de justice. Bassianus, secrétaire de l'empereur[20], avait consulté les devins sur la grossesse de sa femme; on l'accusa d'avoir eu un objet de plus grande importance: les sollicitations empressées de ses parents lui sauvèrent la vie, mais ne purent lui conserver ses biens. Eusèbe et Hypatius, frères de l'impératrice Eusébia[21], et beaux-frères de Constance, n'avaient pas perdu depuis la mort de ce prince la considération qu'une si haute alliance leur avait procurée. Héliodore les accusa d'avoir porté leurs vues jusqu'à l'empire: il supposait une consultation de devins, et un voyage entrepris pour exciter une révolte: il prétendait même qu'Eusèbe s'était fait préparer les ornements impériaux. La colère de l'empereur s'alluma aussitôt, il ordonna l'information la plus rigoureuse; sur la requête d'Héliodore, il fit venir des provinces les plus éloignées une infinité de personnes. On mit en œuvre toutes les tortures; et quoiqu'une si dangereuse procédure n'eût servi qu'à faire éclater l'innocence d'Eusèbe et d'Hypatius, l'accusateur ne perdit rien de son crédit, et les accusés furent bannis. Il est vrai que cette injustice ne subsista pas long-temps. Ils regagnèrent Héliodore, et obtinrent leur rappel et la restitution de leurs biens.

[18] Vir nobili prosapiâ editus. Ammien Marcellin, l. 29, c. 1.—S.-M.

[19] Voyez t. 3. p. 46, note 2, liv. XIII, § 35.—S.-M.

[20] Notarius militans inter primos. Amm. Marc. l. 29, c. 2. Le même historien ajoute qu'il était d'une race illustre. Bassianus procerum genere natus. Ces mots ont fait croire qu'il pouvait être le fils de Bassianus César, beau-frère de Constantin. D'autres pensent qu'il était le même que Bassianus fils de Thalassius qui avait été préfet du prétoire d'Orient, et gendre d'Helpidius, qui obtint la même dignité. Cette dernière opinion est la plus vraisemblable.—S.-M.

[21] Ils avaient été consuls en 359. Voyez t. 2, p. 268, liv. X, § 45.—S.-M.

XII.

Funérailles d'Héliodore.

Peu de temps après, ce calomniateur, abhorré de tout l'empire, mais chéri de Valens, mourut de maladie, ou peut-être par l'effet d'une vengeance secrète[22]. Valens inconsolable lui fit préparer de magnifiques funérailles. Il avait résolu de les honorer de sa présence; et il ne s'en dispensa que sur les prières réitérées de sa cour, qui sentait mieux que lui l'indécence de cette démarche: mais il voulut que les personnes titrées, et nommément les deux beaux-frères de Constance marchassent devant le convoi en habit de deuil, la tête et les pieds nus, les bras croisés sur la poitrine[23]. Cet avilissement de ce qu'il y avait de plus respectable dans l'empire déshonorait le prince, sans honorer la mémoire de cet indigne favori: mais c'était le caractère de Valens, ainsi que de toutes les ames faibles, de se livrer sans réserve à ceux qu'il aimait, et de n'observer à leur égard aucune règle de bienséance et de justice. On en vit dans le même temps un autre exemple[24]. Un tribun, nommé Pollentianus, très-méchant, mais très-aimé du prince, avait ouvert le ventre à une femme enceinte et vivante, pour évoquer les ombres des morts, et les consulter sur le successeur de Valens. Le fait était avéré par la confession même du coupable. L'empereur, qui venait de punir si rigoureusement cette curiosité dans des circonstances beaucoup moins atroces, ne permit pas de condamner le tribun; et, malgré l'indignation des juges, il le laissa dans la possession paisible de ses biens et de son rang.

[22] Heliodoro, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 2, incertum morbo an quadam excogitata vi mortuo. Nolim dicere, utinam nec ipsa res loqueretur?—S.-M.

[23] Funus ejus per vespillones elatum pullati præcedere honorati complures, inter quos et fratres jussi sunt consulares.... Inter quos omnes adolescentiâ et virtutum pulchritudine commendabilis noster Hypatius præminebat. Amm. Marc. l. 29, c. 2. Flavius Hypatius fut préfet du prétoire d'Italie, en 382 et 383. Il joignit à cette dignité la préfecture de Rome.—S.-M.

[24] Ammien Marcellin l'appelle par ironie une des belles actions de Valens. Accesserat hoc quoque eodem tempore ad Valentis cæteras laudes, l. 29, c. 2.—S.-M.

XIII.

Persécution excitée contre les philosophes.

Amm. l. 29, c. 1 et 2.

Themist. or. 7, p. 99.

Eunap. in Max. t. 1, p. 62 et 63, ed. Boiss.

Liban. vit. t. 2, p. 52, 56 et 57.

Zos. l. 4, c. 15.

Socr. l. 4, c. 19.

Soz. l. 6, c. 35.

Zon. l. 13, t. 2, p. 33.

Suid. in Φῆστος.

Socrate, et d'après lui Sozomène, rapportent que Valens ordonna de mettre à mort tous ceux dont le nom commençait par les deux syllabes THEOD, et que pour éviter cette proscription, quantité de personnes changèrent de nom. Cet ordre cruel aurait inondé de sang tous les états de Valens: rien n'était plus commun que cette dénomination dans les noms d'étymologie grecque. Aussi les auteurs les plus dignes de foi épargnent à Valens ce trait d'inhumanité. Mais ils conviennent qu'il fit brûler tous les livres de magie, et qu'il persécuta vivement les philosophes, dont la science n'était alors qu'une cabale. Il en fut des livres comme des hommes: on en condamna aux flammes un grand nombre d'innocents, et cet incendie fit périr beaucoup d'ouvrages de littérature, de physique et de jurisprudence[25]. Les délateurs poursuivaient sans relâche les philosophes, et les livraient aux magistrats, qui les condamnaient sans connaissance de cause. Il y en eut qui s'empoisonnèrent pour se soustraire aux supplices[26]. Libanius échappa à la haine de Valens; et si on veut l'en croire, ce fut à la magie même qu'il fut redevable de n'être pas convaincu de magie. Le nom de philosophe était devenu si funeste, qu'on en évitait avec soin jusqu'à la moindre ressemblance dans les habits. Comme on faisait dans toutes les provinces d'exactes recherches, on trouva entre les papiers d'un particulier l'horoscope d'un nommé Valens: et quoique celui à qui ils appartenaient, alléguât pour sa défense qu'il avait eu un frère de ce nom, et qu'il était en état de prouver que cet horoscope était celui de son frère, on le fit mourir sans vouloir l'entendre. Ce qui n'était que folie et faiblesse d'esprit devint un crime d'état. L'usage de ces remèdes extravagants, qui consistent en certaines paroles et en pratiques bizarres et ridicules, fut puni de mort. Festus, proconsul d'Asie, fit périr dans les plus grands tourments Céranius, Égyptien, philosophe célèbre[27]; parce que dans une lettre latine écrite à sa femme, il avait inséré du grec, que Festus n'entendait pas.

[25] Deinde congesti innumeri codices, et acervi voluminum multi sub conspectu judicum concremati sunt, ex domibus eruti variis ut illiciti, ad leniendam cæsorum invidiam: cùm essent plerique liberalium disciplinarum indices variarum et juris. Ammian. Marcell. l. 29, c. 1.—S.-M.

[26] Selon Zonare, l. 13, t. 2, p. 33, ce fut un philosophe nommé Iamblique qui se donna ainsi la mort. Il est probable que ce Iamblique est celui auquel Julien adressa plusieurs lettres qui existent encore.—S.-M.

[27] Philosophum quemdam Cœranium, haud exilis meriti virum. Amm. Marc. l. 29, c. 2. Il est aussi question de ce philosophe dans un fragment d'Eunapius, rapporté par Suidas: il nous apprend que Céranius était Égyptien.—S.-M.

XIV.

Cruautés de Festus.

Ce proconsul[28] était né à Trente [Tridentinum], d'une fort basse extraction. Devenu avocat, il se lia d'une amitié étroite avec Maximin[29], qui exerçait alors la même profession. Pendant que celui-ci s'avançait par ses intrigues à la cour de Valentinien, Festus passa en Orient, et s'attacha au service de Valens. Il fut gouverneur de Syrie[30], et secrétaire du prince pour l'expédition des brevets[31]. Dans ces deux emplois, il se fit aimer par sa douceur, et mérita avec l'estime publique la charge de proconsul d'Asie. Il était le premier à blâmer la conduite injuste et cruelle de son ancien ami: mais la fortune de Maximin le piqua de jalousie, et étouffa dans son cœur tout sentiment d'honneur et de vertu. Voyant que ce méchant homme s'était élevé à la préfecture du prétoire à force de répandre du sang, il crut devoir tenir la même route pour parvenir à la même dignité. Changeant tout à coup de caractère, il devint violent, injuste, inhumain; et tandis que l'Italie et la Gaule gémissaient sous le gouvernement de Maximin, Festus, rival de ce tyran, désolait l'Asie par ses cruautés et ses injustices. C'est à lui qu'on attribue un sommaire fort court de l'histoire romaine, dédié à l'empereur Valens, aussi-bien qu'une description de la ville de Rome[32].

[28] Il se nommait Sextus Rufus Festus.—S.-M.

[29] Il paraît, d'après ce que dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 2, qu'il était son parent, in nexum germanitatis a Maximino dilectus, ut sodalis et contogatus.—S.-M.

[30] Il avait occupé cette place en l'an 368.—S.-M.

[31] Il était magister memoriæ ou secrétaire intime.—S.-M.

[32] Ces deux ouvrages, presque sans importance, ont été imprimés plusieurs fois dès le quinzième siècle. La meilleure édition est celle qui a été donnée à Hanovre en 1815, 1 vol. in-8º, par M. Guill. Muennich.—S.-M.

XV.

Mort du philosophe Maxime.

