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Histoire du Bas-Empire. Tome 04

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[121] Non ut prosapiæ suæ claritudo monebat. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[122] Ammien Marcellin dit simplement, l. 30, c. 5, quærente curatius principe, si hi qui misere, ex animo bene sentiunt de præfecto; Gementes, inquit, et inviti.—S.-M.

[123] Quo ille verbo tamquam telo perculsus. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[124] Notarius militans. Amm. Marc. l. 30, c. 5. C'était une espèce d'intendant militaire, ou de commissaire des guerres.—S.-M.

[125] On croit qu'il se nommait encore Viventius, et on place sa préfecture en 369 et en 371.—S.-M.

[126] Il avait tué un âne. Quod asinum occidisse dicebatur ad usum artium secretarum. Amm. Marc. l. 30, c. 5. On employait de préférence cet animal dans les opérations magiques.—S.-M.

[127] Fac me imperatorem, si id volueris impetrare. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

XXXI.

Il ravage le pays des Quades.

Amm. l. 30, c. 5 et 8.

Zos. l. 4, c. 17 et 18.

Tout étant prêt pour entrer sur les terres des Quades, l'empereur fit partir Mérobaudès et le comte Sébastien avec un détachement d'infanterie. Ils avaient ordre de mettre tout à feu et à sang[128]. Pour lui, afin d'embrasser une plus grande étendue de pays, il alla passer le Danube sur un pont de bateaux à Acincum, aujourd'hui Bude, capitale de la Hongrie. Ce prince était brave de sa personne, et ne méprisait rien tant que les lâches et les timides. Cependant, par une bizarrerie de tempérament, il ne pouvait s'empêcher de pâlir toutes les fois qu'il voyait ou croyait voir l'ennemi. C'était même un moyen dont ses courtisans se servaient dans l'occasion pour arrêter les emportements de colère auxquels il était sujet. Dès qu'il entendait dire que les ennemis approchaient, il changeait de couleur et se calmait aussitôt. Il n'en était pas moins hardi à affronter le péril, et il s'attendait à trouver dans le pays des Quades de quoi signaler sa valeur. Mais ils s'étaient retirés avec leurs familles sur les montagnes, d'où ils considéraient avec frayeur les troupes romaines qui portaient de toutes parts le ravage et l'incendie. On traversa le pays; on égorgea, sans distinction d'âge ni de sexe, tous ceux qui n'avaient pas eu la précaution de gagner les hauteurs; on brûla les habitations, et l'empereur revint à Acincum sans avoir perdu un seul homme[129]. On approchait de l'hiver. Il choisit, comme le lieu le plus commode pour y passer cette saison, la ville de Sabaria[130], nommée à présent Sarvar, sur le Raab. Mais avant que de s'y retirer, il remonta le Danube, et fit élever des redoutes, qu'il garnit de soldats pour assurer ses quartiers et défendre le passage du fleuve. S'étant arrêté à Brégétio, qu'on croit être une ville nommée aujourd'hui Pannonie, sur le Danube[131], au-dessus de Strigonie, il y passa quelques jours, pendant lesquels, s'il en faut croire l'histoire superstitieuse de ce temps-là, plusieurs prodiges lui annoncèrent une mort prochaine. Le jour qu'il mourut, comme il sortait de grand matin, l'esprit occupé d'un songe qu'il croyait funeste, son cheval s'étant cabré en sorte qu'il ne put le monter, il s'emporta contre son écuyer, et donna ordre de lui couper la main droite. Mais Céréalis chargé de cette cruelle exécution, la différa avec beaucoup de risque pour lui-même, et la mort de l'empereur les sauva tous deux. On ne manqua pas de regarder encore comme un pronostic de la mort de Valentinien, les tremblements de terre qui s'étaient fait sentir cette année dans l'île de Crète, et dans toute la Grèce, où l'Attique seule en fut exempte.

[128] Ad vastandos cremandosque barbaricos pagos. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[129] Itidemque apud Acincum moratus autumno præcipiti. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[130] Cette ville était alors mal fortifiée et presque ruinée par les attaques qu'elle avait souffertes. Invalidam eo tempore assiduisque malis adflictam. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[131] C'est ce que dit D'Anville dans sa Géographie ancienne abrégée, t. 1, p. 155. Il n'indique pas d'une manière assez précise les cartes sur lesquelles il prétend avoir vu le nom de Pannonie, donné à cet endroit sur le Danube. Ce sont peut-être des cartes latines, faites d'après les conjectures de quelques érudits. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on ne trouve à présent aucun lieu de ce nom sur les bords du Danube, dans la position indiquée; il est même fort douteux qu'il y ait jamais existé rien de pareil. Tout ce qu'on sait de certain sur ce point, c'est que Bregetio était sur le Danube, à trente milles à l'est d'Arrabona, à présent Raab.—S.-M.

XXXII.

Mort de Valentinien.

Amm. l. 30, c. 6 et 10.

Vict. epit. p. 229 et 230.

Zos. l. 4, c. 17.

Hier. chron.

Socr. l. 4, c. 3r.

Soz. l. 6, c. 36.

Mar. Chron.

Les campagnes, déja couvertes de glaces, ne fournissaient plus de subsistances, et l'armée était sur le point de prendre ses quartiers, lorsqu'on vit arriver une troupe de Barbares mal vêtus, et dont l'extérieur n'avait rien que de méprisable: c'était une députation des Quades. Equitius les ayant introduits devant le prince, ils y parurent en tremblant et dans la contenance la plus humiliée. Ils demandaient le pardon du passé, et la paix, protestant, avec serment, que les chefs de la nation n'avaient point eu de part aux ravages dont l'empereur poursuivait la vengeance; que les paysans voisins du Danube, voyant bâtir sur leurs terres une forteresse, avaient pris l'alarme, et s'étaient joints aux Sarmates pour arrêter cette injuste entreprise. Valentinien, choqué de ce reproche, leur demanda, avec mépris, qui ils étaient, et si les Quades n'avaient pas d'autres députés à lui envoyer. Ils répondirent: qu'ils étaient les premiers de la nation; et qu'elle n'avait pu lui témoigner plus de respect qu'en les députant eux-mêmes. Alors ce prince fier et emporté: Quel malheur pour l'empire, s'écria-t-il, de m'avoir choisi pour souverain, puisque sous mon règne il devait être déshonoré par les insultes d'un peuple si misérable! Il prononça ces paroles avec un si violent effort, qu'il se rompit l'artère pulmonaire. Saisi d'une sueur mortelle, et vomissant le sang en abondance, on le porta sur son lit. Ses chambellans, pour n'être pas soupçonnés d'avoir accéléré sa mort, mandèrent promptement les officiers de l'armée. On fut long-temps à trouver un de ses chirurgiens, parce qu'ils s'étaient dispersés par son ordre pour panser les soldats attaqués d'une maladie épidémique. Enfin on lui ouvrit la veine, dont on ne put tirer une goutte de sang. Le prince, respirant à peine, mais plein de connaissance, sentant approcher son dernier moment, témoignait, par le mouvement de ses lèvres, par des sons forcés et inarticulés, et par l'agitation de ses bras, qu'il voulait parler; mais il ne put former aucune parole: ses yeux enflammés s'éteignirent; des taches livides se répandirent sur son visage; et après une longue et violente agonie, il expira, le 17 de novembre, dans la cinquante-cinquième année de son âge, après avoir régné douze ans moins cent jours[132]. Il fut la dernière victime de cette fougueuse colère qui avait coûté la vie à un grand nombre de ses sujets: prince guerrier, politique, religieux; mais violent, hautain, avare, sanguinaire; et trop loué peut-être par les auteurs chrétiens, qui, par l'effet d'une prévention trop ordinaire, lui ont pardonné tous ses défauts pour une seule vertu qui leur était favorable. On embauma son corps; il fut porté à Constantinople l'année suivante[133]; mais il ne fut déposé que six ans après dans la sépulture des empereurs. Outre Gratien, né de Sévéra sa première femme, il laissait quatre enfants qu'il avait eus de Justine: un fils du même nom que lui, et trois filles, Justa, Grata et Galla; les deux premières ne furent pas mariées; Galla fut la seconde femme de l'empereur Théodose.

[132] Animam diu colluctatam efflavit ætatis quinquagesimo anno et quinto; imperii, minùs centum dies, secundo et decimo. Amm. Marc. l. 30, c. 6. Valentinianus imperavit annos duodecim minus diebus centum. Aur. Vict. ep. p. 229. Valentinien avait été déclaré empereur, le 26 février 364. Ainsi le calcul de ces historiens est juste.—S.-M.

[133] Le corps de Valentinien fut reçu à Constantinople, le 28 décembre de l'an 376, mais il ne fut déposé dans le tombeau préparé pour lui, que le 21 février 382, par les ordres de Théodose.—S.-M.

XXXIII.

Valentinien II empereur.

Amm. l. 30, c. 10.

Zos. l. 4, c. 19.

Idat. chron.

Vict. epit. p. 230.

Auson. grat. act.

Socr. l. 4, c. 31.

Philost. l. 9, c. 16.

Chron. Alex. vel Pasch. p. 303.

God. chron. p. 95, 101.

Till. Grat. art. 2, et not. 3 et Valent. n. 30.

L'armée assemblée dans la ville d'Acincum craignait que les soldats gaulois, naturellement audacieux et turbulents, qui s'étaient plus d'une fois rendus arbitres de l'empire, ne se hâtassent de nommer un empereur étranger à la famille impériale. Ils étaient encore au-delà du Danube, bien avant dans le pays des Quades, sous les ordres de Mérobaudès et de Sébastien. On prit donc le parti de rompre le pont qui communiquait aux terres des Quades, et de mander Mérobaudès de la part de l'empereur, comme si ce prince eût encore été vivant. Mérobaudès, dont le nom fait croire qu'il tirait son origine des Francs, était affectionné et même allié par un mariage à la famille de Valentinien. Se doutant de la vérité, ou peut-être en étant instruit par le courrier, il publia que l'empereur lui donnait ordre de renvoyer les soldats gaulois avec le comte Sébastien, pour veiller à la défense des bords du Rhin, menacés par les Allemans. Il était de la prudence d'éloigner Sébastien, avant qu'on apprît la nouvelle de la mort de l'empereur, non pas que ce comte donnât par lui-même aucun soupçon; mais il était estimé et chéri des troupes. Après avoir pris ces précautions, Mérobaudès, s'étant promptement rendu à Acincum, proposa, de concert avec le comte Equitius, de conférer le titre d'Auguste à Valentinien, âgé de quatre ans, qui se trouvait alors à trente lieues[134] de l'armée avec sa mère Justine. Les esprits y étaient déja disposés. Ainsi Céréalis, oncle maternel du jeune prince, partit sur l'heure, et l'amena au camp. Ces démarches se firent avec une si extrême diligence, que le 27 de novembre, dix jours après le décès de l'empereur[135], son second fils fut proclamé Auguste selon les formes ordinaires. Tous les auteurs, excepté la chronique d'Alexandrie, abrègent encore de cinq jours cet intervalle, et placent la proclamation de Valentinien II, au 22 de novembre; ce qui me paraît incroyable. On peut conjecturer par quelques traces légères, à peine marquées dans l'histoire, que l'armée romaine ne quitta ce pays qu'après avoir remporté sur les Quades et les Sarmates un nouvel avantage, et qu'on accorda la paix à ces peuples.

[134] A cent milles de distance, selon Ammien Marcellin, l. 30, c. 10, dans une maison de campagne, appelée Murocincta. Centesimo lapide disparatus, dit-il, degensque cum Justina matre in villa quam Murocinctam appellant.—S.-M.

[135] Ce fut le sixième jour après la mort de Valentinien, selon Ammien Marcellin, l. 30, c. 10. Sextoque die post parentis obitum imperator legitimè declaratus, Augustus nuncupatur more solemni. Je ne vois aucune bonne raison de rejeter le témoignage de cet auteur et de lui préférer, comme le fait Lebeau, celui de la Chronique d'Alexandrie.—S.-M.

XXXIV.

Conduite de Gratien à l'égard de son frère.

On s'attendait bien que Gratien aurait d'abord quelque mécontentement qu'on lui eût donné un collègue sans le consulter; mais on comptait sur la bonté de son cœur, et l'on ne fut pas trompé. Il aima tendrement son frère, qu'il regarda comme son fils, et prit soin de son éducation. Il le nomma consul pour l'année suivante, et ce jeune prince fut collègue de Valens, qui prit le consulat pour la cinquième fois. Quelques historiens disent que l'Occident fut alors partagé entre les deux frères, et que Gratien laissa à Valentinien l'Italie, l'Illyrie et l'Afrique; se réservant à lui-même la Gaule, l'Espagne et la Grande-Bretagne. D'autres prétendent que ce partage ne se fit qu'après la mort de Valens; mais selon l'opinion la mieux fondée, Gratien gouverna seul tout l'Occident jusqu'à sa mort, qui arriva lorsque le jeune Valentinien n'avait pas encore douze ans accomplis. Il ne partagea donc avec son frère que le titre et les honneurs du commandement, et non pas les provinces de l'empire.

XXXV.

Caractère de Gratien encore César.

Auson. in Grat. act.

Themist. or. 9, p. 125, or. 13, p. 161, or. 15, p. 187.

Idat. chron.

Vict. epit. p. 231.

Chron. Alex. p. 293.

Sulp. Sev. l. 2, c. 63.

