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La séparation des Églises et de l'État: Rapport fait au nom de la Commission de la Chambre des; Députés, suivi des pièces annexes

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IV
LÉGISLATIONS ÉTRANGÈRES

Au moment où vous vous apprêtez à régler d’après une conception nouvelle la situation juridique des Eglises en France, il est assurément indispensable d’examiner quel est le régime légal adopté dans les autres pays. Pour décrire d’une manière complète les institutions politico-ecclésiastiques des nations étrangères, les rapports de droit et de fait entre les diverses Eglises et les divers Etats de l’Europe ou du Nouveau-Monde, il faudrait de longues pages. Nous devons ici nous borner à des notions succinctes. Aussi bien une vue d’ensemble sur la législation étrangère suffira-t-elle pour faire comprendre la continuité de cette évolution, qui, par des degrés successifs, conduit les nations de l’antique régime théocratique à celui de la complète laïcité.

Plusieurs pays d’Europe en sont encore à la première phase, théocratique ou quasi-théocratique, dans laquelle l’Etat est, sinon subordonné à l’Eglise, du moins étroitement uni à elle, reconnaît la prédominance d’une religion sur toutes les autres et n’admet que des institutions sociales conformes aux principes de cette religion. D’autres, de beaucoup les plus nombreux en Europe, ont atteint le second stade, celui de la demi-laïcité; ils proclament et appliquent plus ou moins complètement les principes de la liberté de conscience et de la liberté des cultes, mais considèrent, néanmoins, certaines religions déterminées comme des institutions publiques qu’ils reconnaissent, protègent et subventionnent.

Enfin, dans quelques pays d’Europe et surtout dans plusieurs grandes Républiques américaines, apparaît le troisième terme de l’évolution. L’Etat est alors réellement neutre et laïque; l’égalité et l’indépendance des cultes sont reconnues; les Eglises sont séparées de l’Etat. C’est surtout la législation des pays parvenus à cette troisième période qu’il convient d’étudier ici avec quelques détails.

L’Espagne est au nombre des rares pays d’Europe où les rapports entre l’Eglise catholique et l’Etat sont encore réglés par des actes bilatéraux, par des accords conclus avec le chef de l’Eglise, des Concordats. Le régime concordataire tend, en effet, à disparaître de plus en plus. Le Concordat conclu en 1827 avec le royaume des Pays-Bas a été virtuellement abrogé ou dénoncé en Belgique par la Constitution de 1831, le Concordat conclu avec l’Autriche-Hongrie, en 1855, avait été dénoncé par le Gouvernement autrichien, en 1870, au lendemain de la promulgation du dogme de l’infaillibilité; il a été abrogé définitivement par la loi autrichienne du 7 mai 1874. Celui qui était intervenu avec le grand duché de Bade avait été dénoncé en 1850. La création du royaume d’Italie et la loi des garanties du 13 mai 1871, ont mis à néant les divers Concordats conclus par le Saint-Siège avec les divers Etats italiens, antérieurement à l’unification de la péninsule. Le Concordat qui a le plus récemment disparu est celui de la République de l’Equateur avec le Saint-Siège, qui datait de 1862. Une loi du 12 octobre 1904 l’a abrogé en tant que loi de la République, sans aucune dénonciation préalable.

On affirmait dans une discussion parlementaire récente, que toute législation destinée à régler dans notre pays la situation de l’Eglise catholique sur d’autres bases que celles adoptées en 1801 devait, pour être acceptable aux yeux des catholiques, n’être édictée qu’après entente, après «conversation» avec le représentant suprême de l’Eglise. Peut-être est-il bon de faire une remarque à ce propos. Il y a, sans doute, en Espagne, en Portugal, en Bavière, dans certains cantons suisses et au Monténégro, environ 28 millions de catholiques que régissent des dispositions légales conformes à des Concordats écrits ou à des ententes verbales intervenus avec le Saint-Siège; en revanche, il y a en Italie 31 millions de catholiques, 20 millions en Autriche, 9 millions en Hongrie, 12 millions en Prusse, 6 millions en Belgique, 5 millions et demi dans le royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande, etc., pratiquant librement leur culte conformément à leurs législations nationales, lesquelles ont été promulguées sans aucune entente, sans aucune convention préalable avec la curie romaine. De même, dans le Nouveau-Monde, les législations d’un caractère concordataire ne s’appliquent qu’à un nombre de catholiques beaucoup moins grand que celui de leurs coreligionnaires vivant au Canada, aux Etats-Unis, au Mexique, à Cuba, au Brésil, sous le régime de la séparation.

En Espagne, au contraire, le Concordat de 1851 est toujours en vigueur; il a même été complété récemment par un nouveau Concordat relatif aux congrégations. D’autre part, l’Espagne et le Portugal sont les seuls pays d’Europe où la religion catholique soit encore reconnue effectivement comme religion d’Etat, au sens ancien de l’expression, comme «religion dominante». Malgré cette union intime entre l’Eglise et l’Etat, vestige de l’antique subordination de l’Etat à l’Eglise, les principes de la société moderne ont dû être proclamés dans les textes constitutionnels des deux royaumes de la péninsule ibérique. L’article 11 de la Constitution espagnole porte que nul ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses ni pour l’exercice de son culte sauf le respect dû à la morale chrétienne; en revanche, il prohibe toutes les manifestations et cérémonies publiques d’une religion autre que celle de l’Etat. En Portugal, l’article 145 § 4 de la Constitution proclame le principe de la liberté de conscience; mais les cultes autres que la religion d’Etat ne peuvent être exercés que dans des édifices n’ayant pas la forme extérieure des temples. Dans les deux pays la religion catholique est, bien entendu, largement dotée par le budget.

La législation politico-ecclésiastique de ces pays présente trop peu d’analogie avec celle qu’il peut être question d’établir dans un Etat laïque pour qu’il soit nécessaire d’en faire ici un examen approfondi. La même observation doit être faite en ce qui concerne ceux des pays d’Europe qui, bien qu’ayant proclamé et appliqué les principes modernes de la liberté de conscience et du libre exercice des divers cultes reconnaissent des Eglises nationales officielles, considèrent un ou plusieurs cultes comme des institutions d’Etat, subventionnées et réglementées par l’Etat.

Le nombre de ces pays est encore considérable. Ce sont d’abord tous les pays de l’Europe orientale: la Russie, où l’Eglise orthodoxe, placée sous l’autorité suprême du Saint-Synode et du tsar, a tous les caractères d’une grande institution d’Etat; la Grèce, où la religion orthodoxe est essentiellement nationale, et qui est le foyer d’une propagande à la fois religieuse et politique en faveur de l’hellénisme. Ce sont la Roumanie, la Bulgarie et la Serbie, avec leurs églises également rattachées au rite grec orthodoxe, mais nationales et autocéphales, indépendantes de tout pouvoir religieux étranger et, en même temps, reconnues, organisées, dotées par l’Etat.

Dans les pays scandinaves la religion luthérienne est religion de l’Etat. En Norvège, beaucoup de fonctions publiques ne sont accessibles qu’à ceux qui professent la religion luthérienne. En Suède le libre exercice des cultes «étrangers» n’a été garanti qu’à une date relativement récente.

En Prusse, enfin, dans les autres Etats allemands, et en Autriche, il n’y a pas une religion «dominante», une religion d’Etat exclusive de toute autre; mais plusieurs religions ont un caractère officiel tout à fait semblable à celui des cultes reconnus de notre législation actuelle.

Depuis la Révolution de 1848, l’organisation des Eglises protestantes (évangéliques) de la Prusse et d’autres Etats allemands a été profondément modifiée; de monarchique, elle est devenue élective et synodale et une indépendance presque complète a été reconnue à l’Eglise pour l’administration de ses biens. Pourtant l’Eglise évangélique de Prusse, pas plus que celle d’autres Etats allemands, n’est une Eglise libre et séparée de l’Etat. Le souverain temporel est en même temps le chef de l’Eglise, le «summus episcopus»; l’organisation intérieure de l’Eglise est réglée par ordonnances du roi en sa qualité de chef de l’Eglise; les rapports de l’Eglise et de l’Etat sont réglés par le Landtag. Les traitements et pensions du clergé protestant sont fixés et payés par l’Etat. Les rapports de la Prusse avec l’Eglise catholique ne sont guère moins étroits. Celle-ci est aussi une Eglise officielle dotée par l’Etat. Même au temps de la lutte âpre qui fut engagée par le prince de Bismarck contre le Vatican, il ne fut jamais question d’une séparation entre l’Eglise et l’Etat, mais au contraire d’une réglementation plus étroite de l’Eglise par l’Etat.

Ces temps sont d’ailleurs bien oubliés aujourd’hui; presque toutes les dispositions des fameuses «lois de mai» ont été abrogées; les traitements du clergé catholique, dont le montant avait été mis sous séquestre, et qui formait un total de plus de 16 millions, ont été restitués au clergé par la loi du 24 juin 1891. Les traitements des membres du clergé catholique et du clergé protestant ont été augmentés par deux lois du 2 juillet 1898.

Dans tous les Etats allemands, les cultes catholique et protestant sont, comme en Prusse, largement dotés par l’Etat; en outre, des taxes spéciales sont perçues dans certains Etats sur les fidèles pour subvenir aux frais de chaque culte.

En Autriche, les rapports entre l’Eglise catholique et l’Etat sont réglés par la loi du 7 mai 1874 dont l’article premier abroge la patente du 5 novembre 1855 portant promulgation du Concordat du 18 août précédent. La loi du 20 mai 1874 est relative aux communautés religieuses, autres que l’Eglise catholique et qui sont reconnues par l’Etat. En fait, sinon en droit strict, l’Eglise catholique est véritablement une religion officielle.

