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La police secrète prussienne

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II

Un intérieur allemand. — M. Prosper Cheraval, parisien de naissance, musicien par goût et professeur de langue française. — Stieber, orateur socialiste. — La fabrique des frères Schœffel. — Un contremaître socialiste. — M. Schmidt, peintre et espion. — Comment on ébauche une conspiration. — Papiers volés par la police. — La première mission secrète du policier Stieber. — Arrestation de M. Schœffel. — Stieber porté en triomphe.

Walther Goldschmidt était un ancien comédien. Pendant de longues années, il avait appartenu à quelqu’une des scènes les plus renommées de l’Allemagne. S’il ne s’était pas fait applaudir à Vienne ni à Berlin, il ne s’était pas moins fait apprécier dans les « résidences » de second ordre, où le théâtre était et est encore aujourd’hui la plus grosse affaire de l’État, en tous cas celle dont le souverain s’occupe le plus directement et avec le plus d’assiduité. Dans ces petites cours, les comédiens sont à la fois des personnages officiels et des artistes, des fonctionnaires publics et des courtisans, mêlés à toutes les intrigues politiques et autres, suprême ressource contre l’ennui mortel qui ravage ces capitales minuscules.

Après avoir joué pendant vingt-cinq ans, Charles Moor, Clavigo, Nathan le Sage, Hamlet, etc., et après avoir épousé une ingénue très jolie et très prude à la ville, Walther Goldschmidt, à qui ses économies et un héritage inattendu assuraient une modeste aisance, avait définitivement pris sa retraite et réalisé le rêve de toute sa vie, d’habiter une grande capitale.

Il était venu se fixer à Berlin, où il menait l’existence la plus heureuse et la plus tranquille, entre sa femme, toujours séduisante, et sa fille Geneviève, qui, à seize ans, évoquait toutes les grâces et les séductions de sa mère dans la première jeunesse. Le soir, selon l’usage allemand, Walther allait fumer sa pipe dans une brasserie voisine, où il racontait à son auditoire habituel ses aventures d’antan, historiettes de coulisses et anecdotes de cour qu’on écoutait avec la plus grande attention, et même avec un certain respect qui flattait beaucoup le vieil acteur.

La révolution, en jetant un peu Walther dans le courant politique, n’avait rien changé à ses habitudes et à sa vie d’intérieur. A sept heures précises, la bouilloire à thé chantait sur un réchaud, et Mlle Geneviève aidait sa mère à disposer sur une nappe éblouissante de blancheur les différentes assiettes de viandes froides qui composaient le menu accoutumé du souper.

Ce soir-là, deux seaux d’étain poli brillants comme de l’argent ornaient les deux bouts de la table et rafraîchissaient dans de la glace deux bouteilles de vin du Rhin. Des rœmer, hauts sur leurs pieds d’une transparente couleur d’émeraude, jetaient des feux irisés sous la clarté d’une grande lampe de verre.

On attendait le maître de la maison pour se réunir autour de la table de famille.

En présentant son convive, Goldschmidt rappela à sa femme qu’ils avaient vu autrefois M. Schœffel aux bains de Warmbrunnen en Silésie, près de Hirschberg, où se trouvait la grande filature de MM. Schœffel frères. Mme Goldschmidt indiqua par un gracieux sourire qu’elle se souvenait en effet de M. Schœffel.

On se mit à table.

Pendant le repas, la conversation roula sur des sujets assez indifférents. On s’entretint des événements du jour, de la promenade du soir ; mais dans le récit qu’en fit Goldschmidt, il évita soigneusement de mentionner l’incident relatif à l’homme au drapeau. Il ne fut question qu’un instant du jeune homme, quand Mme Goldschmidt dit à son mari que le « docteur » s’était fait excuser de ne pouvoir venir dans la soirée. Une rougeur qui empourpra subitement les joues de Mlle Goldschmidt apprit à Schœffel qu’on parlait du fiancé de Mlle Geneviève.

Vers le milieu du repas, un coup de sonnette retentit, et un homme d’une trentaine d’années, les yeux vifs et l’air enjoué, type assez accompli du Parisien, parut dans l’entrebaillement de la porte.

— Ah ! monsieur Cheraval, entrez donc, s’écria l’ancien comédien. Quel bon vent vous amène ?

Le nouveau venu s’inclina devant les dames, adressa un salut correct à Schœffel et serra cordialement la main que lui tendait le maître de la maison. Sur un signe de celui-ci, la servante avança une chaise et apporta un couvert et un rœmer qui fut aussitôt rempli jusqu’au bord.

Le jeune homme leva son verre, but et ajouta en français :

— Mes chers amis, je viens tout simplement prendre congé de vous.

Goldschmidt se récria et sa femme fit chorus avec lui.

