La séparation des Églises et de l'État: Rapport fait au nom de la Commission de la Chambre des; Députés, suivi des pièces annexes
Projet Combes
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TITRE PREMIER
Suppression des dépenses des cultes.—Répartition des biens.—Pensions.
Article premier.
A partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi sont et demeurent supprimés: toutes dépenses publiques pour l’exercice ou l’entretien d’un culte; tous traitements, indemnités, subventions ou allocations accordés aux ministres d’un culte sur les fonds de l’Etat, des départements, des communes ou des établissements publics hospitaliers.
Art. 2.
Pendant deux ans, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, la jouissance gratuite des édifices du culte sera laissée aux associations dont il sera parlé au titre II ci-après.
Après cette période de temps écoulé, cessera de plein droit l’usage gratuit des édifices religieux; cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, ainsi que des bâtiments des séminaires et des locaux d’habitation: archevêchés, évêchés, presbytères, mis à la disposition des ministres des cultes par l’Etat, les départements et les communes.
Art. 3.
Les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux menses, fabriques, consistoires, conseils presbytéraux et autres établissements publics préposés aux cultes antérieurement reconnus, seront concédés à titre gratuit aux associations qui se formeront pour l’exercice d’un culte, dans les anciennes circonscriptions ecclésiastiques où se trouvent ces biens.
Ces concessions, qui n’auront d’effet qu’à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront faites dans les limites des besoins de ces associations, par décret en Conseil d’Etat ou par arrêté préfectoral, suivant que la valeur des biens s’élèvera ou non à 10.000 francs, pour une période de dix années et à charge d’en rendre compte à l’expiration de cette période. Elles pourront être renouvelées dans les mêmes conditions pour des périodes de même longueur ou d’une longueur moindre.
Ne pourront être compris dans ces concessions: 1o les immeubles provenant de dotations de l’Etat, qui lui feront retour; 2o les biens ayant une destination charitable, qui seront attribués par décret en Conseil d’Etat ou par arrêté préfectoral, suivant la distinction précitée, aux établissements publics d’assistance situés dans la commune ou dans l’arrondissement.
Les biens non concédés dans un délai d’une année, à dater de la promulgation de la présente loi, ou dont la concession ne serait pas redemandée, seront attribués dans les mêmes formes entre les établissements d’assistance ci-dessus visés.
Art. 4.
Les ministres du culte qui, par application de la présente loi, cesseront de remplir des fonctions rétribuées par l’Etat, recevront les pensions et allocations suivantes:
1o Les curés et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés de plus de 60 ans et comptant 25 ans de service au moins, 900 francs; les vicaires remplissant les mêmes conditions, 350 francs.
2o Les curés et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés de plus de 50 ans et comptant au moins 20 ans de service, 750 francs; les vicaires remplissant les mêmes conditions, 300 francs.
3o Les curés et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés de plus de 40 ans et comptant 15 ans de service au moins, 600 francs; les vicaires remplissant les mêmes conditions, 250 francs.
4o Les curés et desservants, âgés de moins de 40 ans, recevront, pendant 4 ans, une allocation de 400 francs.
Les ministres des cultes protestant et israélite, les directeurs et professeurs des séminaires de ces cultes auront les mêmes pensions et allocations que celles attribuées aux curés et desservants, suivant les distinctions précitées et à des taux calculés dans les mêmes proportions que ci-dessus par rapport aux traitements actuels.
Les archevêques et évêques, le grand rabbin du Consistoire central auront une pension de 1.200 francs.
Ces pensions et allocations cesseront de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante ou pour un des délits visés par les articles 17 et 19 de la présente loi.
Les conditions de payement de ces pensions et allocations, ainsi que toutes les mesures propres à assurer l’exécution du présent article, seront déterminées par un règlement d’administration publique.
Art. 5.
Les édifices et autres biens affectés aux cultes antérieurement reconnus, qui appartiennent à l’Etat, aux départements ou aux communes, seront concédés, à titre onéreux, aux associations qui se formeront pour l’exercice d’un culte, dans les anciennes circonscriptions ecclésiastiques où se trouvent ces biens.