Entre les innocents qu'il fit mourir, on ne peut compter le fameux Maxime[33], dont la mort ne parut injuste qu'aux zélés partisans de l'idolâtrie. Dès le commencement du règne des deux empereurs, cet imposteur, après avoir couru risque de la vie, avait obtenu la permission de retourner en Asie. Quoiqu'il n'éprouvât que des disgraces, il ne prit point de part à la révolte de Procope, et il essuya même à ce sujet une nouvelle persécution de la part des rebelles. Ennuyé d'une vie si misérable, il pria sa femme de lui apporter du poison: elle obéit, mais l'ayant elle-même avalé en sa présence, elle expira entre ses bras. Il aurait succombé à tant de malheurs, si Cléarque, alors proconsul d'Asie, imbu de sa doctrine, ne se fût hautement déclaré son protecteur. La faveur de ce magistrat lui rendit son repos et son ancienne fortune. Il revint à Constantinople. Soupçonné d'être entré dans le complot de Théodore, il avoua qu'il avait eu connaissance de l'oracle, mais qu'il aurait cru déshonorer la philosophie, s'il eût révélé le secret de ses amis. Il fut, par ordre de l'empereur, transféré à Éphèse, sa patrie[34], où Festus lui fit trancher la tête. Ainsi fut vengé le sang de tant de chrétiens, que ce fanatique avait fait couler sous le règne de Julien, son admirateur et son disciple. Mais la religion chrétienne, instruite à ne se venger de ses plus mortels ennemis que par des bienfaits, n'eut aucune part à ce supplice. Elle n'entrait pour rien dans les conseils de l'ambitieux Festus, qui cinq ans après, ayant embrassé l'idolâtrie sans qu'on en puisse deviner la raison, tomba mort en sortant d'un temple[35].

[33] Ammien Marcellin en parle dans les termes les plus honorables. Maximus, dit-il, ille philosophus, vir ingenti nomine doctrinarum, cujus ex uberrimis sermonibus ad scientiam copiosus Julianus exstitit imperator. l. 29, c. 1.—S.-M.

[34] Il avait été amené à Antioche pour y être jugé: ὁ Μάξιμος συνηρπάσθη μὲν, καὶ εἰς τὴν Ἀντιόχειαν ἦλθεν, dit Eunapius, t. 1, p. 63, edit. Boiss.—S.-M.

[35] C'était un temple des Euménides. Eunapius, qui rapporte ce fait, est bien tenté de le présenter, comme un effet de la vengeance des dieux, et le juste châtiment de la mort de Maxime. Festus avait été destitué par Théodose, peu de temps après son avènement à l'empire. Il avait alors contracté un mariage riche, γάμον τυραννίδι πρέποντα, qui avait peut-être eu de l'influence sur son changement de religion. Eunap. in Max. t. 1, p. 64.—S.-M.

XVI.

Para, roi d'Arménie attiré à Tarse.

Amm. l. 30, c. 1.

Les soupçons de Valens, qui mettaient en deuil tant de familles, ne furent pas moins funestes au roi d'Arménie[36]. On persuada à l'empereur que Para continuait d'entretenir des intelligences secrètes avec les Perses: on lui dépeignait ce jeune prince comme un ingrat et un perfide[37]. Ce rapport était du moins hasardé. On avait lieu de croire que Para, qui ignorait l'art de feindre, après avoir été quelque temps séduit par les artifices de Sapor[38], était revenu de son erreur, et il paraissait rentré de bonne foi dans le parti des Romains. Mais il avait un ennemi mortel dans la personne de Térentius, qui résidait alors en Arménie de la part de l'empereur[39]. Térentius, dont les écrivains ecclésiastiques font l'éloge[40], parce qu'il était fort attaché à la foi catholique, était d'ailleurs un esprit sombre, dangereux, ardent à semer la discorde[41]. Appuyé du témoignage de quelques seigneurs Arméniens, qui voulaient perdre leur prince, parce qu'ils l'avaient offensé[42], il ne cessait d'écrire à la cour, et de remettre sous les yeux la mort de Cylacès et d'Artabannès[43]. Ces impressions malignes firent leur effet sur Valens. Il manda le jeune monarque pour conférer avec lui sur des affaires pressées et importantes[44]. Para était imprudent par caractère autant que par jeunesse, et jamais ses malheurs passés ne purent l'instruire à la défiance. Il partit avec trois cents cavaliers, et étant arrivé à Tarse, il y fut retenu sous divers prétextes[45]. On lui rendait tous les honneurs dus à sa dignité[46]; mais l'éloignement de la cour, et le profond silence qu'on gardait sur des affaires, qu'on lui avait annoncées comme pressantes[47], commençaient à lui donner de l'inquiétude, lorsqu'il apprit, par des avis secrets, que Térentius sollicitait vivement l'empereur d'envoyer au plus tôt un autre roi en Arménie[48]. Ce général faisait entendre à Valens que la nation détestait Para, et que, dans la crainte de retomber entre ses mains, elle était prête à se donner aux Perses[49].

[36] Dirum in Oriente committitur facinus, Para Armeniorum rege clandestinis insidiis obtruncato. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[37] Consarcinabant inhunc etiamtum adultum crimina quædam apud Valentem exaggerantes malè sollertes homines, dispendiis sæpè communibus pasti. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[38] Voyez tom. 3, p. 431 et suiv., liv. XVIII, § 32.—S.-M.

[39] Il était, comme on s'exprimait alors, duc d'Arménie, dux Armeniæ.—S.-M.

[40] S. Basile l'appelle (ep. 215, t. 3, p. 323) un homme admirable θαυμασιωτάτος ἄνηρ, ou bien (ep. 216, t. 3, p. 324) un homme excellent en tout, τὸν πάντα ἄριστον ἄνδρα Τερέντιον. Nous avons encore deux lettres de ce saint (ep. 99, t. 3, p. 193, et ep. 214, t. 3, p. 320) adressées à ce général, et où il ne le traite pas avec moins de bienveillance. Il en est de même de Théodoret dans son Histoire ecclésiastique (l. 4, c. 32).—S.-M.

[41] Le portrait qu'Ammien Marcellin fait de Térentius, l. 30, c. 1, est loin d'être flatteur. Inter quos erat, dit-il, Terentius dux demissè ambulans, semperque submœstus, sed quoad vixerat, acer dissensionum instinctor.—S.-M.

[42] Qui adscitis in societatem gentilibus paucis, ob flagitia sua suspensis in metum. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[43] Scribendo ad comitatum assiduè Cylacis necem replicabat et Artabannis. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[44] Unde quasi futurus particeps suscipiendi tunc pro instantium rerum ratione tractatus. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[45] Apud Tarsum Ciliciæ obsequiorum specie custoditus. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[46] Para regaliter vocatus, dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 1.—S.-M.

[47] Nec urgentis adventus causam scire cunctis reticentibus posset. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[48] Tandem secretiore indicio comperit, per litteras Romano rectori suadere Terentium, mittere propediem alterum Armeniæ regem. Amm. Marc. l. 30, c. 1. Il serait possible que Térentius ait voulu, vers cette époque, placer sur le trône d'Arménie un prince arsacide nommé Varazdat, qui, selon les historiens arméniens, était venu dans ce royaume dans le temps même de la captivité d'Arsace. Ce qui peut appuyer cette conjecture c'est que ce Varazdat, qui était, à ce qu'il paraît, frère naturel de Para, fut déclaré roi d'Arménie, peu après l'assassinat de ce prince.—S.-M.

[49] Ne odio Paræ speque quod revertetur, natio nobis opportuna deficeret ad jura Persarum, eam rapere vi vel metu vel adulatione flagrantium. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

XVII.

Para s'échappe.

Le jeune roi ouvrit alors les yeux sur le péril qui le menaçait[50]. Il rassembla ses trois cents cavaliers[51], tous bien montés et pleins de courage; et se mettant à leur tête, il sortit hardiment[52] de la ville vers la fin du jour. L'officier chargé de la garde des portes[53], courut après lui à toute bride, et l'ayant atteint à quelque distance, le conjura de revenir. Pour toute réponse, on le menaça de le tuer, s'il ne se retirait à l'instant. Peu de temps après, Para se voyant poursuivi par une grande troupe de cavaliers, revint sur eux avec les plus braves de ses gens, et fit si bonne contenance, qu'ils n'osèrent hasarder une action, et le laissèrent librement continuer sa route. Après avoir marché deux jours et deux nuits par des chemins rudes et difficiles, sans prendre de repos, ils arrivèrent au bord de l'Euphrate. Comme ils ne trouvaient point de bateaux, et qu'ils ne pouvaient, sans s'exposer à une perte certaine, entreprendre de traverser à la nage un fleuve si large et si rapide[54], ils se crurent perdus sans ressource. Enfin on s'avisa d'un expédient. Ce pays était un vignoble; on y trouva quantité d'outres, dont on se servit pour soutenir des planches, sur lesquelles ils passèrent, tenant leurs chevaux par la bride. Quelques-uns traversèrent le fleuve sur leurs chevaux mêmes; et tous, avec un extrême danger, mais sans aucune perte, atteignirent l'autre bord. Ils s'y reposèrent quelques moments, et reprirent leur route avec encore plus de diligence.

[50] Quæ reputans, ille impendere sibi præsagiebat exitium grave. Ammien Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[51] Conglobatis trecentis comitibus secutis eum e patria. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[52] Audacter magis quàm consideratè. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[53] Ce n'est pas le gardien des portes de la ville, mais le gouverneur de la province qui courut après le roi, selon le récit d'Ammien Marcellin, l. 30, c. 1. Cumque eum provinciæ moderator, apparitoris qui portam tuebatur imparatus, festinato studio reperisset in suburbanis, ut remaneret enixius obsecrabat.—S.-M.

[54] Inopiâ navium voraginosum amnem vado transire non posset. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

XVIII.

Il regagne l'Arménie.