La jeunesse de Gratien pouvait donner de l'inquiétude, si ses bonnes qualités n'eussent rassuré les esprits. Il était né à Sirmium le 18 d'avril de l'an 359[136]. Ainsi il n'était âgé que de seize ans et demi dans le temps de la mort de son père. Marié depuis un an à Constantia, fille de Constance, il n'avait nul penchant à la débauche, et jamais il ne connut d'autre femme que la sienne. Ausone, le meilleur poète de ce temps-là, avait été chargé de son éducation; et le jeune prince, dès-lors honoré du titre d'Auguste, ne s'était distingué des enfants ordinaires que par une soumission plus respectueuse. Son génie heureux et docile avait aisément pris le goût des lettres; plus vertueux que son maître, il n'avait appris de lui qu'à tourner agréablement des vers, à s'exprimer avec grace, à composer des discours. Bien fait de sa personne, il s'était adonné aux exercices du corps, il s'y était même livré avec passion. Il surpassait ceux de son âge à la course, à la lutte, à tirer de l'arc, à lancer le javelot avec force et avec adresse; personne ne savait mieux manier un cheval. Sobre, frugal, dormant peu, c'était dans les exercices qu'il mettait tout son plaisir; mais il y mit aussi toute sa gloire; et l'on reproche à ses instituteurs de ne s'être pas appliqués à le former de bonne heure aux affaires de l'état, et à lui inspirer le goût des études politiques qui conviennent à un souverain.

[136] Selon la Chronique d'Alexandrie, ce fut le 23 du même mois.—S.-M.

XXXVI.

Qualités de Gratien empereur.

L'usage de la puissance absolue ne changea rien dans son caractère. Il commençait toutes ses journées par la prière, et sa piété ne fut jamais équivoque. Sa démarche était modeste, sa contenance réservée, ses habits décents, mais sans luxe. Dans son conseil il montrait de l'intelligence et une prudence naturelle; il ne manquait que de lumières. Il était prompt à exécuter. Son éloquence avait de la force et de la douceur. Il avait trouvé le palais plein d'alarmes et de terreur, il en fit un séjour aimable: on n'y entendit plus de gémissement; on n'y vit plus d'instruments de tortures. Il rappela sa mère et un grand nombre d'exilés, il ouvrit les prisons à ceux que la calomnie y tenait enfermés; il rendit les biens confisqués injustement, et fit oublier la dureté du gouvernement de son père. Il remit ce qui restait à payer pour les impositions des années précédentes, faisant publiquement brûler les cédules des redevances. Il rendait à ses amis tous les devoirs de l'amitié la plus tendre. Traitant ses soldats comme ses enfants: il allait visiter les blessés, assistait à leurs pansements, faisait charger ses mulets de leurs bagages, leur prêtait ses propres chevaux, les dédommageait de leurs pertes. Toujours accessible, écoutant avec patience, rassurant par sa bonté ceux que sa majesté intimidait, interrogeant lui-même ceux qui venaient lui porter leurs plaintes, il faisait consister son bonheur à répandre des graces et à pardonner. Il n'eut que trop d'indulgence, et il ne vécut pas assez long-temps pour apprendre qu'il est aussi nuisible aux états de ne pas châtier les crimes, que de ne pas récompenser les services. Il s'attacha à saint Ambroise; mais tous ceux qui approchèrent de sa personne, n'eurent pas les sentiments de cette ame élevée et généreuse; et l'empire, sous un prince juste, humain, libéral, ressentit encore quelquefois les tristes effets de l'iniquité, de la cruauté et de l'avarice.

An 376.

XXXVII.

Mort de Théodose.

Hier. chron.

Ambr. or. in fun. Theod. § 53. t. 2, p. 1213.

Symm. l. 10, ep. 1 et 32.

Theod. l. 5, c. 5.

Oros. l. 7, c. 33.

Jorn. de regn. succ. ap. Murat. t. 1, p. 238.

Grut. inscr. p. 402, nº 3.

Reines. class. 3, nº 62.

Fléchier, vie de Theod. l. 1, c. 44.

Till. Grat. not. 5.

La première action de son règne fut la plus blâmable de toutes. Pour en effacer l'horreur, il aurait fallu à Gratien une vie plus longue, et des vertus plus éclatantes. Théodose avait été, sous le règne de Valentinien, l'honneur et le soutien de l'état. Sa valeur venait de conserver l'Afrique, et sa sagesse y avait rétabli la paix et le bon ordre. Tout l'empire célébrait ses exploits. Lui seul n'en était pas ébloui; l'habitude des grandes actions lui en cachait le prix; et quoiqu'il fût sur tout autre sujet fort éloquent, rien n'était plus simple ni plus succinct que le compte qu'il rendait de ses victoires. Il semblait ne mériter que des triomphes, lorsqu'il reçut son arrêt de mort. La postérité ignore la cause d'un si étrange événement, et c'en est assez pour faire trembler les sujets lorsqu'ils voient monter sur le trône un prince encore jeune et sans expérience, quoiqu'avec les plus excellentes qualités. Tout ce que l'histoire nous apprend, c'est que ce guerrier invincible succomba sous une intrigue de cour, et sous les coups meurtriers d'une cruelle jalousie. Il fut exécuté à Carthage. Accoutumé à braver la mort, il la vit approcher sans effroi, et la rendit, par sa fermeté, aussi glorieuse sur l'échafaud, qu'elle l'eût été sur un champ de bataille. Après avoir demandé et reçu le baptême, pour s'ouvrir l'entrée d'une vie immortelle, il présenta lui-même sa tête à l'exécuteur. L'empire le pleura; on lui érigea dans la suite des statues à Rome et dans les provinces; les payens l'honorèrent du titre de Divus; et Gratien lui-même semble n'avoir pas différé de ressentir une douleur amère d'une si noire ingratitude. Le choix qu'il fit peu de temps après de Théodose le fils, pour l'associer à l'empire, prouve autant ses regrets, qu'il justifie la mémoire du père. Le jeune Théodose qui brillait déja d'une gloire personnelle, se déroba pour lors aux traits de l'envie: il se retira en Espagne où il avait pris naissance. Quelques auteurs épargnent à Gratien une si atroce injustice; ils en chargent Valens: ce prince, disent-ils, sacrifia Théodose à ses craintes: il le fit mourir avec tous ceux dont le nom commençait par les quatre lettres fatales; mais outre qu'il est au moins incertain que Valens ait fait périr personne pour une cause si frivole, Théodose ne fut mis à mort que deux ans après cet oracle prétendu dont nous avons parlé; et ce qui est encore plus fort, il n'était pas sujet de Valens. Carthage, où s'exécuta cette funeste tragédie, faisait partie de l'empire de Gratien; et le jeune empereur n'était pas assez uni avec Valens pour se prêter, par une si criminelle condescendance, aux alarmes chimériques de son oncle.

XXXVIII.

Punition de Maximin.

Amm. l. 28, c. 1, et ibi Vales.

Symm. l. 10, ep. 2.

Cod. Th. l. 9, tit. 1, l. 13; tit. 6, leg. 1, 2; tit. 35, leg. 3.

Till. Grat. not. 4.

Il est plus probable que ce fut le dernier effet de la méchanceté de Maximin: ce barbare, teint du sang de tant de familles illustres, après avoir déshonoré le règne de Valentinien par des cruautés sans nombre, espérait noircir des mêmes horreurs celui de Gratien. La jeunesse du prince augmentait encore sa hardiesse et son insolence. Gratien ne tarda pas à le connaître, et bientôt il désarma sa fureur. Les esclaves et les affranchis étaient les instruments les plus ordinaires que Maximin mettait en œuvre. Gratien ordonna que ceux qui oseraient accuser leurs maîtres de tout autre crime que de celui de lèse-majesté, seraient, sans être entendus, brûlés vifs avec leurs libelles de dénonciation. Bientôt après Maximin lui-même, convaincu de plusieurs crimes, eut la tête tranchée. Simplicius subit la même peine en Illyrie; et Doryphorianus, autre ministre de Maximin, après avoir été renfermé dans la prison de Rome, en fut tiré par le conseil de la mère de l'empereur, pour expirer dans les plus rigoureuses tortures. Après la punition de ces hommes sanguinaires, Gratien songea à rassurer le sénat qu'ils avaient tenu si long-temps dans des alarmes continuelles. Il adressa à cette compagnie une lettre qui fut reçue avec joie: elle contenait plusieurs réglements favorables; et dès le commencement de l'année suivante il renouvela, par une loi expresse, un ancien privilège des sénateurs, que Maximin n'avait jamais respecté; c'était qu'ils fussent exempts des tourments de la question.

XXXIX.

Lois de Gratien.

Cod. Th. l. 10, tit. 19, leg. 8; l. 13, tit. 3, leg. 11; l. 15, tit. 1, leg. 19; l. 16, tit. 2, leg. 23, 24; tit. 5, leg. 4, 5, et ibi God. tit. 6, leg. 2.

God. chron.

Hier. ep. 107, t. 1, p. 672.

Symm. l. 9, ep. 83.

Grut. inscr. p. 192, nº 3, et p. 1087, nº 4.

Le jeune prince, naturellement pieux, était entretenu dans cette heureuse disposition par les conseils de Gracchus, qu'il honorait de sa confiance, et qu'il éleva à la dignité de préfet de Rome vers la fin de cette année. On dit que Gracchus descendait de l'ancienne et illustre famille Sempronia, dont il portait le surnom[137]. Plein de zèle pour le christianisme, il profita de l'autorité que lui donnait sa charge pour affaiblir l'idolâtrie; il détruisit un grand nombre d'idoles, mais sans user de violence, et sans donner ouvertement atteinte à la liberté de culte dont les payens jouissaient encore[138]. L'empereur fit, dès cette année, et la suivante, plusieurs lois avantageuses à l'église. Il ordonna que les contestations qui auraient pour objet les affaires de la religion, seraient décidées par l'évêque ou par le synode de la province, mais que les juges ordinaires demeureraient saisis des causes civiles ou criminelles. Il exempta des charges personnelles les prêtres et les ministres inférieurs. Les Donatistes avaient signalé leur zèle en faveur de Firmus: ils furent aussi les premiers hérétiques que l'empereur s'efforça de réprimer; il leur ôta leurs églises; il déclara que les lieux où ils tiendraient leurs assemblées, seraient saisis au profit du fisc[139]. Il étendit dans la suite cette loi sur tous les hérétiques. Cependant après la mort de Valens, étant à Sirmium, il leur rendit la liberté de s'assembler, exceptant seulement les sectateurs de Manès, d'Eunomius et de Photinus; mais cette permission fut bientôt révoquée. L'instruction publique a un rapport direct à la religion: aussi Gratien s'occupait-il dans le même temps à soutenir l'une et l'autre. L'étude des belles-lettres fleurissait alors dans la Gaule: il chargea le préfet d'établir dans toutes les principales cités des maîtres de rhétorique et de grammaire latine et grecque, et d'avoir soin qu'on fît choix pour ces emplois des personnes les plus capables. Il leur assigna, sur le trésor des villes, des appointements considérables, qu'il voulut régler lui-même, ne s'en rapportant pas sur ce point à la générosité des habitants: et comme Trèves était alors la ville impériale, il y établit de plus fortes pensions pour les professeurs[140]. La décadence des arts se faisait sentir de plus en plus; les Romains commençaient ce que les Goths devaient bientôt achever: ils détruisaient ou déshonoraient les magnifiques monuments de l'ancienne architecture, pour élever ou embellir des édifices de mauvais goût; et Rome perdait tous les jours de son antique majesté. Gratien ordonna aux magistrats de cette ville d'entretenir les ouvrages de leurs ancêtres; et afin qu'ils eussent la facilité d'en construire de nouveaux sans dégrader les anciens, il abolit en faveur des sénateurs les droits imposés sur le transport et l'entrée des marbres, qu'on tirait des carrières de Macédoine et d'Illyrie.

[137] Gracchus nobilitatem patriciam nomine sonans, dit S. Jérôme, dans sa lettre à Léta, t. 1, p. 672.—S.-M.

[138] On cite quelques inscriptions de l'an 376, qui offrent le nom de Turcius Secundus Asterius, de Servilius Ædesius et d'Aurelius Victor Augentius, qui furent décorés de pontificats païens, ou qui célébrèrent alors des fêtes, selon les rites de l'ancienne croyance.—S.-M.

[139] Ce fut en vertu d'une loi dont le texte est perdu, mais qui est souvent citée dans le code Théodosien. Elle était adressée à un certain Nitentius dont la qualité nous est inconnue, et elle fut rendue en l'an 376.—S.-M.

[140] Ces mesures furent prises en vertu d'une loi rendue à Trèves, le 23 mai 376.—S.-M.

XL.

Irruption des Huns.

Zos. l. 4, c. 20.

S. Ambros. comment. in Luc. l. 10, c. 10, t. 1, p. 1506.

L'Occident était en paix, et la négociation entamée avec Sapor suspendait en Orient les hostilités, sans faire cesser les inquiétudes. La Lycie et la Pamphylie étaient les seules provinces qui ne jouissaient pas du repos. Les Isauriens y ravageaient les campagnes, et, à l'approche des troupes romaines, ils se retiraient à l'ordinaire avec leur butin dans leurs montagnes inaccessibles; mais un peuple plus féroce que les Barbares connus jusqu'alors, portant l'effroi et le carnage, vint annoncer de nouveaux malheurs. Les Huns, sortant des Palus Méotides, poussèrent devant eux les nations qui habitaient au nord du Danube; et ces fugitifs renversés les uns sur les autres, se répandirent sur les provinces romaines, et changèrent la face de l'empire[141]. C'est un des points les plus importants de notre histoire, de faire connaître ce peuple redoutable, que la main de Dieu conduisit d'une extrémité du monde à l'autre, pour châtier les crimes de la terre. Son origine cachée dans les immenses forêts de la Tartarie asiatique, est demeurée inconnue jusqu'à nos jours. M. de Guignes, très-versé dans la littérature orientale, a découvert dans les historiens chinois tout le détail de l'histoire des Huns[142]. Guidés par ses recherches, nous allons tracer une idée de cette nation fameuse, et recueillir après lui dans les auteurs grecs et latins les traits qui la caractérisent.

