La séparation des Églises et de l'État: Rapport fait au nom de la Commission de la Chambre des; Députés, suivi des pièces annexes
Premier texte de la Commission
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TITRE I
Principes.
Article premier.
La République assure la liberté de conscience.
Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions ci-après, dans l’intérêt de l’ordre public.
Art. 2.
La République ne protège, ne salarie, ni ne subventionne, directement ou indirectement, sous quelque forme et pour quelque raison que ce soit, aucun culte.
Elle ne reconnaît aucun ministre du culte.
Elle ne fournit, à titre gratuit, aucun local pour l’exercice d’un culte ou le logement de ses ministres.
TITRE II
Abrogation des lois et décrets sur les cultes.—Dénonciation du Concordat.—Liquidation.
Art. 3.
A dater de la promulgation de la présente loi, la loi du 18 germinal an X est abrogée; la Convention passée à Paris, le 26 messidor an IX, entre le Gouvernement français et le Pape Pie VII est dénoncée.
Sont également abrogés: le décret-loi du 26 mars 1852 et les arrêtés du 10 septembre 1852 et du 20 mai 1853; la loi du 1er août 1879, les décrets des 12-14 mars 1880, 12-14 avril 1880 et 25-29 mars 1882; les décrets du 17 mars 1808 relatifs à l’exécution du règlement du 10 décembre 1806; la loi du 8 février 1831 et l’ordonnance du 24 mai 1844.
Art. 4.
L’ambassade auprès du Vatican et la direction des Cultes sont supprimées.
Art. 5.
A partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi seront et demeureront supprimés: toutes dépenses publiques pour l’exercice ou l’entretien d’un culte; tous traitements, indemnités, subventions ou allocations accordés aux ministres des cultes, sur les fonds de l’Etat, des départements ou des communes.
Art. 5 bis.
Les sommes rendues disponibles par la suppression du budget des cultes seront employées à la détaxe de la contribution foncière des propriétés non bâties, à la culture desquelles participent effectivement les propriétaires eux-mêmes.
Seront appelées à bénéficier de la remise les cotes uniques ou totalisées qui ne sont pas supérieures à 40 francs, à la condition que la part revenant à l’Etat sur la contribution personnelle mobilière, à laquelle sont assujettis les contribuables dans leurs diverses résidences, ne dépasse pas 25 francs.
Art. 6.
A partir de la même date, cessera de plein droit l’usage gratuit des édifices religieux: cathédrales, églises paroissiales, temples, synagogues, etc., ainsi que des bâtiments des séminaires et des locaux d’habitation: archevêchés, évêchés, presbytères, mis à la disposition des ministres des cultes par l’Etat, les départements ou les communes.
Art. 7.
Les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux menses épiscopales ou curiales, aux fabriques, consistoires ou conseils presbytéraux et autres établissements publics des différents cultes seront, dans un délai de six mois, à partir de la promulgation de la présente loi, répartis par les établissements précités, existant à cette date, entre les associations formées pour l’exercice et l’entretien du culte dans les diverses circonscriptions religieuses. Cette répartition ne donnera lieu à la perception d’aucun droit au profit du Trésor.
Les biens immobiliers qui proviennent de dotations de l’Etat feront retour à l’Etat.
Art. 7 bis.
Les biens appartenant aux fabriques, consistoires ou conseils presbytéraux, qui ont été spécialement affectés par l’auteur d’une libéralité à une œuvre de bienfaisance seront, dans le délai de six mois, attribués par les établissements précités, soit aux bureaux de bienfaisance, soit aux hospices, soit à tous autres établissements de bienfaisance publics ou reconnus d’utilité publique.
Le choix de l’établissement bénéficiaire de la dévolution devra être ratifié par le Conseil d’Etat, s’il est conforme à la volonté du donateur ou du testateur. Cette attribution ne donnera lieu à aucun droit au profit du Trésor.
Art. 8.
Aux ministres des cultes, actuellement en exercice, archevêques, évêques, curés, vicaires, desservants, aumôniers, pasteurs, rabbins, présidents de consistoires, inspecteurs ecclésiastiques, suffragants et vicaires des églises réformées et de la Confession d’Augsbourg; directeurs et professeurs de séminaires, doyens et professeurs des Facultés de théologie, etc., qui auront au moins quarante-cinq ans d’âge et vingt ans de fonctions rémunérées par l’Etat, les départements ou les communes, il sera alloué une pension viagère. Réserve est faite des droits acquis en matière de pension par application de la législation antérieure.