Valens, averti de l'évasion de Para, avait sur-le-champ dépêché le comte Daniel et Barzimer, tribun de la garde, avec mille hommes de cavalerie légère[55]. Comme le prince, ne connaissant pas le pays, perdait beaucoup de temps dans des détours inutiles[56], ceux-ci gagnèrent les devants par des routes abrégées. S'étant arrêtés dans un lieu où il n'y avait que deux passages éloignés d'une lieue l'un de l'autre[57], ils se partagèrent sur ces deux chemins chacun avec leur troupe. Un heureux hasard sauva le roi d'Arménie. Un voyageur ayant aperçu les cavaliers postés sur ces deux routes, passa pour les éviter au travers des buissons et des bruyères qui remplissaient l'intervalle, et rencontra les Arméniens. On le conduisit au roi, qu'il instruisit en secret de ce qu'il avait vu. Para le retint pour servir de guide; et sans faire connaître à ses gens le danger où ils étaient, il envoya séparément deux cavaliers, l'un à droite et l'autre à gauche, pour préparer sur les deux chemins des logements et des vivres. Un moment après il partit lui-même, guidé par le voyageur; et ayant fait passer ses gens à la file par un sentier étroit et fourré, il laissa l'embuscade derrière lui. Les Romains s'étant saisis des deux cavaliers, l'attendirent inutilement aux deux passages tout le reste du jour. Il eut le temps de gagner du pays, et arriva dans ses états, où il fut reçu avec une extrême joie[58]. Daniel et Barzimer retournèrent à Antioche, couverts de confusion[59]; et pour se défendre des railleries dont on les accablait, ils publièrent que Para était un enchanteur, et qu'il s'était rendu invisible lui et sa troupe[60]. Ce conte absurde trouva croyance à la cour, entêtée pour lors de magie et de sortiléges.

[55] Le premier était comte et le second tribun des Scutaires. Cum sagittariis mille succinctis et levibus Danielum mittit et Barzimerem revocaturos eum, comitem unum, alterum Scutariorum tribunum. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[56] Ut peregrinus et insuetus mæandros faciebat et gyros. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[57] Vias proximas duas trium millium distinctas. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[58] Ille regno incolumis restitutus, et cum gaudio popularium summo susceptus. Amm. Marc. l. 30, c. 3.—S.-M.

[59] Pour se venger de la honte et du mépris que leur attira cette mésaventure, Daniel et Barzimer ne cessèrent de calomnier Para dans l'esprit de l'empereur, pour tâcher de le perdre. On pourrait donc croire d'après ce qu'en dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 1, qu'ils contribuèrent à décider l'empereur à ordonner le lâche assassinat, que l'on commit bientôt sur la personne du jeune roi d'Arménie. Ut hebetatæ, dit-il, primo appetitu venenatæ serpentes, ora exacuere letalia, cum primum potuissent, elapso pro virium copia nocituri. Et leniendi causâ flagitii sui, vel fraudis quam meliore consilio pertulerunt, apud imperatoris aures rumorum omnium tenacissimas incessebant falsis criminibus Param....—S.-M.

[60] Ammien Marcellin donne quelques détails, qui sont loin d'être clairs, sur la prétendue puissance magique du roi d'Arménie. Selon lui, Daniel et Barzimer accusaient ce prince de savoir, par des enchantements semblables à ceux de Circé, affaiblir et changer les corps d'une manière extraordinaire; ils ajoutaient que c'était en usant de semblables moyens qu'il leur avait échappé, en s'enveloppant d'un nuage et en prenant d'autres formes encore, et qu'il était à craindre qu'il ne causât d'autres maux, si on ne faisait aucune attention à son évasion. Apud imperatoris aures rumorum omnium tenacissimas incessebant falsis criminibus Param, incentiones Circeas in vertendis debilitandisque corporibus miris modis eum callere fingentes: addentesque quod hujusmodi artibus offusâ sibi caligine mutatus, vasorumque formâ transgressus, tristes sollicitudines, si huic irrisioni superfuerit, excitabit. Amm. Marc. l. 30, c. 1. Il est difficile de se faire une idée juste de ce que cet auteur entend par les mots vasorum formâ transgressus; doit-on penser qu'il veut dire par là, que le roi d'Arménie avait échappé à ses ennemis sous la forme de vases, ou qu'à la faveur d'un nuage factice, on avait pu le prendre lui et les siens pour des bagages? Quoi qu'il en soit sur ce point, qui n'importe guère, on ne sera pas peu surpris de retrouver des récits à peu près semblables, et les mêmes imputations dans l'historien arménien Faustus de Byzance qui était contemporain (l. 4, c. 44, et l. 5, c. 22). Cet auteur prétend que c'était là un effet de la conduite criminelle de la reine Pharandsem, qui avait dévoué aux démons son fils naissant. Aussi, selon lui, ces démons agissaient-ils dans ce prince, et le dirigeaient-ils dans toutes ses actions. Il ajoute même qu'ils étaient visibles, et qu'ils sortaient des épaules de ce roi, lui environnant le cou de manière à épouvanter ceux qui étaient en sa présence, mais qu'ils disparaissaient aussitôt que le patriarche Nersès se montrait. Il en fut ainsi pendant toute la vie de Para; et c'est à cette obsession qu'il faut attribuer selon Faustus de Byzance toutes les mauvaises actions du jeune roi d'Arménie. Ces récits fabuleux, qui décèlent un ennemi de Para, et qui montrent que l'historien arménien était un fauteur secret des généraux romains qui tramaient la perte de Para, font cependant voir, en les rapprochant de ce que rapporte Ammien Marcellin, que ces bruits absurdes étaient réellement répandus à cette époque dans l'Arménie et dans l'empire.—S.-M.

XIX.

Il est assassiné.

[Amm. l. 30, c. 1.

Faust. Byz. l. 5, c. 32.

Mos. Chor. l. 3, c. 39.

Theod. l. 4, c. 32.]

Le roi d'Arménie, naturellement doux et paisible[61], dévora sans se plaindre l'injure qu'il avait reçue. Il demeurait fidèle aux Romains[62]. Mais Valens ne pouvait lui pardonner de s'être affranchi d'un indigne esclavage. Il se vengea par une horrible perfidie du mauvais succès de la première[63]. Le comte Trajan avait succédé à Térentius. Celui-ci, à son retour d'Arménie[64], fit une action qui serait digne d'un héros du christianisme, et qui montre entre mille exemples que la méchanceté du caractère n'altère pas toujours la pureté de la croyance. Valens content des services de Térentius, l'invita à lui demander telle récompense qu'il désirerait. Le comte lui présenta une requête, par laquelle il ne demandait ni or, ni argent, ni aucune dignité, mais seulement une église pour les Catholiques. L'empereur irrité la mit en pièces. Demandez-moi toute autre chose, lui dit-il; celle-ci est la seule que je ne puisse vous accorder. Alors Térentius ramassant les morceaux de sa requête: Prince, répondit-il, je me tiens pour récompensé; celui qui juge les cœurs me tiendra compte de mon intention. Valens, par des dépêches secrètes, chargea le comte Trajan[65], qui avait succédé à Térentius, de le défaire d'un prince dont la patience augmentait sa honte. C'était à force de crimes vouloir étouffer les remords. Trajan se prêta sans scrupule à ce détestable ministère. Il fit sa cour au jeune prince: il entrait dans ses parties de plaisir; il lui remettait souvent des lettres de l'empereur, par lesquelles il paraissait que tous les nuages de défiance étaient dissipés[66]. [Le roi habitait alors un lieu nommé Khou, dans le canton de Pakrévant[67], non loin du camp des Romains, où se trouvait Trajan, qui] l'invita enfin à un festin. Le prince s'y rendit[68]. Tout respirait le plaisir et la joie. [Para, traité en apparence avec tous les égards que l'on doit à un roi, était à la place d'honneur. Une garde nombreuse, armée de haches et de boucliers, était placée à l'extérieur, tandis qu'un détachement se rangeait dans l'intérieur autour de la tente où on faisait le festin. Le roi crut que c'était une attention du général; mais bientôt il fut détrompé. Au milieu du repas[69], pendant qu'on servait des mets délicats, que la salle retentissait du bruit des chants et des instrumens, et que le vin échauffait les convives,] Trajan sortit et en sa place on vit entrer un Barbare[70], d'un regard effrayant, tenant en main une épée nue. Les convives, les uns glacés d'effroi, les autres complices de l'assassinat, demeurèrent immobiles, ou prirent la fuite. Para, ayant tiré son poignard, disputa quelque temps sa vie, et tomba percé de coups[71]. [Gnel, prince des Andsévatsiens[72], se fit tuer sur le corps de son souverain.] Ainsi périt ce prince trop crédule[73]. [De sa femme Zarmandokht, dont l'origine nous est inconnue, Para laissait deux enfans en bas âge, et hors d'état de faire valoir leurs droits à la couronne. Ils se nommaient Arsace et Valarsace. Il en sera question par la suite.] Ce meurtre, plus affreux dans ses circonstances, que n'avait été celui de Vithicabius, acheva de convaincre les nations étrangères, que les Romains n'avaient plus de caractère propre; et que sous un méchant prince, ils ne respectaient ni la foi des alliances, ni la majesté des rois, ni les droits sacrés de l'hospitalité[74].

[61] Faustus de Byzance représente au contraire le roi d'Arménie comme très-méchant et surtout très-corrompu; il n'est aucune débauche, aucune infamie, dont il ne le suppose capable (Faust. Byz. l. 4, c. 44 et l. 5, c. 22).—S.-M.

[62] Au contraire, selon Faustus de Byzance, l. 5, c. 32, le roi d'Arménie aurait voulu faire alliance avec le roi de Perse; il lui envoyait des ambassadeurs pour en obtenir des secours contre l'empereur. Il assure que poussé par un orgueil insupportable, ou plutôt par un accès de folie, il prétendait que l'empereur lui cédât Césarée de Cappadoce et dix autres villes, ainsi qu'Édesse qui, disait-il, avait été fondée par ses ancêtres; sans quoi, il saurait bien s'en rendre maître. Le connétable Mouschegh et les autres princes, ajoute-t-il, ne purent empêcher les démarches inconséquentes de leur souverain. Quoiqu'il soit bien évident que toutes ces allégations viennent d'un ennemi, il ne serait pas étonnant qu'elles eussent quelques fondements. Il est assez clair en effet que, tout en blâmant la conduite que l'empereur et ses officiers tinrent avec le roi d'Arménie, Ammien Marcellin regarde comme constant que Para entretenait des relations avec le roi de Perse. Quoiqu'il en rejette la faute sur l'inexpérience et la jeunesse du prince, il établit involontairement le fait, mieux attesté encore par les regrets que témoigna Sapor en apprenant la mort de Para, dont il avait fait périr le père et la mère: Sapor, dit-il, l. 30, c. 2, comperto interitu Paræ, mærore gravi perculsus. Il paraît donc que malgré les secours que les Romains avaient fournis à Para, pour le rétablir sur le trône de son père, ce prince avait prêté l'oreille aux partisans des Perses. La crainte d'être sacrifié et abandonné comme Arsace, si les Romains éprouvaient des revers dans l'Orient, l'avait peut-être porté à chercher les moyens de se préserver des mêmes malheurs. Il paraît, d'après ce que raconte Faustus de Byzance, que Gnel prince des Andsévatsiens, était le principal guide de Para, et qu'il était en Arménie le chef du parti persan.—S.-M.