Les hauts dignitaires de l’Eglise jouissent des revenus immenses de leurs bénéfices ecclésiastiques et sont au nombre des plus riches propriétaires fonciers de l’Europe. Les autres membres du clergé sont rétribués au moyen des revenus des propriétés des cures, du «Fonds de religion» (Religionsfond) provenant de la confiscation des biens des congrégations, ordonnée par Joseph II, et enfin, en cas d’insuffisance de ces ressources, au moyen d’une dotation de l’Etat.

Une loi du 19 avril 1885 a fixé le montant des traitements et pensions du clergé catholique. Les autres communautés religieuses reconnues par l’Etat couvrent les frais du culte au moyen de taxes spéciales perçues dans les mêmes formes que les impôts publics.

La Hongrie a fait dans la voie de la laïcisation un pas considérable au cours des quinze dernières années. Les lois du 9 décembre 1894 sur le mariage, la religion des enfants (en cas de mariage mixte) et les actes de l’état civil ont définitivement sécularisé l’état civil. La loi du 26 novembre 1895 organise le régime des cultes. L’article premier de cette loi proclame la liberté de conscience et la liberté des cultes, et l’article 5 reconnaît à toute personne le droit de sortir d’une communion religieuse.

Tous les cultes reçus ou légalement reconnus constituent des communions ou associations religieuses des «corps religieux publics» placés sous la protection et le contrôle de l’Etat. Or, ces cultes reconnus étaient fort nombreux à la date de la promulgation de la loi (cultes catholique romain, catholique grec, protestant de la Confession d’Augsbourg, réformé, grec ou uni, unitaire, israélite, etc.); et tous les autres cultes peuvent être reconnus moyennant production de leurs statuts et s’ils remplissent certaines conditions limitativement énumérées par la loi.

Les communions religieuses peuvent s’administrer librement, prélever des taxes sur les fidèles, recueillir des fonds, mais elles ne peuvent posséder d’autres immeubles que ceux servant à l’exercice du culte, au logement des ministres, à des œuvres scolaires et charitables et des cimetières. Les pasteurs et administrateurs de paroisse sont choisis sans aucune intervention de l’autorité, mais doivent être de nationalité hongroise. Le ministre compétent a le droit d’exercer une haute surveillance sur les biens des communions religieuses et sur les fondations dont elles sont en possession; il doit veiller à ce que ces biens soient réellement affectés aux buts (religieux, scolaire, charitable) qui sont autorisés par la loi.

Cette législation établit, on le voit, une parfaite égalité entre les divers cultes; elle ne laisse subsister que des liens très lâches entre l’Etat et l’Eglise; il n’y est pas fait mention d’allocations fournies par l’Etat.

Sans doute le budget des cultes est incorporé dans le budget général de l’Etat qui se charge du payement des dépenses afférentes aux divers cultes; mais ces dépenses sont couvertes par le montant des taxes d’église perçues spécialement sur les fidèles de chaque culte. En sorte que les ressources générales du budget ne sont point affectées aux cultes et que les citoyens «sans confession» ne participent aux frais d’aucun culte. Une semblable législation présente, avec un régime légal de séparation, de grandes analogies. Toutefois l’Eglise catholique demeure en Hongrie une religion officielle: elle est celle de la couronne, sinon de la majorité de la population (sur 19 millions 254.000 habitants il n’y a que 9.919.000 catholiques romains). Les hauts dignitaires de cette Eglise touchent comme les membres du haut clergé autrichien, les revenus d’un patrimoine foncier très considérable, accumulé depuis de longs siècles et à l’égard duquel n’est intervenue jusqu’à présent aucune loi de sécularisation.

Il y a deux pays voisins du nôtre où les idées de laïcité et de neutralité de l’Etat ont fait, au siècle dernier, des progrès bien plus sensibles que dans la plupart des Etats de l’Europe centrale et orientale, mais où l’on aurait tort néanmoins de vouloir chercher des exemples d’une séparation véritable entre l’Eglise et l’Etat: ces deux pays sont l’Italie et la Belgique.

Italie.—C’est, on le sait, le grand ministre italien Cavour qui a repris et rendu célèbre la formule de Montalembert: l’Eglise libre dans l’Etat libre. On a dit parfois que dans sa pensée cette formule visait presque exclusivement les rapports de la dynastie de Savoie avec le Pape résidant dans la capitale du royaume italien. En réalité, Cavour et les hommes politiques qui collaborèrent à son œuvre, tels que Minghetti auteur d’un ouvrage célèbre sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat[11], entendaient appliquer la même formule aux rapports de l’Etat avec le clergé séculier tout entier et l’ensemble des catholiques. Mais leur idéal n’a point encore été réalisé. La législation italienne ne présente que l’ébauche d’une séparation.

L’Eglise ne possède point une complète indépendance; l’Etat est bien loin d’avoir rompu tout lien avec elle. L’article 1er du Statuto (Constitution) du royaume sarde, promulgué en 1848, déclarait que «la religion catholique apostolique et romaine est la seule religion de l’Etat» et que «les autres cultes existants sont tolérés conformément aux lois»; et cet article est encore l’un des textes constitutionnels du royaume d’Italie. Assurément il a cessé depuis longtemps d’être appliqué à la lettre. Les principes de l’égalité et de la liberté des cultes et de la liberté de conscience sont hautement reconnus en Italie; les questions religieuses ne jouent aucun rôle en ce qui touche l’aptitude aux fonctions et emplois publics; les principaux services publics (état civil, instruction, assistance) ont un caractère laïque. Pourtant l’ancienne disposition du Statuto n’est point tout à fait oubliée; le parti clérical l’invoque dans les polémiques présentes relatives à l’obligation de l’enseignement religieux dans les écoles primaires (voir le Courrier Européen du 27 janvier 1905).

Le clergé séculier jouit d’une très grande liberté; toute restriction à l’exercice du droit de réunion des membres du clergé catholique a été abolie par l’article 14 de la loi du 13 mai 1871 (loi des garanties) dont le titre Ier est consacré aux prérogatives du Saint-Siège et le titre II aux rapports de l’Etat avec l’Eglise. Le libre exercice du culte est donc garanti aux catholiques. Il l’est d’ailleurs aussi aux non catholiques, (protestants, israélites). Le Code pénal édicté, en 1889, punit par des dispositions spéciales (articles 140, 141), la répression de tout trouble apporté à l’exercice du culte, de tout outrage envers l’un des cultes admis par l’Etat: l’article 142 punit quiconque, par mépris de l’un des cultes admis par l’Etat, détruit, dégrade ou profane dans un lieu public des objets destinés au culte ou bien use de violence contre un ministre du culte; enfin l’article 143 punit toute détérioration de monuments, peintures, statues, etc., placés dans un lieu destiné au culte. La contre-partie de ces dispositions se trouve dans les articles 182 et 183 du même Code qui répriment les délits commis par les ministres des cultes dans l’exercice de leurs fonctions (blâme ou censure publique des institutions ou des lois de l’Etat, excitation au mépris des institutions, à l’inobservation des lois, des prescriptions de l’autorité ou des devoirs inhérents à une fonction publique, etc.); l’article 184 prévoit, en outre que, pour tout délit autre que ceux spécifiés aux articles précédents la peine est augmentée d’un sixième à un tiers, si c’est un ministre du culte qui, en se prévalant de sa qualité, a commis le délit. Dans la pensée des hommes d’Etat italiens qui, continuant l’œuvre de Cavour, ont achevé l’unification de l’Italie en donnant au nouveau royaume une législation pénale uniforme, la formule «l’Eglise libre dans l’Etat libre» n’excluait pas, on le voit, des dispositions très précises concernant la police des cultes.

L’organisation intérieure de l’Eglise est en partie indépendante de l’action de l’Etat. Les évêques sont dispensés de toute prestation de serment. Le roi n’a ni le droit de nommer, ni celui de proposer les titulaires des bénéfices ecclésiastiques, sauf en ce qui touche la collation de certains bénéfices dits «de patronat royal» (et c’est là, à vrai dire, une exception importante). Les titulaires de bénéfices ecclésiastiques doivent dans toute l’Italie, sauf à Rome, être de nationalité italienne. Le pouvoir civil se refuse à prêter l’appui du bras séculier pour l’exécution des actes des autorités ecclésiastiques, en matière spirituelle et disciplinaire; ces actes ne produisent d’autres effets juridiques que ceux qui sont reconnus par les tribunaux civils. En revanche, la publication des actes des autorités ecclésiastiques en matière spirituelle est dispensée de toute autorisation administrative. En tant que puissance spirituelle, l’Eglise catholique se trouve ainsi réellement séparée de l’Etat. C’est en ce qui touche l’administration du temporel des cultes que les rapports subsistent. Au budget italien ne figurent sans doute ni les traitements, ni les pensions des membres du clergé. Mais c’est une administration de l’Etat, celle du Fonds pour le culte (Fondo per il culto), qui pourvoit au payement de ces traitements et pensions dont le taux est fixé par des lois et des décrets royaux (une loi du 4 juin 1899 a augmenté le traitement des curés). Le Fonds pour le culte a été constitué en 1866, au début de la grande sécularisation des biens ecclésiastiques (le produit des deux tiers du patrimoine ecclésiastique sécularisé a été affecté à ce Fonds). L’administration du Fondo per il culto n’est pas la seule qui soit chargée des affaires ecclésiastiques. Il existe en outre une administration du patrimoine ecclésiastique de laquelle dépendent les économats et subéconomats des bénéfices vacants. La gestion des biens temporels affectés au culte est, en effet, en cas de vacance du siège, conservée par l’autorité civile; de même que tous les actes des autorités ecclésiastiques (pape et évêques) concernant le temporel des cultes (collation des bénéfices ecclésiastiques, administration des biens ecclésiastiques), sont soumis à l’approbation gouvernementale ou préfectorale (exequatur royal et placet royal).

