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La Puce de Mme Desroches

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LA PUCE D'ODET TOURNEBUS,
Advocat en la Cour de Parlement.

Puce, qui se fut advisé
Que tu deusse estre tant redite
Par un vers si favorisé
Du troupeau qui Parnasse habite?
Et qu'un animal si petit
Eut peu espoindre les courages
De tant de sçavans personnages
Quy de toy ont si bien escrit?

C'est à bon droit que l'on peut croire
Que Poictiers est le vray sejour
Des doctes filles de Memoire,
Du jeu, des Graces et d'Amour.
Si quelqu'un ne le croit, qu'il voye
Ces deux Roches qui jusqu'aux Cieux
Elevent leur chef sourcilleux,
Qui comme deux astres flamboye.

Qu'il oye l'armonieux chant
De leurs poësies divines,
Et il cognoistra à l'instant
Que les Muses sont Poetevines.
Il verra que les vers chantez
Des Muses qui Poictiers habitent
Plus que ceux la des Grecs meritent
Estre par dessus tous vantez.

Il cognoistra que ceste troupe
De deux Muses vaut beaucoup mieux
Que celle qui loge en la croupe
De ce mont qui se fend en deux.
Que donques plus on ne s'estonne
Si l'on te chante volontiers,
Puisque dans tes murs de Poictiers
Les Muses logent en personne.

Je sçay bien que quelque envieux
Voudra incontinant reprendre
Les Poëmes ingenieux
Par lesquels on a fait entendre
Tes plaisirs et tes passetemps,
Disant que chose si petite
Comme une Puce ne merite
Que l'on employe tant de temps.

Ce n'est d'aujourd'huy que l'envie
Vomit sur les bons son venin:
Elle fit bien perdre la vie
A ce grand Socrate divin:
Quand d'une semblable imposture
Elle disoit qu'il employoit
Tout son temps lors qu'il mesuroit
Tes sauts et cherchoit ta nature.

Virgile l'ame, le soleil
Et l'honneur de la Poësie,
Auquel n'y a rien de pareil,
Des mouches chanta bien la vie.
Belleau chanta le papillon,
Et Ronsard, ce divin Poëte,
A chanté l'huitre, l'alouëtte,
Le fourmy, le chat, le freslon.

Petite Puce, ta fortune
Surpasse celle des oyseaux,
Des troupeaux nageans de Neptune
Et des terrestres animaux,
Pour avoir eu des Cieux la grace
De te loger en si beau lieu,
En ce sein le temple d'un Dieu,
Ce sein qui tous les seins surpasse.

As-tu bien peu sans te brusler
Fureter entre ses mamelles?
As-tu bien osé te couler
Dessus ces deux fraises jumelles
Qui, comme charbons allumez,
Pourroient soudain reduire en cendre
La main qui voudroit entreprendre
De taster ses doux bouts aymez?

As tu bien esté si osée
De te pendre à ses beaux cheveux,
Sans t'y prendre et estre enlacée
De mille las, de mille neus?
Veu que le plus brave courage,
S'il veut tant soit peu s'hazarder
De les vouloir bien regarder,
S'empestre en un si beau cordage?

As-tu approché de ses yeux,
Dedans lesquels amour se jouë,
Et dont il emprunte ses feux?
As tu peu baiser ceste joue,
Sans sentir une vive ardeur
Approchant ses flammes cruelles,
Qui de leurs vives estincelles
Consument le plus brave cœur?

Ha vrayment tu es amoureuse,
Car toujours tu cherches les lieux
Que cache la vierge honteuse,
Et qu'elle ne monstre à nos yeux.
Tu as ce bon heur que de boire
Du sang de ces membres polis,
De ce ventre plus blanc que lis,
De ces cuisses et flancs d'ivoire.

Tu as cet heur que de nicher
Sous les replis de sa chemise;
Quand tu veux, tu te viens coucher
Dessus elle en toute franchise.
Las! que d'hommes souhaiteroient
De ces faveurs la plus petite:
Mais tel bien passe leur merite,
Car par là Dieux ils deviendroient.

Puce, je me pers quand je pense
A tes plaisirs, à tes esbas,
Lors que doucement tu offense
Cette Nymphe or' haut, ore bas.
Je conçoi telle jalousie
Quand je pense à la privauté
Que tu as à ceste beauté
Que je reste quasi sans vie.

Puce, je sens un petit feu
S'eprandre au dedans de mon ame,
Qui tousjours croissant peu à peu,
En fin me mettra tout en flamme,
Par l'erreur de ce souvenir
Qui m'a si fort l'ame offensee,
Que je n'ay plus d'autre pensee
Que vouloir Puce devenir.

Mais ay-je bien la hardiesse
De vouloir seulement songer
De voir à nu telle Deesse,
Qui encor pourroit bien changer
Ma forme en celle d'une pierre,
Tout ainsi que Meduse fit
Au pauvre Phiné qui la vit,
Eschangeant les noces en guerre.