[63] Hinc in illum inexplicabile auctum principis odium, et doli struebantur in dies, ut per vim ei vel clam vita adimeretur. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[64] Ἀπὸ τῆς Ἀρμενίας Τερέντιος τρόπαια στήσας. Theod. l. 4, c. 32.—S.-M.

[65] Agenti tunc in Armenia Trajano, et rem militarem curanti, id secretis committitur scriptis. Amm. Marc. l. 30, c. 1. Faustus de Byzance rapporte, l. 5, c. 32, que Térentius et Arinthée étaient encore en Arménie. Les détails circonstanciés donnés par Ammien Marcellin, font voir que l'auteur arménien n'a pas été bien informé de ce qui concerne la catastrophe de son souverain. J'en dirai autant de Moïse de Khoren, qui attribue aussi (l. 3, c. 39) à Térentius la mort du jeune Para.—S.-M.

[66] Qui inlecebrosis regem insidiis ambiens, et modò serenæ mentis Valentis indices litteras tradens, modò ipse sese ejus conviviis ingerens. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[67] Voy. t. 2, p. 224, note 1, liv. X, § 11.—S.-M.

[68] Ad ultimum compositâ fraude ad prandium verecundius invitavit: qui (rex) nihil adversum metuens venit, concessoque honoratiore discubuit loco. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[69] Cumque apponerentur exquisitæ cuppediæ, et ædes amplæ nervorum et articulato flatilique sonitu resultarent, jam vino incalescente; ipso convivii domino per simulationem naturalis cujusdam urgentis egresso, etc. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[70] Il était, selon Ammien Marcellin, l. 30, c. 1, du nombre de ceux qu'on appelle Supræ. Quidam barbarus asper, ex his quos Supras appellant.—S.-M.

[71] Quo viso regulus fortè prominens ultra torum, expedito dolone adsurgens, ut vitam omni ratione defenderet, perforato pectore deformis procubuit victima, ictibus multiplicatis fædè concisa. Amm. Marc. l. 30, c. 1. Faustus de Byzance raconte, l. 5, c. 32, précisément de la même façon le meurtre de Para.—S.-M.

[72] On peut voir au sujet de ce personnage ce que j'ai dit, t. 3, p. 432 et 433, liv. XVIII, § 32, et ci-devant p. 24, note 2.—S.-M.

[73] Para ou Bab avait régné sept ans, ainsi que l'atteste Moïse de Khoren, l. 3, c. 39, et tous les autres écrivains arméniens. Les détails que donne Ammien Marcellin font voir que Para fut assassiné en l'an 374, ce qui fait remonter son avénement en l'année 367, précisément celle dans laquelle son père Arsace fut détrôné.—S.-M.

[74] Moïse de Khoren raconte tout autrement, l. 3, c. 39, la mort de Para, il est facile de voir que son récit est trop favorable aux Romains pour qu'il ne vienne pas originairement d'un de leurs partisans. Il suppose que cet événement arriva sous le règne de Théodose, ce qui est impossible puisqu'Ammien Marcellin nous atteste de la manière la plus formelle, qu'il arriva sous Valentinien et Valens, par les ordres duquel le meurtre fut exécuté en l'an 374. Selon Moïse de Khoren, le roi d'Arménie, profitant de la sédition de Thessalonique en 390, chassa Térentius et son armée: mais celui-ci revint bientôt, attaqua Para, qui fut vaincu; et il tua de sa main Gnel prince des Andsévatsiens, que Para avait créé général de l'armée d'Orient. Para fut pris et envoyé à Théodose, qui lui fit trancher la tête. Il est impossible d'imaginer comment Gibbon a pu faire, t. 5, p. 109, note 1, pour confondre l'infortuné roi d'Arménie avec Tiridate, frère du roi Arsace, dont j'ai raconté la mort, t. 2, p. 223, liv. X, § 10. Ce Tiridate était le père de Gnel, premier mari de Pharandsem, mère de Para. On peut voir ses aventures tragiques ci-devant t. 2, p. 223-231. Je le répète encore: tous les renseignements que l'historien anglais a empruntés à Moïse de Khoren, ont été toujours entendus et employés par lui de la manière la plus contraire à la vérité. Selon Mesrob, dans sa Vie de S. Nersès, ch. 10, l'empereur n'aurait fait mettre à mort le roi d'Arménie, que pour le punir de l'empoisonnement du patriarche Nersès.—S.-M.

XX.

Négociations avec Sapor.

Amm. l. 30, c. 2.

Zos. l. 4, c. 21.

Eunap. excerpt. leg. p. 21.

Sapor, accoutumé lui-même aux grands crimes, fut moins indigné de la mort de Para, qu'affligé de ce qu'elle détruisait ses espérances. Il travaillait alors à regagner le roi d'Arménie[75]. Il menaça d'abord de le venger: mais fatigué de tant de guerres, il prit la voie de la négociation, et [envoya Arrhacès[76]] proposer à l'empereur de ruiner entièrement l'Arménie, qui n'était pour les deux nations qu'un sujet éternel de querelle et de discorde[77]. Si ce projet n'était pas accepté, il demandait que Sauromacès et les garnisons romaines sortissent de l'Ibérie, et qu'Aspacurès, qu'il avait établi roi de ce pays, en demeurât seul possesseur[78]. Valens répondit qu'il ne changerait rien aux dispositions précédentes, et qu'il était bien résolu de maintenir les deux royaumes dans l'état où ils se trouvaient alors. Le roi de Perse récrivit[79] que le seul moyen de terminer toutes les disputes, était de s'en tenir au traité de Jovien, et que pour en bien assurer les conditions, il fallait rassembler, en présence des deux princes, tous les officiers qui en avaient été garants de part et d'autre[80]. Sapor ne cherchait qu'à fatiguer Valens par des chicanes: il n'ignorait pas qu'il proposait l'impossible, et que la plupart de ceux qui avaient signé le traité étaient morts depuis ce temps-là. L'empereur, pour mettre fin à toutes ces répliques, envoya en Perse le comte Victor, général de la cavalerie, et Urbicius, duc de la Mésopotamie[81]; avec une dernière réponse, dont il déclarait qu'il ne se départirait pas; elle contenait en substance: Que Sapor, qui se vantait de justice et de désintéressement, manifestait son ambition et son injustice par les desseins qu'il formait sur l'Arménie, après avoir protesté aux Arméniens qu'il ne les troublerait jamais dans l'usage de leur liberté et de leurs lois[82]: que l'empereur allait retirer ses troupes de l'Ibérie, mais qu'il n'abandonnerait pas la défense de Sauromacès; et que si Sapor inquiétait ce prince, Valens saurait bien le forcer à respecter la protection de l'empire[83]. Cette déclaration était conforme à l'équité et à la majesté impériale. Mais les envoyés passèrent leur pouvoir; et sans y être autorisés par l'empereur, ils acceptèrent en son nom la cession de quelques cantons de l'Arménie, que les seigneurs du pays abandonnèrent aux Romains[84]. Valens ne jugea pas à propos de désavouer ses députés. Peu après leur retour à Antioche, arriva Suréna, qui offrait au nom du roi de Perse de laisser à Valens la libre possession de ces contrées[85], pourvu qu'il renonçât à la défense de l'Ibérie et du reste de l'Arménie. Cet ambassadeur fut reçu avec magnificence, mais sa proposition fut rejetée, et l'on se prépara à la guerre. Ces négociations avaient duré deux ans[86]. Valens devait entrer en Perse au commencement du printemps[87], avec trois armées: il prenait à sa solde des troupes auxiliaires des Goths[88]. Sapor, plus irrité que jamais, donna ordre à son général Suréna de reconquérir les contrées de l'Arménie, dont Victor et Urbicius s'étaient emparés, et d'attaquer vivement Sauromacès, dont les états étaient pour lors dépourvus de troupes romaines[89]. Un furieux orage menaçait l'Asie, lorsque les mouvemens des Goths rappelèrent Valens dans la Thrace, et le forcèrent de conclure avec Sapor une paix[90] dont on ignore les conditions[91].

[75] Sapor post suorum pristinam cladem comperto interitu Paræ, quem sociare sibi impendio conabatur, mærore gravi perculsus. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[76] Cet ambassadeur est nommé Arsace dans quelques manuscrits d'Ammien Marcellin.—S.-M.

[77] Arrace legato ad principem misso, perpetuam ærumnarum causam deleri penitus suadebat Armeniam. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[78] Si id displicuisset, aliud poscens, ut Iberiæ divisione cessante, remotisque inde partis Romanæ præsidiis, Aspacures solus regnare permitteretur, quem ipse præfecerat genti. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[79] C'était à la fin de l'hiver, sans doute celui de l'an 374. Contrariæ regis litteræ hieme jam extremâ perlatæ sunt, dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 2.—S.-M.

[80] Il faut que le traité conclu avec Jovien ait été rédigé en des termes bien ambigus, puisqu'on eut besoin du témoignage et des explications des officiers qui y avaient pris part des deux côtés.—S.-M.