Ce qui achève de donner à l’Eglise catholique le caractère d’une institution publique, sinon d’une institution d’Etat, c’est que les fabriques des églises paroissiales et cathédrales, les sanctuaires, oratoires, etc., ont échappé à la suppression générale des corporations et institutions religieuses effectuées dans la seconde moitié du XIXe siècle; il subsiste ainsi un nombre considérable d’établissements doués de la personnalité juridique, pouvant recevoir des dons et legs, bref tout à fait semblables aux établissements publics préposés aux cultes qu’a institués notre droit concordataire. La législation de l’époque napoléonienne est d’ailleurs encore en vigueur dans une partie de l’Italie, et les règles relatives à l’acquisition et à l’aliénation des biens des établissements du culte sont, dans le Code civil italien, les mêmes que dans notre Code civil.

La législation concernant les rapports de l’Eglise et de l’Etat en Belgique, serait, si l’on s’en rapportait aux déclarations faites tant par les catholiques que par les libéraux lors de l’élaboration de la Constitution belge, en 1830, inspirée par le principe de la séparation; mais ici, plus encore qu’en Italie, il s’agit bien plutôt de l’indépendance de l’Eglise, considérée comme pouvoir spirituel, à l’égard de l’Etat, que d’une séparation réelle et complète; comme institution temporelle l’Eglise est subventionnée et réglementée par l’Etat.

La Constitution, après avoir proclamé et garanti la liberté de conscience, la liberté des cultes et de leur exercice public (art. 14 et 15), déclare que l’Etat n’a pas le droit d’intervenir dans la nomination ni dans l’installation des ministres d’un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes. Mais l’article 117 de cette même Constitution met à la charge de l’Etat les traitements des ministres des cultes. Le budget des cultes a constamment augmenté, surtout dans les vingt dernières années, pendant lesquelles le parti clérical a été au pouvoir. Il s’élève, si l’on tient compte des allocations des provinces pour l’entretien des cathédrales et des séminaires, et de celles des communes pour les dépenses du culte paroissial en cas d’insuffisance des revenus des fabriques, à plus de huit millions et demi. Une loi du 24 avril 1900 a réglementé à nouveau les pensions et les traitements ecclésiastiques. Les traitements fixés par cette loi sont très supérieurs à ceux du clergé catholique en France. Le logement du ministre du culte est à la charge des communes.

Cet appui financier n’est pas le seul privilège dont jouisse l’Eglise. Tandis que les associations d’un caractère laïque, qui peuvent se constituer librement et sans aucune déclaration ni autre mesure préalable (art. 20 de la Constitution) ne possèdent aucune capacité juridique, n’ont point la personnalité ou la «personnification civile», comme on dit en Belgique, il en est tout autrement en ce qui concerne les Eglises. La législation datant de l’époque où la Belgique faisait partie de l’Empire français est considérée comme toujours en vigueur: les fabriques d’Eglise continuent à être régies par le décret du 30 décembre 1809 et sont de véritables établissements publics préposés aux cultes qui acquièrent et accumulent des biens de mainmorte dans les mêmes conditions qu’en France sous le régime concordataire.

Une loi du 4 mars 1870 a réglé le mode de gestion des biens paroissiaux et la comptabilité des conseils de fabrique. Les autres cultes reconnus (protestant, israélite et anglican) dont les fidèles sont d’ailleurs très peu nombreux jouissent aussi du bénéfice de la personnalité civile et sont soumis à une réglementation analogue à celle prévue pour le culte catholique.

Bref, on peut dire avec le grand jurisconsulte belge Laurent (l’Eglise et l’Etat depuis la Révolution): «le système belge ne consacre pas la vraie séparation de l’Eglise et de l’Etat: l’Etat a des obligations sans avoir aucun droit tandis que l’Eglise a des droits sans avoir aucune obligation».

Il convient de noter qu’en Belgique, comme en Italie, la liberté de l’exercice des cultes est garantie d’une part et d’autre part limitée par des dispositions pénales: l’article 267 du Code pénal belge punit le ministre des cultes qui, hors les cas formellement exceptés par la loi, procède à la bénédiction nuptiale avant la célébration du mariage civil; l’article 267 punit celui qui, dans l’exercice de son ministère, et en assemblée publique, attaque le gouvernement, une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique. Les articles 142 et 146 reproduisent presque textuellement les articles 260 à 264 de notre Code de 1810 qui répriment les atteintes au libre exercice des cultes.

La législation ecclésiastique des Pays-Bas ne diffère guère de celle de la Belgique. La Constitution proclame la liberté des opinions religieuses et déclare qu’une protection égale est accordée à toutes les communions religieuses. Mais il y a trois religions privilégiées, subventionnées par l’Etat: ce sont les cultes catholique, protestant et israélite.

Dans les deux pays d’Europe dont il nous reste à parler, on rencontre, à côté des Eglises officielles, des Eglises libres et séparées de l’Etat: et, particularité intéressante, l’Eglise catholique est au nombre de ces Eglises libres.

Les deux pays dont il s’agit sont: la Grande-Bretagne et la Suisse.

Grande-Bretagne et Irlande.—Il y a, dans le Royaume-Uni, deux Eglises officielles, «établies»: ce sont l’Eglise anglicane (Church of England) en Angleterre, et l’Eglise presbytérienne en Ecosse. Le souverain en est le chef suprême. On sait que la hiérarchie ainsi que les dogmes et les rites de l’Eglise anglicane diffèrent assez peu de ceux du catholicisme romain, tandis que l’Eglise établie d’Ecosse est organisée d’après le système électif généralement adopté par les sectes protestantes. Ces Eglises officielles sont spécialement protégées par l’Etat, mais non pas subventionnées par lui. Il n’y a point de budget des cultes. Les revenus de la dotation immobilière attachée depuis de longs siècles aux divers titres ecclésiastiques (archevêchés, évêchés, chapitres et cures), le produit des dîmes, les contributions des fidèles constituent les ressources de l’Eglise anglicane. Mais on ne peut s’attarder ici à l’étude de ces églises établies. Il est plus utile d’examiner la condition juridique des Eglises séparées et libres et aussi de rappeler dans quelles conditions a été opérée, il y a trente-six ans une véritable séparation d’une Eglise et de l’Etat, à savoir le Disestablishment de l’Eglise protestante d’Irlande.

I.—Il y a dans le Royaume-Uni beaucoup d’Eglises protestantes qui ne sont rattachées par aucun lien à l’Etat et n’ont jamais été «établies». On range leurs fidèles sous les dénominations génériques de dissenters (dissidents) et non conformistes. Dans le pays de Galles, les six septièmes de la population (qui est d’environ 1.574.000 habitants) se rattachent à des sectes non-conformistes (méthodiste, congrégationaliste, wesleyenne, baptiste, etc.). En Ecosse, les fidèles des Eglises indépendantes de l’Etat sont beaucoup plus nombreux que ceux de l’Eglise presbytérienne établie. Enfin l’Eglise catholique romaine compte environ 5.750.000 fidèles, dont 3.308.000 en Irlande. Pendant de longs siècles, non-conformistes et catholiques furent soumis à un régime d’exception; l’exercice de leurs cultes était à peine toléré et ils étaient privés en partie de leurs droits civils et de tous droits politiques. Il ne reste aujourd’hui que des vestiges de cette législation draconienne, issue des guerres religieuses du seizième et du dix-septième siècles. Des lois de 1791 et de 1829 ont accordé aux catholiques presque tous les droits civils et politiques. Seules quelques hautes fonctions de l’Etat demeurent interdites aux dissidents et aux catholiques romains; encore la question est-elle controversée. L’exercice du culte dans les églises et temples est libre pour toutes les sectes dissidentes, mais cet exercice doit être public. Depuis 1832 aucun «enregistrement», aucune déclaration n’est plus obligatoire pour l’ouverture d’un lieu de culte. Mais quand les temples sont déclarés, ces édifices sont exemptés d’impôts, et les ministres qui sont attachés à ces temples jouissent de certains privilèges analogues à ceux qui appartiennent aux ministres de l’Eglise anglicane (exemption du jury, du service dans la milice, etc.). Une ancienne loi exempte du péage sur les chemins à péage tout ministre d’un culte et tout fidèle qui se rend les dimanches et jours de fêtes religieuses de son domicile au lieu de culte ou qui en revient. Enfin l’article 26 de la loi du 6 août 1861 (Ann. 24-25 Victoria, chap. 100), qui est applicable à tous les ministres des cultes sans distinction, punit de deux ans de prison avec ou sans travaux forcés (hard labour) ceux qui troublent ou menacent un ecclésiastique dans l’exercice de ses fonctions, soit au cours d’une cérémonie du culte, soit pendant un convoi funèbre, et ceux qui commettent des violences à l’égard d’un ecclésiastique dans les mêmes circonstances. La police des cultes existe donc plutôt pour protéger la liberté des cultes que pour la limiter. Rien n’est plus fréquent en Angleterre, on le sait, que des prédications, ou réunions d’un caractère religieux, en plein air, et sur la voie publique. Les ministres des divers cultes jouissent d’une entière liberté de parole, interviennent dans les affaires politiques, on en a vu, pendant la guerre du Transvaal, apprécier en chaire, dans les termes les plus sévères, les actes du gouvernement. La multiplicité des sectes, la faiblesse numérique relative de chacune d’elles servent de contre-poids, en quelque sorte, à cette liberté de parole presque illimitée accordée aux ecclésiastiques. L’Eglise catholique bénéficie comme les sectes protestantes de ce régime très bienveillant. Elle est toutefois soumise à quelques restrictions particulières; on n’a point abrogé la disposition de la loi de 1829 qui interdit aux prêtres catholiques, sous peine de 1.250 francs d’amende, d’exercer leur culte ou de porter des habits sacerdotaux ailleurs que dans les lieux réservés à cet exercice (ce qui équivaut à l’interdiction des processions).