— Oui, reprit Cheraval, demain, à l’heure où les gens vertueux regardent rougir l’aurore, je quitte Berlin, je repars pour Paris… pour ce Paris que je regretterais tant d’avoir quitté si je n’avais trouvé ici de bons amis tels que vous, et une aussi charmante élève, ajouta-t-il en s’inclinant du côté de Geneviève.

— Voyons, voyons, mon ami, fit l’acteur, qu’est-ce qui vous force donc à nous dire sitôt adieu ?

— La politique et l’amour filial… Il paraît qu’on a offert au papa Cheraval une candidature pour l’Assemblée constituante, et le brave homme veut que je sois là pour lui donner un coup de main, ou plutôt un coup de langue, car il faudra faire assaut d’éloquence… Bref, je pars pour soutenir la candidature de mon père… Mais soyez tranquilles, je ne vous oublierai pas, je vous écrirai souvent, aussi souvent que possible. Et j’espère que ma charmante élève voudra bien me prouver que mes leçons n’ont pas été perdues.

— Je vois, répondit Goldschmidt, qu’il ne nous reste plus qu’à boire à l’heureux retour de notre ami Cheraval dans sa patrie, à ses succès oratoires, et aussi à monsieur le futur député Cheraval père !

On trinqua et l’on but.

— Mais ne verrons-nous pas le docteur ce soir ? demanda le jeune Français.

Goldschmidt regardait Schœffel d’un air embarrassé ; il trouva heureusement un prétexte pour détourner la conversation :

— Oh ! mais je ne vous ai pas encore présentés l’un à l’autre… C’est votre faute, M. Cheraval… Vous nous arrivez avec une nouvelle si éblouissante, s’écria Goldschmidt, qui se servait un peu à l’aventure des adjectifs français… Monsieur Henri Julius Schœffel, un de nos principaux filateurs de Silésie… Monsieur Prosper Cheraval, parisien de naissance, musicien par goût… et professeur de langue française…

— A l’étranger… Expatrié pour raison de santé, afin de ne pas attraper des rhumatismes sur la paille humide des cachots, où les juges de S. M. Louis-Philippe voulaient me faire coucher pendant un an pour une toute petite chanson satirique… Mais chacun a sa revanche… A moi la belle maintenant !

Et Cheraval se mit à fredonner sur un air connu :

Dans ce monde tout varie,
L’esprit et le sentiment.
Chacun son goût, sa manie,
L’un voit noir, l’autre voit blanc.
Aujourd’hui, dans ma patrie,
Que de gens prennent sans voir
Le blanc pour le noir !
Voyez cet amas de cuistres,
Prêtres, moines et prélats,
Procureurs, juges, ministres,
Médecins et magistrats.
Leurs uniformes sinistres
Leur tiennent lieu de savoir.
Que d’ânes couvre le noir !

— Le « docteur » devait traduire ma chanson en allemand, ajouta Cheraval, savez-vous s’il l’a fait ? j’aurais bien voulu prendre congé de lui. Mais où le trouver ?

— Oh ! fit Mme Goldschmidt en dépliant un journal qu’on venait d’apporter, je crois qu’il nous sera facile de savoir où le « docteur » sera ce soir…

Elle passa le journal à sa fille, et lui indiquant du doigt le haut de la troisième page :

— Geneviève, dit-elle, lis-nous ça…

La jeune fille, d’un voix émue, commença :

« Ce soir, grande réunion démocratique dans la salle des Trois Aigles, rue Moabit. Le jeune orateur populaire Stieber, qui a conquis une si rapide célébrité dans les clubs, doit prononcer un long discours pour demander l’abolition de l’armée permanente et la suppression immédiate de la police secrète. L’importance de ces deux questions, qui tiennent si fort à cœur à nos Berlinois, et la réputation de l’orateur attireront certainement la foule. »

Les éloges que le journal décernait au docteur Stieber firent de nouveau rougir de joie la jeune fille.

— Eh bien, dit Cheraval, si vous voulez me le permettre, je vais me diriger à pas accélérés vers la salle des Trois Aigles. Je n’aurai ainsi pas le regret de quitter Berlin sans serrer la main de cet excellent Stieber… J’essaierai de le persuader de faire son voyage de noce en France… si Mlle Geneviève y consent…

Goldschmidt regardait Schœffel d’un air de plus en plus embarrassé. Celui-ci avait de la peine à cacher le trouble qu’il éprouvait chaque fois que le nom du docteur était prononcé.

Cheraval s’était levé ; tout le monde l’avait imité.

Après avoir accompagné le jeune Français jusque sur le palier, Goldschmidt pria Schœffel de le suivre dans un petit fumoir à côté de la salle à manger.

L’ancien acteur offrit un cigare au fabricant silésien :

— Maintenant, dit-il, mon cher Schœffel, je suis prêt à vous écouter.