[141] Chunni in Alanos, Alani in Gothos, Gothi in Taïfalos et Sarmatas insurrexerunt. Nosquoque in Illyrico exsules patriæ Gothorum exsilia fecerunt, et nondum est finis. Ambr. Exp. in Ev. Luc. l. 10, c. 10.—S.-M.

[142] Deguignes est le premier savant qui ait tenté de dissiper la profonde obscurité répandue sur l'origine de la puissante nation des Huns, qui apparut à la fin du 4e siècle sur les frontières de l'empire romain, qu'elle menaça d'une entière destruction. Les recherches qu'il fit dans ce but furent immenses; il en a consigné le résultat dans son Histoire générale des Huns, Turks, etc. qu'il publia en cinq volumes in-4º. en 1756. Ce travail considérable méritait certainement les éloges qu'on lui a prodigués, surtout à l'époque où il parut. L'idée de faire connaître les Annales de la Chine, et d'y chercher des renseignements sur l'origine des peuples qui soumirent ce pays à diverses époques, et qui se répandirent dans d'autres régions, était heureuse. Le rapprochement de tous ces faits avec ceux qui se trouvent dans les anciens et dans nos historiens européens devait amener quelques résultats importants. C'est dans ce nombre qu'il faut placer la pensée de comparer les détails que fournissent les Chinois sur les Hioung-nou, peuple célèbre parmi eux, et long-temps dominateur des régions intérieures de l'Asie, avec ce que les Grecs et les Latins nous apprennent des Huns sujets d'Attila. Tout en rendant justice à cette idée lumineuse, on ne peut cependant s'empêcher de reconnaître que Deguignes en a poussé trop loin les conséquences. Ce ne serait pas la première fois qu'une observation juste aurait donné lieu à de fausses applications, pour n'avoir pas eu égard à beaucoup de considérations accessoires, mais non moins importantes, par leur influence sur des déductions plus éloignées. L'un des premiers inconvénients du système de Deguignes a été d'étendre le nom des Hioung-nou ou Huns, à toutes les tribus barbares de l'Asie centrale. En les réunissant ainsi sous une dénomination commune, qui a pu leur convenir à certaines époques, et sous certaines conditions, il a considérablement affaibli son hypothèse. Effectivement il est difficile de reconnaître dans son ouvrage à qui appartenait réellement le nom de Huns, qu'il donne aux Turks, aux Mongols, aux Mandchous et à beaucoup d'autres peuples encore, dont la différence d'origine est démontrée par les langues dont ils se servent. A quelle branche de ces peuples faut-il donc appliquer plus particulièrement la dénomination dont il s'agit? Deguignes ne le décide pas et peut-être est-il vrai de dire qu'elle ne convient parfaitement à aucun d'eux. Les historiens occidentaux et ceux de l'Arménie, nous montrent les Huns anciennement établis sur les rives du Volga et dans presque tous les pays à l'orient du Borysthène, qui forment actuellement l'empire de Russie. Tous les peuples soit anciens, soit modernes, qui paraissent tirer leur origine de ces barbares, nous font voir par les langues dont ils se servent encore, que les Huns durent former un peuple bien distinct et qu'il ne faut pas confondre avec les Turks, les Mongols et les Mandchous, quoique son nom, sa puissance et sa langue peut-être, se soient étendus autrefois jusque dans des pays très-éloignés et occupés à présent par les trois nations dont je viens de parler. Tous les peuples répandus dans les monts Ourals et dans diverses parties de la Russie, et qui paraissent descendre des anciens Huns, sont appelés actuellement Finnois, du nom de la Finlande, région située sur la mer Baltique et habitée par des hommes de la même race et de la même langue. Cette dénomination doit également s'appliquer aux Hongrois on Madjars, qui vinrent au neuvième siècle des bords du Volga, sur ceux du Danube. Leurs souvenirs historiques les rattachent aux anciens Huns, et leur langue prouve qu'ils sont Finnois. Ce dernier rapprochement ne ferait-il pas voir aussi qu'il s'agit sous deux formes peu différentes d'un seul et même nom. La fréquente permutation de l'H en F, dans une multitude d'idiomes est trop connue et trop commune pour qu'il soit nécessaire de s'y arrêter. Il n'est donc pas douteux à ce que je pense que le nom de Hunn diversement orthographié, ne soit le même que celui de Finn, et qu'il s'applique à une même race. Il est à remarquer que tous les renseignements qui le font connaître par la mer Noire et la mer Caspienne donnent la première orthographe, tandis que la dernière ne se rencontre que dans les relations venues par le nord et par la mer Baltique. Ainsi dès le commencement du deuxième siècle, Tacite avait connu les Finnois par la Germanie. Cette indication prouve que dès lors, et sans doute long-temps avant, les Huns ou Finnois s'étaient étendus jusqu'à la mer Baltique. Ce rapprochement montre encore que dans l'antiquité, comme à des époques plus récentes, les peuples de cette race étaient répandus sur tous les pays qui forment l'empire de Russie, dont il est à croire qu'ils furent les premiers habitants, avant l'arrivée des tribus gothiques et slaves, qui les soumirent plus d'une fois à leur empire en tout ou en partie. Si les Huns sont les indigènes des monts Ourals et des rives du Volga, rien ne s'oppose à ce qu'à des époques très-anciennes leur race ne se soit portée très-loin vers l'Orient, de manière à s'avancer jusqu'aux frontières de la Chine, comme plus tard ils se répandirent sur l'Europe. En soumettant à leurs lois les diverses tribus turques, mongoles ou mandchoues établies dans la Sibérie et dans l'Asie centrale, ils leur ont donné leur nom, qui s'est alors propagé jusque chez les Chinois, qui le font remonter jusqu'à des temps très-reculés. Rien n'empêche même de croire que des tribus, en tout semblables à celles des Finnois, n'aient pénétré jusque dans l'intérieur de l'Asie. L'un des résultats de l'établissement d'une aussi vaste puissance, a été de faire confondre les Huns, avec plusieurs des peuples qui, en devenant leurs sujets, partagèrent leur nom. C'est ainsi que les Turks primitifs ont été confondus avec eux. Tous les mots de la langue des anciens Hioung-nou conservés par les auteurs chinois étant Turks, on en a conclu que ces Hioung-nou étaient des Turks. Cette considération a fait douter à quelques personnes de l'identité des Huns, qui sont certainement Finnois, avec les Hioung-nou, identité proposée par Deguignes, qui ne balance pas à admettre la commune origine des deux peuples. Sans pousser si loin les conséquences de son système, ne serait-il pas plus naturel de croire, en admettant l'identité des deux noms, soit qu'ils aient pris naissance dans le sein de la race turque ou dans la race finnoise, qu'ils furent propres d'abord à une tribu particulière qui le communiqua ensuite à tous les peuples d'origines diverses qu'elle soumit à son empire? J'en dis autant du nom de Turk qu'il est difficile d'assigner originairement à l'une plutôt qu'à l'autre race. On conçoit alors comment le nom de Huns peut convenir aux anciens Turks et aux Finnois. On en trouve une preuve assez claire dans un passage de Théophylacte Simocatta, l. 3, c. 6, qui rapporte que les Perses sont dans l'usage d'appeler Turks les Huns qui habitent du côté du nord-est. Τῶν Οὔννων τοιγαροῦν τῶν πρὸς τῷ βοῤῥᾷ τῆς ἕω, οὕς Τούρκους ἔθος Πέρσαις ἀποκαλεῖν. Il serait facile d'en citer d'autres exemples. Les Hongrois actuels, dont le nom national est celui de Madjar, étaient appelés Turks, lorsqu'ils vinrent s'établir sur les bords du Danube au neuvième siècle de notre ère. Les écrivains de Constantinople donnèrent alors à la Hongrie le nom de Turquie Τούρκιας. Il est certain cependant que ces peuples qui se regardent comme les descendants des Huns d'Attila, sont Finnois, et leur langue qui le prouve présente très-peu de rapports avec le turk. Ces nouveaux Huns devaient donc à des circonstances particulières un nom qui semble appartenir à une race différente. De même, quand au treizième siècle les fils de Tchinghiz-Khan répandirent sur presque toute l'Asie et dans une grande partie de l'Europe la terreur et la puissance des Mongols, leurs soldats portaient tous ce nom redouté, qui cependant n'appartenait réellement qu'aux chefs et à une petite partie d'entre eux. Presque tous ces conquérants étaient Turks; et parmi ceux de leurs descendants qui existent en Russie, il n'en est aucun qu'on puisse rapporter à la race des Mongols. Il serait donc possible que, par suite d'un mélange de la même espèce, le nom de Hioung-nou ou Huns, le même que celui des Finnois, porté d'abord par une nation turque, se fût introduit à une époque très-reculée chez les Finnois, qui l'auraient seuls gardé et perpétué jusqu'à nous.—S.-M.

XLI.

Origine des Huns.

Deguignes, Hist. des Huns, descr. de la grande Tartarie, c. 1, art. 8, § 9, et c. 2, art. 4, et l. 1, p. 13, 15, 21, 34, 69 et 123.

Amm. l. 31, c. 2.

Claud. in Ruf. l. 1, v. 323-333.

Agathias, l. 5, p. 154.

Proc. bel. Pers. l. 1, c. 10.

Soz. l. 6, c. 37.

Philost. l. 9, c. 17.

Jornand. de reb. Get. c. 24.

Ptol. geogr. l. 6, c. 16.

L'Occident ne commença à connaître les Huns qu'au moment qu'ils se firent voir en Europe, après avoir passé le Tanaïs[143]. On n'a pas suivi plus loin la trace de leur origine; et la plupart des auteurs placent leur première demeure à l'orient des Palus Méotides[144]. C'est pour cette raison que Procope les confond avec les Scythes et les Massagètes, dont il y avait des peuplades établies en-deçà comme au-delà de la mer Caspienne[145]. Jornandès raconte sérieusement que les Huns naquirent du commerce des diables avec des sorcières, que les Goths avaient reléguées dans les déserts de la Scythie[146]. Les Chinois, mieux instruits de l'histoire de ce peuple, avec lequel ils ont presque toujours été en guerre, nous apprennent qu'il habitait au nord de la Chine[147]. Ce sont les Annibi de Ptolémée[148]. Ils s'étendaient d'occident en orient dans l'espace de cinq cents lieues, depuis le fleuve Irtisch jusqu'au pays des Tartares nommés aujourd'hui Mantcheous[149]. Ils occupaient trois cents lieues de pays, du septentrion au midi, étant bornés d'un côté par les monts Altaï, de l'autre par la grande muraille de la Chine et les montagnes du Thibet.

[143] Ce fait n'est pas certain. Ammien Marcellin, le premier et le plus exact des auteurs qui ont parlé de l'apparition des Huns, se contente de dire, l. 31, c. 2, que c'était une nation peu connue des anciens. Hunnorum gens, monumentis veteribus leviter nota. Ce n'est pas là dire qu'il s'agit d'une nation tout-à-fait inconnue. J'ai déjà observé, tom. 3, p. 277, note 3, liv. XVII, § 5, que les auteurs arméniens en parlent de manière à faire voir, que les Huns étaient bien connus dans leur pays, au quatrième siècle de notre ère. Ce qu'ils en disent montre, qu'ils étaient alors les plus puissants des peuples établis entre la mer Noire et la mer Caspienne, sur les bords du Volga et du Tanaïs. Mais, long-temps avant cette époque, les Huns s'étaient avancés jusqu'au Borysthène. Ils paraissent dans Ptolémée, l. 3, c. 5, sous le nom de Chuni, et ce géographe les place entre les Bastarnes et les Roxolans, μεταξὺ βαστέρνων καὶ Ῥωξολάνων Χοῦνοι. La forte aspiration qui commence le nom des Huns dans Ptolémée, se retrouve souvent dans les auteurs latins du 5e et du 6e siècle. On a pu déjà, en voir un exemple dans le passage de S. Ambroise, cité p. 60, note 1. Il serait facile d'en citer beaucoup d'autres. Les auteurs arméniens donnent aussi une aspiration à ce nom, mais moins forte; les écrivains du Nord, qui connurent les Huns par les invasions qu'ils firent dans la Scandinavie, ne manquent pas non plus de placer une aspiration devant leur nom. Ils appellent presque tout le pays, qui forme actuellement la Russie Européenne, Chunigard, c'est-à-dire, la demeure des Huns. La lettre initiale du nom des Finnois y représente aussi l'aspiration de celui des Huns. Denys le Périégète, v. 730, donne une autre mention des Huns, presque aussi ancienne que celle de Ptolémée. Il les place sur les bords de la mer Caspienne, dans le voisinage des Albaniens, précisément au lieu où les mettaient les Arméniens. C'est pour cette raison que ceux-ci appelaient le défilé de Derbend le rempart des Huns. Ces autorités font voir bien clairement que, dès avant le deuxième siècle de notre ère, les Huns étaient établis sur les bords de la mer Caspienne, sur les rives du Volga et du Tanaïs, et même sur ceux du Borysthène. Si on admet, comme on n'a guère au reste de raison pour s'y refuser, si on admet, dis-je, l'identité de ce peuple avec les Finnois, on le retrouvera dans Tacite, et dans Ptolémée, l. 3, c. 5, comme bornant du côté de l'orient les nations sarmates et germaniques, de manière à occuper tout l'espace compris entre la mer Noire et la mer Baltique, s'étendant jusqu'à l'océan glacé. La chose résulte assez clairement de ce que Tacite dit (German. c. 46.) au sujet des Fenni. Si les Huns ne furent pas connus d'une manière éclatante avant le 4e siècle, ce n'est pas qu'ils occupassent alors des régions très-éloignées, c'est qu'ils n'avaient pas encore vaincu les Goths, dont ils étaient probablement sujets, et qui les séparaient des terres de l'empire. Il est évident, après ces détails, qu'il y a de l'exagération dans Sozomène, quand il dit, l. 6, c. 27, que les Huns étaient inconnus aux Thraces du Danube et aux Goths eux-mêmes. Τοῦτο δὲ τὸ ἔθνος, ῶς φασὶν, ἄγνωστον ἦν προτοῦ Θρᾳξὶ τοῖς παρὰ τὸν Ἴστρον, καὶ Γότθοις αὐτοῖς.—S.-M.