[81] Victorem magistrum equitum et Urbicium Mesopotamiæ ducem ire properè jussit in Persas, responsum absolutum... Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[82] Quod rex justus et suo contentis, ut jactitabat, scelestè concupiscat Armeniam, ad arbitrium suum vivere cultoribus ejus permissis. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[83] Valens lui disait dans son message, que s'il tentait d'arrêter les troupes, qui, comme on en était convenu, devaient partir au commencement de l'année suivante, il saurait le contraindre à observer les conventions. Sed ni Sauromaci præsidia militum impertita principio sequentis anni ut dispositum est inpræpedita reverterint, invitus ea complebit, quæ sponte suâ facere supersedit. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[84] Absque mandatis oblatas sibi regiones in eadem Armenia suscepit exiguas. Amm. Marc. l. 30, c. 2. Il paraît que long-temps avant le partage et la destruction du royaume d'Arménie, plusieurs cantons et diverses petites principautés situées vers les frontières de la Mésopotamie, sur les bords du Tigre et de l'Euphrate, avaient été réunies à l'empire. Rien n'empêche de croire que ces empiétements ne remontent effectivement à l'époque de la mort de Para. Je crois que le pays envahi alors est celui que les Arméniens désignent par le nom de Quatrième Arménie. Cette dénomination semble indiquer en effet que ce pays fut soumis au régime administratif des Romains. Pour connaître la situation et les divisions de cette province, il faut consulter ce que j'en ai dit dans mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, pages 91-98. Les dynastes compris dans l'étendue de ce pays conservèrent leurs possessions; seulement au lieu d'être vassaux du roi d'Arménie, ils le furent de l'empire. On trouve dans le Code Théodosien une loi de Théodose-le-Grand, datée du 14 juin 387, et adressée à Gaddanès, satrape ou seigneur de la Sophène ou Sophanène, Gaddanæ satrapæ Sofanenæ. Cette même loi fait voir aussi que les autres seigneurs de ce pays reconnaissaient comme lui la suzeraineté de l'empire. Il y est question des couronnes que ces seigneurs devaient fournir d'après un ancien usage, comme une marque de leur soumission à l'empire. Aurum coronarium his reddi restituique decernimus, quibus inlicitè videtur ablatum, ut, secundùm consuetudinem moris antiqui, omnes satrapæ, pro devotione quæ Romano debetur imperio, coronam ex propriis facultatibus facient serenitati nostræ solemniter offerendam.—S.-M.

[85] Quâ regressâ, advenit Surena potestatis secundæ post regem, has easdem imperatori offerens partes, quas audacter nostri sumpsere legati. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[86] Pendant les années 374 et 375. Valens avait passé tout ce temps à Antioche ou dans les environs. Il resta plus de cinq années dans ces régions. Ses lois nous font voir qu'il résida pendant environ trois mois à Hiérapolis à la fin de l'an 373. Nous avons trois lois de lui, datées d'Antioche, pour l'an 374, le 16 février, 11 mars et 21 mai. Deux lois, du 2 juin et du 5 décembre 375, sont aussi d'Antioche. Il était encore dans cette ville le 30 mai 376, se préparant à aller faire la guerre aux Perses.—S.-M.

[87] De l'année 376.—S.-M.

[88] Parabantur magna instrumenta bellorum, ut mollitâ hieme Imperatore trinis agminibus perrupturo Persidem, ideoque Scytharum auxilia festina celeritate mercante. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[89] Iram ejus conculcans Surenæ dedit negotium, ut ea quæ Victor comes susceperat et Urbicius, armis repeteret si quisquam repugnaret, et milites Sauromacis præsidio destinati malis affligerentur extremis. Amm. Marc. l. 30, c. 1. Il paraît que l'entreprise de Suréna, eut un plein succès, car Ammien Marcellin rapporte qu'elle fut si promptement exécutée, qu'on ne put ni la réparer, ni la venger. Hæc ut statuerat maturata confestim: nec emendari potuerunt nec vindicari. La guerre des Goths tourna alors toutes les pensées de l'empereur vers l'Occident, et l'empêcha de poursuivre ses projets contre les Perses.—S.-M.

[90] C'était, dit Eunapius (excerpt. de leg. p. 21), une paix nécessaire, πρὸς μὲν τοὺς Πέρσας ἀναγκαίαν εἰρήνην συνθέμενος. Il s'arrangea avec les Perses comme il le put, dit Zosime, l. 4, c. 21, ὁ δὲ τὰ πρὸς Πέρσας ὠς ἐνῆν διαθέμενος.—S.-M.

[91] Sans nous dire quelles furent ces conditions, les auteurs arméniens nous font voir, comme on aura bientôt occasion de le remarquer, que les affaires de l'Arménie furent laissées à la discrétion du roi de Perse, qui y fit peu après déclarer rois les enfants de l'infortuné Para.—S.-M.

XXI.

[Varazdat est nommé roi d'Arménie par Valens.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 33 et 34.

Mos. Chor. l. 3, c. 40.]

[Le meurtre de Para avait jeté la désolation dans l'Arménie. Ce crime aussi lâche qu'impolitique, pouvait ramener dans ce malheureux royaume toutes les calamités dont il était à peine délivré. En excitant l'indignation du peuple et des nobles, il allait peut-être produire ce que Valens avait voulu empêcher, et livrer l'Arménie au roi de Perse, qui était parvenu à y recouvrer quelque influence, en inspirant de la confiance au jeune roi que l'on venait d'immoler. Les troupes romaines cantonnées au centre du pays, et la présence de Valens sur les frontières de la Perse, n'auraient pu contenir les Arméniens, s'ils eussent voulu venger leur souverain et se réunir aux Perses. Étonnés d'un tel événement, tous les seigneurs vinrent trouver le connétable Mouschegh et le grand-intendant, pour aviser aux mesures qu'il fallait prendre dans ces conjonctures, pour le salut du royaume. Ils ne déguisèrent pas la haine qui les animait contre les Romains, et le désir qu'ils avaient de tirer vengeance du sanglant outrage qu'ils venaient d'éprouver; mais leur attachement pour la religion chrétienne modéra les élans d'une indignation aussi légitime. L'alliance avec les Perses présentait trop de honte et trop de dangers. Les maux qu'ils avaient causés à chacun d'eux et à l'Arménie étaient trop récents, pour qu'ils en eussent perdu le souvenir, et d'ailleurs qui pouvait les assurer de la sincérité des intentions de Sapor? ils résolurent donc, quoique bien à regret, de rester attachés au parti des Romains et de laisser à la décision de Valens le sort de l'Arménie. L'empereur n'avait fait périr Para, dont il se défiait, et qui s'était montré peu docile à ses volontés, que pour placer sur le trône un roi qui lui fût plus dévoué. Aussitôt après la mort de Para, et sans consulter les grands, il s'était empressé de disposer de la couronne d'Arménie, comme avaient fait autrefois plusieurs de ses prédécesseurs. Un jeune Prince, issu de la race des Arsacides[92], distingué par son courage, et qui se nommait Varazdat[93], fut proclamé roi. Élevé chez les Romains[94], il s'y était rendu fameux par sa force et son adresse dans les jeux et les combats athlétiques de la Grèce[95]. Il avait aussi, disait-on, acquis[96] une gloire plus noble et plus réelle dans une guerre contre les Lombards[97]; enfin depuis quelques années[98], il était de retour dans sa patrie. Il y avait signalé sa valeur contre les brigands qui infestaient le canton de Taranaghi[99], situé sur les bords de l'Euphrate. On raconte que dans une de ses expéditions, ceux-ci poursuivis de trop près par le jeune guerrier, coupèrent un petit pont, pour mettre ce fleuve entre eux et leur redoutable adversaire. Un tel obstacle ne put arrêter Varazdat, il franchit d'un saut[100] l'Euphrate encore faible et peu éloigné de sa source, fond sur ces brigands et les contraint de se rendre. Les Arméniens accueillirent avec joie le nouveau roi, et Mouschegh continua d'exercer sous son règne l'influence qu'il avait eue du temps de Para, et il prit, de concert avec les généraux romains, toutes les mesures nécessaires pour défendre l'Arménie. On y fit donc construire une grande forteresse destinée à servir de place d'armes aux Romains[101]; et des châteaux, protégés par une double enceinte de murs, furent disposés par échelons jusqu'à Gandsak-Schahastan, sur la frontière orientale du royaume; les troupes et les seigneurs Arméniens reçurent une solde de l'empereur; rien ne fut négligé pour s'assurer de ce royaume et le mettre à l'abri des attaques des Perses. Ces soins durent être la principale occupation de Valens[102], pendant le séjour de cinq années qu'il fit à Antioche; et peut-être en aurait-il retiré le fruit dans la guerre qu'il méditait contre les Perses, si les affaires de l'Occident et la mauvaise tournure que prit la guerre contre les Goths, n'étaient venus le troubler dans l'exécution de ses desseins, et le contraindre en retirant ses troupes de l'Arménie, de laisser ce royaume exposé aux entreprises de Sapor.]—S.-M.

[92] Moïse de Khoren, l. 3, c. 40, ne dit pas autre chose sur l'origine de Varazdat. Il vaut mieux s'en tenir à ce qui résulte du récit de Faustus de Byzance. Le prêtre Mesrob, historien de S. Nersès, dont j'ai déja parlé, t. 3, p. 275, not. 3, liv. XVII, § 4, dit cependant, dans le 11e chapitre de son ouvrage, que Varazdat était neveu du roi Bab ou Para. Dans l'argument de ce chapitre, il donne le nom d'Anob au père de Varazdat, mais ce nom ne se reproduit pas dans le texte. Le peu de confiance que mérite cet auteur, m'empêche d'admettre cette indication, qui d'ailleurs ne s'accorde pas avec le reste de l'histoire d'Arménie. La reine Pharandsem, n'ayant pas eu du roi Arsace d'autre fils que Bab ou Para, et Olympias n'ayant pas eu d'enfant à ce qu'il paraît, il faudrait que le père de Varazdat, s'il était né d'Arsace, eût été un fils naturel. Le fait peut avoir été ainsi, mais il aurait besoin d'un autre garant que l'historien Mesrob. Faustus de Byzance parle, l. 5, c. 34, de Varazdat, comme Moïse de Khoren: «Après la mort de Bab, roi des Arméniens, dit-il, le monarque grec fit roi un certain Varazdat, de la race des Arsacides.» Mais, dans un autre endroit, l. 5, c. 37, il s'exprime, ou plutôt Varazdat lui-même s'énonce comme s'il était frère de Bab ou Para. Répondant à Manuel, prince des Mamigoniens, pour se justifier de la mort de Mouschegh, frère de ce général, il dit: «Si je n'étais pas Arsacide, aurais-je pris la couronne des Arsacides mes ancêtres; j'ai occupé le pays de mes aïeux, et j'ai tiré vengeance sur ton méchant frère Mouschegh, de la mort de mon frère paternel Bab.» Il est assez clair d'après cela que Varazdat était réellement frère de Para. On voit seulement par la lettre de Manuel, rapportée par le même auteur, l. 5, c. 37, qu'il n'était pas fils légitime d'Arsace. «Non, lui dit Manuel, tu n'es pas un Arsacide, mais tu es le fils de l'adultère.»—S.-M.