Ils s’assirent l’un à côté de l’autre sur un petit divan, et tandis que Mme Goldschmidt et sa fille travaillaient dans la pièce voisine à un ouvrage de tapisserie, Schœffel raconta à son ami ce qui suit :


« Vous avez connu, comme tout le monde, le procès intenté, il y a trois ans environ, aux socialistes de la vallée de Hirschberg ; vous avez lu les détails de mon arrestation et de ma condamnation. Mais ce que vous ignorez, c’est comment le misérable dont vous voulez faire votre gendre s’y est pris pour me dénoncer.

« Notre fabrique était la plus importante de la vallée. Mon frère Hubert et moi, nous la dirigions. Lui s’occupait de la vente et des achats ; il était presque toujours en voyage, tandis que moi je surveillais la fabrication, vivant continuellement au milieu des ouvriers, sachant les conduire comme il fallait, avec douceur et résolution, à la fois camarade et patron. Aussi je puis dire qu’ils m’aimaient beaucoup. Ils remplissaient gaiement leur tâche, avec une conscience et une ardeur qui étaient les causes principales de la prospérité de notre fabrique, ce qui ne manqua pas d’exciter la jalousie de nos concurrents dont les ouvriers étaient traités comme des serfs et des esclaves.

« J’avais à la tête du premier atelier un contre-maître que ses études et son intelligence mettaient certainement au-dessus de sa position sociale. Michel Wurm avait une quarantaine d’années, l’air loyal et franc, la figure ouverte et sympathique. Né en Souabe, il avait la simplicité charmante et l’affabilité qu’on trouve même chez les gens du peuple de ce pays. Comme sa présence permanente à la fabrique était en quelque sorte nécessaire, je lui avais donné un logement dans la filature même, en face du corps de bâtiment que nous occupions, ma mère et moi, et aussi mon frère dans l’intervalle de ses voyages. Michel Wurm n’était pas marié. Il avait auprès de lui une sœur restée veuve avec une fillette. L’éducation de cette jeune fille, qui s’appelait Hedwige, était la grande préoccupation du contre-maître. Je vous l’ai dit, Wurm avait de l’instruction acquise par lui-même ; ses premières économies, il les avait employées à acheter des livres, et il s’était formé une petite bibliothèque qui avait élargi ses idées et élevé son niveau intellectuel et moral. Il voulait qu’Hedwige profitât de ce savoir, qui était sa conquête personnelle, et qu’elle fût un peu plus qu’une femme ordinaire.

« Or, il arriva ceci : Tandis que l’éducation de Wurm se complétait surtout au point de vue de l’histoire et de la science économique, et qu’il s’assimilait les théories socialistes de ses auteurs favoris, Hedwige ne profitait de cette somme de connaissances que dans un sens artistique. Plus son oncle lui donnait à lire de traités philosophiques, de livres d’histoire et de science sociale, plus se développait son talent de musicienne et de peintre. Wurm voyait avec fierté les progrès de sa nièce dans les arts, mais il déplorait qu’elle se montrât si indifférente aux « grands principes de l’humanité ». — « Elle a les goûts d’une patricienne, me répétait-il en soupirant, elle ne sera jamais des nôtres. »

« Wurm s’était pris d’une belle passion pour tous les systèmes mis en avant par les novateurs pour améliorer le sort du genre humain, et il avait rêvé de faire de sa nièce un apôtre de la cause socialiste. Hedwige ne semblait guère se douter des visées ambitieuses de son oncle ; en dehors de son piano et de sa palette, elle ne comprenait pas qu’on pût s’intéresser à quelque chose. Elle adorait la musique, mais c’est en peinture surtout qu’elle montrait de remarquables dispositions. Wurm était un homme pratique : il reconnut bientôt son erreur, et, loin d’entraver sa nièce dans ses goûts, il finit par les encourager.

« J’allais souvent le soir passer une heure ou deux chez Wurm, et tous les dimanches le contre-maître, sa sœur et sa nièce dînaient à notre table de famille.

« J’avais remarqué chez Wurm des livres français, les œuvres de Fourier, Cabet, Considérant ; bien que ne connaissant qu’imparfaitement la langue, je les lisais avec attention et intérêt. Wurm, seul, sans maître, s’était perfectionné au point d’en remontrer à un Français de naissance ; il m’expliquait les passages difficiles, dont ma science personnelle ne pouvait venir à bout. J’avais pris l’habitude de résumer par écrit la traduction de mon contre-maître sur un petit calepin que j’enfermais dans mon secrétaire avec mes autres papiers.