L’organisation de l’Eglise catholique et des Eglises protestantes non établies est, dans le Royaume-Uni, celle d’associations libres vivant chacune suivant ses propres règles. L’autorité gouvernementale n’intervient pas dans le fonctionnement de ces associations. Les difficultés qui peuvent s’élever à ce sujet sont du ressort des tribunaux. Un schisme s’est produit récemment au sein de l’Eglise presbytérienne libre d’Ecosse: la majorité des fidèles et des pasteurs a décidé de s’unir à l’Eglise presbytérienne unie, autre faction du presbytérianisme qui est également indépendante de l’Etat; (la seule Eglise unie à l’Etat est l’Eglise presbytérienne «établie»). A la suite de ce schisme, le patrimoine très considérable qui provenait de fondations pieuses et charitables a naturellement fait l’objet de revendications contradictoires. Le litige a été porté devant la Cour d’Edimbourg et en appel devant la Chambre des Lords; et cette haute juridiction a attribué la totalité du patrimoine à la minorité composée de quelques pasteurs et d’un petit nombre de fidèles. Ce n’est pas la première fois, loin de là, que de semblables procès, où des questions d’ordre religieux et même dogmatique doivent être examinées, sont soumis aux tribunaux anglais.

L’Eglise catholique a constitué en Angleterre l’organisation hiérarchique qui lui est particulière. Sans doute, ses évêchés et ses paroisses ne sont pas érigés en personnes morales, en corporations; mais elle participe indirectement à tous les avantages de la personnalité civile. La législation anglaise du moyen âge réprimait très sévèrement les abus de la mainmorte; mais elle a, pour ainsi dire, disparu, grâce à l’institution du fidéicommis, et spécialement du fidéicommis charitable (charitable trust) qui permet d’affecter à perpétuité à l’un des buts autorisés par la loi une libéralité déterminée. Depuis la loi de 1601 promulguée sous le règne d’Elisabeth jusqu’à celles de 1888 à 1891, le nombre des charitable trusts admis par les législateurs s’est beaucoup accru: on reconnaît notamment que tout legs fait dans un but religieux rentre dans cette catégorie. Le Roman catholic charities act de 1860 autorise spécialement les catholiques à instituer toutes sortes de fondations charitables et religieuses. Toutefois, il faut que tout bien immobilier faisant l’objet d’une fondation charitable ou religieuse soit vendu et converti en valeurs mobilières dans l’année du décès du testateur. Il n’est fait exception qu’à l’égard de terrains devant servir à la construction d’un temple ou d’un autre bâtiment nécessaire au fonctionnement de l’œuvre. Enfin, la jurisprudence anglaise refuse de valider certains dons ou legs d’un caractère religieux, telles que les fondations à charge de dire des messes pour le repos d’une âme: on les considère comme des usages superstitieux (superstitious uses) et comme étant à ce titre entachés de nullité. Le testateur doit, d’après cette jurisprudence, se borner à faire un legs en vue de l’exercice et du maintien du culte; il peut exprimer le désir qu’un ecclésiastique dise des prières à son intention, mais en stipulant expressément, à peine de nullité du legs, que ce désir ne crée aucune obligation légale.

Il n’est contesté par personne que, depuis l’émancipation des catholiques, en 1829, la puissance matérielle de l’Eglise catholique en Angleterre n’a fait que s’accroître, que chapelles, églises, couvents, écoles confessionnelles s’y sont multipliés. Les ordres monastiques se rattachant au catholicisme romain n’ont et ne peuvent avoir aucune capacité juridique en tant qu’êtres collectifs: mais ils s’enrichissent par l’intermédiaire de leurs membres, ni la loi, ni la jurisprudence n’ayant pris de précautions sérieuses contre les fraudes dues à l’interposition de personnes.

II. La Séparation en Irlande. («Disestablishment» de l’Eglise d’Irlande.)—L’Eglise anglicane s’était imposée par la conquête en Irlande. «Cette Eglise, dit Minghetti[12], petite par le nombre de ses fidèles, mais puissante par sa hiérarchie, fortement organisée, se partageant l’île entière et liguée avec les possesseurs du sol, avec l’Eglise d’Angleterre et avec l’Etat, dominait une nation de catholiques, réduite au dernier degré de la misère.» Par la loi du 26 juillet 1869 (Ann. 32-33, Victor. chap. 42), l’Eglise d’Irlande cessa d’être une Eglise officielle et devint une Eglise libre. L’article 3 chargea de la liquidation des biens de l’Eglise trois «commissaires du temporel de l’Eglise d’Irlande», au nom desquels fut transférée toute la propriété ecclésiastique. Les «corporations» existantes (personnes morales correspondant aux établissements publics de notre droit), telles qu’archevêchés, évêchés, etc., furent déclarées dissoutes à partir du 1er janvier 1871. L’œuvre de sécularisation, de «dédotation» (disendowment) de l’Eglise d’Irlande est aujourd’hui presque achevée. Le patrimoine ecclésiastique, que Gladstone évaluait à 360 millions en capital, s’est trouvé être en réalité plus considérable encore. Le paiement des rentes viagères et allocations dues aux évêques et autres dignitaires, aux curés, etc., d’une indemnité globale de 11.250.000 fr. remise au corps représentatif de la nouvelle Eglise libre pour compensation de la perte des dotations privées, terres et dîmes, des dépenses afférentes aux édifices, et de diverses autres indemnités, a absorbé une somme totale de 279 millions, supérieure d’un tiers environ à celle qui avait été promise en 1869. Et après avoir ainsi pourvu d’une manière extrêmement large aux besoins de l’Eglise «désétablie» il a été possible d’affecter une somme de 135 millions aux besoins de l’Irlande, notamment à l’instruction et à l’assistance publiques dans l’île. La même loi de 1869 supprime tous les droits de patronage, royaux et autres, afférents à la collation des fonctions ecclésiastiques. Elle accorde au clergé pleine liberté de se réunir et de s’associer. Elle décide que les statuts et règles dogmatiques ou disciplinaires de l’Eglise d’Irlande ne vaudront plus qu’à l’égard des fidèles, et à titre des stipulations librement consenties dans les conditions du droit commun. Pour les édifices du culte, l’article 25 de la loi contient les dispositions suivantes: les édifices religieux ne servant plus au culte, mais devant être conservés à titre de monuments historiques, sont remis à l’Administration des Travaux publics (Commissioners of Public Works) de l’Irlande, avec charge de veiller à leur conservation; les églises qui seront réclamées pour le service du culte par les représentants de l’Eglise leur sont attribuées; les églises non réclamées par ces représentants de l’Eglise et élevées au frais d’un particulier sont remises au donateur, sur sa demande, ou aux héritiers du testateur, pourvu toutefois que le décès du testateur soit postérieur à l’année 1800. Dans les autres cas, les Commissaires peuvent disposer de ces édifices comme ils l’entendent. On le voit, dans un pays voisin du nôtre, la séparation d’une Eglise officielle et de l’Etat a été légalement opérée et l’application de la loi n’a soulevé aucune difficulté particulière; la question agraire seule, à l’exclusion de la question religieuse, et celle de l’autonomie législative (Home rule) sont demeurées en Irlande des causes d’agitation. L’Eglise protestante d’Irlande ne paraît pas d’ailleurs avoir souffert des modifications ordonnées par la loi, et la disparition de ses privilèges et de son caractère officiel n’a pas nui à son développement; et elle s’est reconstitué, depuis la séparation, un patrimoine considérable.

III. Projets de séparation en Angleterre.—Il y a en Angleterre, surtout depuis une trentaine d’années, un courant d’opinion assez marqué en faveur de la séparation entre l’Eglise et l’Etat. La Liberation society, «société fondée en vue de libérer la religion du patronage et du contrôle de l’Etat», poursuit avec une inlassable ténacité la campagne de brochures, de manifestes, de publications de toute espèce qu’elle a entreprise. D’après les estimations des «liberationists», c’est-à-dire les partisans de la séparation, les revenus capitalisés de l’Eglise anglicane et les églises et cathédrales représenteraient au total une somme de 220 millions livres de livres (5 milliards de francs). On estime qu’en privant l’Eglise de ses dotations, moyennant de larges compensations calculées d’après les mêmes bases que pour l’Eglise d’Irlande en 1869, l’Etat pourrait disposer d’environ 3 milliards. Tout un plan a été élaboré; il comporte l’attribution au Domaine des terres de rapport, l’attribution des anciennes églises (antérieures à 1818) aux habitants des paroisses, qui pourraient les employer au mieux de leurs intérêts ou les aliéner; l’attribution des églises modernes aux groupes de fidèles qui les ont construites, ou aux particuliers qui les ont fait élever à leurs frais, s’ils sont encore vivants[13].

Les «liberationists» n’ont jamais espéré ni obtenu que l’appui politique du parti libéral. Le parti conservateur leur est nettement hostile. Même si les libéraux revenaient au pouvoir, les partisans de la séparation ne pourraient sans doute pas songer à la réalisation complète et immédiate de leur programme, qui est la suppression de toute Eglise officielle, même en Angleterre; mais peut-être ferait-on de nouveaux efforts pour obtenir le «Disestablishment» dans le pays de Galles et en Ecosse. Des propositions en ce sens ont été faites déjà à diverses reprises au Parlement anglais, et n’ont été repoussées qu’à une très faible majorité. Il est certain que le maintien d’une Eglise anglicane officielle dans le pays de Galles, où cette Eglise possède des revenus importants et perçoit pour plus de 5 millions de francs de dîmes, ne s’explique guère, alors que l’immense majorité de la population est détachée de cette Eglise.

