La Puce de Mme Desroches
LA PUCE DE RAOUL CAILLER.
POITEVIN.
Bien que plusieurs doctes espris
T'ayent vanté en leurs escris,
Loüans ta vie tant heureuse,
On n'a point encor toutesfois
Chanté comme tu meritois
Ce qui te rend plus merveilleuse.
Puce, je te veux donc chanter,
Puce, je te veux donc vanter,
Si je puis, selon ton merite;
Puis te donray, t'ayant chanté,
A celle qui a merité
Une loüange non petite.
Mais, Puce, pour te bien vanter,
Mais, Puce, pour te bien chanter,
Il faut entendre ta naissance:
C'est la corde qu'il faut sonner
Auparavant que d'entonner
Tes mignardises on commence.
Ceux là qui te veulent blasmer,
Ceux qui te veulent diffamer,
Reprochent que tu prens naissance
D'un puant et sale sujet,
Et que tel est souvent l'effect
Que la cause qui le devance.
Mais ce n'est parler contre toy,
C'est reprendre l'ordre et la loy
Et le reglement de ce monde:
Tout ce qui prend commencement
S'engendre par corrompement,
En l'air, en la terre et en l'onde.
Si tousjours demeuroient entiers
Du monde les corps semanciers,
Tout cherroit en un piteux estre:
Mais de leur putrefaction
Ressort la generation
De toutes choses qu'on fait naistre.
Dieu veut que d'un corps le tombeau
D'un autre corps soit le berceau.
Telle est ça bas sa pourvoyance:
Ces loix à nature il donna,
Quand de ses doits il ordonna
Les Cieux et leur nombreus dance.
Aussi tout ce grand univers,
Ce beau bastiment tant divers,
Est sorti du goufreux desordre
Du chaos en soy mutiné,
Et dedans le rien d'un rien né,
Sans pois, sans mesure et sans ordre.
Le petit monde, qui comprend
Toutes les parties du grand,
De qui prend-il son origine?
D'un excrement surabondant
Petit à petit s'amassant,
Semblable à l'escume marine.
Il ne te faut doncques blâmer,
Il ne faut pas te diffamer,
Ores que tu sois engendrée
De quelques sales excremens:
Petis sont les commencemens
De l'œuvre bien elabourée.
Mais plustost loüer je te veux,
Et l'on devroit estre envieux
De ta naissance si soudaine,
Veu que les autres animaux,
Presageant leurs futurs travaux,
Naissent avecques si grand peine.
De peur que par un mouvement
En un si long retardement
Leur matiere soit difformée,
Dans le ventre d'un vaisseau neuf
Ou dans la coquille d'un œuf
Elle a besoin d'estre enfermée.
Toy, te hastant de veoir le jour,
Tu ne veux faire long sejour
Dedans ta bourbeuse matiere:
Aussi t'est aisément acquis,
Puce, tout ce qui est requis
A te faire veoir la lumiere.
Sans plus, du Soleil la chaleur
Et de la terre la moiteur
Sont requises à ta naissance,
Aussi la nature se plaist
A ramener sans autre apprest
En effect soudain ta puissance.
Pour ton espece conserver,
Tu n'as la peine de couver
Mille petits œufs sous ton ventre:
Et si n'es sujette à la loy
Des autres bestes, car en toy
La semence du masle n'entre.
Comme sans l'aide de Cypris
Ton premier estre tu as pris,
Tu te peux bien passer encore
(Sans faire hommage à cet enfant
Qui des hommes va triomfant)
De celle qu'en Paphe on adore.
Heureuse puis que le flambeau
Qui brule mesme dedans l'eau
N'attrape ta petite masse;
Puis que le froid, qui sans repos
Nous va penetrant jusqu'aux os,
Ta chair tendrelette ne glace.
Il est bien vray qu'un autre yver,
Qu'une grande froideur de l'air,
Esteint la chaleur qui t'avie;
Mais ce n'est à toy seulement
Que la froideur d'un element
Si penetrant ravit la vie.
Le chaud de nature est amy,
Mais le froid est son ennemy,
Contraire à toute bonne chose,
Aux herbes ostant la vigueur,
Aux bois ravissant leur honneur,
Et reserrant la fleur esclose.
O Puce, qu'heureuse tu es
De naistre ainsi comme tu nais!
Mais encor es tu plus heureuse
De vivre ainsi comme tu vis,
Sucçant le sang dont tu nourris
Ta petite ame vigoureuse.
T'accrochant sur un marbre blanc,
Tu en fais decouler le sang
Dont tes levres sont enyvrées,
Ou bien tu baises quand tu veux
La bouche, le nez et les yeux
Des pucelettes empourprées.
Tu mors et remors le beau sein,
Les blanches mains et le tetin
De la pucelle qui s'amuse
A filer, coudre ou s'attifer;
Et quand sa main te veut gripper
Soudain tu descouvres sa ruse.
Ja desja preste à t'escacher,
Elle te roule sur sa chair,
Mais si bien tu sçais te deffendre,
Que d'un tremoussement divers
Dans sa chemise tu te perds,
Où tu n'es pas facile à prendre.
SONET DU MESME A MAD. DES ROCHES.
Si d'un vers mal-coulant j'ose ennuyer vos yeux
Et vous faire present de chose si petite,
Je prie que vostre œil contre moy ne s'irrite,
Et supplie vos doits de m'estre gracieux.
Madame, un jour viendra que ma main sçaura mieux
Coucher sur le papier la loüange non dite,
Que vostre noble esprit sur tout autre merite,
Quand m'auront esclairé vos Soleils gracieux.
Ou si j'ay merité vous sentir rigoureuse,
Embrazez ce papier d'une œillade flammeuse,
Vos yeux seront vangeurs du tort qu'on leur a fait.
Mais ce n'est au papier que vous vous devez prendre:
Punissez moy d'avoir osé tant entreprendre,
Pardonnant au papier qui ne vous a forfait.