Ces concessions, qui n’auront d’effet que deux ans à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront faites dans les limites des besoins de ces associations, par décret en Conseil d’Etat ou par arrêté préfectoral, suivant que les biens appartiendront soit à l’Etat, soit aux départements ou aux communes, pour une période de dix années et à charge d’en rendre compte à l’expiration de cette période et de supporter les frais d’entretien et de grosses réparations.
Elles pourront être renouvelées, sous les mêmes conditions, pour des périodes de même longueur ou des périodes moindres.
Le prix de la concession ne pourra dépasser le dixième des recettes annuelles de l’association constatées d’après les dispositions de l’article 9 de la présente loi.
Des subventions pour grosses réparations pourront être accordées aux départements et aux communes dans les limites du crédit inscrit annuellement au budget du Ministère de l’intérieur.
Les biens non reconnus utiles pour les besoins des associations d’un culte ou dont la concession n’aura pas été redemandée pourront, dans les mêmes formes, être concédés à un autre culte ou affectés à un service public.
Les Conseils municipaux et les Conseils généraux seront appelés à donner leur avis pour la concession des biens communaux ou départementaux.
TITRE II
Associations pour l’exercice d’un culte.
Art. 6.
Les associations formées pour subvenir aux frais et à l’entretien d’un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901; elles seront soumises aux autres prescriptions de cette loi sous la réserve des dispositions ci-après:
Elles devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte.
Elles ne pourront employer aucun étranger dans les fonctions de ministre du culte.
Leurs administrateurs ou directeurs devront être Français, jouir de leurs droits civils, et avoir leur domicile dans le canton où se trouvent les immeubles consacrés à l’exercice du culte.
Art. 7.
Outre les cotisations prévues par l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901, elles pourront recevoir le produit des quêtes et collectes faites pour les frais et l’entretien d’un culte, dans les édifices consacrés à l’exercice public de ce culte, percevoir des taxes ou rétributions, même par fondations, pour les cérémonies et services religieux, pour la location des bancs et sièges, pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices.
Art. 8.
Ces associations pourront, dans les formes déterminées par l’article 7 du décret du 16 août 1901, constituer des unions.
Ces unions ne pourront dépasser les limites d’un département.
Art. 9.
Les associations tiennent un état de leurs recettes et de leurs dépenses; elles dressent chaque année le compte financier de l’année écoulée et l’état inventorié de leurs biens meubles et immeubles.
Elles peuvent constituer un fonds de réserve dont le montant ne devra pas être supérieur au tiers de l’ensemble de leurs recettes annuelles.
Ce fonds de réserve sera placé soit à la Caisse des dépôts et consignations, soit en titres nominatifs de rentes françaises ou de valeurs garanties par l’Etat.
A défaut par une association de remplir les charges de réparations qui lui sont imposées par l’article 5 pour les immeubles concédés, le fonds de réserve pourra être employé par arrêté préfectoral pris après mise en demeure restée sans effet, à réparer lesdits immeubles.
Outre ce fonds de réserve, elles pourront verser à la Caisse des dépôts et consignations d’autres sommes, mais seulement en vue de l’achat ou de la construction d’immeubles nécessaires à l’exercice du culte.
Elles seront tenues de représenter sans déplacement, sur toute réquisition du préfet, à lui-même ou à son délégué, les comptes et états ci-dessus prévus.
Art. 10.
Sont passibles d’une amende de seize à mille francs (16 à 1.000 fr.) et d’un emprisonnement de six jours à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement, les directeurs et administrateurs d’une association ou d’une union qui auront contrevenu aux dispositions des articles 6, 7, 8 et 9.
TITRE III
Police des cultes et garantie de leur libre exercice.
Art. 11.
Les cérémonies d’un culte, les processions et autres manifestations religieuses ne peuvent avoir lieu sur la voie publique, ni dans aucun lieu public, à l’exception des cérémonies funèbres, ni dans aucun édifice public autre que ceux qui sont concédés à un culte dans les conditions déterminées par la présente loi.
Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices concédés pour l’exercice d’un culte, des terrains de sépulture privée dans les cimetières, ainsi que des musées ou expositions publics.
Art. 12.