Suisse.—La Constitution fédérale de la Confédération Suisse déclare inviolable la liberté de conscience et de croyance et garantit le libre exercice des cultes dans les limites compatibles avec l’ordre public et les bonnes mœurs (art. 49 et 50). Elle autorise la Confédération et les Cantons à prendre des mesures pour le maintien de l’ordre public et de la paix entre les membres des diverses communautés religieuses, ainsi que contre les empiètements des autorités ecclésiastiques sur les droits des citoyens et de l’Etat. Elle s’abstient de toute ingérence dans l’organisation et le fonctionnement des Eglises, sauf sur un point: le dernier paragraphe de l’article 50 stipule qu’il ne peut être érigé d’évêchés sur le territoire suisse sans l’approbation de la Confédération. Enfin, l’article 49, § 6, porte que nul n’est tenu de payer les impôts dont le produit est spécialement affecté aux frais du culte d’une communauté religieuse à laquelle il n’appartient pas. De l’ensemble de ces prescriptions on ne doit point inférer qu’un régime analogue à celui de la séparation des Eglises et de l’Etat est établi dans toute la Suisse. Si la liberté de conscience et la liberté du culte sont pleinement assurées dans chaque canton conformément aux principes posés par la Constitution fédérale, la disposition relative à la participation aux frais du culte est à peu près inapplicable. Les subventions allouées par beaucoup de cantons à certains cultes étant payées sur les ressources générales des budgets et non pas fournies par des impôts spéciaux, les contribuables participent ainsi nécessairement aux frais d’un culte non pratiqué par eux.

Il y a dans tous les cantons des Eglises nationales, réglementées et, souvent, subventionnées par l’Etat. Il y a aussi des Eglises libres et séparées de l’Etat. Rien, au surplus, n’est moins uniforme que la législation politico-ecclésiastique des cantons suisses. La scission qui s’est produite après 1870 entre les vieux-catholiques et les catholiques romains, les tentatives faites par les gouvernements de certains cantons, à Genève notamment, en vue de constituer des Eglises catholiques nationales ont rendu les rapports de fait et de droit entre les Eglises et les cantons plus complexes encore.

D’une manière générale, on peut dire que les Eglises reconnues et officielles de chaque canton, c’est-à-dire l’Eglise protestante dans les uns, l’Eglise catholique dans les autres, les deux Eglises dans d’autres encore, sont subventionnées par l’Etat. Quand les revenus d’anciennes fondations, qui existent dans presque tous les cantons, où les taxes perçues sur les fidèles ne suffisent pas pour l’entretien du culte, des allocations sont fournies par les cantons. Les traitements des ministres des cultes figurent dans la plupart des budgets cantonaux. Il y a des cantons (Argovie, Zurich, Fribourg, etc.) où des taxes spéciales pour les frais du culte sont perçues sur les fidèles de chaque Eglise dans la même forme que les impôts. En général les édifices des cultes appartiennent aux cantons ou aux communes, qui les mettent gratuitement à la disposition des cultes.

La situation légale de l’Eglise catholique romaine résulte d’anciennes coutumes dans certains cantons, dans d’autres d’une législation ayant un caractère concordataire: ainsi, pour le Tessin, des conventions ont été conclues avec le Saint-Siège les 1er et 23 septembre 1884 par le Gouvernement fédéral (dont les relations diplomatiques avec le Vatican étaient cependant rompues depuis dix ans) et par les autorités cantonales du Tessin. Ailleurs, enfin, cette situation est uniquement réglée par la loi cantonale.

Parfois l’Eglise s’est soumise sans difficulté à la législation civile; dans le canton de Thurgovie, par exemple, elle a accepté l’organisation synodale (comportant l’élection des curés par les fidèles), que la loi lui avait imposée, et elle est restée dans ces conditions Eglise officielle. Mais plus souvent elle a refusé de se plier à la réglementation faite par le pouvoir civil, et a renoncé à tous les droits et privilèges d’une Eglise officielle. Les catholiques romains se sont alors constitués en associations libres, entièrement séparées de l’Etat. Les Eglises catholiques officielles et subventionnées par les cantons, n’ont, depuis ce moment, compté d’autres fidèles que les vieux-catholiques, ou catholiques-chrétiens, dont le nombre est fort réduit[14]. Telle est la situation qui s’est produite, notamment à Bâle, à Berne et à Genève. Dans le canton de Genève, c’est une association privée, l’Œuvre du Clergé, qui recueille les souscriptions des fidèles et paie les curés et vicaires. Pour remplacer les églises mises à la disposition des vieux catholiques, de nouveaux édifices ont été construits aux frais des fidèles. Toutefois les relations entre l’Eglise catholique et les autorités civiles de Genève, de Berne et de Bâle, fort tendues il y a une trentaine d’années, se sont beaucoup améliorées. Des édifices communaux sont mis gratuitement à la disposition des catholiques romains dans plusieurs communes du canton de Genève, à Bâle et dans le canton de Berne.

L’Eglise catholique n’est pas la seule qui vive séparée de l’Etat dans certains cantons suisses: il y a également à Genève, dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel, des Eglises protestantes libres à côté des Eglises protestantes nationales. Là, comme pour les catholiques, l’initiative de la séparation est venue non du pouvoir civil, mais du groupement religieux.

En ce qui touche la police des cultes, on rencontre également en Suisse les régimes les plus divers. Dans le canton de Berne a été promulguée, le 14 septembre 1875, une loi sur la «répression des atteintes portées à la paix confessionnelle». L’article 2 de cette loi punit de l’amende et de la prison tout ecclésiastique faisant des institutions politiques ou des décisions des autorités de l’Etat l’objet d’une publication ou d’un discours de nature à mettre en danger la paix publique ou l’ordre public: (disposition reproduisant presque textuellement l’article 130 du Code pénal allemand). L’article 5 interdit sous peine d’amende et d’emprisonnement les processions et autres cérémonies religieuses en dehors des églises, chapelles et autres locaux privés. Saisi d’un recours contre ces dispositions de la loi cantonale, le Conseil fédéral déclara, le 13 mai 1875, qu’elles ne portaient point atteinte aux principes de la liberté de conscience et de la liberté des cultes inscrits dans les articles 49 et 50 de la Constitution fédérale. A Genève, la loi du 28 août 1875 contient des dispositions analogues à la loi bernoise. Les processions sont également interdites dans le canton de Vaud. Elles sont, au contraire, autorisées dans le Valais et dans d’autres cantons catholiques. Dans le Tessin, notamment, l’administrateur apostolique, délégué direct du Saint-Siège, a des pouvoirs très étendus; il peut faire ordonner des prières publiques et des processions: (conventions de 1884 conclues avec le Saint-Siège). En vertu des mêmes conventions, les autorités civiles doivent prêter leur concours aux autorités ecclésiastiques pour l’exécution des mesures prises pour elles.

Ce qui précède suffit pour donner une idée de la diversité des législations relatives aux cultes dans les cantons suisses. Il convient d’ajouter que les tendances vers la séparation complète entre toutes les Eglises et les pouvoirs laïques s’accentuent dans beaucoup de cantons de la Confédération.

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Le régime de la séparation des Eglises et de l’Etat, encore si faiblement et incomplètement mis en pratique en Europe, est, au contraire, largement adopté dans le Nouveau-Monde; le Canada (où une loi de 1854 a sécularisé certains biens ecclésiastiques et a enlevé à l’Eglise tout caractère officiel), les Etats-Unis, le Mexique n’en connaissent point d’autre. On le rencontre encore dans la jeune république de Cuba, dans trois républiques du Centre-Amérique et enfin dans le plus important des Etats de l’Amérique du Sud: les Etats-Unis du Brésil.

Etats-Unis.—Les rapports entre les pouvoirs civils et les religions aux Etats-Unis ont été, dans ces dernières années, fréquemment exposés. Les ouvrages de MM. le vicomte de Meaux (l’Eglise catholique et la liberté), Claudio Jeannet (les Etats-Unis contemporains), P. G. La Chesnais (Trois exemples de séparation), de Bryce (la République américaine [traduit en français], tome IV), de l’abbé Félix Klein (Au pays de la vie intense) fournissent à cet égard de nombreux éléments d’information qu’on doit compléter par l’examen des textes constitutionnels ou législatifs. Le principe de la laïcité et de la neutralité de l’Etat est consacré dans la constitution fédérale, qui décide qu’aucune déclaration de foi religieuse ne peut être requise comme condition d’aptitude pour l’obtention des fonctions et charges publiques dépendant du gouvernement fédéral (article 6) et qui interdit au Congrès de faire aucune loi à l’effet d’ «établir» (c’est-à-dire de reconnaître officiellement) une religion ou d’interdire son libre exercice (même article, amendement I). Ces mêmes principes, qui, au début du XIXe siècle, n’étaient pas encore appliqués dans tous les Etats de l’Union sont aujourd’hui uniformément proclamés et mis en pratique sur tout le territoire de la République. Presque toutes les constitutions des Etats déclarent que nul ne doit être forcé de contribuer aux dépenses d’une Eglise ou de se rendre à ses offices; beaucoup prohibent toute marque de préférence à l’égard d’une secte particulière. L’égalité des divers cultes est aussi complète que leur liberté. Mais la neutralité de l’Etat ne comporte, en Amérique, ni hostilité ni même indifférence à l’égard des religions. C’est de l’incompétence du pouvoir laïque en matière religieuse et d’un sentiment profond de l’égalité que dérivent ces législations excluant toute religion officielle. La neutralité de l’Etat est essentiellement une neutralité bienveillante à l’égard des religions dont l’utilité est très généralement reconnue. Ainsi que l’a très justement fait observer Minghetti, il y a une séparation juridique, mais une véritable union morale entre l’Etat et les Eglises, et M. Bryce a pu aller jusqu’à dire que le «christianisme est en fait considéré comme étant, sinon la religion légalement établie, du moins la religion nationale». «Les fondateurs de notre gouvernement et les auteurs de notre constitution ont reconnu qu’entre la religion chrétienne et un bon gouvernement il y a une intime connexion et que cette religion est le fondement le plus solide d’une saine morale.» Ainsi s’exprime un juriste américain dans une étude sur le régime légal des Eglises dans l’Etat de New-York. Ces citations, auxquelles on pourrait en ajouter bien d’autres, permettent de comprendre quelle est la conception spéciale de la laïcité qui est admise aux Etats-Unis.