[144] Ammien Marcellin dit, l. 31, c. 2, qu'ils habitaient au-delà des Palus Méotides, s'étendant jusqu'à la mer Glaciale, ultra Paludes Mæoticas, Glacialem Oceanum accolens; ce qui indique clairement qu'ils occupaient dès lors tout le pays, où on retrouve les hommes de race finnoise. Ce témoignage est tout-à-fait d'accord avec celui de Claudien, qui dit que les Huns étaient la plus célèbre des nations du septentrion, et qu'ils habitaient au-delà des glaces du Tanaïs, vers l'orient, contr. Ruf. l. 1, v. 323 et seq.

Est genus extremos Scythiæ vergentis in ortus
Trans gelidum Tanain, quo non famosius ullum
Arctos alit.

S. Jérôme en dit autant, ep. 77, t. 1, p. 460. Tous les auteurs s'accordent à leur donner pour habitation les vastes plaines qui s'étendent au nord du mont Caucase, entre les deux mers, se prolongeant fort au loin vers la mer Glaciale et l'orient. Agathias dit de plus, l. 5, p. 154, que la nation des Huns, οἱ Οὖννοι τὸ γένος, habitait autrefois sur les bords du marais Méotis, τὸ μὲν παλαιὸν κατώκουν τῆς Μαιώτιδος λίμνης, du côté du nord-est, τὰ πρὸς ἀπηλιώτην ἄνεμον, et qu'ils étaient bien au nord du Tanaïs, καὶ ἦσαν τοῦ Τανάῖδος ποταμοῦ ἀρκτικώτεροι. On voit que tous ces auteurs sont d'accord et que leur témoignage est conforme à ce que j'ai dit dans les notes précédentes. Quant à ce que rapportent Zosime, l. 4, c. 20, et Philostorge, l. 9, l. 17, que les Huns étaient, selon le premier, les mêmes que les Scythes royaux d'Hérodote, et, selon le second, les Neures du même auteur, ce sont des assertions qui ne méritent ni confiance, ni discussion.—S.-M.

[145] Les Alains, comme on le verra bientôt d'après le témoignage d'Ammien Marcellin, l. 31, c. 2, étaient les mêmes que les anciens Massagètes. Comme les Huns avaient vaincu les Alains et s'étaient emparés du pays qu'ils occupaient, il n'est pas étonnant que Procope, de Bell. Goth. l. 2, c. 1, les ait regardés comme le même peuple. Ceci doit faire voir que les rapprochements établis par les auteurs grecs et latins entre deux peuples anciens n'indiquent pas toujours que ces deux nations appartiennent à la même race; ils montrent seulement qu'elles se sont succédées dans les mêmes régions. C'est par la même raison que les Huns portent souvent aussi le nom de Scythes, avec lesquels on ne peut les confondre, puisque ceux-ci étaient les mêmes que les Gètes ou Goths, qui furent chassés par les Huns des pays qu'ils possédaient entre le Danube et le Tanaïs. Il est évident qu'on n'a pu les confondre que parce qu'ils ont occupé les mêmes contrées. Il en doit être de même de la confusion des Huns avec les Massagètes.—S.-M.

[146] Ces sorcières, selon l'historien goth, étaient appelées Aliorumnæ; elles furent chassées, à ce qu'il dit, par les Goths, sous le règne de Filimer, fils du grand Gandaric, le cinquième de leurs rois, après leur sortie de la Scandinavie. Repperit, dit-il, in populo suo quasdam magas mulieres, quas patrio sermone Aliorumnas is ipse cognominat, easque habens suspectas de medio sui proturbat, longeque ab exercitu suo fugatas in solitudinem coegit terræ. Quas spiritus immundi per eremum vagantes dum vidissent, et earum se complexibus in coitu miscuissent, genus hoc ferocissimum edidere; quod fuit primum inter paludes minutum, tetrum atque exile, quasi hominum genus, nec alia voce notum, nisi quæ humani sermonis imaginem assignabat. Tali ergo Hunni stirpe creati, Gothorum finibus advenere. Tous les peuples ont inventé des fables pareilles contre les Barbares leurs voisins qu'ils détestaient; ces fables ne sont que des témoignages de leur haine.—S.-M.

[147] Voici ce que dit M. Abel-Rémusat, dans ses Recherches sur les langues Tartares, t. 1, p. 327, sur l'étendue de l'ancienne puissance des Hioung-nou ou Huns. «Les Hioung-nou avaient à l'orient les barbares appelés Toung-hou ou barbares orientaux; dénomination vague, sous laquelle nous avons vu que probablement les Mongols et les Tongous avaient été confondus. Au sud-est, ils touchaient aux provinces chinoises du Chan-si et du Chen-si, dans lesquelles beaucoup de leurs tribus se sont répandues plus tard, et ont fondé des principautés. Au sud, était établie, deux siècles avant notre ère, la nation des Youeï-chi, chassée ensuite vers l'occident par les Hioung-nou; au sud-ouest, les Saï, dont les écrivains chinois font une race distincte, habitant primitivement au nord-est de la mer Caspienne, repoussée par les Youeï-chi vers le midi, entre Khasigar et Samarkand; à l'ouest des Hioung-nou, étaient les Ou-sun, grande et puissante nation, qui différait, par les traits du visage et par la langue, de tous les autres peuples de la haute Asie. Les hommes étaient remarquables par la couleur bleue de leurs yeux et par leurs cheveux rouges. C'est d'eux que tirent leur origine tous ceux des Tartares, qui, dans différentes tribus, offrent ces traits caractéristiques. Ils avaient d'abord été soumis aux Hioung-nou; mais leur puissance s'étant augmentée, ils devinrent indépendants, et s'emparèrent même du pays des Saï, jusqu'aux villes, c'est-à-dire jusqu'à la Boukharie. Il n'est pas difficile de reconnaître, dans toute cette description, un peuple gothique, opposant, depuis qu'il était devenu indépendant, une limite à l'extension des Turks du côté de l'occident. Plus au nord, étaient les Ting-ling, peuple de même origine que le précédent, et qui vivait mêlé avec les Kirgis. Enfin, du côté du septentrion, jusqu'à la mer Glaciale, étaient beaucoup de petites nations, dont le nombre augmenta encore, à mesure que les tribus turkes se détachèrent de la monarchie des Hioung-nou, et prirent des noms particuliers.» Le peuple gothique, qui bornait les Hioung-nou du côté de l'occident, n'était autre que les Alains, et la description qu'en donnent les auteurs chinois, est tout-à-fait conforme à celle d'Ammien Marcellin, l. 31, c. 2. Quant au nom d'Ou-sun, qu'ils portent dans les auteurs chinois, c'est celui d'Asiani, qu'on trouve dans Strabon et dans quelques autres auteurs, et qui s'est conservé chez les descendants des Alains, qui habitent encore au milieu du Caucase, où on les connaît sous le nom d'Ossi. Pour les Saï des Chinois, ce sont les Saces des anciens, c'est-à-dire la portion de la nation des Scythes, qui habitait sur la frontière nord-est de la Perse. Ils avaient même dès long-temps fait des établissements dans ce pays, où ils avaient donné leur nom à une province limitrophe de l'Inde, qui fut appelée Sacastan, Sedjestan et Saïstan; ce dernier nom prouve bien l'identité des Saï avec les Saces. C'est à cause d'eux que les anciens Persans donnaient le nom de Saces à tous les Scythes.—S.-M.

[148] Il est difficile d'imaginer les raisons qui ont pu porter Deguignes à confondre les Huns avec les Annibi de Ptolémée, une de ces nombreuses tribus tout-à-fait inconnues d'ailleurs, qui ont été accumulées assez confusément par ce géographe dans la partie nord-est de l'Asie. Ptolémée se contente de dire que les Annibi étaient dans le voisinage des anthropophages, et qu'ils avaient à l'orient un peuple également inconnu qu'il appelle les Garinæi. Il est possible que l'on doive comprendre les Annibi dans les Hioung-nou des Chinois, mais on ne doit pas assimiler, comme l'a fait Deguignes, un aussi petit peuple avec une aussi grande puissance.—S.-M.

[149] C'est-à-dire des Mandchoux, qui sont les maîtres de la Chine depuis environ deux siècles.—S.-M.

XLII.

Caractère et coutumes des Huns.

Deguignes, l. 1, p. 14, 15, 16, l. 4, p. 293.

Amm. l. 31, c. 2.

Zos. l. 4, c. 20.

Jornand. c. 24, Proc. bel.

Goth. l. 2, c. 1, l. 4, c. 3, et Vandal. l, 1, c. 12 et 18.

Agath. l. 5, p. 156.

Sidon. Apoll. carm. 2, v. 243-272.

Salv. de gubern. Dei, l. 4, c. 14.

Les Huns étaient de tous les barbares les plus affreux à voir[150]. Ce n'était qu'une masse informe, et les Romains les comparaient à une pièce de bois à peine dégrossie[151]. Ils avaient la taille courte et ramassée, le cou épais et rentrant dans les épaules[152], le dos courbé, la tête grosse et ronde, le teint noir, les yeux petits et enfoncés, mais le regard vif et perçant[153]. Ils s'étudiaient encore à augmenter leur difformité naturelle. Dès que les enfants mâles venaient au monde, les mères leur écrasaient le nez, afin que le casque pût s'appliquer plus juste à leur visage[154]; et les pères leur tailladaient les joues, afin d'empêcher la barbe de croître. Cette opération cruelle rendait leur visage défiguré de coutures et de cicatrices[155]. Leur façon de vivre n'était pas moins sauvage que leur figure. Ils ne mangeaient rien de cuit, et ne connaissaient nulle espèce d'assaisonnement. Ils vivaient de racines crues ou de la chair des animaux un peu mortifiée entre la selle et le dos de leurs chevaux[156]. Jamais ils ne maniaient la charrue[157]: les prisonniers qu'ils faisaient à la guerre cultivaient la terre, et prenaient soin des troupeaux. Ils n'habitaient ni maisons ni cabanes; toute enceinte de murailles leur paraissait un sépulcre[158]; ils ne se croyaient pas en sûreté sous un toit[159]. Accoutumés dès l'enfance à souffrir le froid, la faim, la soif[160], ils changeaient fréquemment de demeure, ou, pour mieux dire, ils n'en avaient aucune; errants dans les montagnes et dans les forêts, suivis de leurs nombreux troupeaux, transportant avec eux toute leur famille dans des chariots traînés par des bœufs. C'était là que leurs femmes renfermées s'occupaient à filer ou à coudre des vêtements pour leurs maris, et à nourrir leurs enfants[161]. Ils s'habillaient de toile ou de peaux de martres qu'ils laissaient pourrir sur leur corps, sans jamais s'en dépouiller[162]. Ils portaient un casque, des bottines de peau de bouc, et une chaussure si informe et si grossière, qu'elle les empêchait de marcher librement; aussi n'étaient-ils pas propres à combattre à pied[163]. Ils ne quittaient presque jamais leurs chevaux, qui étaient petits et hideux, mais légers et infatigables[164]. Ils y passaient les jours et les nuits, tantôt montés en cavaliers, tantôt assis à la manière des femmes[165]. Ils n'en descendaient ni pour manger, ni pour boire; et lorsqu'ils étaient pris de sommeil, se laissant aller sur le cou de leur monture, ils y dormaient profondément[166]. Ils tenaient à cheval le conseil de la nation[167]. Toutes les troupes de leur empire étaient commandées par vingt-quatre officiers, qui étaient à la tête chacun de dix mille cavaliers; ces corps se divisaient en escadrons de mille, de cent et de dix hommes; mais dans les combats ils n'observaient aucun ordre. Poussant des cris affreux, ils s'abandonnaient sur l'ennemi[168]: s'ils trouvaient trop de résistance, ils se dispersaient bientôt, et revenaient à la charge avec la vitesse des aigles et la fureur des lions, enfonçant et renversant tout ce qui se rencontrait sur leur passage. Leurs flèches étaient armées d'os pointus, aussi durs et aussi meurtriers que le fer[169]; ils les lançaient avec autant d'adresse que de force, en courant à toute bride et même en fuyant. Pour combattre de près, ils portaient d'une main un cimeterre et de l'autre un filet, dont ils tâchaient d'envelopper l'ennemi[170]. Une de leurs familles avait le glorieux privilége de porter le premier coup dans les batailles; il n'était permis à personne de frapper l'ennemi, qu'un cavalier de cette famille n'en eût donné l'exemple[171]. Leurs femmes ne craignaient ni les blessures ni la mort; et souvent après une défaite, on en trouva parmi les morts et les blessés. Dès que leurs enfants pouvaient faire usage de leurs bras, on les armait d'un arc proportionné à leur force; assis sur des moutons, ils allaient tirer des oiseaux et faisaient la guerre aux petits animaux. A mesure qu'ils avançaient en âge, ils s'accoutumaient de plus en plus aux fatigues et aux périls de la chasse; enfin, lorsqu'ils se sentaient assez forts, ils allaient dans les combats repaître de sang et de carnage leur férocité naturelle. La guerre était pour eux l'unique moyen de se signaler: les vieillards languissaient dans le mépris; la considération était attachée à l'usage actuel des armes[172]. Ces Barbares, tout grossiers qu'ils étaient, ne manquaient ni de pénétration, ni de finesse. Leur bonne foi était connue: ils ignoraient l'art d'écrire; mais en traitant avec eux, on n'avait pas besoin d'autre sûreté que de leur parole[173]; d'ailleurs, ils avaient au souverain degré tous les vices de la barbarie[174]: cruels, avides de l'or[175], quoiqu'il leur fût inutile; impudiques, prenant autant de femmes qu'ils en pouvaient entretenir, sans aucun égard aux degrés d'alliance ni de parenté[176], le fils épousait les femmes de son père[177]; adonnés à l'ivrognerie, avant même qu'ils eussent connu l'usage du vin, ils s'enivraient d'un certain breuvage composé de lait de jument qu'ils laissaient aigrir. Les Romains ont cru qu'ils n'avaient aucune religion[178], parce qu'on ne voyait aucune idole qui fût l'objet de leur culte; mais, selon les auteurs Chinois, ils adoraient le ciel, la terre, les esprits et les ancêtres.