Art. 9.
Cette pension, basée sur le traitement et proportionnelle au nombre des années de fonctions rétribuées par l’Etat, les départements et les communes, ne pourra être supérieure à 1.200 francs.
Elle ne pourra, en aucun cas, dépasser le montant du traitement actuel de l’ayant droit, ni se cumuler avec toute autre pension ou tout autre traitement à lui alloué à un titre quelconque par l’Etat, les départements ou les communes.
Art. 10.
Le payement des pensions ecclésiastiques aura lieu par trimestre. La jouissance courra au profit du pensionnaire du premier jour de l’exercice qui suivra la promulgation de la présente loi. Les arrérages des pensions inscrites se prescrivent par trois ans. La condamnation à une peine afflictive et infamante entraîne de plein droit la privation de la pension. Les pensions et leurs arrérages sont incessibles et insaisissables, si ce n’est jusqu’à concurrence d’un cinquième pour dettes envers le Trésor public et d’un tiers pour les causes exprimées aux articles 203, 205 et 214 du Code civil.
TITRE III
Propriété et location des édifices du culte.
Art. 11.
Les édifices antérieurs au Concordat qui ont été affectés à l’exercice des cultes ou au logement de leurs ministres, cathédrales, églises paroissiales, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, bâtiments des séminaires, ainsi que les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été mis à la disposition des cultes, sont et demeurent propriétés de l’Etat ou des communes.
Les édifices postérieurs au Concordat, construits sur des terrains qui appartenaient aux établissements publics des cultes ou avaient été achetés par eux avec des fonds provenant exclusivement de collectes, quêtes ou libéralités des particuliers, sont la propriété de ces établissements.
Art. 12.
Dans un délai d’un an, à partir de la promulgation de la présente loi, ils seront dévolus par lesdits établissements à l’association civile de la circonscription religieuse intéressée.
Art. 13.
Les édifices servant ou ayant servi aux cultes, qui appartiennent à l’Etat ou aux communes, sont inaliénables, sauf dans les cas d’expropriation pour cause d’utilité publique.
La location n’en peut être faite qu’à titre onéreux et pour une durée maximum de dix ans.
Art. 14.
Pendant une période d’une année à partir de la promulgation de la présente loi, l’Etat et les communes sont tenus de consentir pour une durée de dix ans la location de ces édifices aux associations formées pour assurer l’exercice et l’entretien du culte.
Le prix du loyer ne pourra être supérieur à 10 0/0 du revenu annuel moyen de la circonscription religieuse intéressée, telle qu’elle se trouve actuellement constituée.
Le revenu sera calculé sur la moyenne des cinq dernières années.
Tous les frais de réparations locatives, d’entretien et de grosses réparations, sauf celles qui seraient causées par un sinistre ne pouvant être couvert par un contrat d’assurances sont à la charge des locataires.
Toutefois, pour plus de garanties et sans déroger à la responsabilité générale prévue dans le paragraphe ci-dessus, les locataires seront tenus de contracter une assurance contre les risques spéciaux de l’incendie et de la foudre.
La résiliation est de droit dans le cas où les lieux loués ne seraient pas entretenus en bon état.
Art. 15.
Les lois, décrets et règlements relatifs à la conservation et à l’entretien des monuments ou objets historiques continueront à être appliqués à tous les immeubles et meubles servant au culte rentrant ou pouvant rentrer dans cette catégorie.
TITRE IV
Associations pour l’exercice du culte.
Art. 16.
Les associations formées pour subvenir aux frais et à l’entretien des cultes sont soumises aux prescriptions de la loi du 1er juillet 1901, sous la réserve des modifications ci-après.
Art. 17.
Elles pourront recevoir, en outre des cotisations prévues par l’article 6 de cette loi, le produit des quêtes et collectes pour les frais et l’entretien du culte, percevoir des taxes (même par fondation) pour les cérémonies ou services religieux, pour la location des bancs et sièges, pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration intérieure et extérieure de ces édifices.
Art. 18.
Lesdites associations ne pourront, sous quelque forme et pour quelque raison que ce soit, recevoir de subventions de l’Etat, des départements ou des communes.
La prestation de meubles et immeubles servant au culte, consentie dans les conditions des articles 13 et 14, ne constitue pas une subvention.
Art. 19.
Ces associations pourront, dans les formes déterminées par l’article 7 du décret du 18 août 1901, constituer des unions avec administration ou direction centrale.
Art. 20.
Les valeurs mobilières disponibles des associations formées pour assurer l’exercice du culte seront placées en titres nominatifs. Leur revenu total ne pourra dépasser la moyenne annuelle des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices pour les frais et l’entretien du culte.
Toutefois, ce capital pourra être augmenté de sommes qui, placées en titres nominatifs déposés à la Caisse des dépôts et consignations, seront, après avis du Conseil d’Etat, exclusivement affectés, compris les intérêts, à l’achat, à la construction ou à la réparation d’immeubles ou meubles jugés indispensables pour les besoins de l’association.
Art. 20 bis.
Les biens meubles et immeubles appartenant aux associations seront soumis aux mêmes impôts que ceux des particuliers.
Ils ne seront pas assujettis à la taxe d’accroissement. Toutefois, les immeubles, propriétés de ces associations, seront passibles de la taxe de mainmorte.
TITRE V
Police des cultes.
Art. 21.
Les cérémonies pour la célébration d’un culte sont assimilées aux réunions publiques. Elles sont dispensées des formalités de l’article 8, mais restent à la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public. La déclaration en sera faite dans les formes de l’article 2 de la loi du 30 juin 1881. Une seule déclaration suffira pour l’ensemble des cérémonies ou assemblées cultuelles permanentes ou périodiques. Toute réunion non comprise dans la déclaration, toute modification dans le choix du local devront être précédées d’une déclaration nouvelle.
Art. 22.
Il est interdit de se servir de l’édifice consacré au culte pour y tenir des réunions politiques. Toute infraction sera punie d’une amende de 100 à 1.000 francs et d’un emprisonnement de quinze jours à trois mois ou de l’une de ces deux peines en la personne des auteurs responsables.
Art. 23.
Seront punis d’une amende de 50 à 500 francs et d’un emprisonnement de quinze jours à trois mois ou de l’une de ces deux peines, ceux qui, par injures, menaces, violences ou voies de fait, tenteront de contraindre une ou plusieurs personnes à contribuer aux frais d’un culte ou à célébrer certaines fêtes religieuses ou bien de les empêcher de participer à l’exercice d’un culte, d’observer tel ou tel jour de repos, ou de s’abstenir de les observer, soit en les forçant à ouvrir ou fermer leurs ateliers, boutiques, magasins, ou de quelque manière que ce soit.
Art. 24.
Ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou des désordres dans l’édifice servant au culte, ou qui auront, par paroles ou gestes, outragé les objets d’un culte dans le temple même affecté à l’exercice de ce culte, seront punis d’une amende de 16 à 300 francs et d’un emprisonnement de six jours à un mois ou de l’une de ces peines.
Lesdites peines pourront être portées au double en cas de voies de fait contre les personnes.
Art. 25.
Les dispositions de l’article ci-dessus ne s’appliquent qu’aux troubles, outrages ou voies de fait dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines d’après les autres dispositions du Code pénal.
Art. 26.
Tout ministre du culte qui, dans l’exercice de ses fonctions et en Assemblée publique, aura, soit en lisant un écrit contenant des instructions pastorales, soit en tenant lui-même un discours, outragé ou diffamé un membre du Gouvernement, des Chambres ou une autorité publique, sera puni d’une amende de 500 à 3.000 francs et d’un emprisonnement de un mois à un an ou de l’une de ces deux peines.
Art. 27.
Si un discours prononcé ou un écrit lu par un ministre du culte dans l’exercice de ses fonctions et en assemblée publique contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui l’aura prononcé sera puni d’un emprisonnement de trois mois à un an, si la provocation n’a été suivie d’aucun effet, et d’un emprisonnement de un an à trois ans si elle a donné lieu à une résistance autre, toutefois, que celle qui aurait dégénéré en révolte, sédition ou guerre civile.
Art. 28.
Lorsque la provocation aura été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile dont la nature donnera lieu, contre un ou plusieurs coupables, à des peines plus graves que celles portées à l’article précédent, cette peine, quelle qu’elle soit, sera appliquée au ministre du culte coupable de provocation.
Art. 29.
L’auteur de l’écrit qui aura été lu par le ministre du culte dans les conditions ci-dessus indiquées, sera, en cas de complicité établie, puni des peines portées aux articles précédents contre le ministre du culte coupable.
Art. 29 bis.
Dans le cas de poursuites exercées par application des articles 27 et 28, l’association constituée pour l’exercice du culte locataire de l’immeuble dans lequel le délit aura été commis, sera assignée en responsabilité civile.
Art. 30.
L’article 463 du Code pénal et la loi de sursis sont applicables à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités.
Art. 31.
Dans tous les cas de culpabilité prévus et punis par la présente loi, le contrat de location de l’édifice, propriété de la commune ou de l’Etat, où le délit aura été commis par un ministre du culte, pourra être résilié.
TITRE VI
§ 1er.—Manifestations et signes extérieurs du culte.
Art. 32.
Les processions et autres cérémonies ou manifestations extérieures du culte ne peuvent avoir lieu qu’en vertu d’une autorisation du maire de la commune. Les sonneries de cloches sont réglées par arrêté municipal.
Art. 33.
La formule du serment judiciaire est libre. Nul ne peut être tenu de prêter serment sur un emblème philosophique ou religieux, ou dans des termes susceptibles de porter atteinte à la liberté de sa conscience.
Art. 34.
Aucun signe ou emblème particulier d’un culte ne peut être élevé, érigé, fixé et attaché en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception de l’enceinte destinée aux exercices du culte, des cimetières, sous les conditions ci-après, et des musées. Ceux qui existent contrairement à la présente disposition pourront être enlevés par les autorités publiques compétentes, sauf dans le cas où il s’y attacherait une valeur ou un intérêt artistique ou historique spécial.
Il est interdit d’en rétablir ou établir sous peine d’une amende de 100 à 2.000 francs.
§ 2.—Cimetières.
Art. 35.
Les cimetières appartiennent aux communes. L’autorité en a la garde, la police, l’entretien.
Art. 36.
Il est interdit de bénir, consacrer, ou de faire bénir et consacrer par une cérémonie religieuse, un cimetière tout entier ou une portion de ce cimetière contenant plusieurs tombes.
Il est interdit d’y ériger ou d’y faire ériger des emblèmes religieux ayant un caractère collectif, sauf sur la sépulture unique consacrée à une famille ou à une collectivité.
Toute infraction sera punie d’une amende de 100 à 500 francs et, en cas de récidive, de deux à cinq jours de prison.
La destruction de l’emblème illégalement érigé sera ordonnée. Elle aura lieu aux frais du coupable.
Art. 37.
Les ornements et inscriptions funéraires sur les tombes ou monuments particuliers demeurent soumis à l’autorité municipale. Toutefois, ils ne peuvent être interdits, supprimés ou modifiés qu’au cas où ils porteraient atteinte aux lois, aux bonnes mœurs et à la paix publique.
Art. 38.
Tout concessionnaire ou membre de la famille, enlevant, détruisant ou faisant enlever ou détruire un emblème philosophique ou religieux déposé en vertu de la volonté du défunt, même par un étranger, sera puni des peines portées contre la violation de sépulture à l’article 360 du code pénal.
Art. 39.
Il est interdit aux autorités publiques d’assigner des heures spéciales ou des modes particuliers pour la célébration des obsèques, sous quelque prétexte philosophique ou religieux que ce puisse être.
D’assigner des places spéciales aux suicidés ou aux personnes non baptisées ou de religion différente de celle de la majorité des habitants de la commune.
Ou de faire quoi que ce soit de nature à déshonorer la mémoire d’une personne, de quelque façon qu’elle soit morte, ou qu’elle se fasse ensevelir, ou qu’elle ait vécu.
Toute infraction à ces dispositions entraînera la révocation du magistrat municipal qui s’en sera rendu coupable.
Art. 40.
Un règlement d’administration publique déterminera les mesures propres à assurer l’exécution de la présente loi.
La Commission en était là de ses travaux; elle procédait déjà à une deuxième et dernière délibération sur son texte quand, le 10 novembre 1904, lui fut renvoyé le projet de loi ci-dessous que M. Emile Combes, Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur et des Cultes, venait de déposer, au nom du Gouvernement, sur le bureau de la Chambre.