On s’explique ainsi le caractère très favorable aux Eglises, aux «corporations religieuses» des législations qui les régissent.

On s’explique aussi certaines dérogations au principe de la neutralité qui pourraient, au premier abord, paraître surprenantes; les allocations accordées par les Chambres fédérales à des chapelains appartenant aux diverses confessions chrétiennes, et qui disent des prières au début de chaque séance; la proclamation annuelle du Président de la République ordonnant des actions de grâce; les proclamations analogues de gouverneurs d’Etat fixant des jours pour la célébration de cérémonies religieuses; les honneurs publiquement rendus et les égards officiellement témoignés par le Président de la République et toutes les autorités civiles aux dignitaires ecclésiastiques, notamment aux archevêques et cardinaux de l’Eglise romaine, etc.

La police des cultes est fortement organisée, mais presque uniquement en faveur des religions. Dans un certain nombre d’Etats, des lois punissent le blasphème, interdisent de travailler le dimanche; dans presque tous les Etats tout désordre causé au cours de l’exercice d’un culte, toute entrave au libre exercice des cultes, toute vente de marchandises, vins ou spiritueux aux alentours des églises et temples, des lieux destinés à des réunions religieuses ou prédications en plein air (camp-meetings) sont punis de l’amende et de la prison. Les cérémonies religieuses et processions sur les voies publiques sont généralement autorisées; pourtant une loi de 1880 les a interdites dans l’Etat de New-York.

Il n’y a, d’autre part, aucune loi dans les Etats de l’Union qui réprime spécialement des délits commis par les ecclésiastiques. Il faut dire que jusqu’à présent les ministres des divers cultes se sont presque toujours renfermés dans leur mission. La neutralité de l’Etat en matière religieuse coïncide réellement et effectivement, aux Etats-Unis, avec la neutralité des Eglises en matière politique. C’est un principe unanimement reconnu que «l’Eglise est un corps spirituel existant dans un but spirituel et se mouvant dans des voies purement spirituelles». (Bryces, La République américaine, tome IV, p. 461.) «On n’admet pas, dit le même auteur, qu’un clergyman s’immisce dans les affaires politiques et traite en chaire aucun sujet séculier.» (Ibid., p. 474). On ne peut qu’envier la grande démocratie américaine de ce que la sanction de l’opinion publique suffise, sans aucune disposition pénale, pour réprimer certains excès.

L’organisation intérieure des diverses Eglises protestantes et de l’Eglise catholique est celle d’associations libres et volontaires; toutes les questions de propriété, celles de discipline et de juridiction ecclésiastique, sont, lorsqu’on les soumet aux tribunaux, résolues suivant les règles du droit commun. Il est à peine besoin de dire que le pouvoir civil n’intervient à aucun degré dans la nomination des dignitaires ecclésiastiques. Les Eglises protestantes élisent leurs pasteurs, leurs évêques, suivant les règles adoptées par chacune d’elles. Les curés catholiques sont choisis par les évêques; les évêques sont désignés par la Curie romaine sur une double liste de présentation dressée par les curés du diocèse et les évêques de la province.

Comme la législation anglaise, la législation américaine est peu défiante à l’égard des établissements de mainmorte; le bénéfice de la personnalité civile, qui emporte le droit de posséder et celui d’acquérir des biens à titre gratuit, est donc très libéralement accordé aux associations religieuses. Celles-ci peuvent soit ne pas se faire «incorporer», c’est-à-dire transformer en personnes morales, et se borner à constituer des fidéicommissaires (trustees) qui assurent la conservation des biens, soit devenir des corporations, des personnalités juridiques en vertu d’une déclaration faite devant une autorité administrative ou judiciaire, ou en vertu d’une loi spéciale. Mais des garanties sont prises contre l’accroissement illimité des biens de ces associations. Dans certains Etats la loi détermine le maximum du capital qu’elles peuvent posséder (Alabama, Colorado, Tennessee: 250.000 frs; Michigan, Caroline du Sud: 500.000 francs, etc.); dans d’autres, c’est le maximum du revenu des biens qui est fixé (Maryland, New-Jersey: 10.000 francs de revenu; Delaware: 1.500 fr. de revenu provenant d’immeubles et 3.000 francs de revenu provenant de valeurs mobilières; Californie: 100.000 francs; New-Hampshire: 25.000 francs; Caroline du Nord, 30.000 francs; New-York: 60 000 francs). Ailleurs, la loi limite le nombre d’acres de terrain que peut posséder une Eglise: dans le district de Columbia, chaque association religieuse ne peut posséder qu’un acre de terrain pour y construire des églises et autres établissements servant à l’accomplissement du but de la société; dans l’Illinois, chaque association ne peut posséder d’autres immeubles que ceux servant au fonctionnement de l’association; dans l’Iowa, nul ne peut donner ou léguer à une association religieuse plus du quart de sa fortune.

On voit que, sous des formes très diverses, les législatures américaines ont pris des précautions contre l’accroissement des biens de mainmorte. Les corporations religieuses sont toutefois traitées avec beaucoup de bienveillance, on ne saurait trop le répéter. Leurs biens sont parfois partiellement exemptés d’impôts. Dans certains Etats (Maine, Massachusetts) elles sont autorisées non seulement à réclamer des cotisations, des taxes aux fidèles, mais encore à faire percevoir ces taxes dans les mêmes formes que les impôts d’Etat ou les impôts communaux.

Enfin, outre les lois générales, les législatures des Etats ont fréquemment édicté des lois relatives à telle ou telle Eglise protestante ou à l’Eglise catholique afin de donner à chacune d’elles l’organisation particulière qui lui convient le mieux. L’Eglise catholique a largement bénéficié de ces dispositions bienveillantes et a, dans beaucoup d’Etats, fait créer ainsi, à son profit, un droit spécial, qu’elle préfère au droit commun des associations. Un jurisconsulte catholique faisait naguère remarquer que l’association, c’est-à-dire le libre groupement de citoyens associés pour exercer un culte, «est la négation pratique et le renversement de la hiérarchie catholique,» (Voir rapport sur les projets de lois relatifs à la séparation adressé par M. G. Théry, ancien bâtonnier du barreau de Lille à l’archevêque de Cambrai, dans le Siècle du 1er janvier 1905). Or, aux Etats-Unis, le désir de ne refuser aucune concession au sentiment religieux l’a emporté sur le respect dû aux principes démocratiques. L’Eglise catholique a dans certains Etats fait reconnaître et consacrer par la loi l’organisation hiérarchique et autoritaire qui lui est chère. Ainsi dans l’Etat de New-York, à la suite de la campagne menée par l’évêque Hughes, une loi du 25 mars 1863 a admis que la paroisse catholique, qui constitue une «corporation», c’est-à-dire une personne morale, serait administrée par l’évêque du diocèse, un vicaire général, le curé de la paroisse et deux laïques nommés par les trois premiers membres. Le vicaire général et le curé étant eux-mêmes nommés par l’évêque, celui-ci a en réalité les pouvoirs les plus complets quant à l’administration de la paroisse. La personnalité civile de l’évêché ou du diocèse, que l’Eglise catholique a fait tant d’efforts pour faire reconnaître en France depuis le Concordat, a été obtenue dans plusieurs Etats; tantôt des lois spéciales ont reconnu la personnalité juridique de certains archevêchés ou évêchés nominativement désignés (Michigan: loi du 27 mars 1867.—Massachusetts: loi du 11 juin 1897); tantôt les lois déclarent en termes généraux que l’évêque ou tout autre chef spirituel d’une commission religieuse peut constituer ce que le droit anglo-saxon appelle une corporation sole, c’est-à-dire une personnalité juridique apte à posséder et à acquérir à titre gratuit des biens affectés à un but religieux et devant être transmis aux titulaires successifs de la fonction ecclésiastique (Californie, Orégon).

Néanmoins toute ingérence des fidèles dans l’administration temporelle des Eglises n’a pas été entièrement écartée: généralement le sermon d’un dimanche par an est remplacé par un compte rendu de gestion aux fidèles.

Un semblable régime légal a, bien entendu, eu pour conséquence un accroissement prodigieusement rapide de la puissance morale et matérielle des Eglises, et notamment de l’Eglise catholique. Jusqu’à présent aucun parti politique ne paraît songer à y mettre obstacle. Le nombre des non-croyants est néanmoins considérable aux Etats-Unis. Si les interventions des Eglises dans les affaires politiques devenaient plus fréquentes et moins discrètes, si les efforts d’ailleurs couronnés de succès, qu’a faits l’Eglise catholique en vue de constituer un enseignement primaire strictement confessionnel, apparaissaient un jour comme dangereux à certains égards, notamment au point de vue du retard qui en résulte pour l’assimilation des immigrés catholiques et leur fusion avec les autres races[15], peut-être les Américains connaîtraient-ils à leur tour cette question cléricale qu’ils considèrent, avec un dédain un peu superficiel et avec la confiance d’un peuple jeune, n’ayant point encore fait certaines expériences, comme occupant une trop grande place dans les préoccupations politiques du vieux monde. Peut-être viendra-t-il un jour où il y aura parmi eux non seulement des non-croyants, des «agnostiques», mais des anticléricaux.