[150] Voici le portrait que Claudien fait des Huns, dans le Ier livre de ses Invectives contre Rufin, v. 325 et seq.

........... Turpes habitus; obscœnaque visu
Corpora; mens duro nunquam cessura labori;
Præda cibus, vitanda Ceres, frontemque secari
Ludus, et occisos pulchrum jurare parentes.
Nec plus nubigenas duplex natura biformes
Cognatis aptavit equis: acerrima nullo
Ordine mobilitas, insperatique recursus.

Tacite ne parle pas d'une manière plus avantageuse des Finnois, Germ. c. 46. Fennis, dit-il, mira feritas, fœda paupertas.—S.-M.

[151] Prodigiosæ formæ et pandi, ut bipedes existimes bestias, vel quales in commarginandis pontibus effigiati stipites dolantur incomptè. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[152] Compactis omnes firmisque membris, et opimis cervicibus. Am. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[153] La laideur et l'étrangeté du visage des Huns, pourraient donner lieu de croire, comme quelques savants l'ont pensé, que ce peuple appartenait à la race des Mongols. Effectivement les descriptions que l'on donne de leur constitution physique, si elles n'ont pas été outrées, comme il y a lieu de le croire, par la terreur que les Huns inspiraient, ne pourraient s'appliquer à des Turks ou à des Finnois. Voici comment Sidonius Apollinaris les dépeint, carm. 2, v. 245-252.

Gens animis membrisque minax: ita vultibus ipsis
Infantum suus horror inest. Consurgit in arctum
Massa rotunda caput: geminis sub fronte cavernis
Visus adest oculis absentibus: acta cerebri
In cameram vix ad refugos lux pervenit orbes,
Non tamen et clausos. Nam fornice non spatioso,
Magna vident spatia, et majoris luminis usum
Perspicua in puteis compensant puncta profundis.

On voit que les anciens et les modernes se sont attachés à rendre leur portrait le plus hideux possible. Cependant en lisant avec soin ce que disent les anciens auteurs, on ne trouve aucune raison suffisante pour faire croire que les Huns puissent être rangés parmi les nations qui appartiennent à la race calmuke ou mongole. Tout ce qu'on dit de leur configuration s'explique fort bien par leurs usages, sans qu'il soit besoin de recourir à des interprétations plus scientifiques. A l'exception de la difformité de leur visage, qui leur venait plutôt, comme on le voit, de leurs habitudes que de la nature, les Huns, dit plus loin Sidonius Apollinaris, carm. 2, v. 258, étaient de beaux hommes, d'une taille bien prise, et doués d'une vaste poitrine et de larges épaules.

Cetera pars est pulchra viris. Stant pectora vasta,
Insignes humeri, succincta sub ilibus alvus.
Forma quidem pediti media est, procera sed extat
Si cernas equites, sic longi sæpe putantur,
Si sedeant.

—S.-M.

[154] Cette circonstance est encore empruntée à Sidonius Apollinaris, carm. 2, v. 253-257.

Tum ne per malas excrescat fistula duplex,
Obtundit teneras circumdata fascia nares,
Ut galeis cedant. Sic propter prælia natos
Maternus deformat amor, quia tensa genarum
Non interjecto fit latior area naso.
—S.-M.

[155] Ubi quoniam ab ipsis nascendi primitiis infantium ferro sulcantur altiùs genæ, ut pilorum vigor tempestivus emergens corrugatis cicatricibus hebetetur, senescunt imberbes absque ulla venustate, spadonibus similes. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[156] In hominum autem figura licet insuavi ita visi sunt asperi, ut neque igni, neque saporatis indigeant cibis, sed radicibus herbarum agrestium et semicruda cujusvis pecoris carne vescantur, quam inter femora sua et equorum terga subsertam, fotu calefaciunt brevi. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[157] Nemo apud eos arat, nec stivam aliquando contingit. Amm. Marcel. ibid.—S.-M.

[158] Ædificiis nullis unquam tecti; sed hæc velut ab usu communi discreta sepulcra declinant. Nec enim apud eos vel arundine fastigatum reperiri tugurium potest. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[159] Peregrè tecta nisi adigente maxima necessitate non subeunt: nec enim apud eos securos existimant esse sub tectis. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[160] Sed vagi montes peragrantes et silvas, pruinas, famem, sitimque perferre ab incunabulis assuescunt. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[161] Omnes enim sine sedibus fixis, absque lare vel lege aut ritu stabili dispalantur, semper fugientium similes, cum carpentis in quibus habitant: ubi conjuges tetra illis vestimenta contexunt, et coeunt cum maritis, et pariunt, et adusque pubertatem nutriunt pueros. Am. Marc. ibid. Aucun d'eux, ajoute le même historien, n'aurait pu indiquer le lieu de sa naissance. Conçus dans un endroit, nés dans un autre, ils étaient élevés bien loin de là. Nullus apud eos interrogatus, respondere unde oritur potest, alibi conceptus, natusque procul, et longius educatus.—S.-M.

[162] Indumentis operiuntur linteis, vel ex pellibus silvestrium murium consarcinatis; nec alia illis domestica vestis est, alia forensis. Sed semel obsoleti coloris tunica collo inserta non antè deponitur aut mutatur, quam diuturna carie in pannulos defluxerit defrustata. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[163] Galeris incurvis capita tegunt; hirsuta crura coriis munientes hædinis: eorumque calcei formulis nullis aptati, vetant incedere gressibus liberis. Quâ causâ ad pedestres parum accommodati sunt pugnas. Amm. Marc. l. 31, c. 2. C'est pour cette raison que les Huns étaient souvent appelés par les Grecs ἄποδες, sans pieds, ou ἀκροσφαλεῖς, c'est-à-dire, chancelants dans leur marche.—S.-M.

[164] Ils semblaient, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 2, cloués sur leurs robustes, mais vilains chevaux, equis propè affixi duris quidem, sed deformibus. Les poètes disent également qu'ils étaient semblables à des centaures, et qu'il était difficile de séparer le cheval du cavalier.

Nec plus nubigenas duplex natura biformes
Cognatis aptavit equis.

dit Claudien in Rufin. l. 1, v. 352. Selon Sidonius Apollinaris, carm. 2, v. 262, les Huns, encore enfants, étaient placés sur le dos des coursiers, et dès lors ils n'avaient plus d'autre habitation.

Vix matre carens ut constitit infans,
Mox præbet dorsum sonipes: cognata reare
Membra viris, ita semper equo ceu fixus adhæret
Rector. Cornipedum tergo gens altera fertur,
Hæc habitat.

—S.-M.

[165] Et muliebriter iisdem nonnumquam insidentes, funguntur muneribus consuetis. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[166] Ex ipsis quivis in hac natione pernox et perdius emit et vendit, cibumque sumit et potum, et inclinatus cervici angustæ jumenti, in altum soporem adusque varietatem effunditur somniorum. Amm. Marc. ibid. Zosime dit également, l. 4, c. 20, que ces hommes ne savaient point se tenir à pied, et qu'ils passaient les jours et les nuits sur leurs chevaux, οἱ μήτε εἰς γῆν πῆξαι τοὺς πόδας οἷοί τε ὄντες ἑδραίως, ἀλλ' ἐπὶ τῶν ἵππων καί διαιτώμενοι καὶ καθεύδοντες.—S.-M.

[167] Et deliberatione super rebus proposita seriis, hoc habitu omnes in commune consultant. Amm. Marc. l. 31, c. 2. Selon le même historien, ils n'étaient point soumis à une autorité royale, mais ils suivaient, dans leurs entreprises, les impulsions de différents chefs. Aguntur nulla severitate regali, sed tumultuario optimatum ductu contenti, perrumpunt quidquid inciderit. Cette indication est d'accord avec ce que les historiens rapportent des Huns avant Attila.—S.-M.

[168] Pugnant nonnumquam lacessiti, sed ineuntes prœlia cuneatim vocibus sonantibus torvum. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[169] Eoque omnium acerrimos facilè dixeris bellatores, quod procul missilibus telis, acutis ossibus pro spiculorum acumine arte mira coagmentatis, sed distinctis. Amm. Marc. ibid. Tacite rapporte (Germ. c. 46) que les Finnois armaient leurs flèches de la même façon. Sola in sagittis spes, dit-il, quasi inopia ferri ossibus asperant.—S.-M.

[170] Comminus ferro sine sui respectu confligunt, hostesque dum mucronum noxias observant contortis laciniis illigant ut laqueatis resistentium membris equitandi vel gravandi adimant facultatem. Amm. Marc. l. 31, c. 2. Plusieurs auteurs anciens font mention de cet usage qu'ils attribuent généralement aux Scythes, aux Sarmates, aux Alains et aux Parthes. Les poètes persans en parlent souvent aussi en racontant les exploits des anciens héros de la Perse. Cette manière de combattre leur était familière. Il en est aussi question dans les Argonautiques de Valérius Flaccus, l. 6, v. 144, en parlant du peuple scythe qu'il appelle Auchates.

Doctus et Auchates patulo vaga vincula gyro
Spargere, et extremas laqueis adducere turmas.

—S.-M.

[171] Procope cite un exemple de cet usage, de Bell. Vand. l. 1, c. 18. Pendant la guerre des Romains contre les Vandales, sous le commandement de Bélisaire, un guerrier hun ou massagète usa de ce privilège.—S.-M.

[172] Tous ces détails sont tirés des écrivains chinois.—S.-M.

[173] Ce sont les Chinois qui parlent de la loyauté des Hioung-nou. Ammien Marcellin ne donne pas une idée aussi avantageuse des Huns, qu'il taxe au contraire de perfidie et d'inconstance. Per inducias, dit-il, infidi, inconstantes ad omnem auram incidentis spei novæ perquam mobiles, totum furori incitatissimo tribuentes. l. 31, c. 2.—S.-M.

[174] Hunnorum gens omni ferocitate atrocior. Jornand. de reb. Get. l. 24. Omnem modum feritatis excedit, dit Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[175] Auri cupidine immensa flagrantes. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[176] Inconsultorum animalium ritu, quid honestum inhonestumve sit penitus ignorantes. Amm. Marc. ibid. Salvien parle aussi, de gubern. Dei, l. 4, c. 14, de l'impudicité des Huns, qu'il prétend cependant être moins grande que celle des Romains. Numquid tam criminosa est Chunorum impudicitia quam nostra.—S.-M.

[177] Cet usage existait chez toutes les nations de l'Asie centrale. On le retrouve chez les Mongols au treizième siècle. Les veuves d'un prince passaient à son fils et tenaient alors le premier rang entre ses femmes. On voit même dans l'histoire des Mongols que ces sortes de femmes jouissaient de beaucoup de considération et d'une grande influence politique.—S.-M.

[178] Nullius religionis vel superstitionis reverentiâ aliquando districti, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 2, c'est-à-dire, que comme tous les autres Barbares nomades de l'Asie intérieure, les Huns n'avaient ni temples, ni statues ou simulacres révérés, ce qui n'aurait guère été compatible avec leurs mœurs errantes. Quand les Turks se répandirent vers l'Occident au onzième siècle, ils étaient encore dans le même état, n'adorant que le ciel matériel, qu'ils appelaient le Dieu bleu, Kouk Tangri. On voit par le témoignage de Théophylacte Simocatta, l. 7, c. 8, qu'aux sixième et septième siècles, les Turks voisins de la Perse vers l'orient n'avaient non plus d'autres dieux que l'air, le feu, l'eau, le ciel et la terre. Voyez à ce sujet les Recherches sur les langues tartares, de M. Abel-Rémusat, t. 1, p. 297.—S.-M.

XLIII.

Idée générale de leur histoire.

Deguignes, l. 1. pass.