[93] Aucun auteur ancien, grec ou latin, ne nous a conservé le nom de ce roi d'Arménie; ces écrivains nous laissent dans la plus profonde ignorance sur les événements qui arrivèrent en Arménie, après la mort de Para. La seule mention de Varazdat, qui se trouve dans un auteur grec, existe dans un petit ouvrage, composé au huitième siècle par un écrivain anonyme, mais arménien de naissance; il a été inséré par le P. Combéfis dans le 2e volume de son Supplément à la Bibliothèque des Pères, p. 271-291. J'ai déjà parlé de cet ouvrage t. 3, p. 443, not. 2, liv. XVIII, § 40. Cet auteur, en écrivant en grec, ou bien ses copistes ont étrangement altéré le nom de Varazdat; il l'appelle Varistirtak, ὁ Βαριστιρτάκ.—S.-M.

[94] Selon Moïse de Khoren, l. 3, c. 40, Varazdat avait été contraint de fuir l'Arménie dans son enfance pour éviter la cruauté de Sapor. Cette indication semblerait devoir se rapporter à l'époque de la mort d'Arsace et de l'envahissement de l'Arménie, qui suivit de près cet événement. Elle serait alors en contradiction avec ce que le même auteur dit du retour de Varazdat dans sa patrie, qui coïncide précisément avec l'époque de cette catastrophe. Il est plus probable que Varazdat avait été élevé à la cour des empereurs, comme un ôtage envoyé par le roi d'Arménie, ainsi que c'était l'usage alors. L'historien Moïse de Khoren en fournit lui-même plusieurs exemples.—S.-M.

[95] Moïse de Khoren dit, l. 3, c. 40, qu'il se signala à Pise et dans les jeux Olympiques.—S.-M.

[96] Moïse de Khoren compare, l. 3 c. 40, les exploits de Varazdat, à ceux du grand Tiridate.—S.-M.

[97] C'est Moïse de Khoren qui rapporte encore, l. 3, c. 40, cette circonstance intéressante, parce qu'elle nous offre un des plus anciens renseignements qui existent sur la nation des Lombards. Ce peuple, bien connu au temps de Tacite qui en fait plusieurs fois mention (Ann. l. 2, c. 45, et l. 11, c. 17, et Germ. c. 40), est aussi rappelé dans Strabon, l. 7, p. 290, dans Velléius Paterculus, l. 2, c. 106, et dans Ptolémée, l. 2, c. 11. Le témoignage de ces écrivains fait voir que durant le premier siècle de notre ère et sans doute long-temps avant, ce peuple habitait la partie de la Germanie, située au-delà de l'Elbe, en allant vers la mer Baltique. Leur nom disparaît ensuite et ne se trouve plus qu'à la fin du 4e siècle. Prosper rapporte alors dans sa continuation de la Chronique d'Eusèbe, sous l'an 379, que les Lombards, sortis de l'extrémité de la Germanie, des rivages de l'Océan et de l'île de Scandie, pour chercher de nouvelles demeures, vainquirent d'abord les Vandales, sous les ordres d'Iboréa et d'Aïon. Longobardi ab extremis Germaniæ finibus, Oceanique protinus littore, Scandiaque insula magna egressi, et novarum sedium avidi, Iborea et Aïone ducibus, Vandalos primum vicerunt. Tous ces événements sont racontés avec de plus grands détails dans l'histoire des Lombards, écrite au huitième siècle par Paul Diacre. Le témoignage de Moïse de Khoren vient donc appuyer celui de Prosper, et attester la présence des Lombards dans la Germanie, pendant la durée du 4e siècle, et à peu près dans les mêmes régions où ils avaient été connus par les auteurs plus anciens. Tacite et presque tous les écrivains anciens les appellent Longobardi: Moïse de Khoren les nomme à peu près de la même façon Langovard.—S.-M.

[98] Moïse de Khoren rapporte que Varazdat était revenu en Arménie, dans la 55e année de Sapor, roi de Perse, qui correspondait aux années 365 et 366 de J. C. c'est-à-dire à la fin de la guerre malheureuse qu'Arsace soutint contre les Perses. Il paraît que, depuis cette époque, Varazdat resta en Arménie, où il est probable qu'il se distingua dans les guerres contre les Perses, lorsque les Romains rétablirent Para sur le trône. Il est à croire qu'il dut à la célébrité qu'il acquit alors l'honneur d'être choisi par Valens pour remplacer Para.—S.-M.

[99] Voyez au sujet de ce pays, t. 3, p. 376, not. 4, l. XVII, § 64.—S.-M.

[100] Moïse de Khoren le compare en cette occasion, l. 3, c. 40, à Achille franchissant, dans Homère, le lit du Scamandre.—S.-M.

[101] Faustus de Byzance, qui rapporte ces faits, l. 5, c. 34, n'indique pas le lieu où était située cette forteresse.—S.-M.

[102] Selon Moïse de Khoren, l. 3, c. 40, Varazdat fut créé roi d'Arménie par Théodose. Il est évident qu'il se trompe, puisque le témoignage irrécusable d'Ammien Marcellin nous apprend que le meurtre de Para fut exécuté sous le règne de Valens et par les ordres de ce prince. Comme Varazdat fut nommé presque aussitôt roi d'Arménie, il dut l'être par Valens. Le récit de Faustus de Byzance ne contient pas le nom du souverain qui lui donna la couronne; il se contente de l'appeler le roi des Grecs, c'est-à-dire l'empereur romain. Moïse de Khoren ajoute que Varazdat fut déclaré roi en la vingtième année de Théodose, qu'on sait n'avoir régné que seize années non accomplies. En général, je dois le remarquer, la chronologie de l'historien arménien présente une multitude de difficultés et d'erreurs de détail, qui n'altèrent en rien la vérité des faits qu'il rapporte, mais qui en rendent l'usage très-difficile.—S.-M.

XXII.

Assassinat de Gabinius, roi des Quades.

Amm. l. 29, c. 6.

Zos. l. 4, c. 16.

Cod. Th. l. 15, tit. 1, leg. 18.

Tandis que le meurtre du roi d'Arménie excitait l'horreur de tout l'Orient, l'Occident fut témoin d'un forfait pareil dans toutes ses circonstances. Le roi des Quades fut assassiné, parce qu'il avait sujet de se plaindre; et l'on reconnut, par un nouvel exemple, que la table, dont les droits sont sacrés jusque chez les nations sauvages, et qui fut toujours regardée comme le centre de la confiance et de la sûreté, est pour cette raison même le théâtre le plus souvent choisi par la perfidie. Valentinien après avoir passé l'hiver à Milan, était revenu à Trèves[103]. Il s'occupait depuis long-temps à garnir de forteresses la frontière de la Gaule, du côté de la Germanie, et à réparer les fortifications des villes aux dépens de la province. Emporté par un trop grand désir d'étendre les limites de l'empire, il ordonna de construire un fort au-delà du Danube, sur un terrain qui appartenait aux Quades[104]. Ces peuples alarmés de cette entreprise, députèrent à Valentinien, et obtinrent d'Équitius, commandant d'Illyrie, et actuellement consul, que l'ouvrage demeurât suspendu jusqu'à la décision de l'empereur. Le préfet Maximin, qui pouvait tout à la cour, blâma fort cette condescendance d'Équitius, qu'il traitait de faiblesse: il disait hautement que son fils Marcellianus, tout jeune qu'il était, soutiendrait mieux l'honneur et l'intérêt de l'empire, et qu'il saurait bien achever la forteresse en dépit des Barbares. Il fut écouté: son fils fut envoyé avec le titre de duc de la Valérie; et ce jeune homme, que le crédit de son père rendait hautain et insolent, sans daigner rassurer les Quades, fit continuer les travaux. Gabinius, roi de la nation, vint lui représenter avec douceur l'injustice de cette usurpation. Marcellianus feignit de se rendre à ses remontrances; et l'ayant invité à un repas, il le fit massacrer au sortir de la table[105]. C'était la troisième tête couronnée qui tombait sous les coups de la trahison, depuis le commencement du règne des deux empereurs.

[103] C'est l'hiver de l'an 373 que Valentinien avait passé en Italie. Ce fut sans doute à Milan qu'il séjourna. Une loi nous fait voir qu'il était encore dans cette ville le 5 février 374. Il retourna ensuite dans les Gaules, et il était à Trèves le 21 mai et le 20 juin 374.—S.-M.

[104] Ammien Marcellin remarque, l. 29, c. 6, que cette nation était peu redoutable à cette époque, parum nunc formidanda, mais qu'elle avait été antérieurement, c'est-à-dire au temps de Marc-Aurèle, très-guerrière et très-puissante, sed immensum quantum antehac bellatrix et potens. On peut voir dans l'Histoire des Empereurs de Crévier, le récit de leur grande irruption sous le règne de ce prince.—S.-M.

[105] Zosime donne, l. 4, c. 16, le nom de Célestius à l'assassin de Gabinius. C'était peut-être un des noms de Marcellianus.—S.-M.

XXIII.

Les Quades vengent la mort de leur roi.