Les réunions pour la célébration d’un culte ne peuvent avoir lieu qu’après déclaration faite dans les conditions et les formes prescrites pour les réunions publiques, par l’article 2 de la loi du 30 juin 1881. Outre les noms, qualités et domiciles des déclarants, la déclaration indiquera ceux des ministres du culte appelés à exercer leur ministère.
Une seule déclaration suffit pour un ensemble de cérémonies ou assemblées cultuelles permanentes ou périodiques. Elle cesse de produire effet à l’expiration d’une année.
Toute réunion non comprise dans la déclaration, toute modification dans le choix du local ou des ministres du culte doivent être précédées d’une déclaration nouvelle.
Les représentants ou délégués de l’autorité publique ont toujours accès dans les lieux de réunion pour l’exercice d’un culte.
Art. 13.
Il est interdit de se servir de l’édifice consacré à un culte pour y tenir des réunions politiques.
Art. 14.
Les contraventions aux trois articles précédents sont punies d’une amende de cinquante à mille francs (50 à 1.000 fr.) et les infractions à l’article 13 peuvent être, en outre, punies d’un emprisonnement de quinze jours à trois mois.
Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 12 et 13, ceux qui ont organisé la réunion, ceux qui y ont participé en qualité de ministres du culte et ceux qui ont fourni le local.
Art. 15.
Sont punis d’une amende de cent à mille francs (100 à 1.000 fr.) et d’un emprisonnement de six jours à trois mois, ou de l’une de ces deux peines seulement, ceux qui, soit par menaces ou abus d’autorité, soit en faisant craindre à autrui de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, auront tenté de contraindre ou d’empêcher une ou plusieurs personnes d’exercer un culte, de contribuer aux frais de ce culte, de célébrer certaines fêtes, d’observer tel ou tel jour de repos et, en conséquence, d’ouvrir ou de fermer leurs ateliers, boutiques ou magasins, et de faire ou quitter certains travaux.
Art. 16.
Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres dans un édifice consacré à ce culte conformément à la loi.
Art. 17.
Sera puni des mêmes peines tout ministre d’un culte qui, dans l’exercice de ce culte, se rendra coupable d’actes pouvant compromettre l’honneur des citoyens et dégénérer contre eux en oppression, en injure ou en scandale public, notamment par des inculpations dirigées contre les personnes.
Art. 18.
Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées en public, soit outragé ou diffamé un membre du Gouvernement ou des Chambres, ou une autorité publique, soit cherché à influencer le vote des électeurs ou à les déterminer à s’abstenir de voter, sera puni d’une amende de cinq cents à trois mille francs (500 à 3.000 fr.) et d’un emprisonnement de un mois à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.
Art. 19.
Si un discours prononcé ou un écrit affiché, lu ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile.
Art. 20.
Dans les cas de poursuites exercées par application des articles 12, 13, 17, 18 et 19, l’association propriétaire, concessionnaire ou locataire de l’immeuble dans lequel le délit a été commis, et ses directeurs et administrateurs sont civilement et solidairement responsables.
Si l’immeuble a été concédé en vertu de la présente loi, la concession en peut être retirée dans les formes où elle a été faite.
La fermeture du local peut être immédiatement ordonnée par l’autorité judiciaire, qui prononce une condamnation pour infraction aux articles 13, 17, 18 et 19.
TITRE IV
Dispositions générales et transitoires.
Art. 21.
Un règlement d’administration publique déterminera les mesures propres à assurer l’application de la présente loi. Il réglementera en outre les sonneries de cloches.
Art. 22.
L’article 463 du Code pénal est applicable à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités.
Art. 23.
Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois du 1er juillet 1901, du 4 décembre 1902 et du 7 juillet 1904.
Art. 24.
La direction des cultes continuera à fonctionner pour assurer l’exécution de la présente loi.
Art. 25.
Sont abrogées toutes dispositions législatives ou réglementaires contraires à la présente loi et notamment:
1o La loi du 18 germinal an X, qui a déclaré que la convention du 26 messidor an IX, entre le gouvernement français et le Pape, ensemble les articles organiques de ladite convention, seraient promulgués et exécutés comme loi de la République;
2o Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants;
3o Le décret du 17 mars 1808 et la loi du 8 février 1831 sur le culte israélite;
4o Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du Code pénal;
5o Les articles 100 et 101, les paragraphes 11 et 12 de l’article 136 de la loi du 5 avril 1884.