L'ancienneté de cette nation remonte aussi haut que l'empire Chinois. Elle était connue plus de deux mille ans avant J.-C.[179]. Huit cents ans après, on la voit gouvernée par des princes, dont la succession est ignorée jusque vers l'an 210 avant l'ère chrétienne[180]. C'est à cette époque que l'histoire commence à donner la suite des Tanjou; ce nom qui, dans la langue des Huns signifiait fils du ciel, était le titre commun de leurs monarques[181]. Les Huns, divisés en diverses hordes, qui avaient chacune son chef, mais réunis sous les ordres d'un même souverain, ne cessaient de faire des courses sur les terres de leurs voisins. La Chine, pays riche et fertile, était surtout exposée à leurs ravages. Ce fut pour les arrêter, que les monarques Chinois firent construire cette fameuse muraille, qui couvre la frontière septentrionale de leurs états dans l'espace de près de quatre cents lieues. On retrouve dans l'ancienne histoire des Huns tout ce qui a servi à établir et à étendre les plus puissants empires, de grandes vertus et de plus grands crimes. Les vertus y sont brutes et sauvages; les crimes sont plus étudiés et plus réfléchis. Mété, le second de leurs monarques connus, s'étant rendu redoutable par des forfaits, porta ses conquêtes depuis la Corée et la mer du Japon jusqu'à la mer Caspienne. La grande Bukharie[182] et la Tartarie occidentale obéissaient à ses lois. Il avait assujetti vingt-six royaumes; il fit plier la fierté Chinoise, et à force d'injustices et de violences, il réduisit l'empereur de la Chine à lui accorder la paix, et à faire l'éloge de son humanité et de sa justice. Ses successeurs régnèrent avec gloire pendant près de trois cents ans. La gloire de cette nation consistait dans le succès de ses brigandages; enfin, la discorde s'étant mise entre les Huns, ceux du Midi, étant soutenus par les Chinois et par les Tartares orientaux, forcèrent ceux du Nord d'abandonner leurs anciennes demeures. Les vaincus se retirèrent du côté de l'occident; et vers le commencement du second siècle de l'ère chrétienne[183], ils vinrent s'établir près des sources du Jaïk, dans le pays des Baskirs, que plusieurs historiens ont nommé la Grande-Hongrie, parce qu'ils ont cru que les Huns en étaient originaires[184]. Là ils se réunirent à d'autres peuplades de leur nation, que les révolutions précédentes avaient déja portées vers la Sibérie.

[179] Les Chinois connaissent les Huns depuis une époque très-reculée, sous les dénominations de Hiun-yu, Hian-yun, et Hioung-nou. Ce ne sont là que trois transcriptions diverses d'un seul et même nom, que les Chinois traduisaient par esclaves méprisables. Les Huns étaient déja connus en Chine, par leurs fréquentes invasions avant la dynastie des Hia qui remonte à l'an 2207 avant J.-C. Ils ne cessèrent depuis de désoler la Chine par leurs courses jusque vers le deuxième siècle avant notre ère, époque à laquelle ils prirent un nouveau degré d'accroissement.—S.-M.

[180] C'est alors que vivait Théouman, le premier des souverains Hioung-nou, connus dans l'histoire chinoise; il était le successeur d'une longue série de rois qui faisaient remonter leur origine jusqu'à un prince chinois nommé Chun-hoai, issu de la dynastie impériale des Hia, qui s'était retiré dans l'intérieur de l'Asie, après la chute de cette dynastie en l'an 1122 avant J.-C.—S.-M.

[181] Le titre national des souverains Hioung-nou n'était pas Tan-jou, comme le dit Deguignes, mais Tchhen-yu; l'historien des Huns a mal lu les deux caractères chinois qui forment ce nom. Le nom de Tchhen-yu ne signifiait pas non plus fils du ciel, comme Deguignes l'a cru aussi (l. 1, p. 25), mais on ajoutait ce titre dont le sens est inconnu, à celui de Tangri-koutou qui voulait dire fils du ciel. Le mot Tangri qui signifie ciel, se retrouve dans la langue turque, dans laquelle il avait autrefois ce sens, tandis qu'à présent il veut dire Dieu. Il est probable qu'originairement il avait les deux sens. La qualification de fils du ciel que prenaient les chefs des Hioung-nou était équivalente à celle d'empereur. C'était une imitation de ce qui se pratiquait à la Chine, dont les souverains se désignent par l'appellation de Thian-tseu, qui a le même sens.—S.-M.

[182] Cette expression tout-à-fait impropre, selon moi, sert à désigner la partie de la Transoxiane où se trouve la ville de Boukhara. On donne le nom de petite Boukharie à toute la partie de l'Asie centrale qui s'étend à l'orient de la Transoxiane, entre ce pays et la Chine. C'est de cette ville, très-voisine de la Perse que vient cette dénomination qui a reçu fort mal-à-propos une extension si disproportionnée. Les marchands sortis de Boukhara, et qui parcourent toutes ces régions, où ils ont répandu l'usage de la langue persane, en ont été la cause.—S.-M.

[183] Les historiens chinois placent en l'an 93 de notre ère, l'époque de la destruction de l'empire des Hioung-nou du nord, qui était déja affaibli depuis long-temps. On voit bien dans les récits de ces auteurs, que les restes de cette nation et de la race royale se retirèrent vers les monts Ourals, mais il n'est pas possible d'établir positivement leur identité avec les Huns, qui plus tard furent gouvernés par Attila. Il y a tout lieu de croire que le nom de Huns étant le même que celui de Finns, ceux-ci habitaient déja les pays où nous les connaissons actuellement.—S.-M.

[184] Les Baschkirs dont le nombre est peu considérable maintenant, sont une des nombreuses tribus d'origine turque, dispersées dans l'empire de Russie. On les trouve vers les bords du Wolga et dans les monts Ourals, qui sont à l'orient de ce fleuve. Ils y sont établis depuis fort long-temps; les récits des voyageurs du treizième siècle et les témoignages des auteurs arabes et persans en sont la preuve. Les premiers les appellent Pascatyr et les autres Baschgard, c'est le nom au reste qu'ils se donnent eux-mêmes. Ils furent soumis au treizième siècle par les princes mongols de la postérité de Tchinghiz-Khan, et ils firent alors partie du grand empire de Kaptchak. Les premiers voyageurs du treizième siècle les ont regardés comme les ancêtres des Hongrois ou Madjars établis en Europe; cependant les langues parlées par ces deux nations suffisent pour faire voir qu'ils appartiennent à des races différentes. Ce qui a pu donner naissance à cette opinion et faire qu'elle soit vraie en un certain sens, c'est que les Hongrois sont effectivement originaires des régions où se trouvent les Baschkirs. Thwrocz, qui a compilé au quatorzième siècle, en latin, les traditions nationales des Hongrois, a bien soin de distinguer les Madjars des Baschkirs, quoiqu'il en fasse deux divisions de la nation des Huns, ce qui pourrait être arrivé par suite du mélange intime des nations finnoises et turques. L'historien hongrois appelle, l. 1, c. 5, Bascardia, le pays des Baschkirs. Il est donc bien possible que des individus de cette nation soient passés sur les bords du Danube, avec les Madjars, ce qui pourrait servir à justifier le nom de Turks que les auteurs grecs du dixième siècle donnent aux Hongrois.—S.-M.

XLIV.

Origine des Alains.

Deguignes, l. 4, p. 279, 280 et 281.

Amm. l. 31, c. 2.

Luc. Phars. l. 8 et 10.

Proc. bel. Goth. l. 4, c. 3. et Vand. l. 1, c. 3.

Ces pays avaient été anciennement occupés par les Alains: et cette nation qui contribua à la destruction de l'empire Romain, mérite aussi d'être connue. Les Alains tirent leur nom du mot alin, qui en langue tartare signifie montagne[185], parce qu'ils habitaient les montagnes situées au nord de la Sarmatie asiatique. C'était un peuple nomade, ainsi que les autres Tartares[186]. Environ quarante ans avant J.-C., ils furent obligés de céder les contrées du nord à une colonie de Huns révoltés, qui s'étaient séparés du corps de la nation, et de se retirer vers les Palus Méotides[187]. Ils s'étaient depuis long-temps rendus formidables[188]. Tous les peuples barbares, jusqu'aux sources du Gange, furent soumis aux Alains, et prirent leur nom. Procope les appelle une nation gothique[189]; les Chinois les confondent avec les Huns: en effet, par l'étendue de leurs conquêtes, ils approchaient fort près des sources de l'Irtisch, et les diverses hordes qui se détachaient de temps en temps de la nation des Huns, se portant toujours du côté de l'occident, il devait se former un mélange des deux peuples[190]; cependant la figure des Alains annonçait une autre origine. Ils étaient connus des Romains dès le temps de Pompée[191]. On les vit plusieurs fois sous les premiers empereurs franchir les défilés du Caucase, et faire des irruptions dans la Médie, dans l'Arménie, dans la Cappadoce, d'où Arrien les chassa sous le règne d'Hadrien[192]. Du temps de Gordien, ils pénétrèrent jusque dans la Macédoine, et ce prince éprouva leur valeur dans les campagnes de Philippes[193].

[185] Il est vrai que le mot Alin signifie montagne dans la langue des Mandchous; mais comment supposer que ce soit là l'origine du nom d'une nation séparée des Mandchous, par toute la largeur de l'Asie, et avec laquelle elle ne paraît jamais avoir eu de rapport. S'il en était réellement ainsi, ce serait sans doute une coïncidence fortuite qu'il faudrait rapporter au hasard seul, car on doit expliquer d'une toute autre façon l'origine du nom des Alains. On s'est trompé en interprétant le passage d'Ammien Marcellin, où il est question de cette origine, il doit se traduire d'une manière différente. Cet historien s'exprime ainsi, l. 31, c. 2, Alani, ex montium appellatione cognominati. Ce passage dit qu'ils tiraient leur nom des montagnes qu'ils habitaient, mais non pas d'un mot qui signifie montagne. Eustathe dit effectivement, dans son commentaire sur Denys le Periégète, que ce nom venait d'une montagne de Sarmatie appelée Alanus. Ὀτι Ἀλανὸς ὄρος Σαρματίας ἀφ' οὖ τὸ ἔθνος οἱ Ἀλανοὶ ἔοικεν ὀνομάζεται. Ce texte fait bien voir qu'on a mal compris Ammien Marcellin.—S.-M.

[186] L'expression de Tartare quoique assez vague de sa nature est fort bonne pour désigner la totalité des nations nomades, qui depuis plusieurs siècles parcourent les régions de l'Asie centrale. Elle appartient originairement à l'une des grandes divisions de la nation mongole, et c'est par les conquêtes de Tchinghiz-khan et des princes de sa race, qu'elle se répandit dans toute l'Asie et même jusque dans l'Europe. On conçoit qu'une telle expression doit par cette raison être tout-à-fait impropre pour désigner les tribus nomades qui, neuf siècles avant, se jetèrent sur l'empire romain; c'est une de ces expressions abusives que Lebeau a eu le tort d'emprunter à Deguignes. Le nom de Scythe aussi vague que celui de Tartare, convenait mieux.—S.-M.

[187] Il est fort probable que les contrées voisines de l'Altaï ou des montagnes appelées Alanniques par Ptolémée, l. 6, c. 14, furent les premières que les Alains abandonnèrent aux Huns.—S.-M.

[188] Ammien Marcellin, cet historien si exact et si bien instruit de tout ce qui concerne les Barbares qui renversèrent l'empire romain, nous apprend qu'à l'époque où les Alains furent attaqués pour la première fois par les Huns, la puissance de ces peuples s'étendait sur tous les pays compris entre le Pont Euxin et la mer Caspienne, se prolongeant à une grande distance vers le nord et vers l'est, de manière à parvenir jusqu'à l'Indus et même, dit-il, jusqu'au Gange. In immensum extentas Scythiæ solitudines Alani inhabitant, dit-il, l. 31, c. 2, et plus loin, prope Amazonum sedes Alani sunt orienti adclines, diffusi per populosas gentes et amplas, Asiaticos vergentes in tractus, quas dilatari adusque Gangem accepi fluvium, intersecantem terras Indorum, mareque inundantem australe. On doit bien penser que tous les individus répandus sur un espace aussi considérable n'étaient pas réellement des Alains, mais comme Ammien Marcellin le remarque avec raison, les victoires et la célébrité des Alains, avaient communiqué leur nom aux nations qu'ils avaient soumises, ce qui était aussi arrivé aux Perses. Paulatimque nationes conterminas crebritate victoriarum attritas ad gentilitatem sui vocabuli traxerunt ut Persæ. Les Alains répandus parmi des nations grandes et populeuses, diffusi per populosas gentes et amplas, au milieu desquelles ils occupaient de vastes cantons où ils vivaient en nomades, dirempti spatiis longis, per pagos, ut nomades, vagantur immensos, avaient fini par se confondre avec elles, et elles avaient toutes été réunies sous la dénomination du peuple dominateur. C'est encore une remarque d'Ammien Marcellin: ævi tamen progressu, dit-il, ad unum concessere vocabulum, et summatim omnes Alani cognominantur. Il existe d'autres autorités qui font voir que cette extension extraordinaire donnée au nom et à la puissance des Alains n'a rien d'imaginaire, et que ce fut bien là leur état pendant les quatre premiers siècles de notre ère. Du temps de Ptolémée (Geogr., l. 6, c. 14), il se trouvait des Alains dans la partie nord-est de l'Asie, et ils donnaient le nom d'Alanniques aux montagnes qui se prolongeaient fort loin dans l'intérieur de l'Asie, dans une direction qui semblerait faire croire qu'elles répondent à la chaîne des monts Altaï. Les Chinois font voir que le nom des Alains leur était bien connu. Les A-lan-na sont, selon eux, des peuples remarquables par leur chevelure blonde, leurs yeux bleus, leur haute taille, et tout-à-fait semblables aux Alains décrits par Ammien Marcellin. Proceri autem Alani pæne sunt omnes et pulchri, crinibus mediocriter flavis. Les Chinois les mettent au nord et à l'orient de la mer Caspienne, vivant à la façon des nomades et étendant plus ou moins leur puissance, selon les chances de la fortune et de la guerre. Les mêmes auteurs, dont l'autorité est d'ailleurs confirmée par les écrivains arabes du 10e siècle, nous apprennent que des branches de la nation Alane portèrent leur nom dans l'Inde jusque vers les bouches de l'Indus et qu'ils s'y perpétuèrent jusque vers le quatorzième siècle. A cette époque les géographes arabes donnaient à la mer qui sépare l'Arabie de la presqu'île de Guzarate, le nom de mer des Alains. Du côté de l'occident, il semble que le cours du Tanaïs marque au 4e siècle le terme de la domination des Alains, ce fleuve les séparait des Ostrogoths ou Gruthonges. Cependant le nom des Rhoxolans, qui dès le temps de Mithridate-le-Grand, c'est-à-dire un siècle avant notre ère, étaient répandus dans toutes les régions comprises entre le Tanaïs et le Borysthène, semble être un indice que les Alains s'étaient déja avancés vers l'occident au-delà du Tanaïs. Les auteurs grecs, latins et arméniens, s'accordent à nous apprendre que durant les quatre premiers siècles de notre ère, les Alains furent le peuple dominateur, dans les vastes plaines qui s'étendent au nord du Caucase, entre la mer Noire et la mer Caspienne, et qu'ils portaient leurs pillages dans toutes les directions, vers les Palus Méotides, le Bosphore Cimmérien, passant même le Caucase, pour aller ravager la Médie et l'Arménie. Latrocinando et venando adusque Mæotica stagna et Cimmerium Bosporon, itidemque Armenios discurrentes et Mediam, Am. Marc., l. 31, c. 2. L'histoire romaine et celle des Arméniens font également connaître leurs invasions fréquentes au midi du mont Caucase. J'ai déja eu occasion d'en parler, tom. 3, p. 277, not. 4, liv. XVII, § 5. Après que les Huns eurent détruit le vaste empire des Alains, une grande partie de la nation s'enfuit au-delà du Tanaïs, tandis que l'autre devenait l'auxiliaire forcée des Huns dans leur marche vers l'occident. Beaucoup se réfugièrent dans les gorges et sur les hauts sommets du Caucase, où ils trouvèrent un asile contre leurs ennemis. Ce nouveau séjour était vers le grand défilé caucasien, lieu de leur passage ordinaire, quand ils voulaient descendre en Asie. Il avait reçu d'eux le nom de porte des Alains, qu'il conserva jusqu'à une époque très-moderne. Cette portion de la nation, toujours connue des Arméniens, des Géorgiens, des Grecs et des Arabes, sous le nom des Alains, s'est perpétuée jusqu'à nos jours. Elle a conservé au milieu des peuples caucasiens une langue dont presque tous les mots se retrouvent avec peu de changement dans les dialectes persans et allemands, ce qui est la preuve incontestable de leur origine. Ces descendants des anciens Alains, compris au milieu des possessions russes, sont connus actuellement sous le nom d'Ossi, ou d'Ossètes qu'ils se donnent eux-mêmes. On le retrouve dans les écrivains orientaux sous la forme As. Cette indication fait voir que les Ases si célèbres dans les auteurs du Nord, les Asi et les Asianiens que Ptolémée et Strabon placent dans les régions situées à l'orient de la mer Caspienne, que les A-si et les Ou-sioun des Chinois sont un seul et même peuple avec les A-lan-na, dont le nom fut diversement prononcé à des époques diverses, et dans différents dialectes. Il est bon de remarquer que les Chinois placent ces dernières nations dans les lieux habités par les Alains, et qu'ils ont soin de remarquer que ces dénominations variées s'appliquent à un même peuple. Ces indications, en confirmant ce que j'ai déja dit de la grande extension de la puissance des Alains, contribuent à les mieux faire connaître pour les époques anciennes, et elles font voir que dès le premier siècle avant notre ère ils étaient maîtres de toutes les régions qui s'étendent fort loin au nord et à l'orient de la mer Caspienne, comme nous avons vu qu'ils étaient vers la même époque au nord du Caucase et sur les bords de la mer Noire. Il serait possible de pousser plus loin les conséquences de ces rapprochements et de retrouver le nom des Ases ou des Alains, sous des formes peu différentes et à des époques bien plus anciennes; mais il faudrait entrer dans des détails d'une nature toute particulière et très-étrangers à l'histoire du Bas-empire. Je dois me borner à faire bien connaître les Barbares qui furent en contact avec les Romains à l'époque de la chute de l'empire. Je me contenterai donc d'une dernière observation qui, en faisant remonter de cinq siècles l'histoire des Alains, contribuera à les mieux faire connaître en les rattachant à d'autres nations célèbres dans l'antiquité. Je ne m'y arrête que parce que c'est le judicieux Ammien Marcellin, qui fournit ce renseignement. Cet auteur rapporte en deux endroits de son ouvrage, que les Alains sont les mêmes que les anciens Massagètes, Massagetas, quos Alanos nunc appellamus, dit-il, l. 23, c. 5, et adusque Alanos pervenit veteres Massagetas, l. 31, c. 2. On sait qu'au temps d'Hérodote les Massagètes habitaient de toute antiquité les contrées limitrophes de la Perse à l'orient de la mer Caspienne. On peut entrevoir toutes les conséquences de ce rapprochement, qui est de la plus grande importance, pour retrouver ou pour poursuivre dans la haute antiquité l'origine première des peuples qui renversèrent l'empire romain. Tout ce qu'Ammien Marcellin raconte des mœurs des Alains est conforme à ce qu'on sait des usages des Massagètes. On aura bientôt encore occasion d'en faire la remarque.—S.-M.

[189] C'est ce que dit Procope, de bell. Vand., l. 1, c. 3, Ἀλανοὺς γοτθικὸν ἔθνος. La langue des Ossètes, descendants bien connus des Alains, montre la justesse de l'observation faite par Procope. Elle est aussi une preuve de l'identité des Alains avec les anciens Massagètes, attestée par Ammien Marcellin.—S.-M.

[190] Les Alains comme le dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 2, ayant communiqué leur nom à tous les peuples qu'ils avaient soumis, ou au milieu desquels ils vivaient, il n'est pas étonnant qu'on ait pu les assimiler quelquefois avec les Huns, quoiqu'ils eussent une origine bien différente. Il est certain, qu'il y avait parmi eux des tribus finnoises, qui durent partager leur nom, pendant le temps de leur domination; c'en est assez pour justifier tout ce qu'on a dit de leur affinité; c'est même une remarque qu'il ne faut pas perdre de vue, car on trouve souvent l'occasion d'en faire de semblables, quand on s'occupe de l'histoire et de la migration des peuples. C'est par suite de la confusion si naturelle des Alains avec les Huns que ceux-ci à leur tour ont été confondus par Procope avec les Massagètes; voyez ci-devant, § 43, p. 72, note 3.—S.-M.

[191] Ils devaient l'être bien avant cette époque si, comme tout porte à le croire, ils étaient les mêmes que les Rhoxolans ou Rhoxalans. Il en est question dans la Pharsale de Lucain, VIII, 223 et X, 454.—S.-M.

[192] Le célèbre historien de Nicomédie avait écrit des Alaniques, qui renfermaient le récit de cette invasion, et des opérations militaires exécutées sous ses ordres, pour expulser ces Barbares des terres de l'empire et de l'Arménie qu'ils ravageaient continuellement. Cet ouvrage, qui paraît avoir été considérable, contenait en outre des détails sur l'histoire des Alains. Il nous en reste un fragment intéressant, où se trouve un ordre de bataille, dressé par Arrien, pour une des affaires qui eurent lieu dans cette campagne.—S.-M.

[193] Spartien l'indique en termes assez confus dans sa vie de Gordien. Voyez Till. Gord., art. 4.—S.-M.

XLV.

Mœurs des Alains.

Les Alains étaient de haute stature et d'une belle physionomie. Ils avaient les cheveux blonds, le regard plus fier que farouche[194]. Quoique légèrement armés et fort agiles, ils étaient toujours à cheval, et tenaient à déshonneur de marcher à pied[195]. Leur façon de vivre tenait beaucoup de celle des Huns; mais ils étaient moins sauvages[196]. Errants par troupes dans les déserts de la Tartarie[197], ils ne connaissaient d'autre habitation que leurs chariots couverts d'écorces d'arbres[198]. Ils s'arrêtaient dans les lieux où ils trouvaient des pâturages pour leurs troupeaux: rangeant leurs chariots en cercle, ils formaient une vaste enceinte; c'était là leur ville; ils la transportaient ailleurs quand les pâturages étaient consumés[199]. Toujours les armes à la main, ils faisaient leur occupation de la chasse, et leur divertissement de la guerre: ils y apportaient plus d'intelligence et de discipline que les autres Barbares[200]. Mourir dans une bataille, c'était le sort le plus digne d'envie: on méprisait comme des lâches, et on chargeait d'opprobres ceux qui mouraient de vieillesse ou de maladie[201]. L'action la plus glorieuse était de tuer un ennemi; ils lui enlevaient la peau avec la tête, et en faisaient une housse pour leurs chevaux[202]. Ils adoraient le dieu Mars, qu'ils représentaient par une épée plantée en terre[203]. Ils prétendaient connaître l'avenir par le moyen de certaines baguettes enchantées[204]. Tous étaient nobles; ils n'avaient aucune idée de l'esclavage[205]. Leurs chefs portaient le nom de juges: on déférait cet honneur aux guerriers les plus expérimentés[206].

[194] Proceri autem Alani pæne sunt omnes et pulchri, crinibus mediocriter flavis, oculorum temperata torvitate terribiles. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[195] Juventus verò equitandi usu a prima pueritia coalescens, incedere pedibus existimat vile. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[196] Hunnis per omnia suppares, verùm victu mitiores et cultu. Amm. Marc. ibid. Alanos quoque pugna sibi pares, sed humanitatis victu, formaque dissimiles... subjugavere. Jorn. c. 24.—S.-M.

[197] Voyez ci-devant, § 44, p. 77, not. 2.—S.-M.

[198] Plaustris supersidentes, quæ operimentis curvatis corticum per solitudines conferunt. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[199] Cum ad graminea venerint, in orbiculatam figuram locatis sarracis ferino ritu vescuntur: absumptisque pabulis, velut carpentis civitates impositas vehunt. Amm. Marc. ibid. C'est sur ces chariots qu'ils naissent et qu'ils sont élevés; c'est leur demeure perpétuelle, et leur patrie est partout où ils arrivent; maresque supra cum fœminis coeunt, et nascuntur in his et educantur infantes; et habitacula sunt hæc illis perpetua; et quocumque ierint, illic genuinum existimant larem.—S.-M.

[200] Multiplici disciplina prudentes sunt bellatores. Amm. Marcel. l. 31, c. 2.—S.-M.

[201] Utque hominibus quietis et placidis otium est voluptabile; ita illos pericula juvant et bella. Judicatur ibi beatus, qui in prælio profuderit animam: senescentes enim et fortuitis mortibus mundo digressos, ut degeneres et ignavos convicis atrociibus insectantur. Amm. Marc. l. 31, c. 2. Strabon en dit autant des mœurs des Massagètes. Il est facile de reconnaître dans ces détails, les habitudes guerrières des Scandinaves, et leur farouche mépris de la mort.—S.-M.

[202] Necquidquam est quod elatiùs jactent, quam homine quolibet occiso; proque exuviis gloriosis, interfectorum avulsis capitibus detractas pelles pro phaleris jumentis accommodant bellatoriis. Amm. l. 31, c. 2. Hérodote décrit avec détail, IV, 64, les mœurs des Scythes, et il en rapporte des traits d'une atrocité non moins révoltante.—S.-M.

[203] Nec templum apud eos visitur, aut delubrum, ne tugurium quidem culmo tectum cerni usquam potest: sed gladius barbarico ritu humi figitur nudus, eumque ut Martem, regionum quas circumcircant præsulem verecundius colunt. Amm. Marc. ibid. Les mentions du culte que les Scythes rendaient à une épée sont trop fréquentes dans les auteurs de la haute, moyenne et basse antiquité, et ils sont trop connus, pour qu'il soit nécessaire d'en alléguer ici aucun.—S.-M.

[204] Futura miro præsagiunt modo: nam rectiores virgas vimineas colligentes, easque cum incantamentis quibusdam secretis præstituto tempore discernentes, apertè quid portendatur norunt. Amm. l. 31, c. 2.—S.-M.

[205] Servitus quid sit ignorabant, omnes generoso semine procreati. Amm. Marc. ibid. Il en était des Alains, comme de toutes les nations nomades: il n'y avait parmi eux d'autres esclaves, que les hommes pris à la guerre ou leurs descendants. C'est de là que vient l'usage si commun chez les nations barbares de cette époque, de se désigner par des noms, qui signifient tous nobles, libres, braves, héros, etc.—S.-M.

[206] Judices etiam nunc eligunt, diuturno bellandi usu spectatos. Amm. Marc. ibid. Il paraît que la plupart de ces barbares n'avaient pas d'autres chefs que des juges; on l'a déja vu pour les Goths, t. 3, p. 332, not. 3, liv. XVII, § 32.—S.-M.

XLVI.

Les Huns passent en Europe.

Deguignes, l. 4, p. 289, et 290.

Amm. l. 31, c. 3.

Zos. l. 4, c. 20.

Agath. l. 5, p. 152 et 153.

Soz. l. 6, c. 37.

Jornand. de reb. Get. c. 24.

Les Huns établis dans le pays des Baskirs, pressés eux-mêmes par de nouvelles peuplades qui venaient inonder la Tartarie occidentale, descendirent vers le midi, traversèrent le Volga, et vinrent attaquer les Alains[207]. Après plusieurs sanglantes batailles, ceux-ci furent forcés d'abandonner le pays. Les uns s'enfoncèrent dans les montagnes de la Circassie, où leur postérité subsiste encore aujourd'hui[208]: une partie passa le Tanaïs; et quelques-uns s'arrêtèrent sur le bord occidental de ce fleuve; d'autres, après avoir erré quelque temps, se fixèrent aux environs du Danube. Les Huns couvrirent de leurs tentes les vastes plaines entre le Volga et le Tanaïs; et si l'on s'en rapporte à Jornandès, bornés par les Palus Méotides, ils ignoraient même qu'il y eût au-delà aucune terre. Quelques-uns de leurs chasseurs poursuivant une biche, traversèrent après elle les Palus, et furent étonnés de trouver un gué qui les conduisit à l'autre bord. La vue d'un beau pays qu'ils découvrirent au-delà, les surprit encore davantage; et le rapport qu'ils en firent à la nation, lui fit prendre la même route. Selon d'autres auteurs, ce fut un bœuf piqué par un taon, qui leur servit de guide. Zosime dit que le limon charrié par le Tanaïs, avait formé un banc au travers du Bosphore Cimmérien, mais l'auteur de l'histoire des Huns rejette avec raison ces traditions fabuleuses. Les Huns ne furent guidés que par la passion des conquêtes qui leur était naturelle: ils passèrent le Tanaïs[209], comme ils avaient passé le Volga, selon l'usage des peuples Tartares, qui traversent les plus grands fleuves à la nage, en tenant la queue de leurs chevaux, ou sur des ballons qu'ils forment avec leur bagage.