« Une dissertation sur le régicide, que j’avais trouvée dans un volume de Considérant, je crois, m’avait vivement frappé par la vigueur des arguments invoqués par l’écrivain pour justifier la conduite d’un moderne Brutus qui tenterait de sauver une nation en supprimant un homme. J’avais fait une traduction assez complète de ce morceau sur mon agenda… Notez bien ce détail…

« Deux jours après, je vis arriver à la fabrique un jeune homme dont la mise singulière ne me plut guère au premier abord. Mais ses manières étaient si affables que la mauvaise impression causée par sa figure s’effaça vite dans mon esprit. Il était porteur d’une lettre d’un de nos principaux clients de Berlin, M. von S…, qui me le recommandait chaudement, ajoutant que M. Augustin Schmidt était un de ses parents et un peintre de beaucoup d’avenir. Il venait en Silésie pour se livrer à des études de paysage. J’étais prié de lui faire aussi bon accueil que possible.

« Très désireux de reconnaître l’amabilité de M. von S…, chez qui mon frère avait reçu plusieurs fois l’hospitalité, je priai M. Schmidt de considérer ma maison comme la sienne. Mon domestique alla chercher ses bagages à l’auberge, et quelques instants plus tard, le jeune artiste était installé dans une chambre au-dessus de la mienne, avec son chevalet, sa palette, sa boîte à couleurs, son attirail complet de peintre, sans parler de quelques ébauches qui témoignaient sinon d’un grand talent, du moins d’une grande habileté à manier le pinceau.

« La glace fut bientôt rompue entre mon hôte et moi. Il était si discret, si poli ! Il savait mettre tant de déférence en écoutant ma vieille mère et en lui parlant ; et il racontait si bien, avec une amusante pointe de verve, les petites historiettes berlinoises qui faisaient les délices de l’excellente femme.

« Il nous avait mis au courant de sa vie. Resté orphelin de bonne heure avec une fortune suffisante, il avait été élevé dans un pensionnat suisse, où il prétendait avoir puisé des idées républicaines qui l’empêchèrent de profiter de la protection de son cousin von S…, fort bien en cour et qui voulait le lancer dans l’administration. Il avait préféré sa liberté. Il voulait les délices de la vie d’artiste, les enivrements qu’elle donne, ses illusions et ses déceptions si vite oubliées. Tout cela ne valait-il pas la livrée la plus dorée du fonctionnaire le plus haut en grade ?

« Les premiers jours s’écoulèrent rapidement dans la société de mon hôte. Il partait de bon matin, on était en été et le temps était beau ; il allait s’installer au centre d’un site choisi, et il travaillait toute la matinée, — du moins nous le supposions. L’après-midi, il montait dans sa chambre pour transporter sur la toile les croquis qu’il avait faits au crayon. Il avait mis son chevalet près de la fenêtre… Sa fenêtre donnait justement sur celle de la chambre d’Hedwige…

« Le dimanche suivant, Wurm, sa sœur et la jeune fille, ainsi que deux autres contremaîtres et quelques notabilités de Hirschberg dînèrent comme d’habitude à la filature. Augustin Schmidt fut présenté à tout le monde. Il plut beaucoup. Je remarquai qu’en entendant nommer le jeune homme Hedwige rougit. Le peintre, de son côté, s’écria : « Oh ! mademoiselle et moi, nous nous connaissons, nous sommes des confrères… J’ai eu l’indiscrétion de jeter un regard du haut de ma fenêtre dans votre chambre, mademoiselle, et je vous ai surprise à l’œuvre… J’étais loin de m’attendre à trouver une artiste dans une fabrique de coton… »

« Le père Wurm dit qu’en effet sa fille copiait en ce moment un vieux portrait de famille, un Rittmeister de la guerre de Trente ans découvert dans les combles et dont le modèle et le coloris étaient remarquables, malgré les dégâts du temps. Hedwige s’appliquait beaucoup, mais elle était très inexpérimentée.

« Tout naturellement Augustin s’offrit pour lui donner quelques conseils, et même des leçons. Tantôt on organisait des promenades dans la forêt avec ma mère et la sœur de Wurm, tantôt Schmidt s’installait dans le logis du contremaître et surveillait son élève travaillant au portrait du Rittmeister. Hedwige faisait des progrès très réels, mais tout se bornait entre elle et son maître à des sentiments de confraternité artistique. Augustin ne pouvait prétendre à son cœur, car le cœur d’Hedwige avait déjà parlé en faveur d’un autre… »

A ces mots, Schœffel s’arrêta dans son récit, et il sembla à celui qui l’écoutait que deux larmes perlaient sous les cils du fabricant.


Schœffel continua :

« En revanche, Augustin avait gagné toutes les bonnes grâces de Wurm. Au bout de quelques entretiens, le trop confiant contremaître crut reconnaître dans le jeune peintre un adepte ardent des doctrines socialistes. Schmidt trouvait que dans ce monde tout était bâti à l’envers ; il débitait de longues tirades contre la société telle que l’ont organisée les lois, et il prédisait sur un ton de prophète un bouleversement général. Lorsque j’assistais à ces conversations, je m’étonnais de cette fougue politique chez un artiste, et je me disais que M. von S… avait eu une singulière idée de vouloir faire de son cousin un fonctionnaire royal. Wurm ne parlait plus que de son ami.

« Augustin abandonnait parfois son travail et allait trouver le contremaître à l’atelier. Je fus bientôt frappé des relations qui s’établirent entre le peintre et les ouvriers. Sous le prétexte de prendre des croquis de la vie populaire, Schmidt se mit à fréquenter les cabarets, les débits de bière, les salles de danse où les filateurs avaient coutume de se réunir pour se distraire les dimanches et les jours de fête.

« Un soir, Wurm me pria d’assister à une réunion dans un endroit qu’il ne voulut pas me désigner. Par curiosité et ne supposant pas d’ailleurs qu’il s’agît d’une conspiration, je promis d’y accompagner mon contremaître. Il vint me prendre après le souper et nous nous dirigeâmes vers la forêt. Au bout d’une heure, nous arrivâmes à une clairière qui sert de halte de ralliement aux chasseurs. Wurm s’arrêta. Il siffla trois fois à intervalles égaux. Des sifflets lui répondirent ; puis cinq, dix, quinze hommes sortirent des fourrés. Parmi eux, je reconnus quelques ouvriers de la filature, et, à ma vive surprise, Augustin.

« Sur un signe de Wurm, ils se rangèrent en cercle.

« Ces hommes avaient l’air résolu, et leurs silhouettes se détachaient comme des fantômes sur le fond de verdure éclairé par la lune. Tous paraissaient au courant de l’objet de ce mystérieux rendez-vous ; moi seul je l’ignorais. Wurm me l’apprit enfin. Depuis plusieurs mois une association s’était formée parmi les ouvriers de ma fabrique et ceux de quelques autres fabriques rivales, dans le but de renverser la monarchie et de proclamer, d’abord en Silésie, une petite république selon les principes des réformateurs socialistes de France.

« Cette association n’avait pas de chef, et, chose dont j’étais loin de me douter, c’était sur moi qu’on avait jeté les yeux !

« Mes bonnes intentions pour les ouvriers, mes procédés humains, les veillées studieuses que j’avais passées dans le logis de mon contre-maître, tout cela me désignait à la confiance de ces pauvres gens… Mais je refusai énergiquement l’honneur qu’on voulait me faire, malgré les instances de Wurm et de Schmidt, qui paraissait le plus résolu et le plus ardent. Je me bornai à promettre de garder le silence le plus complet sur ce que j’avais entendu.

« Avant de me retirer j’engageai vivement mon contremaître et ses amis à éviter les imprudences, et j’exprimai aussi l’espoir qu’ils ne se laisseraient pas aller à des excès.

« Je partis seul, et pendant toute la route je me demandai comment Schmidt, venu dans le pays pour faire des études de paysage, avait tourné à l’agitateur socialiste. Pourtant aucune pensée mauvaise ne me vint à l’esprit. Je me disais qu’après tout un artiste est capable de toutes les métamorphoses ; que le côté pittoresque d’un complot pouvait l’avoir séduit ; que la mise en scène théâtrale et mystérieuse de ces réunions nocturnes en pleine forêt lui avait peut-être donné l’envie de jouer un rôle dans la pièce.

« J’en étais là de ces réflexions quand je rencontrai Hedwige au bout de la grille de la fabrique. Nous nous voyions quelquefois seuls le soir dans un petit jardin qu’elle se plaisait à soigner.

« Personne ne connaissait notre amour, nul ne savait que, d’un commun accord, nous nous étions promis de nous appartenir pour la vie.

« Hedwige était fort inquiète de me voir rentrer sans son père. Je la rassurai, tout en jugeant inutile de lui révéler le motif de son absence. Malgré moi, je parlai de Schmidt et je ne pus m’empêcher de témoigner mon étonnement au sujet de ses allures. « Il me semble, dis-je, qu’il ne peint plus du tout depuis quelque temps… Ce tableau qu’il vous a fait commencer, cette vue du Warmbrunnen, n’avance guère… » Hedwige se montra un peu embarrassée de mon observation ; puis elle me répondit : « Je ne veux plus peindre avec M. Schmidt. »

«  — Pourquoi ? » lui demandai-je d’un air surpris.

« Elle me raconta alors en rougissant que le jeune peintre avait profité de ses tête-à-tête avec elle pour lui faire une cour assidue, et que, finalement, pour échapper à ses obsessions et à ses familiarités, elle avait renoncé à ses leçons, prétextant que les soins du ménage absorbaient tous ses instants.

« Depuis lors l’intimité entre Schmidt et Wurm était devenue plus étroite, et le peintre passait avec le contremaître et les ouvriers tout le temps qu’il consacrait auparavant à son élève.