Mexique.—La séparation des Eglises et de l’Etat apparaît dans la législation du Mexique sous un tout autre aspect qu’aux Etats-Unis. On ne peut parler ici d’une étroite union morale entre l’Etat et l’Eglise tempérant ou altérant les effets de la séparation juridique.

Rappelons en quelques mots les origines historiques de la séparation au Mexique que M. P. G. La Chesnais a exposées très complètement dans son intéressante brochure intitulée Trois exemples de séparation, publiée par les soins des Pages libres.

Le clergé catholique, peu nombreux, mais tout-puissant par ses immenses richesses, possédait au milieu du XIXe siècle un tiers des biens fonciers de la nation. Après la guerre d’indépendance, qui libéra le Mexique de la suzeraineté de l’Espagne, il ne cessa point d’intervenir dans les luttes politiques.

Le parti fédéraliste devint un parti nettement anticlérical. En 1856, ce parti, parvenu au pouvoir, supprima la mainmorte ecclésiastique en autorisant les tenanciers à devenir propriétaires des terres louées par les titulaires de bénéfices ecclésiastiques; puis il fit disparaître les congrégations d’hommes, nationalisa les édifices du culte, laïcisa l’état civil, supprima enfin la légation mexicaine près le Vatican. Pour conserver ses richesses, le clergé déchaîna la guerre civile, puis la guerre étrangère. On sait comment se termina tragiquement le règne éphémère de l’archiduc autrichien Maximilien, à qui Napoléon III avait cru devoir offrir l’appui d’une armée française. Le parti fédéraliste, définitivement vainqueur avec Juarez, édicta une loi de laïcisation qui établissait notamment une séparation complète entre l’Etat et l’Eglise. Il convient de citer ou d’analyser les dispositions de cette loi, promulguée le 14 décembre 1874 (voir le texte complet dans l’Annuaire de législation étrangère, publié par la Société de législation comparée, année 1875).

«L’Etat et l’Eglise, dit l’article premier, sont indépendants l’un de l’autre. Il ne pourra être fait de loi établissant ou prohibant aucune religion; mais l’Etat exerce son autorité sur chaque religion en ce qui concerne l’ordre public et les institutions.»

L’article 2 est ainsi conçu: «L’Etat garantit l’exercice des cultes dans la République. Il ne punira que les actes et pratiques qui, bien qu’autorisés par quelque culte, constituent une contravention ou un délit conformément aux lois pénales.»

L’article 3 déclare que les autorités publiques ne prendront plus part officiellement aux cérémonies d’un culte quelconque. Ne sont plus reconnus comme jours fériés que ceux ayant pour objet exclusif la célébration d’événements purement civils. Toutefois, le dimanche demeure désigné comme jour de repos pour les bureaux et administrations publiques.

L’article 5 n’autorise la célébration publique d’un acte religieux que dans l’intérieur d’un temple, et ce sous peine d’une amende de 10 à 200 piastres et d’une incarcération de deux à quinze jours; un emprisonnement de deux à six mois peut être prononcé si l’acte a un caractère solennel et s’il y est procédé en violation d’une injonction de l’autorité en ordonnant l’interruption immédiate. Hors des temples, le port de vêtements et d’insignes distinctifs est interdit tant aux ministres des cultes qu’aux fidèles, sous peine de 10 à 200 piastres d’amende.

L’usage des cloches n’est autorisé qu’en tant qu’il est strictement nécessaire pour appeler les fidèles à l’office; il peut faire l’objet de règlements de police (article 6).

Les temples doivent faire l’objet d’une déclaration ou d’enregistrement. Ils jouissent alors, tant qu’ils demeurent affectés à l’exercice du culte, de la protection accordée aux lieux du culte par l’article 969 du code pénal de district fédéral. Ce code contient huit articles relatifs aux atteintes à la liberté des cultes (articles 968 à 975): l’article 969 punit le trouble apporté à l’exercice du culte dans un lieu affecté à cet exercice, et l’article 971 réprime l’outrage envers un ministre du culte dans l’exercice de ses fonctions; des dispositions analogues se rencontrent dans les codes pénaux des divers Etats mexicains.

Les ministres des cultes ne jouissent, depuis la séparation, d’aucun privilège qui les distingue des autres citoyens et ne sont soumis à aucune prohibition autre que celle résultant des lois et de la Constitution (loi de 1847, article 10).

«Les discours prononcés par les ministres des cultes qui contiendront le conseil de désobéir aux lois ou la provocation à quelque crime ou délit rendent illicite la réunion où ils se tiennent; et cette réunion, cessant de jouir du privilège contenu en l’article 9 de la Constitution, peut être dissoute par l’autorité. L’auteur du discours restera dans ce cas soumis à la disposition du titre VI, chapitre VIII, livre 3 du code pénal du district fédéral applicable, dans ce cas, à toute la République. Les délits commis à l’instigation ou à la suggestion d’un ministre du culte dans les cas ci-dessus constituent ce dernier auteur principal du fait» (article 11).

«Toutes les réunions qui auront lieu dans les temples seront publiques et soumises à la surveillance de la police et l’autorité pourra y exercer les pouvoirs qui lui appartiennent si les circonstances l’exigent» (article 12).

Les organisations religieuses s’organisent hiérarchiquement comme il leur convient et leur supérieur les représente devant l’autorité (article 13). Elles ne peuvent acquérir et posséder des biens-fonds et des capitaux à eux attachés, exception faite pour les temples consacrés d’une façon directe au service public du culte et pour les annexes et dépendances des temples qui sont strictement nécessaires au service du culte (article 14). Elles peuvent recevoir des aumônes et des donations mobilières, mais non des legs. Les quêtes ne sont permises que dans l’intérieur des temples. Toute infraction à cette prescription est punissable d’une amende pouvant s’élever jusqu’à mille piastres (article 15).

Les temples, nationalisés par la loi du 12 juillet 1859, demeurent propriété de l’Etat; ils sont laissés à l’usage exclusif des institutions religieuses qui doivent veiller à leur conservation et à leur amélioration (article 16). Les temples appartenant à l’Etat sont exempts de contributions.

Telles sont les dispositions régissant au Mexique l’exercice des cultes.

La même loi du 14 décembre 1874 a supprimé l’enseignement religieux et les exercices religieux dans les écoles ou tous autres établissements publics (article 4). Elle refuse aux ministres des cultes la capacité d’être institués héritiers ou légataires par ceux à qui ils ont prêté leurs secours spirituels (articles 8 et 9). Elle interdit enfin les ordres monastiques (articles 19 et 20), supprime le serment religieux (article 21), refond les lois antérieures sur la laïcisation de l’état civil et le mariage civil (articles 22, 23 et 24), sur la laïcisation des cimetières, etc., prohibe tout pacte ou convention ayant pour objet la perte ou le sacrifice irrévocable de la liberté de l’individu.

Le Mexique possède ainsi la législation laïque la plus complète et la plus harmonique qui ait jamais été mise en vigueur jusqu’à ce jour. Il est délivré depuis trente ans de la question cléricale et a pu se vouer entièrement à son développement économique: il connaît réellement la paix religieuse. L’Eglise catholique ne paraît pas avoir souffert, d’ailleurs, du régime légal assez strict mais non oppressif sous lequel elle vit. «Le clergé n’est pas à plaindre. Les curés des paroisses rurales ont une situation plutôt meilleure que sous l’ancien régime. Les dons, les quêtes dans l’église, le casuel suffisent à soutenir les frais du culte et entretenir les ministres et les séminaires... Les églises, fort délabrées et mal desservies en 1857, ont recouvré leur splendeur» (P. G. La Chesnais, op. cit., p. 89.) Le gouvernement du président Porfirio Diaz n’a cessé d’appliquer sans hostilité à l’égard de l’Eglise, mais avec fermeté, la législation laïque de 1874; et, s’il faut en croire une correspondance récemment adressée de Rome au Journal des Débats, il a toujours opposé une fin de non-recevoir aux démarches officieuses faites assez fréquemment. par le Saint-Siège en vue de la conclusion d’un nouveau Concordat.

Cuba.—La République de Cuba, dont la population d’environ 1.572.000 habitants est presque entièrement catholique, offre un exemple unique assurément. La séparation complète de l’Etat et de l’Eglise s’y est faite «sans phrases», pourrait-on dire: sans promulgation d’aucune loi ni d’aucun décret, sans agitation anticléricale, sans protestation de la part de l’Eglise.

Les Etats-Unis, en intervenant militairement dans l’île en 1899, n’ont pas seulement donné aux Cubains la liberté et l’indépendance; ils ont substitué, sans mot dire, au régime espagnol de la religion d’Etat le régime américain de la séparation. Sous la domination espagnole les frais du culte catholique (traitements, pensions, entretien des édifices) étaient supportés par le budget; les autres cultes n’étaient que tolérés et leur service n’était permis que dans des locaux privés. Dès le début de l’intervention américaine l’Eglise catholique cessa d’être subventionnée par l’Etat; l’exercice de tous les cultes devint libre. Ce changement radical s’opéra sans bruit, sans difficulté d’aucune sorte. Et depuis l’établissement définitif de la République cubaine (20 mai 1902) aucune loi n’est intervenue à l’effet de régler cette situation toute nouvelle. Les seuls textes qui aient trait à la question sont un règlement relatif aux cimetières, qui fut édicté le 12 avril 1899 par l’autorité militaire américaine, un acte notarié, intervenu entre le gouverneur américain et les représentants de l’Eglise catholique pour reconnaître à celle-ci la propriété de certains immeubles qu’avait confisqués le gouvernement espagnol, et enfin l’article 26 de la constitution de la nouvelle République. Cet article déclare que l’exercice de tous les cultes est libre, que l’Eglise est séparée de l’Etat, et que l’Etat ne peut en aucun cas subventionner un culte quelconque.