Cette insigne perfidie mit les Quades en fureur[106]. Versant des larmes de douleur et de rage, ils passent le Danube, égorgent les paysans occupés alors aux travaux de la moisson, et portent de toutes parts le ravage et le massacre. La province était dégarnie de troupes; on en avait envoyé la plus grande partie en Afrique avec Théodose. Il ne s'en fallut que d'un moment qu'ils n'enlevassent la fille de Constance, qui traversait l'Illyrie pour aller épouser Gratien dans la Gaule[107]. Messala, gouverneur de la province, sauva ce déshonneur à l'empire, et transporta promptement la princesse à Sirmium, éloigné de près de dix lieues[108]. Probus, préfet du prétoire, était pour lors dans cette ville. Ce magistrat, peu accoutumé aux alarmes, prit d'abord l'épouvante; il se préparait à s'enfuir pendant la nuit. Mais étant averti que tous les habitants se disposaient à le suivre, et que la ville resterait déserte et ouverte aux ennemis, il eut honte de sa lâcheté; et s'étant rassuré, il fit nettoyer les fossés, relever les murs abattus en plusieurs endroits, et construire les ouvrages nécessaires. Quantité de matériaux, qu'on avait amassés pour bâtir un théâtre, lui servirent à cet usage. Il rassembla les troupes dispersées dans les postes voisins, et mit la ville en état de défense. Les Barbares peu instruits dans l'art d'attaquer les places, et embarrassés de leur butin, n'osèrent entreprendre un siége. Ils changèrent de route, et prirent celle de la Valérie, pour y aller chercher Équitius, auquel ils attribuaient le massacre de leur prince, parce qu'ils ne connaissaient pas Marcellianus. Deux légions vinrent à leur rencontre, celle de Pannonie et celle de Mésie[109]. Elles étaient en état de vaincre, si elles se fussent réunies: mais la jalousie du premier rang qu'elles se disputaient, les tint séparées. Les Barbares profitèrent de cette mésintelligence: ils tombèrent d'abord sur la légion de Mésie; et lui ayant passé sur le ventre avant quelle eût eu le temps de prendre les armes, ils attaquèrent celle de la Pannonie; elle fut taillée en pièces, et il ne s'en sauva qu'un petit nombre de soldats.

[106] Ammien Marcellin y ajoute, l. 29, c. 6, les nations voisines. Quados, dit-il, et gentes circumsitas efferavit. On voit par la suite de sa narration que ces nations étaient les Sarmates, qui prirent part aux ravages que les Quades commirent dans les provinces romaines.—S.-M.

[107] Elle s'était arrêtée dans un lieu public, pour y prendre son repas, selon Ammien Marcellin, l. 29, c. 6, cibum sumens in publica villa: ce lieu s'appelait Pistrensis: quam appellant Pistrensem; il n'en est question dans aucun autre auteur.—S.-M.

[108] Ou plutôt à vingt-six milles, ad Sirmium vicesimo sexto lapide. Am. Marc. l. 29, c. 6.—S.-M.

[109] C'étaient les deux légions connues sous les noms de Pannonica et de Mœsiaca.—S.-M.

XXIV.

Le jeune Théodose repousse les Sarmates.

Amm. l. 29, c. 6.

Zos. l. 4, c. 16.

Them. or. 14, p. 182.

Théodose, fils de celui qui poursuivait Firmus en Afrique, et de Thermantia, illustre Espagnole, commandait dans la Mésie. Il était âgé de vingt-huit ans[110]. Déjà connu par la valeur qu'il avait montrée en plusieurs guerres sous le commandement de son père[111], il se fit alors cette haute réputation qui l'éleva dans la suite à la dignité impériale. Les Sarmates[112], animés par les Quades leurs voisins, se jetèrent en Mésie: Théodose à la tête d'une poignée de nouvelles levées, n'ayant de ressource réelle que dans sa bonne conduite et dans son courage, défit les ennemis autant de fois qu'il put les joindre. Tantôt courant à leur rencontre jusqu'aux bords du Danube, il servit lui-même de barrière à l'empire: tantôt les attendant à des passages dangereux et dans les forêts, il en fit un grand carnage. Les Sarmates découragés par tant de pertes, eurent recours à la clémence du vainqueur, et obtinrent la paix, qu'ils gardèrent tant qu'ils se souvinrent de leurs défaites. Les Quades se retirèrent aussi, lorsqu'ils apprirent qu'il arrivait des troupes de la Gaule pour défendre l'Illyrie.

[110] Il était né en l'an 346. Selon Zosime, l. 4, c. 24, Théodose était né à Cauca, ville de la Gallice, ἐκ τῆς ἐν Ἰβηρίᾳ Καλλεγίας, πόλεως δὲ Καύκας ὁρμώμενον.—S.-M.

[111] On apprend de Zosime, l. 4, c. 35, qu'il servit alors en Angleterre avec Maxime, qui fut dans la suite l'assassin de Gratien et qui était, à ce qu'on croit, Espagnol comme Théodose.—S.-M.

[112] Ammien Marcellin les appelle Sarmates libres, pour les distinguer de leurs esclaves plus connus sous le nom de Limigantes. Sarmatas liberos ad discretionem servorum rebellium appellatos, dit-il, l. 29, c. 6. On a vu, t. 1, p. 337, liv. V, § 27, comment ces Limigantes se révoltèrent contre leurs maîtres, et comment, après avoir fait la guerre aux Romains, et avoir été vaincus, ils furent dispersés sur le territoire de l'empire.—S.-M.

XV.

Paix avec Macrianus.

Amm. l. 30, c. 3.

Alsat. illust. p. 181 et 419.

God. ad Cod. Theod. l. 8, tit. 5. leg. 33.

Valentinien, après avoir ravagé quelques cantons de l'Allemagne, bâtissait sur le Rhin un fort, que les habitants appelèrent ensuite Robur[113], et dont le terrain est aujourd'hui renfermé dans la ville de Bâle. Dès qu'il apprit, par une lettre de Probus, l'invasion des Quades en Illyrie, il dépêcha le secrétaire Paternianus pour s'instruire de tout sur les lieux; et en ayant reçu des nouvelles certaines, il voulait aller sur-le-champ châtier l'audace de ces Barbares. Comme on était à la fin de l'automne[114], on lui représenta qu'on ne trouverait ni vivres, ni fourrages, et que les princes allemans, et surtout Macrianus, le plus redoutable de tous, profiteraient de son éloignement pour attaquer la Gaule. Il se rendit à ces raisons, et résolut d'attendre le printemps. Mais afin de ne laisser derrière lui aucun sujet d'inquiétude, il voulut s'assurer de Macrianus par un traité de paix, et l'invita à une entrevue près de Mayence [Mogontiacum]. Le roi alleman, glorieux de se voir recherché, se rendit au bord du Rhin, et parut dans une contenance fière à la tête de ses bataillons, qui faisaient retentir leurs boucliers, en les frappant de leurs épées. L'empereur en cette occasion sacrifia au désir de la paix la prééminence de la majesté impériale: il rassembla un grand nombre de bateaux, et traversant le fleuve avec ses soldats rangés sous leurs enseignes, il s'approcha de Macrianus qui l'attendait sur l'autre bord. Lorsqu'ils furent à portée de s'entendre, et que les Barbares eurent fait silence, les deux princes entrèrent en conférence. Ils convinrent des articles de la paix, et la confirmèrent par leur serment. Macrianus, jusqu'alors si inquiet et si turbulent, devint de ce moment un allié fidèle, et ne cessa jusqu'à sa mort de donner des preuves de son attachement aux Romains. Quelques années après, s'étant engagé trop avant dans le pays des Francs qu'il ravageait, il fut surpris et tué dans une embuscade que lui dressa Mellobaudès[115], prince guerrier, qui régnait alors sur cette nation. Après la conclusion du traité, Valentinien se retira à Trèves, où il passa l'hiver[116].

[113] Prope Basiliam, quod appellant accolæ Robur. Amm. Marcel. l. 30, c. 3. Sans Ammien Marcellin, on ignorerait la position de ce fort, qui est encore connu par une loi que Valentinien y rendit le 15 juillet 374; sans doute à l'époque où il était occupé de sa fondation. On peut voir dans l'Alsatia illustrata du savant Schoepflin, p. 181, les raisons qu'il a de mettre ce château sur une partie de l'emplacement occupé actuellement par la ville de Bâle, qui en était séparée autrefois par le ruisseau appelé Birsius, au point où il se jette dans le Rhin.—S.-M.

[114] Abeunte autumno, dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 3.—S.-M.

[115] Periit in Francia postea. Amm. Marc. l. 30, c. 3.—S.-M.

[116] Il était déja dans cette ville, le 3 décembre de l'an 374.—S.-M.

XXVI.

Débordement du Tibre.

Amm. l. 29, c. 6 et ibi Vales.

Sur la fin de cette année les pluies continuelles firent déborder le Tibre. Rome fut long-temps inondée. Il fallut porter en bateau des vivres aux habitants réfugiés dans les lieux les plus élevés de leurs maisons. Claude, alors préfet, pourvut à tous leurs besoins avec une activité infatigable, et maintint la tranquillité dans ce peuple mutin et séditieux même au milieu de l'abondance. Ce magistrat fit construire un superbe portique près des bains d'Agrippa; il le nomma le portique du Bon Succès, Boni Eventûs, à cause d'un temple voisin qui portait ce nom. Les payens adoraient sous ce titre la divinité qui faisait prospérer les fruits de la terre.

XXVII.

Lois de Valentinien.

Cod. Th. l. 4, tit. 17, leg. 1; l. 9, tit. 24, leg. 3; l. 13, tit. 4, leg. 4.

Cod. Jus. l. 7, tit. 44, leg. 2.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 1, c. 20.

Valentinien fit vers ce temps-là plusieurs lois utiles. Pour soutenir les arts qui s'affaiblissaient en même proportion que la gloire de l'empire, il accorda aux peintres de grands priviléges. Il décida qu'en matière de rapt, après cinq ans écoulés, on ne serait plus reçu à poursuivre le crime, ni à contester la légitimité du mariage, ou celle des enfants qui en seraient sortis. Il avait déjà ordonné que les juges ne prononceraient leurs sentences qu'après les avoir écrites; il ajouta que les sentences qui seraient prononcées de mémoire, sans avoir été mises par écrit, n'auraient aucune autorité et seraient censées nulles, sans qu'il fût besoin d'en suspendre l'effet par un appel. Il condamna au bannissement tous ceux qui, au mépris de la religion, formeraient des assemblées illicites: il déclara que ceux qui auraient été condamnés par le jugement des évêques catholiques, ne pourraient s'adresser à l'empereur pour la révision de leur procès. Florent, évêque de Pouzzoles, avait donné occasion à ce rescrit: ayant été déposé à Rome par le pape et les évêques, il eut recours à l'empereur; mais il n'en obtint d'autre réponse, sinon qu'après une condamnation si canonique, il n'était plus permis à Florent de poursuivre sa justification devant aucun tribunal.