[207] Les Alains, que les Huns attaquèrent, étaient, comme le rapporte Ammien Marcellin, l. 31, c. 3, ceux qu'on appelait Tanaïtes et qui étaient voisins des Gruthunges ou Ostrogoths. Après les avoir vaincus et dépouillés, les Huns firent alliance avec ceux qui étaient échappés. Igitur Hunni pervasis Alanorum regionibus, quos Greuthungis confines Tanaitas consuetudo nominavit, interfectisque multis et spoliatis, reliquos sibi concordandi fide pacta junxerunt. Ces Alains, devenus alliés des Huns, les suivirent dans toutes leurs expéditions en Europe. Il y en avait beaucoup avec Attila.—S.-M.

[208] Il s'agit ici des Ossètes, dont j'ai parlé ci-dessus, § 44, p. 78, not. 2.—S.-M.

[209] Les premières tribus des Huns, qui passèrent le Tanaïs, sont nommées par Jornandès, Alipzures, Alcidzures, Ithamares, Tuncasses et Boïsces. Mox, dit-il, c. 24, ingentem illam paludem transiere, illico Alipzuros, Alcidzuros, Itamaros, Tuncassos et Boiscos, qui ripæ istius Scythiæ insidebant.—S.-M.

XLVII.

Ils chassent les Ostrogoths.

Les Alains et les autres Barbares voisins du Tanaïs furent les premiers qui éprouvèrent la fureur des Huns. Ceux qui échappèrent au massacre, se joignirent au vainqueur; et cette innombrable cavalerie vint, sous les ordres d'un chef nommé Balamir, fondre sur les Ostrogoths[210]. Hermanaric, de la race des Amales[211], régnait alors avec gloire[212]. Les Goths le comparaient au grand Alexandre; il avait étendu ses conquêtes du Pont-Euxin à la mer Baltique; et une grande partie de la Scythie et de la Germanie était soumise à sa domination[213]. Agé de cent dix ans, il ne manquait encore ni de force, ni de courage. Mais il n'eut pas l'honneur de mourir en défendant sa couronne. Un seigneur du pays des Rhoxolans, nation sujette à Hermanaric[214], s'étant joint aux Huns, le prince, outré de colère, fit attacher la femme[215] de ce déserteur à la queue d'un cheval indompté qui la mit en pièces. Un frère[216] de cette femme la vengea, en perçant Hermanaric d'un coup d'épée. Sa blessure le mettant hors d'état de combattre les Barbares, il se tua de désespoir[217]. Vithimir, son successeur, résista quelque temps[218]; enfin il fut défait et tué dans une bataille. Il laissait un fils encore enfant, nommé Vidéric, sous la tutelle d'Alathée et de Saphrax, guerriers intrépides et expérimentés[219]. Cependant pressés par les vainqueurs, ils prirent le parti de passer le Borysthène, et de se retirer au-delà du Dniester[220]. Les Huns firent un horrible carnage; ils n'épargnèrent ni les femmes ni les enfants; et tout ce qui n'avait pu se dérober à leur fureur par une fuite précipitée, périt sous le tranchant de leurs cimeterres[221].

[210] Jornandès est le seul auteur qui ait jamais parlé de ce chef des Huns.—S.-M.

[211] Post temporis aliquod, Ermanaricus nobilissimus Amalorum in regno successit,....... Quem meritò nonnulli Alexandro magno comparavere majores. Jorn. c. 23. Il est nommé un peu plus loin, c. 24, le triomphateur d'une multitude de nations, Ermanaricus rex Gothorum, multarum gentium triumphator. On peut, au sujet de la race des Amales, voir ce que j'ai dit, t. 3, p. 332, not. 1, liv. XVII, § 32.—S.-M.

[212] Multas et bellicosissimas arctoas gentes perdomuit, suisque parere legibus fecit. Jornand. c. 23. Le même auteur donne en ces termes la liste des nations qui avaient été subjuguées par Hermanaric. Habebat siquidem quos domuerat, Gothos, Scythas, Thuidos in Aunxis, Vasinabroncas, Merens, Mordensimnis, Caris, Rocas, Tadzans, Athual, Navego, Bubegentas, Coldas. Il est impossible d'indiquer avec exactitude les pays qui furent occupés par toutes ces nations. Il en est plusieurs, dont les noms, sans doute fort altérés, ne se retrouvent nulle part ailleurs. On voit seulement que la domination d'Hermanaric dut s'étendre sur presque toute la Russie méridionale, la Lithuanie, la Courlande, et tous les pays compris entre le Pont-Euxin et la mer Baltique, depuis l'embouchure du Borysthène jusqu'au golfe de Finlande. Il paraît que toutes ces provinces, qui formèrent depuis le royaume de Pologne, et même une partie de l'Allemagne, furent aussi soumises à son empire. Il vainquit aussi la nation des Hérules, commandée alors par un prince, nommé Alaric, et la plus guerrière de toutes ces tribus. Il attaqua ensuite, selon Jornandès, c. 23, les Vénètes (c'est-à-dire les Vendes) peu habiles aux armes, mais très-nombreux: ils opposèrent d'abord de la résistance, mais leur nombre causa leur perte, et ils furent obligés de se soumettre au vainqueur de tant de nations. Post Hærulorum cædem, idem Ermanaricus in Venetos arma commovit; qui quamvis armis disperiti, sed numerositate pollentes, primo resistere conabantur; sed nihil valet multitudo in bello, præsertim ubi et multitudo armata advenerit. Hermanaric subjugua ensuite les Esthiens, qui paraissent avoir occupé les côtes orientales de la mer Baltique, qui longissima ripa Oceani germanici insident. Ainsi, dit Jornandès, c. 23, Hermanaric ne dut qu'à ses seuls exploits son empire sur les nations de la Scythie et de la Germanie, omnibusque Scythiæ, et Germaniæ nationibus ac si propriis laboribus imperavit.—S.-M.

[213] Ammien Marcellin ne parle pas avec moins d'éloges d'Hermanaric, qu'il appelle Ermeneric. Il dit, l. 31, c. 3, que c'était un prince très-belliqueux et redouté de toutes les nations voisines, pour ses grandes et belles actions, bellicosissimus rex, et per multa variaque fortiter facta vicinis nationibus formidatus.—S.-M.

[214] Roxolanorum gens infida, quæ tunc inter alias illi famulatum exhibebat. Jornand. c. 24.—S.-M.

[215] Jornandès donne, c. 24, à cette femme le nom de Sanielh.—S.-M.

[216] Jornandès rapporte que ce furent les deux frères de cette femme, qui blessèrent Hermanaric. Ils se nommaient Sarus et Ammius. Fratres ejus, dit-il, cap. 24, Sarus, et Ammius germanæ obitum vindicantes, Ermanarici latus ferro petierunt.—S.-M.

[217] Inter hæc Ermanaricus tam vulneris dolorem, quam etiam incursiones Hunnorum non ferens, grandævus et plenus dierum, centesimo decimo anno vitæ suæ defunctus est. Jornand. c. 24. Ammien Marcellin fait aussi mention, l. 31, c. 3, de la mort volontaire d'Hermanaric, qui, s'exagérant les forces des Huns, après avoir tenté de leur résister, se porta à cet acte de désespoir. Qui vi subitæ procellæ perculsus, quamvis manere fundatus et stabilis diu conatus est, impendentium tamen diritatem augente vulgatius fama, magnorum discriminum metum voluntaria morte sedavit.—S.-M.

[218] Ce Vithimir, que les Ostrogoths avaient créé roi, après la mort d'Hermanaric, avait pris à sa solde les Alains et quelques tribus de Huns; mais, malgré ce secours, il avait été défait dans un grand nombre de rencontres, et il avait perdu la vie dans un dernier combat. Cujus (Ermenrichi) post obitum rex Vithimiris creatus restitit aliquantisper, Alanis, Hunnis aliis fretus, quos mercede sociaverat partibus suis. Verum post multas quas pertulit clades, animam effudit in prælio, vi superatus armorum. Amm. l. 31, c. 3.—S.-M.

[219] Cujus parvi filii Viderichi nomine curam susceptam Alatheus tuebatur et Saphrax, duces exerciti et firmitate pectorum noti. Am. Marc. l. 31, c. 3.—S.-M.

[220] Qui cum tempore arto præventi abjecissent fiduciam repugnandi, cautius discedentes ad amnem Danastum pervenerunt, inter Istrum et Borysthenem per camporum ampla spatia diffluentem. Amm. Marc. l. 31, c. 3. Je crois qu'il faut lire Danastrum, dans le texte d'Ammien Marcellin. L'antique nom de ce fleuve s'est perpétué jusqu'à nous, car il est le même que le Dniester, appelé Danastrus dans Jornandès, c. 5, et Δάναστριι, dans Constantin Porphyrogénète; de adm. Imp. c. 8. C'est le Tyras des anciens Grecs.—S.-M.

[221] Après la mort d'Hermanaric, tous ceux des Ostrogoths, qui n'avaient pas succombé dans la lutte contre les Huns, ou qui n'avaient pas traversé le Borysthène avec leurs princes, se soumirent aux vainqueurs et restèrent dans leur pays, comme le rapporte Jornandès, c. 48. Ostrogothæ Ermanarici regis sui decessione a Vesegothis divisi, Hunnorum subditi ditioni, in eadem patria remorati sunt. Un nommé Winithar, de la race des Amales, fut leur chef, Winithario tamen Amalo principatus sui insignia retinente. Ce prince releva les forces de sa nation, s'étendit aux dépens de plusieurs peuples voisins, et tenta de s'affranchir de la domination des Huns. Balamber, qu'on croit être le même que Balamir, voulut mettre un terme aux entreprises de Winithar; soutenu par un grand nombre de Goths, il lui fit la guerre. Ses alliés furent défaits en deux batailles; mais, dans le troisième combat, livré sur le bord du fleuve Erac, dont on ignore la position, Winithar fut tué d'un coup de flèche par Balamber. Les Ostrogoths furent obligés de se soumettre, mais ils conservèrent un chef de leur nation; ita tamen, ut genti Gothorum semper unus proprius regulus, quamvis Hunnorum consilio, imperaret. Jornand. de reb. Get., c. 48. Balamber épousa Waladamarca, nièce de Winithar, et donna la royauté des Ostrogoths à son allié Hunimund, fils d'Hermanaric, qui la transmit à ses descendants.—S.-M.

XLVIII.

Défaite des Visigoths.

Athanaric, prince des Visigoths, était trop brave pour prendre l'épouvante[222]. Il résolut de les attendre de pied ferme; et s'étant retranché avantageusement sur le bord du Niester[223], il envoya Munderic[224] avec plusieurs autres capitaines, jusqu'à vingt milles de son camp[225], pour observer les mouvements des ennemis, et lui en apporter des nouvelles. Pendant ce temps-là il fit les dispositions de la bataille. Ses précautions furent inutiles. Les Huns, ayant aperçu les cavaliers, jugèrent qu'il y avait plus loin un corps plus considérable: ils attendirent la nuit; et laissant à côté Munderic, qui se reposait avec sa troupe, comme si l'ennemi eût été fort éloigné, ils gagnèrent le fleuve à la faveur de la lune, le passèrent à gué, et tombèrent brusquement sur Athanaric, avant le retour de ses coureurs. Le prince surpris de cette attaque imprévue, n'eut que le temps de se sauver sur des montagnes de difficile accès, et laissa sur la place une partie de ses soldats. Instruit par cette épreuve de ce qu'il avait à craindre d'un ennemi si impétueux, il se cantonna entre le Danube et le Hiérassus, nommé aujourd'hui le Pruth[226], et il s'enferma d'une muraille, qui traversait d'un fleuve à l'autre[227]. Les Huns, dont la marche était ralentie par le butin dont ils s'étaient chargés, lui laissèrent le temps d'achever cet ouvrage.

[222] Ammien Marcellin l'appelle juge des Thervinges. Hoc ita præter spem, dit-il, l. 31, c. 3, accidisse doctus Athanaricus, Thervingorum judex, stare gradu fixo tentabat, surrecturus in vires, si ipse quoque lacesseretur ut cæteri.—S.-M.

[223] Ammien Marcellin désigne le lieu où Athanaric attendit les Huns, mais il est impossible d'en indiquer la position. Castris prope Danasti margines ac Greuthungorum vallem longiùs opportunè metatis.—S.-M.

[224] Ce Munderic passa dans la suite au service des Romains, et devint duc de la frontière d'Arabie, comme le dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 3. Munderichum ducem postea limitis per Arabiam.—S.-M.

[225] Cum Lagarimano et optimatibus aliis adusque vicesimum lapidem misit. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[226] Ce fleuve est appelé Gerasus par Ammien Marcellin, l. 31, c. 3. C'est dans Ptolémée, liv. 3, c. 8, qu'on trouve le nom d'Hiérasus. Les Grecs, selon Hérodote, l. IV, c. 8, l'appelaient Pyretus, et les Scythes Porata, et c'est le nom qui, sans beaucoup de changements, s'est perpétué jusqu'à nous.—S.-M.

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