Le règlement du 12 avril 1899 a confié aux municipalités l’administration des cimetières construits à ses frais. L’article 5 spécifie en termes généraux que tous les édifices du culte ou autres bâtiments servant à un but religieux et dont les ministres du culte ou les représentants d’une Eglise sont en possession seront considérés comme propriétés de l’Eglise tant qu’il n’en aura pas été décidé autrement par l’autorité compétente; et ce texte provisoire paraît avoir suffi à trancher jusqu’à présent toute difficulté.

Les processions et manifestations extérieures du culte ne sont aucunement réglementées. On admet généralement qu’il appartient aux autorités municipales de les autoriser ou de les interdire.

Brésil.—Une récente étude de M. Louis Guilaine, parue dans la Revue politique et parlementaire du 10 janvier 1905, et à laquelle nous empruntons une notable partie des renseignements qui vont suivre, expose dans quelles conditions la séparation des Eglises et de l’Etat a été établie et réalisée au Brésil.

Le Brésil est, comme le Mexique, presque exclusivement peuplé de catholiques (15 millions et demi sur une population de 16 millions). Avant la révolution de 1889 la monarchie brésilienne reconnaissait la religion catholique romaine comme religion d’Etat. Jusqu’en 1881 les non-catholiques étaient exclus de tout mandat législatif. Depuis la révolution, le Brésil est une république fédérative et décentralisée où les principes de la laïcité de l’Etat et de la liberté des cultes ont été reconnus.

Les textes qui organisèrent le nouveau régime sont le décret du gouvernement provisoire du 7 janvier 1890, la Constitution du 24 février 1891 et la loi sur les associations du 10 septembre 1893.

L’article 2, § 2, de la Constitution interdit aux Etats comme à l’Union d’établir, de protéger ou d’entraver les cultes religieux.

L’article 72, § 7, interdit toute subvention officielle en faveur d’une Eglise, tous rapports officiels avec une Eglise.

L’article 72, § 3, consacre, comme l’avait fait l’article 2 du décret du 7 janvier 1890, le principe du libre exercice—privé ou public—de tout culte.

L’article 72, § 28, porte que nul citoyen brésilien ne pourra en raison de ses croyances ou de ses fonctions religieuses être privé de ses droits réels ou politiques ni se soustraire à l’observation de ses devoirs de citoyen.

Le budget des cultes est, on le voit, entièrement supprimé. Il s’élevait, avant 1889, à environ 2.500.000 francs et comprenait, outre les traitements des ministres du culte, les allocations qui étaient accordées aux bienheureux saint Sébastien et saint Antoine à raison de leurs titres de majors de l’armée brésilienne. C’est le prieur d’un couvent de Rio-Janeiro qui touchait ces traitements au nom de leurs célestes titulaires.

Au début, le nouveau régime fut assez mal accueilli par le haut clergé dont certains membres prirent part à des conspirations antirépublicaines. Mais peu à peu l’Eglise s’est ralliée à la nouvelle législation qui, d’ailleurs, depuis la promulgation de la Constitution n’a été ni complétée par des textes ni appliquée par les pouvoirs publics dans un sens anticlérical. L’Eglise a perdu les subventions budgétaires, mais elle est délivrée de la tutelle parfois très dure que le pouvoir civil exerçait, avant la proclamation de la République, sur l’épiscopat brésilien. Presque aucune précaution n’est prise pour empêcher l’accroissement de ses biens. L’acquisition de toute espèce de biens est permise aux associations religieuses qui ont acquis la personnalité juridique par un enregistrement au bureau des hypothèques. Ce n’est qu’en cas d’extinction d’une association, et si aucune association analogue n’est apte à recueillir son patrimoine, que celui-ci passe au domaine de l’Etat. Chaque Eglise a d’ailleurs conservé la propriété des édifices consacrés au culte et des autres immeubles dont elle était en possession sous l’ancien régime. (Décret du 7 janvier 1890, article 5). Aucune disposition légale ne limite le libre exercice des cultes. Les processions et autres manifestations extérieures sont autorisées et l’article 72, § 7, de la Constitution est si peu strictement appliqué que les autorités civiles figurent dans les processions et que l’archevêque de Rio-de-Janeiro est assis aux côtés du Président de la République dans les cérémonies civiles. Les prêtres et séminaristes ne font pas de service militaire; le mariage civil ne doit pas obligatoirement précéder le mariage religieux. Bref, on a pu dire que «la séparation faite en théorie est loin d’être achevée dans la pratique». Et l’on ne s’en étonne point si l’on songe que la séparation des Eglises et de l’Etat n’a été décrétée qu’il y a quelques années; qu’elle n’a pu changer subitement les croyances et les mœurs d’un peuple profondément catholique, et qu’enfin elle n’a pas été l’œuvre d’anticléricaux ou tout au moins de libres-penseurs peu favorables aux Eglises, mais d’un groupe de positivistes ennemis de toute religion officielle, et partisans déclarés de la liberté absolue et illimitée des diverses religions. (Voir à ce sujet, dans le Courrier Européen du 16 janvier 1905, une lettre de M. Miguel Lemos, chef de «l’Eglise positiviste» du Brésil.)

Equateur.—La république de l’Equateur était demeurée jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle une véritable théocratie. Les moines y étaient tout-puissants: ils y avaient accumulé une énorme fortune; ils étaient les maîtres occultes des administrations et du gouvernement. L’Eglise catholique était la religion de l’Etat; un concordat avait été conclu avec le Vatican en 1862. Par l’intermédiaire des moines, le Saint-Siège dominait en réalité la République; le clergé séculier dépendait étroitement des ordres monastiques, et des prélats allemands, italiens, espagnols étaient envoyés dans le pays pour y occuper les hauts emplois ecclésiastiques. Une révolution survenue en 1895 amena le parti clérical au pouvoir. Et, en moins de dix ans, par un changement d’une singulière soudaineté, cette république théocratique est devenue un Etat laïque.

Le mariage civil a été rendu obligatoire; le divorce non encore admis dans les autres républiques hispano-américaines qui ont institué le mariage civil, a été autorisé; la légation près le Vatican a été supprimée. Enfin, une loi sur les cultes est intervenue le 12 octobre 1904. L’article final de cette loi abroge le Concordat. L’article 1er proclame la liberté et l’égalité des cultes. La loi exige que tous les évêques, curés, vicaires et autres ministres des cultes soient de nationalité équatorienne. Elle interdit la fondation de nouveaux couvents, l’immigration des moines étrangers; elle supprime par extinction les couvents cloîtrés en leur interdisant de recevoir des novices. Les biens des ordres monastiques sont placés sous le contrôle du gouvernement. Ils ne peuvent plus être aliénés sans son autorisation; ils doivent tous être loués aux enchères publiques ou administrés par des commissaires gouvernementaux. Les revenus de ces biens sont affectés, en première ligne, aux besoins des membres des ordres religieux, en seconde ligne, à l’exercice et à l’entretien du culte et du clergé séculier; s’il y a un excédent, il est attribué dans chaque province à des œuvres de bienfaisance ou d’utilité publique. Si, au contraire, les revenus de ces biens sont insuffisants pour pourvoir tout à la fois aux besoins du clergé régulier et à l’entretien du culte, l’Etat doit fournir une subvention complémentaire pour cet entretien; mais c’est là un cas exceptionnel, dont on ne prévoit guère la réalisation, étant donné l’importance du patrimoine des ordres religieux; aussi la loi considère-t-elle cette subvention éventuelle de l’Etat comme rentrant au nombre des dépenses extraordinaires. Et il n’y a pas normalement de budget des cultes.

Bref, on peut dire que la République de l’Equateur, qu’on appelait encore il y a dix ans «la République du Sacré-Cœur», a décrété tout à la fois la sécularisation des biens du clergé, la limitation du monarchisme, la neutralité et la laïcité de l’Etat, la suppression du budget des cultes et l’abrogation du Concordat.

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On voit que sous des formes diverses, et avec des caractères différents, le régime de la séparation est aujourd’hui en vigueur dans la plus grande partie du Nouveau-Monde. Certaines républiques sud-américaines, qui ne l’ont pas encore adopté, l’adopteront peut-être dans un avenir peu éloigné (on signalait récemment au Chili une vive agitation en faveur de la suppression du budget des cultes). D’autre part, plusieurs colonies anglaises n’ont jamais connu d’autre régime, par exemple la Nouvelle-Zélande; et dans la plupart des colonies où des liens officiels unissaient l’Etat à l’Eglise ces liens ont été rompus: au Canada (on l’a déjà signalé) en 1854, dans les colonies australiennes en 1863, 1866 et 1870, à la Jamaïque en 1870, dans les autres Antilles en 1868, 1871 et 1873, au Cap en 1875, à Ceylan en 1881[16].

Ce qui a été ébauché en Europe et réalisé en Amérique et dans tout l’empire colonial anglais n’est pas inconnu en Extrême-Orient. Il est piquant de constater qu’une tentative en vue d’instaurer une religion d’Etat a été faite au Japon, dans les trente dernières années et qu’elle a échoué. Le Ministère des Cultes a été supprimé et deux bureaux du Ministère de l’Intérieur ont été chargés des affaires religieuses. L’égalité et la liberté des divers cultes (bouddhiste, shintoïste et chrétien) ont été proclamées. La séparation complète des Eglises et de l’Etat compte de nombreux partisans et une fraction du Parlement japonais s’est prononcée en faveur de cette réforme il y a cinq ans[17].

On disait récemment que la politique historique de la France tendait à la distinction complète du domaine civil et du domaine religieux. En réalité, c’est là que tend la politique de toutes les nations civilisées.


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