« J’embrassai Hedwige sur le front et je me retirai. Sur la table de ma chambre à coucher m’attendait une lettre de mon frère, qui me donnait rendez-vous à Breslau pour une affaire urgente. Il me recommandait de venir le plus vite possible, afin qu’il pût continuer lui-même sa route vers la Russie, où des commandes importantes lui étaient promises. Comme rien de pressant ne me retenait à l’usine, je pris immédiatement mes dispositions pour partir le lendemain. La voiture fut attelée de bonne heure ; le soir, j’étais à Liegnitz, où je prenais le chemin de fer pour arriver peu d’heures après à l’hôtel du « Grand Frédéric », où mon frère m’attendait. Pendant que je soupais, il me mit au courant de l’affaire. Il s’agissait d’une très importante fourniture qu’il devait effectuer de compte à demi avec M. von S…, qui l’avait obtenue grâce à ses influences. Ma signature était nécessaire au traité que nous devions passer. M. von S… était également arrivé à Breslau ; mais, fatigué par le voyage, il était allé se reposer, remettant au lendemain notre entrevue.

« Je demandai à mon frère si M. von S… lui avait parlé de son cousin.

«  — De quel cousin ? » me demanda-t-il.

« Je lui racontai l’arrivée à la fabrique du jeune peintre, parent de M. von S…, mais je me tus sur tout le reste. Mon frère est un homme phlegmatique qui n’aime guère se creuser la cervelle en dehors des affaires. Il n’insista point et nous gagnâmes nos chambres.

« Le lendemain il nous fallut attendre jusqu’au soir pour nous rencontrer avec M. von S…; l’affaire fut vite conclue ; c’était une opération avantageuse, je n’eus qu’à ratifier les conditions conclues entre mon frère et son partenaire. Quand tout fut terminé, je dis à M. von S… que j’avais le plaisir de posséder encore son cousin sous mon toit.

«  — Lequel ? me demanda M. von S… Et il m’expliqua que sa famille était très nombreuse.

«  — Je veux parler de votre cousin Schmidt, répondis-je, de votre cousin le peintre paysagiste que vous m’avez fait l’honneur de me recommander. »

« M. von S… fit un bond sur sa chaise.

«  — Comment ! s’écria-t-il, c’est mon cousin Augustin Schmidt qui est chez vous, à Hirschberg !… Vous en êtes bien sûr ?… »

«  — Parfaitement sûr… Depuis trois semaines…

«  — Voyons, fit le Berlinois, expliquons-nous bien, car l’un de nous deux est dupe d’un mystificateur ou d’un intrigant. M. Augustin Schmidt avait en effet l’intention d’aller en Silésie, mais il y a un an de cela ; et je lui avais donné une lettre de recommandation pour vous. Mais il a dû renoncer à ce projet pour différentes raisons. Il a dit adieu à la peinture, il est entré dans une maison de banque de Hambourg pour laquelle il voyage en ce moment en Amérique. Et tenez, voici une lettre qu’il m’écrit de New-York pour me prier de réclamer au bureau de police une petite valise renfermant quelques vêtements et des papiers, qu’il a oubliée dans une droschke le jour de son départ de Berlin, où il était venu pour prendre congé de nous.

«  — Avez-vous retrouvé la valise ? demandai-je vivement intrigué à M. von S…

«  — Oui, mais les papiers n’y étaient pas. Comme mon cousin est très distrait, j’ai pensé qu’il les avait oubliés ailleurs. »

« Tous mes soupçons de la veille se tournèrent en certitude. Ces papiers volés !… Si c’était lui qui était le voleur ! Par un de ces hasards qui ressemblent parfois à des inspirations j’avais pris avec moi la lettre que m’avait présentée M. Augustin Schmidt. Je tirai le papier de ma poche et je le tendis à M. von S…

«  — C’est cela, c’est cela, fit-il à deux reprises… C’est bien la lettre remise par moi à mon cousin… Seulement, voyez la rature en haut, à la date… on a changé le 4 en 5… 1845 au lieu de 1844… Vous êtes la dupe d’un aventurier !… Quelle tête a-t-il, ce parent que je ne connais pas ? »

« J’en fis le portrait aussi bien que possible. Le véritable Schmidt était brun et gros, tandis que mon hôte était blond et maigre ; il parlait couramment le français : celui-ci ignorait complètement cette langue.

« Je résolus de repartir immédiatement pour éclaircir ce mystère. Mon frère, toujours fort calme, n’écoutait cette histoire que d’une oreille, et lisait le journal qu’un garçon de l’hôtel venait d’apporter. Tout à coup il poussa une exclamation :

«  — Tiens, s’écria-t-il en me tendant la feuille, lis donc cela ! »

« Le journal racontait que depuis plusieurs mois l’autorité avait été avertie par différentes communications confidentielles qu’un grand complot communiste avait été organisé dans la vallée de Hirschberg et qu’une foule d’ouvriers, notamment ceux employés dans une des plus importantes filatures de la localité, étaient affiliés à une société secrète ayant pour but le bouleversement de toutes les institutions existantes, le pillage des propriétés et l’assassinat du roi. Si les indications abondaient, les preuves faisaient défaut. Il fallait en avoir cependant pour arrêter les coupables. C’est alors que le gouvernement fut secondé d’une façon toute providentielle. Un cocher de place ayant apporté au bureau central de la police une petite valise qu’un voyageur inconnu avait oubliée dans sa voiture, on l’ouvrit pour vérifier le contenu et s’assurer si elle ne renfermait aucune indication sur son propriétaire. Au milieu de quelques papiers sans importance, on découvrit une lettre ouverte, recommandation très pressante en faveur du porteur auprès de ce même fabricant désigné dans les dénonciations anonymes comme un des principaux chefs du complot. M. le conseiller de gouvernement Mathis, chargé de poursuivre l’affaire, vit aussitôt, avec sa perspicacité ordinaire, tout le parti qu’on pouvait tirer de cette lettre. On n’avait pas à redouter le retour inopiné de son véritable propriétaire, puisque celui-ci venait de partir pour l’Amérique. Comme dans la recommandation de M. von S… il était dit que le porteur était peintre, restait à trouver un homme sûr et habile, peignant convenablement. M. Mathis se souvint d’un jeune référendaire au tribunal qui avait temporairement appartenu à la police et fait preuve de beaucoup de flair. Ce jeune homme faisait de la peinture en amateur, avec assez de succès. M. Mathis le fit appeler et le mit au courant de la mission qu’il avait à lui confier. Il lui donna un passeport au nom de M. Schmidt, le munit de la lettre de recommandation trouvée dans la valise, et quelques jours plus tard, l’émissaire du conseiller Mathis se présentait à la filature de M. X…, où on lui fit le meilleur accueil. Il fut promptement au courant du complot, il réunit toutes les preuves nécessaires ; bref, il réussit si bien qu’à l’heure présente les coupables étaient sous la main de la justice…


« Les coupables ! Wurm était donc arrêté ; et Hedwige ? Je n’étais pas là pour la consoler, pour l’aider à supporter cette épreuve ? J’aurais voulu partir de suite. J’avais d’horribles pressentiments. Cet espion que j’avais logé sous mon toit et même admis à ma table, ne serait-il pas aussi capable de me dénoncer ?

« Ces pensées roulaient dans mon esprit, quand la porte du petit salon dans lequel nous étions s’ouvrit. Un homme d’une cinquantaine d’années, à l’air respectable, un « bourgeois » dans toute la force du terme, entra. « Pardon, messieurs, fit-il ; l’un de vous n’est-il pas M. Georges Schœffel ? On m’a dit que je le trouverais ici. » — « C’est moi, » répondis-je. — « Eh bien, monsieur, je viens vous donner un avis : fuyez, cachez-vous, on va vous arrêter. » Mon frère, à ces mots, se redressa furieux : « J’aimerais savoir, monsieur, demanda-t-il, de quel crime on l’accuse ? » — « De haute trahison, répliqua l’inconnu. Je suis le premier adjoint de Breslau, je me trouvais il y a quelques instants dans le cabinet du bourgmestre, quand un individu porteur d’un ordre du ministère s’est présenté chez ce magistrat et a réclamé main-forte pour procéder à votre arrestation. Le bourgmestre a répondu qu’il n’avait pas à obtempérer aux réquisitions d’un agent de la police de sûreté, il a refusé de mettre des sergents de ville à la disposition d’un mouchard. Nous n’aimons pas ces gens-là, à Breslau. L’individu a protesté, il a déclaré qu’il s’adresserait directement à la gendarmerie, qu’il écrirait au ministère pour se plaindre. J’ai laissé ces messieurs en grande discussion ; et comme l’agent a indiqué l’hôtel où vous êtes descendu, j’ai pensé que j’aurais encore le temps de vous avertir… Les libéraux se doivent mutuellement aide et protection… Voyons, où pourriez-vous aller ?

«  — Mais, repris-je, je ne songe pas à fuir… Ce serait m’avouer coupable… Je n’ai rien à me reprocher… »

« Mon frère et M. von S…, qui n’avaient qu’une médiocre confiance dans l’impartialité de la police prussienne, m’engageaient à me soustraire aux recherches de la gendarmerie… »

« J’allais peut-être me rendre à leurs raisons, quand la porte s’ouvrit de nouveau. Les casques de deux gendarmes brillèrent dans l’ombre, et je reconnus dans l’individu qui les précédait le faux Augustin Schmidt. Froidement, comme s’il me voyait pour la première fois, cet homme que j’avais traité en ami, qui avait été de ma famille, dit aux gendarmes en me désignant : « Le voilà ! Emmenez-le ! » Ils obéirent. Je les suivis fort tranquillement, persuadé que mon innocence ne tarderait pas à éclater au grand jour. Mais quels furent mon étonnement, mon indignation, ma colère, lorsque le juge d’instruction, dès le début de son premier interrogatoire, produisit deux feuillets arrachés du calepin dans lequel je consignais mes notes de lecture.

« On s’était emparé du passage de Fourier relatif au régicide pour me l’imputer, et l’on prétendait, sur les indications du misérable délateur, que c’était le fragment d’une circulaire confidentielle que j’avais adressée aux ouvriers, pour les engager à assassiner le roi. L’accusation qui me valut d’être condamné fut tout entière échafaudée sur ces feuillets volés dans mon secrétaire et arrachés du carnet dont les autres pages avaient été anéanties !

« J’avais contre moi non seulement l’apparence de ces preuves, mais les dispositions malveillantes des autres fabricants, heureux de se défaire d’un concurrent redoutable.

« Wurm fut condamné à mort ; toutefois sa peine fut commuée. En apprenant cette condamnation, la pauvre Hedwige fut comme folle. Le délire la prit. Elle mourut d’une congestion cérébrale. »


Après un silence, Schœffel reprit :

« Comprenez-vous maintenant pourquoi je n’ai pas été maître de moi, quand j’ai reconnu aujourd’hui l’homme qui, pour les raisons les plus viles, a trahi tout ce qu’il y a au monde de plus respectable et de plus sacré, et qui a causé le malheur de ma vie entière[4] ? »

[4] Ce n’est pas du roman, c’est de l’histoire que nous écrivons, nous ne saurions trop le répéter. La découverte de ce prétendu complot de Hirschberg fut le début du policier Stieber, à qui la monarchie prussienne doit son organisation si perfectionnée d’espionnage au dedans et au dehors. La magistrature d’alors, qui avait le sentiment de l’honneur et de la droiture, flétrit énergiquement les procédés employés par Stieber pour s’introduire dans la famille Schœffel. Stieber dut donner sa démission de référendaire, et c’est par rancune qu’il se lança, au commencement de 1848, dans le mouvement révolutionnaire.

Le récit du fabricant avait sincèrement ému l’ancien acteur. Avant de répondre, il parut réfléchir longuement.

«  — Ce que vous me dites là, mon cher ami, est triste, bien triste, dit-il enfin. Mais que faire à présent ? Ma fille aime ce jeune homme, elle l’adore… La séparer de lui, ce serait la plonger dans le désespoir. Si je lui apprenais la vérité, son amour ne manquerait pas de lui suggérer toutes les excuses possibles pour atténuer les procédés de son fiancé ; elle se dirait qu’il n’a fait que son devoir en obéissant à ses supérieurs ; qu’il agissait dans un bon but… elle trouvera dans son cœur mille prétextes pour l’excuser… Ah ! si cet amour ne faisait que commencer, mais il a poussé des racines si profondes qu’il n’est plus possible de l’arracher… Aujourd’hui, mon pauvre ami, c’est vraiment trop tard… Le bonheur de mon enfant m’est trop précieux, et le rôle des pères barbares n’a jamais été dans mes moyens… »

Schœffel eut envie de répondre : « Alors vous donneriez votre fille à un voleur de grand chemin, si elle l’aimait ! » Mais il se mordit les lèvres, prit son chapeau et se retira en disant à son ami : « C’est bien… Que chacun agisse selon sa conscience… La mienne m’ordonne de lutter contre le système honteux qui emploie de pareils hommes et de pareils moyens. Adieu. »

Schœffel dut reprendre la longue rue de l’Unter den Linden pour regagner le petit hôtel où il était descendu le matin. Au moment de s’engager dans la Poststrasse, le fabricant aperçut de grandes lueurs rouges qui éclairaient les maisons de la base au faîte. Le bruit sourd d’une foule en marche, des cris qu’il avait déjà entendus le matin, parvinrent en même temps à ses oreilles. Il monta sur les marches d’une porte et il vit un immense cortège qui s’avançait, éclairé par des flambeaux. Au centre, un homme porté en triomphe, sur les épaules de deux robustes gaillards, était salué par les acclamations populaires.

Quand le cortège défila devant lui, il reconnut en cet homme Stieber, l’ex-mouchard, l’espion qui l’avait livré à la police. Son discours dans la réunion de Moabit avait soulevé un enthousiasme indescriptible, et la foule qui l’écoutait en trépignant avait voulu le porter en triomphe jusqu’à son domicile.

Cette fois, Schœffel n’eut plus de colère ; il détourna la tête avec dégoût et ne put se défendre d’un sentiment de pitié, en songeant avec quelle facilité on séduit le peuple et on le trompe.

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