Un party si avantageux
N'est pour creature mortelle,
Il appartient sans plus aux Dieux
De jouyr de chose si belle.
Anchise baisa bien Venus,
Mais aussi tost la repentance
Talonna de pres son offense,
Quand il se vit estre perclus.

Puce, tu as cet avantage
Que l'homme ne sçauroit avoir,
De jouyr de ce beau corsage
Et le regarder nu au soir:
Puis, lors que plus elle sommeille
Estendue dedans son lit,
La pinçotant un bien petit,
Tout doucement tu la reveille.

Sous le silence de la nuit,
Lors que reposent toutes choses
Et que l'on n'entend aucun bruit,
Tu tastes ses lis et ses roses.
Puis, te coulant d'un pas larron
Sur sa poitrine et sur ses cuisses,
Enyvrée de ces delices,
Tu t'endors dedans son giron.

Et puis, quand l'Aurore vermeille
Encourtine le Ciel de feux,
Et que cette Nymphe s'eveille,
Tu ne pers pour cela tes jeux.
Mais si l'obscurité nuitale
A esté propre à tes desirs,
Le jour tu sens mesmes plaisirs
Et une volupté egale.

Pleut à Dieu que j'eusse la voix
Assez forte pour entreprendre
De te chanter, je ne craindrois
Apres tant d'autres faire entendre
Quel est ton plaisir et ton bien,
Quelles les douceurs de ta vie,
Qui font que je te porte enuie,
Pour n'avoir tel heur que le tien.

Mais aurois-je bien telle audace,
Serois-je bien si mal appris,
De vouloir imiter la grace
Des vers de ces braves espris,
Lesquels par leur muse divine
Et par leurs vers plus doux que miel
T'ont eslevée jusqu'au Ciel,
Pour t'y faire luire un beau signe?

Serois-ie bien tant hors du sens,
Serois-je bien si temeraire,
De vouloir par mes rudes chants
Les belles chansons contrefaire,
Que tant de chantres plus qu'humains
Ont à qui mieux mieux fait rebruire
Dessus une plus douce lyre
Que celle des sonneurs Thebains?

Qui oseroit suivre les traces
Du grand Brisson, en qui les Cieux
Ont respandu toutes leurs graces
Jusqu'à rendre jaloux les Dieux?
Et toy, belle et docte pucelle
Qui estonnes tout l'univers,
Qui oseroit suivre les vers
Que nous trace ta main si belle?

Oserois-je suivre les pas
D'un Pasquier, honneur de la France?
Oserois-je d'un stile bas
Imiter la grave cadance
Des doctes chansons de Chopin,
De Loysel, honneur de nostre âge,
Qui a les Muses en partage,
Et du Sainte Marthe divin?

O Puce, que tu es heureuse
Si tu pouvais sentir ton heur!
Que tu dois estre glorieuse
D'avoir L'escale pour sonneur,
Et mon Binet, ausquels la Muse
A donné ses riches presens,
Qui vaincront l'envie et les ans,
Et le temps qui toute chose use.

Je ne suis pas si glorieux
Ni outre cuidé, que je tente
Imiter les vers doucereux
Que Mangot si doctement chante.
Je laisse à un meilleur que moy,
Comme à ce gentil Lacoudraye,
Dire d'une chanson plus gaye
L'heur de ta maistresse et de toy.

Et moy cependant en silence
J'ecouteray les doux accors
Que ces doctes maistres de France
Chantent pour un si petit corps:
Puis que mes chansons ne sont dignes
De mesler leurs sons discordans
Parmy les tons si accordans
De ces belles gorges divines.


LE MESME A LA MESME.
(Traduit de l'italien et de l'espagnol.)

J'ay cent fois contemplé les beaux yeux amoureux
De celle qu'on jugeoit en France la plus belle,
J'ai veu les bors pourprez de sa levre jumelle,
Qui eust de son baiser mesme tenté les Dieux.

J'ay veu mille beautez dont l'appas doucereux
Eut peu ensorceler l'ame la plus rebelle,
Mais jamais je n'en vi qui fut égale à celle
Qui rend de ses vertus Poictiers si orgueilleux.

J'ay ouy les propos d'une Dame sçavante,
J'ay gousté les accors d'une voix qui enchante,
Mais jamais je n'ouy rien qui peust approcher

Des discours excellens et de la voix mignarde
De Des Roches, qui peut transformer en rocher
Celui la qui l'escoute ou bien qui la regarde.


RESPONSE AU SONNET PRECEDENT
FAITE SUR LE CHAMP.

Comme la lumiere brillante
Du soleil, ornement des Cieux,
Nous rend toute couleur plaisante,
Eclairant promptement nos yeux,

Si bien que cette splendeur vive,
Penetrant doucement un œil,
Fait que l'objet qui luy arrive
Luy resemble un autre Soleil,

Ainsi vostre ame sage et belle,
Ayant tourné long temps vers soy
Pour voir sa beauté immortelle,
La pense voir encore en moy.

Mais des graces et vertus rares
Qui vous font admirer de tous,
Les dieux m'en ont esté avares
Pour les prodiguer dedans vous.
C. Des Roches.

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