Il suffisait de lire ce projet pour constater que son économie générale était sensiblement différente du projet provisoirement adopté par la Commission. En ce qui concerne, par exemple, le régime de la propriété et de la location des édifices du culte, celui des associations cultuelles, le système des pensions, les solutions proposées par le Gouvernement étaient en désaccord flagrant avec celles de la Commission.
Pour l’attribution de la propriété des biens immobiliers des Eglises, constitués à leur profit depuis le Concordat par dons et libéralités provenant en tout ou partie des fidèles, la Commission proposait une solution qui n’était peut-être pas très juridique, mais avait, du moins, le mérite de trancher la question une fois pour toutes, d’une façon nette et définitive. Elle avait fait deux parts des édifices: ceux qui ont été construits sur des terrains de l’Etat ou des communes ou achetés au moyen de leurs subventions; ceux, au contraire, qui ont été bâtis sur des terrains donnés par les fidèles ou achetés avec le produit de leurs dons et libéralités. Les premiers étaient déclarés propriété de l’Etat ou des communes; les seconds propriété des Eglises.
Le système proposé par le Gouvernement ne tranchait pas la question de propriété. Des biens ecclésiastiques, mobiliers ou immobiliers, qui sont postérieurs au Concordat, il faisait un lot que l’Etat, après prélèvement des biens donnés par lui ou ayant une destination charitable, répartirait par voie de concessions décennales renouvelables, entre les associations cultuelles dans la limite de leurs besoins. L’avantage de ce système serait de permettre la constitution, au profit des paroisses pauvres, d’un patrimoine pour assurer l’exercice du culte. Grâce à cette manière de procéder, l’Etat étant juge et maître de la répartition aurait sur l’emploi de ces biens un droit de contrôle qui n’est certes pas négligeable. Mais ce système devait avoir pour conséquence de perpétuer l’immixtion de l’Etat dans l’administration des choses ecclésiastiques. D’où la nécessité, dans le projet du Gouvernement, de conserver la direction des cultes que la Commission se plaçant à un autre point de vue, avait cru pouvoir supprimer.
En tout cas, si, sur ce point, le projet du Gouvernement pouvait paraître acceptable, il n’en était pas de même quant au silence gardé par lui sur la question de propriété relative aux biens mobiliers et immobiliers antérieurs au Concordat. Il était imprudent et dangereux de ne pas affirmer avec force et netteté, comme l’avait fait la Commission, la propriété de l’Etat ou des communes.
M. Combes n’avait pas cru nécessaire d’affirmer le droit de propriété de l’Etat et des communes, parce qu’il lui avait paru suffisamment établi par une jurisprudence constante. Mais la jurisprudence, c’est pure affaire d’interprétation, et celle-ci peut varier selon les cas, les temps et les juges. Jusqu’à ce jour, il est bien vrai que les décisions de la justice ont été conformes au droit de l’Etat et des communes; qui pourrait assurer que demain il n’en serait pas autrement?
Puis, un jugement, un arrêt, valent seulement pour les cas qu’ils ont appréciés; leur portée n’est pas générale; leur force exécutoire est strictement limitée à l’espèce jugée. Il en résulte que le projet du Gouvernement, une fois transformé en loi, rencontrerait des difficultés d’application presque insurmontables. Partout, dans toutes les paroisses, l’Eglise revendiquerait la propriété des édifices antérieurs au Concordat. Avant que l’Etat pût en disposer, il faudrait que cette question préjudicielle fût tranchée. Ce seraient des procès innombrables et interminables.
Puisqu’une occasion s’offrait de consacrer l’œuvre de la Révolution en affirmant, une fois pour toutes, et sans contestation possible, le droit de l’Etat et des communes, pourquoi ne pas la saisir?
