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La Puce de Mme Desroches

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LA PUCE DE CLAUDE BINET,
Advocat en la Cour de Parlement.

Mignarde, vous avez grand tort
D'appeller Hercule à la mort,
A la mort d'une pucelette,
Qui tant mignardement furette,
Comme un petit surion d'Essain
Sur les roses de vostre sein.
Je veux, je veux qu'on vous appelle
Du nom de belle et de cruelle,
Qui pour si petit animal
Invoquez Hercul chasse-mal;
Animal dont la petitesse
Passe des autres la grandesse,
Soit qu'on fasse comparaison
Des parcelles de la raison,
De la souplesse ou de l'astuce
Qui recommande cette Puce.

Belle, si vous aimez le beau,
Voyez quelle gentille peau:
Ne diriez-vous pas qu'elle est teinte
Ou des couleurs de l'Hyacinthe
(Hyacinthe honneur des beaux mois),
Ou de pourpre, couleur de Roys?

Vrayment si la trouvez gentille,
Sa proportion plus subtile
Vous doit inciter à pitié,
Pour luy porter quelque amitié,
Si comme vous mignardelette,
Elle est prompte, polie et nette.

Laissez vous picquer un petit,
Sus, la voila en appetit,
Voyez, belle, voyez, mignarde,
Comme un éguillon elle darde,
Eguillon en long eguisé,
Et qui pourtant est pertuisé,
Pour couler la douce ambrosie,
Qu'en vostre sein elle a ravie.
Je ne la sçaurois accuser,
Sinon d'avoir l'heur de baiser
Si long temps ceste peau tendrette,
Qui un tel bon-heur ne me prette.
Mais, Puce, je t'excuse bien,
Car par toy nous goustons le bien
De mille amoureuses delices,
Quand dans un beau sein tu te glisses,
Et sçais les premiers fruits ravir
Des filles neuves au plaisir,
Tantost en baisottant leur face,
Or sucçotant en autre place,
Aprenant à l'homme grossier
Comme il faut l'amour varier.

Encore que Venus s'en fache,
Je veux que tout le monde sache
Que la Puce eut l'honneur premier
D'inventer le mignard baiser,
Baiser qu'encor Amour farouche
N'alloit sucçant dessus la bouche,
Et que Venus n'eut sçeu sucrer,
S'elle n'eut veu la Puce encrer
Sa petite bouche ebenine
Sur la moitte jouë Adonine.
Depuis la gentille Cypris,
Ayant le glout baiser appris
D'une larronnesse languette,
Languette mutuelle et moëtte,
Sceut bien à l'envie du Ciel
Coler deux bouchettes de miel.

Que diray-je de sa saignee
Qui par elle fut enseignee?
N'en déplaise à l'antiquité,
La Puce a l'honneur merité,
Et non le cheval qui se treuve
Aux bras de l'Egiptien fleuve:
Car la Puce, tant seulement
Avec un doux chatoüillement,
Tire sans aucune ouverture
Le sang ennemy de nature.

O petit animant heureux,
Utile aux hommes et aux Dieux,
Si or je t'ay sauvé la vie
Des mains de ma douce ennemie,
Et si je t'ay fait tant d'honneur
D'estre de deux biens inventeur,
Succe de ma maistresse belle
Ce gros sang qui la rend rebelle,
Si qu'ayant rapuré son sang
D'un courage amoureux et franc,
D'un œil semonneur elle attise
Le doux feu de ma convoitise,
Et qui ne se puisse appaiser
Que par la langueur d'un baiser.


A E. PASQUIER.
(Traduit du latin de Claude Binet.)

Pourquoy louëz-vous tant Orphee?
Pourquoy d'un si brave trophee
Honorez-vous, Poëtes saincts,
Le bruit de sa lyre sonante,
La voix aussi douce-coulante
Que le miel des picquans essains?

Pourquoy vostre chanson sacree,
Qui aux Rois et aux Dieux agree,
Sonne tant le loz d'Arion?
Pourquoy vantez-vous le miracle
De l'Ogygien habitacle
Basti par la voix d'Amphion?

Et toy, Pasquier, qui par tes carmes
Coulans de Permesse nous charmes,
Arrosez du Nectar des Dieux,
Pourquoy d'une docte faconde
Vas tu chantant à tout le monde
Saphon l'honneur des siecles vieux?

Hé! pourquoy dis-tu que sa grace
Toutes autres dames surpasse
En beauté, vertu et sçavoir:
Puis qu'en cette belle Rochette,
Ainçois cette belle Rosette,
Le Ciel ses tresors nous fait veoir?

Cette Claniene Naiade,
Cette montaignere Oreade
En sagesse, en grace, en beauté,
En vertus, en mœurs, en doctrine
Surpasse la troupe plus digne
Du mont des neuf sœurs frequenté.

Ha! mon Dieu! le teint de sa joüe
Et la tresse d'or qui se joüe
Sur son sein en flots ondoyans,
Et ses yeux deux flames jumelles,
Me font prendre dans leurs cordelles,
Et ardre en leurs rais flamboyans.

Voy ses cheveux que l'Arabie,
Ny le baume de l'Assyrie,
N'egalent en bonnes odeurs;
Cheveux dont Venus la doree
Voudroit sa teste estre honoree,
Et non des primeraines fleurs.

O beaux filets d'or de Minerve,
Mon ame se plaist d'estre serve
De vos nœuds mignardement tors:
Il luy plaist bien d'estre contrainte
Par vous d'une si douce estrainte
Quittant la prison de son corps.

Sur tout la neige blanchissante
Sur son front bien poly m'enchante,
Et ce beau pourpre Tyrien
Qui fait vermeiller son visage,
Et ce double flambeau volage
Du petit Dieu Cytherien.

Or si ces deux levres vermeilles,
Plus douces que n'est des abeilles
Le miel, et le thim Hyblean,
Me permettoient un baiser prendre
Plus sucré que la rose tendre
Qui croist au champ Pestanean,

Incontinant je rendroy l'ame
Dedans le beau sein de Madame,
Et par l'air de ce baiser pris,
Pasmé sur sa levre jumelle,
Nous ferions, moy et ma rebelle,
Un doux change de nos esprits.

Mais que diray-je de la Grace
Du reste de sa belle face,
Et de son fourchelu menton
Resemblant une poire franche
Qui va meurissant sur la branche
Sous l'abry d'un jeune bouton?

Ce beau col de marbre, où Zephire
Entre mille rameaux soupire,
Un sang chaudement amoureux,
Par une volontaire force
Desrobe mon cueur, et l'amorce
Sous l'apast d'un mal doucereux,

Et fait que je porte une envie,
O Puce, au bon heur de ta vie,
Mais non plus Puce, à mon advis,
Ains Amour, qui par fine astuce
Dessous le teint noir d'une Puce
N'agueres admirer te fis,

Quand d'une subtile cautelle
Tu vins au sein de la Pucelle,
Qui d'un ingenieux conseil
Te permit d'y faire retraite,
Afin que ta couleur noirette
Donnast lustre à son blanc vermeil.

Et par cette blanche campaigne,
Où poingt une double montaigne
D'Agathe blanchement douillet,
Folastrement tu te promenes
Entre les beautez sur humaines
De ce sein blanc et vermeillet.

Ore d'un plein saut tu te jettes
Sous les amoureuses cachettes
De ses esselles mignotant,
Et entre mille fleurs escloses
Tu flaires ces boutons de roses
Que tu mordilles sucçottant.

Puis d'une mignarde secousse
Ce lait qu'un Zephire entrepousse
Tu humes à longs traits goulus.
O Puce, que tu fus heureuse
Lors que d'un tel bien desireuse
Loger en ce sein tu voulus!

Ha Dieux! un enfant de sa mere
Ne peut avoir chose plus chere
Que le lait de ses deux tetins.
Jamais Venus dedans Gargaphe
N'en fit plus au mutin de Paphe
En ses tendres mois enfantins.

Mais puis que d'une pudeur vierge,
De ses chastes beautez concierge,
La robe ne doit à nos yeux
Permettre de voir, ny qu'on sache
Ce que jalouse elle nous cache,
Compaigne du bon heur des Dieux,

Il ne faut, Pasquier, que la plume
Represente dans ce volume
Ce que l'habit ne laisse hors:
Car la mesme pudeur honneste
Doit voiler le front du Poete
Comme l'habit couvre le cors.

Quant à moy, brulant de la flame
Dont son bel œil mon cœur entame,
Je n'en puis longuement parler;
Mais toy en qui le Ciel assemble
Les Graces et vertus ensemble
Pour les Dieux mesmes esgaller,

Tu peux mieux les Graces connoistre
D'elle, que Minerve a fait naistre
Merveille unique de ce temps:
Il suffit, pourveu qu'elle entende
Que, mourant d'une amour trop grande,
Je n'ay peu alonger mes chans.
François de la Couldrove.


C. DES ROCHES A CL. BINET,
Sur ses vers latins.

Dy moy, Rochette, que fais tu?
Ha, tu rougis: c'est de la honte
De voir un portraict qui surmonte
Ta foible et debile vertu.

Binet a voulu dextrement
Representer une peinture,
Qui est de celeste nature,
Et la nommer humainement.

Ayant pillé dedans les Cieux
Le pourtraict d'une belle idee,
Ne voulant comme Promethee
Irriter le courroux des Dieux,

D'un artifice nompareil
Il a voilé son beau visage
D'un nom obscur, comme un nuage
Qui cache les rais du Soleil.

C'est afin de n'estre repris,
Rendant aux hommes manifeste
Une beauté toute celeste,
Digne des immortels espris.

Roche, tu ne sçaurois user
D'un autre plus evident signe,
D'estre de tant d'honneurs indigne,
Que ne pouvoir t'en excuser.
C. Des Roches.


MACEFER A CL. BINET.
SONET.

Ne croy pas, mon Binet, qu'un baiser de Charite
Face que son esprit, laissant si beau sejour,
Se place dedans toy, et que d'un mesme tour
Ton ame s'envolant, dedans son cors habite;

Mais crain que ton esprit, par une sage eslite
Amorcé du baiser nourrisson de l'amour,
Choisissant ce beau cors, sans espoir de retour,
Pour mieux s'habituer sa demeure ne quitte.

Ou bien crain que l'esprit de l'une des neuf Sœurs,
L'esprit de ma Charite aymé de tant de cueurs
N'attire à sa beauté ton ame enamouree:

Ainsi, mon cher Binet, l'aimant Magnesien
Attire à soy le fer d'invisible lien,
Qui le suit amoureux de sa force admiree.
Macefer.


AMOUR PIQUÉ.

Amour, ce méchant petit Dieu,
Un jour s'en vint aupres du lieu
Où les Poitevines Nymphettes
Aux rives du Clain doux-coulant
Chantoient de l'Amour nonchalant
Les presque inutiles sagettes.

Si tost que Cupidon entend
Des Nymphes le plaintif accent,
Ha, dict-il, voicy belle prise:
Ainsi d'un amoureux desir
La bergere de trop dormir
Son amy reprend et mesprise:

Alors l'oiseau Cytherien,
Oubliant son vol ancien,
Se vint parquer au milieu d'elles.
C'est icy, dict-il, où il faut
Esprouver si le cœur me faut
Et l'effet à mes estincelles.

Les Nymphes l'aiant aperceu,
Comme un enfançon l'ont receu,
Egaré de sa triste mere.
Ne cognoissant pas qu'il estoit,
Chacune à tour le baisottoit
D'une faveur non coutumiere.

Amour s'apprivoise, et soudain
Il cache en sa petite main
Une flamme vive et segrette,
Il se mire au sein le plus beau
Et range son petit flambeau
En vain sur le cœur de Rochette.

De fortune, entre le destour
De son teton franc de l'amour
Une Puce faisoit son giste,
Qui pour son hostesse vanger
Piqua le bras porte danger,
Y traçant sa marque petite.

Soudain Amour, remply de dueil,
La plaie au bras, la larme à l'œil,
S'envolle au secour de sa mere,
Disant, un petit chose noir
M'a piqué, vous y pouvez voir
La flamme et la place meurtriere.

C'est, dict-il, c'est un Serpenteau
Qui va sautellant sur la peau,
Puce est nommé par les Pucelles.
Las! je n'eusse jamais pensé
D'un si petit estre offensé
Si pres de mes flammes mortelles.

Lors Venus, souriant, voy-tu,
Vois-tu, dit-elle, sa vertu
A la tienne du tout semblable?
Sinon que petit, aux grans dieux
Et aux humains dardant tes feux,
Tu fais une plaie incurable.
Cl. Binet.


A ANTHOINE LOISEL.

J'ay dit que c'est Amour, le plus rusé des Dieux,
Qui, surpris des beautez de ma belle Charite,
Se vint loger au sein, où la chaleur subite
Brula ses ailerons et son cœur Amoureux.

De fait sentant griller ses plumes et cheveux,
Et voyant basaner sa peau à demi cuite,
Petit Puceau prent forme en la Puce petite,
Par la mesme couleur voulant tromper nos yeux.

Las il estoit à nous, sous un ongle severe
Je me fusse vangé de ma longue misere:
Mais le finet sauta sur toy, Docte Loisel.
Ainsi que Ganymede eslevé dessus l'aile
De l'aigle genereux, par ta plume immortelle,
Soleil, tu l'as conduit avec toy dans le Ciel.
Cl. Binet.


A MADAME DES ROCHES.

Je ne m'esbahi plus des murs de la Rochelle
Obstinez contre un Roy, ni du Roc Melusin,
Puisque contre Amour mesme au pays Poitevin
Une autre Roche encor se declare rebelle.

La Rochelle à son Roy se monstre ore fidelle,
Lusignan a ployé sous le joug du destin:
Et vous osez tenir encontre un Roy divin,
Deffiant jusqu'icy sa puissance immortelle.

Amour ayant en vain vostre Roc assiegé,
Ainsi qu'un espion en Puce s'est changé,
Pour surprendre le fort de vostre tour jumelle.

Mais il fut descouvert par maints doctes esprits.
Roche, ne craignez plus que vostre fort soit pris,
Quand les enfans des Dieux font pour vous sentinelle.
Cl. Binet.

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