XXVIII.

S. Ambroise, évêque de Milan.

Paulin. vit. Ambros. § 5 et 6.

Basil. ep. 197 t. 3, p. 287.

Hier. chron. Socr. l. 4, c. 30.

Theod. l. 4, c. 6 et 7.

Soz. l. 4, c. 24, Pagi, in Bar. an. 369.

Herm. vie de S. Ambr. l. 1, c. 2, 3 et l. 2, c. 1.

Fleury, Hist. ecclés. l. c. 20 16.

Auxentius, le principal soutien de l'arianisme en Italie, se maintint jusqu'à sa mort dans le siége de Milan, quoiqu'il eût été deux ans auparavant excommunié dans un concile de quatre-vingt-treize évêques, tenu à Rome en conséquence d'un rescrit de l'empereur. Mais dès qu'il fut mort, Valentinien qui était pour lors à Trèves, écrivit en ces termes aux évêques assemblés à Milan: Choisissez un prélat, qui par sa vertu et par sa doctrine mérite que nous le respections nous-mêmes et que nous recevions ses salutaires corrections. Car étant, comme nous le sommes, de faibles mortels, nous ne pouvons éviter de faire des fautes. Les évêques prièrent l'empereur de désigner lui-même celui qu'il croyait le plus capable; il leur répondit que ce choix était au-dessus de ses lumières; et qu'il n'appartenait qu'à des hommes éclairés de la grâce divine. Milan était rempli de troubles: la cabale arienne faisait les derniers efforts pour placer sur le siége d'Auxentius un prélat imbu des mêmes erreurs. Ambroise, aussi distingué par la beauté de son génie et par la pureté de ses mœurs que par sa noblesse et ses richesses, gouvernait alors la Ligurie et l'Émilie. Instruit dans les lettres humaines, il avait d'abord exercé à Rome la profession d'avocat, et était devenu assesseur de Probus, préfet d'Italie. Lorsqu'il avait été chargé du gouvernement de la province dont Milan était capitale, ce préfet, en lui faisant ses adieux, lui avait dit: Gouvernez, non pas en magistrat, mais en évêque. Cette parole devint une prophétie. La contestation sur le choix de l'évêque s'échauffant de plus en plus, faisait craindre une sédition. Ambroise, obligé par le devoir de sa charge de maintenir le bon ordre, vint à l'église, et fit usage de son éloquence pour calmer les esprits et les engager à choisir avec discernement et sans tumulte celui qui devait être pour eux un ange de lumière et de paix. Il parlait encore, lorsque tous d'une commune voix, Catholiques et Ariens, s'écrièrent qu'ils demandaient Ambroise pour évêque. Ambroise saisi d'effroi prit la fuite, et il n'oublia rien pour résister au désir du peuple. Les évêques qui approuvaient ce choix s'adressèrent à l'empereur, parce que les lois défendaient de recevoir dans le clergé ceux qui étaient engagés dans des emplois civils. Valentinien fut flatté d'apprendre que les magistrats qu'il choisissait fussent jugés dignes de l'épiscopat; et dans le transport de sa joie: Seigneur, s'écria-t-il, grâces vous soient rendues de ce que vous voulez bien commettre le salut des âmes à celui à qui je n'avais confié que le soin des corps. L'autorité du prince, jointe aux instances des prélats et à la persévérance du peuple, força enfin la modestie d'Ambroise. Il fut baptisé, car il n'était encore que catéchumène, quoiqu'âgé d'environ trente-cinq ans. Il reçut l'onction épiscopale le 7 de décembre; et par le crédit que lui procura auprès des empereurs l'élévation de son ame, soutenue d'une éminente sainteté, son élection fut un événement aussi avantageux pour l'État que pour l'Église. Dès les premiers jours de son épiscopat, on vit un heureux présage de la généreuse liberté dont il ferait usage avec les princes, et des égards que les princes auraient pour ses avis. Il se plaignit à l'empereur de quelques abus qui s'étaient glissés dans la magistrature. Valentinien lui répondit: Je connaissais votre franchise; elle ne m'a pas empêché de vous donner mon suffrage. Continuez, comme la loi divine vous l'ordonne, de nous avertir de nos erreurs.

An 375.

XXIX.

Valentinien marche en Pannonie.

Amm. l. 30, c. 5.

Zos. l. 4, c. 17.

Idat. chron.

Hier. chron.

Reines. insc. cl. 20, nº 432.

L'année suivante se passa toute entière sans élection de nouveaux consuls. Elle n'est désignée dans les fastes que par ces termes: Après le troisième consulat de Gratien, ayant pour collègue Equitius. Il vaut mieux dire qu'on en ignore la raison, que de l'attribuer aux occupations de Valentinien qui se préparait à tirer vengeance des Quades et des Sarmates. Le printemps étant déjà avancé[117], le prince partit de Trèves. Il marchait en diligence vers la Pannonie, lorsqu'il rencontra des députés des Sarmates, qui, se prosternant à ses pieds, le supplièrent d'épargner leur nation, lui protestant qu'il ne la trouverait ni coupable ni complice des excès dont il avait à se plaindre. Il leur répondit qu'il s'éclaircirait de la vérité des faits sur les lieux mêmes, et que les infracteurs des traités ne lui échapperaient pas. Il arriva bientôt à Carnuntum, ville de la haute Pannonie, alors déserte et presque ruinée, mais située avantageusement pour arrêter les incursions des Barbares[118]. On croit que c'est aujourd'hui Pétronel sur le Danube, entre Vienne et Hainbourg[119]. Il y demeura trois mois[120] à réparer les dommages que la province avait soufferts, et à faire les dispositions nécessaires pour aller attaquer les ennemis dans leur pays. On attendait de sa sévérité naturelle qu'il informât de la trahison faite à Gabinius, et de la perfidie ou de la lâcheté des officiers chargés de garder la frontière, qui avaient ouvert aux Barbares l'entrée de la province. Mais selon sa coutume de traiter avec dureté les soldats, et de pardonner tout à leurs commandants, il ne fit aucune recherche sur ces deux objets.

[117] Pubescente jam vere, dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 5. Valentinien était encore à Trèves, le 9 avril.—S.-M.

[118] Carnuntum, Illyriorum oppidum, desertum quidem nunc et squalens, sed ductori exercitûs perquam opportunum, ubi fors copiam dedisset aut ratio, â statione proxime reprimebat barbaricos adpetitus. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[119] D'Anville pense (Géogr. abrég. t. 1, p. 155) qu'elle pourrait bien être Altenbourg, situé sur un bras du Danube, entre Raab et Presbourg.—S.-M.

[120] On voit par une loi de Valentinien adressée à Laodicéus, gouverneur de Sardaigne, qu'il se trouvait dans cette ville le 12 août.—S.-M.

XXX.

Il apprend les vexations de Probus.

Il ne put cependant fermer les yeux sur le mauvais gouvernement de Probus. Ce préfet du prétoire, jaloux de se conserver dans cette suprême magistrature, suivait une politique tout-à-fait indigne de sa haute naissance[121]. Connaissant l'avidité du prince, au lieu de le ramener à des sentiments d'humanité et de justice, il ne s'étudiait qu'à servir sa passion pour l'argent. Financier impitoyable, il imaginait tous les jours de nouvelles impositions. Ses vexations allèrent si loin, qu'entre les principaux habitants des provinces de sa juridiction, plusieurs abandonnèrent le pays; la plupart déjà épuisés et toujours poursuivis, n'eurent plus d'autre séjour que les prisons: quelques-uns se pendirent de désespoir. Cette tyrannie excitait les murmures de tout l'Occident. Valentinien était le seul qui n'en fût pas instruit: content de l'argent qu'il recevait, il se mettait peu en peine des moyens employés pour le recueillir. Cependant des injustices si criantes le révoltèrent lui-même, lorsque les gémissements des peuples furent enfin parvenus jusqu'à ses oreilles. Les provinces avaient coutume d'envoyer au prince des députés pour rendre témoignage de la bonne conduite des gouverneurs. Probus ayant forcé la province d'Épire de se conformer à cet usage, elle députa à l'empereur, lorsqu'il était à Carnuntum, un philosophe cynique nommé Iphiclès, autrefois ami de Julien. Il se défendit d'abord d'accepter cette commission; mais on l'obligea de partir. Il était connu de l'empereur, qui, après l'avoir entendu, lui demanda si les louanges que la province donnait au préfet étaient bien sincères: Prince, répondit-il, entre les extorsions qui nous font gémir, l'éloge que Probus nous arrache, n'est pas celle qui nous coûte le moins[122]. Cette parole pénétra jusque dans le cœur de Valentinien[123]. Il continua d'interroger Iphiclès, et lui demanda des nouvelles de tous les Épirotes distingués qu'il connaissait. Apprenant que les uns étaient allés chercher un domicile au-delà des mers, que les autres s'étaient donné la mort, il entra dans une violente colère. Léon, maître des offices, qui aspirait lui-même à la préfecture, et qui, s'il y fût jamais parvenu, aurait fait regretter tous ses prédécesseurs, n'oubliait pas d'aigrir le prince. Probus, qui se trouvait alors à la cour, essuya les plus terribles menaces, et il ne devait s'attendre qu'à en ressentir les effets, si Valentinien fût revenu de cette expédition. Le préfet voulut regagner les bonnes grâces de l'empereur par de nouvelles iniquités, couvertes d'une apparence de zèle. Le secrétaire[124] Faustinus, neveu de Juventius[125], ancien préfet de la Gaule, fut cité au tribunal de Probus pour cause de magie[126]. Il s'en justifiait par des preuves du moins aussi fortes que les charges. Pour achever de le peindre, on alléguait qu'un certain Nigrinus le priant de lui procurer un emploi dans le secrétariat, il lui avait répondu: Faites-moi empereur, et je vous ferai secrétaire[127]. La malignité sut donner un si mauvais tour à cette plaisanterie innocente, qu'elle coûta la vie à Faustinus et à Nigrinus.

Chargement de la publicité...