Mais c’est aussi quant à la disposition des biens mobiliers et immobiliers antérieurs au Concordat, que les solutions de la Commission et du Gouvernement apparaissaient divergentes. Alors que la première rendait à l’Etat et aux communes, après une période de location de dix ans obligatoire, la libre disposition de leur propriété, celle du Gouvernement édictait, aux profits des associations cultuelles, un système de concessions décennales indéfiniment renouvelables, même pour les immeubles des départements ou des communes qui se seraient montrés hostiles au renouvellement. Il en résultait une grave atteinte au principe de la séparation. Cette obligation indéfinie, imposée aux communes et aux départements, de laisser leurs biens entre les mains des représentants des Eglises, prenait, en effet, le caractère d’une véritable subvention en faveur des cultes. C’était en outre là aussi, l’immixtion de l’Etat qui se perpétuait dans les affaires ecclésiastiques.
Sur le chapitre des pensions aux ministres des cultes la dissemblance était tout entière dans une question de mesure. Le projet de la Commission ne pensionnait que les ministres des cultes qui réalisaient certaines conditions d’âge et de durée des services concordataires. Celui du Gouvernement, beaucoup moins exigeant, tant pour l’âge que pour la durée des services, allait jusqu’à accorder, pendant une période de quatre années, à tous les curés et desservants concordataires sans exception, une subvention de quatre cents francs.
D’après une application de ce système de pensions, faite par les soins de la Direction des Cultes, il devait entraîner pour l’Etat une dépense annuelle de 22.444.500 francs, qui irait, naturellement, en décroissant chaque année.
Quant au régime des associations actuelles, la différence la plus importante entre les deux textes était relative aux unions. Alors que la Commission les avait autorisées, même nationales, le projet du Gouvernement, par son article 8, les enfermait dans les limites du département. C’était imposer aux Eglises une formation arbitraire qui, en les contraignant à modifier leur organisation intérieure, pouvait entraîner pour elles les difficultés les plus graves. Les Eglises protestantes dont les fidèles, peu nombreux relativement sont disséminés sur tous les points de la France, n’auraient pas pu s’accommoder de ce régime. Il en eût été de même pour la religion israélite.
Enfin, au chapitre de la police des cultes, pour ne noter que l’innovation la plus grave apportée par le projet Combes, nous signalerons l’article 17 dont les termes imprécis et vagues étaient de nature à inquiéter les consciences par l’interprétation arbitraire auquel ils pouvaient donner lieu.
Le premier examen du projet du Gouvernement provoqua, au sein de la Commission, les résistances les plus vives. Finalement les membres de la majorité consentirent à délibérer sur les articles, mais après de fortes réserves, et seulement parce que les circonstances commandaient d’éviter un conflit qui, en ajournant à plusieurs mois la discussion devant la Chambre, eût irrémédiablement compromis, au moins dans cette législature, le succès de la réforme. Mais s’ils consentaient à adopter le projet soumis à leurs délibérations c’était à la condition expresse que des modifications importantes fussent consenties par le Gouvernement sur les points de divergences les plus graves.
Le rapporteur fut chargé de s’entremettre auprès du Président du Conseil à fin de transaction. Dès la première entrevue, il devint évident que M. Combes, animé du plus vif désir de conciliation, accepterait d’entrer dans les vues de la Commission pour le règlement de la plupart des difficultés qui lui étaient signalées. Il consentit successivement: 1o à insérer en tête de son projet une déclaration de principes conforme à celle du texte de la Commission; 2o à affirmer le droit de propriété de l’Etat et des communes sur tous les biens mobiliers et immobiliers antérieurs au Concordat; 3o à remettre à l’Etat et aux communes la libre disposition de ces biens dès l’expiration de la période de dix ans obligatoire pour la location aux associations cultuelles; 4o à n’imposer aux unions d’autres limites que celles des circonscriptions ecclésiastiques existantes; 5o à supprimer les délits spéciaux créés par l’article 17.
Il ne restait plus à régler que la question des pensions et quelques points de détails relatifs à l’ingérence de l’Administration préfectorale dans les affaires ecclésiastiques pour aboutir à l’accord complet et définitif. Le rapporteur ne désespérait pas d’y réussir, et déjà il se proposait de tenter une dernière démarche dans ce but, quand le ministère Combes prit la résolution de quitter le pouvoir.
L’un des premiers actes de son successeur fut de saisir la Chambre d’un nouveau projet sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Déposé le 9 février 1905, il fut renvoyé à l’étude de votre Commission. En voici le texte: