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La séparation des Églises et de l'État: Rapport fait au nom de la Commission de la Chambre des; Députés, suivi des pièces annexes

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Art. 31.

Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement, par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public sera puni d’une amende de 500 francs à 3.000 francs et d’un emprisonnement de un mois à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.

Art. 32.

Si un discours prononcé ou un écrit affiché, ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile.

Ces articles sont destinés à remplacer les articles 201, 202, 203, 204, 205 et 206 du Code pénal, abrogés par l’article 37 du projet de loi.

Ces articles du Code pénal avaient trait aux critiques, censures, ou provocations dirigées par les ministres des cultes contre l’autorité publique dans des discours ou écrits pastoraux.

Les articles 107 et 108 du même Code qui tendaient à réprimer la correspondance des ministres des cultes avec des puissances étrangères ont été supprimés purement et simplement par l’article 37 du projet sans qu’il ait paru utile de les remplacer. Les dispositions des articles 75 et suivants du Code pénal relatives aux crimes et délits contre la sûreté intérieure ou extérieure de l’Etat sont suffisantes en effet pour réprimer à ce point de vue les agissements des ministres des cultes.

La Commission a cherché par des textes précis à interdire aux ministres des cultes et à leurs complices d’user de leur influence dans un but politique contre des personnalités publiques; de transformer la chaire en tribune et l’Eglise en asile séditieux.

Dans le cas où les paroles ou les actes punis et réprimés par ces articles auraient été suivis d’effet, les complices des ministres des cultes pourront être poursuivis et condamnés selon les règles visant la complicité.

De telles dispositions n’ont rien d’antilibéral, elles ne peuvent atteindre les ministres du culte exclusivement soucieux de leur œuvre religieuse. Elles étaient indispensables, car ici le droit commun restait insuffisant. Il était impossible de traiter sur le pied de l’égalité, quand il s’agit de l’exercice du droit de la parole, le prêtre dans sa chaire et le simple citoyen dans une tribune de réunion publique. Le délit commis par celui-ci, qu’il s’agisse d’outrages, de diffamation envers les personnes ou d’excitation à la violence, à la sédition, n’est en rien comparable, comme gravité, au délit commis par un ministre des cultes en pareil cas. Le lieu, les circonstances du délit, l’autorité morale de celui qui le commet sont des éléments dont il est impossible de ne pas tenir compte. Aucune assimilation n’est à faire entre la portée, les conséquences d’un discours de réunion publique devant un auditoire averti, où toutes les opinions sont le plus souvent en présence, où l’on est habitué à faire la part des exagérations, où la contradiction, toujours possible, offre toutes garanties de mise au point et celles d’un sermon prononcé par un ministre du culte devant des auditeurs livrés inertes et sans défense par la croyance ou la superstition aux suggestions d’une parole qui tient sa force des siècles et n’a jamais été affaiblie par la controverse.

Du reste, en quoi cette restriction au droit commun pourrait-elle faire obstacle au libre exercice des cultes? Un prêtre, un pasteur, un rabbin sont-ils donc exposés fatalement, de par leurs fonctions mêmes, à tomber sans cesse sous le coup de ces pénalités pour des délits de cette nature? Si non, ils n’auront rien à redouter de la loi, ne seront en rien gênés par elle; dans le cas contraire, c’est qu’alors l’Eglise n’est pas seulement, comme le prétendent ses défenseurs, l’expression vivante de la religion, mais aussi et surtout une force organisée au service d’intérêts politiques. Dans ce dernier cas, toutes les précautions prises par l’Etat dans l’intérêt de sa défense ne peuvent qu’être justifiées.

Art. 33.

Dans le cas de condamnation par les tribunaux de simple police ou de police correctionnelle en application des articles 23 et 24, 31 et 32, l’association constituée pour l’exercice du culte dans l’immeuble où l’infraction a été commise et ses directeurs et administrateurs sont civilement et solidairement responsables.

Si l’immeuble a été loué à l’association par l’Etat, les départements ou les communes en vertu de la présente loi, la résiliation du bail pourra être demandée par le bailleur.

Pour que les condamnations fussent effectives, il fallait rendre responsables les directeurs et administrateurs de l’association. On sera ainsi assuré qu’ils veilleront à l’observation de la loi et rempliront leur mandat avec scrupule. Ils pourront, bien entendu, être astreints à d’autres responsabilités civiles.

En cas d’infraction à la police des cultes, la résiliation des baux consentis par l’Etat, le département ou la commune, peut devenir une mesure nécessaire, parfois même urgente. Mais cette résiliation sera prononcée en justice. C’est une sanction accessoire qui n’a pas lieu de plein droit comme dans le cas prévu par l’article 11 où elle est prescrite à titre impératif. L’Etat, le département ou la commune demanderont, s’ils le jugent à propos, la résiliation pour laquelle une décision judiciaire doit intervenir.

TITRE VI

Dispositions générales.

Art. 34.

L’article 463 du Code pénal est applicable à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités.

Il est en quelque sorte de style dans toute réglementation ayant un caractère pénal. Le droit et l’équité exigeaient son insertion dans la législation relative à la police des cultes.

Art. 35.

Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois des 1er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904.

Il était utile d’interdire ainsi à ceux qui seraient chargés d’interpréter ou d’appliquer la loi, toute confusion entre les associations cultuelles et les congrégations religieuses. Ces dernières ne sauraient être admises à bénéficier du régime institué pour celles-là. Lorsqu’une association cultuelle se formera et réclamera le droit de participer aux avantages de la loi, on devra rechercher si elle n’a pas en fait le caractère d’une congrégation.

Art. 36.

Un règlement d’administration publique rendu dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi déterminera les mesures propres à assurer son application.

Cette disposition est encore de style dans toute œuvre législative établissant en quelque matière un régime nouveau.

La loi ne peut pas prévoir et édicter tous les détails de procédure qu’entraîne son application; il appartiendra au Gouvernement, par la voie d’un règlement d’administration publique, d’en préciser tous les détails. Ce règlement, pour ne pas laisser trop longtemps la volonté du législateur en suspens, devra être rendu dans les trois mois, à dater de la promulgation de la loi.

Art. 37.

Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions relatives à l’organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l’Etat ainsi que toutes dispositions contraires à la présente loi et notamment:

1o La loi du 18 germinal an X, portant que la convention passée le 26 messidor an IX entre le pape et le Gouvernement français, ensemble les articles organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés comme des lois de la République;

2o Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants;

3o Les décrets du 17 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l’ordonnance du 25 mai 1844 sur le culte israélite;

4o Les décrets des 22 décembre 1812 et 19 mars 1859;

5o Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du Code pénal;

6o Les articles 100 et 101, les §§ 11 et 12 de l’article 136 et l’article 167 de la loi du 5 avril 1884;

7o Le décret du 30 décembre 1809 et l’article 78 de la loi du 26 janvier 1892[19].

Le dernier article du projet reproduit la formule traditionnelle par laquelle se trouvent annulées toutes les dispositions légales ou réglementaires antérieures qui seraient contraires à la présente loi.

Mais il a paru nécessaire d’abroger expressément, par une disposition spéciale, certains textes relatifs au régime ou à la police des cultes. Nous les avons signalés un à un au cours de notre commentaire toutes les fois qu’une disposition nouvelle était destinée à les remplacer. Il serait oiseux d’y revenir.

Constatons seulement que désormais il n’y aura plus aucune organisation officielle des cultes, que ceux-ci seront libres dans les limites de l’ordre public déterminées par le projet.

Mais il est une disposition de l’article 37 au sujet de laquelle un commentaire s’impose.

Il s’agit de l’abrogation de la loi du 18 germinal an X, portant que la convention passée à Paris le 26 messidor an IX entre le pape et le Gouvernement français sera exécutée comme loi de la République.

L’abrogation du Concordat pouvait-elle être valablement prononcée par acte unilatéral, et sous quelle forme?

Il faut distinguer entre la loi qui a rendu exécutoire en France le Concordat, et la Convention elle-même conclue avec le Saint-Siège. La loi peut être abrogée par une autre loi et ne peut l’être autrement.

L’acte législatif est libre et le Parlement a toujours le droit de l’accomplir.

Le Concordat, convention sui generis, est indéniablement un contrat synallagmatique, dont la durée n’a pas été déterminée conventionnellement, qui s’exécute par des actes continus et successifs, et pour les difficultés d’interprétation ou d’application duquel aucun tribunal ne peut être compétent.

Est-il perpétuel? Qu’on le considère comme un traité diplomatique, ou comme de droit privé, s’il portait clause de perpétuité, celle-ci en vertu de notre droit moderne devrait être considérée comme non écrite. Les Etats ne peuvent, pas plus que les individus, obliger indéfiniment leurs successeurs et les lier par des liens indissolubles.

Mais pareille clause n’existe pas dans le Concordat; il garde simplement le silence sur la rupture des accords qu’il consacre, et prévoit seulement le cas où le chef de l’Etat français ne serait pas catholique et où il y aurait lieu de procéder à une nouvelle convention (article XVIII).

Comment pourrait-il prendre fin?

Par la volonté exprimée de l’une des parties de ne pas remplir ses engagements; par la volonté présumée de l’une des parties de ne plus se conformer à ses obligations (article 1184 du Code civil); par une entente entre les deux parties.

Il n’y a pas eu entre le Gouvernement français d’entente proprement dite avec le Pape. Il n’y a pas eu de volonté expressément notifiée par une des parties de ne plus exécuter la convention. Mais il y a eu certains actes de la papauté qui ont été interprétés par le Gouvernement français en ce sens, qu’elle se refusait, sur les matières à propos desquelles ces actes avaient été accomplis, à observer les obligations du Concordat.

Il est vrai qu’un tribunal n’a pas été appelé à juger ce différend. Mais aucun tribunal n’avait pareille compétence et ce défaut de juge ne pouvait donner au Concordat une pérennité contraire au droit privé, public et international.

Nous n’avons pas ici à rechercher si le Gouvernement français a eu raison d’apprécier l’attitude du pape, en certaines circonstances, comme un refus de se conformer au Concordat. Il y a un acte gouvernemental interprétant ainsi les agissements de la papauté. C’est là un fait accompli. Le Concordat est considéré et doit être considéré comme rompu par la volonté présumée et unilatérale du pape qui a agi de telle sorte que le Gouvernement de la République a considéré ses actes comme une inexécution délibérée du contrat.

Dès lors, le Gouvernement peut et doit convier le Parlement à abroger la loi déclarant le Concordat exécutoire comme une loi française.

L’article 37 a cet objet.

S’il est vrai qu’une dénonciation diplomatique de la convention eût été conforme au droit international, elle est aujourd’hui impossible, les relations diplomatiques étant rompues entre la République française et le Pape.

Du reste avant la rupture de ces relations une note du Ministre des Affaires étrangères officiellement notifiée au cardinal secrétaire d’Etat, en date du 29 juillet 1904, avertissait solennellement le Vatican que le Gouvernement de la République française «a prévenu le Saint-Siège de la conclusion qu’il serait amené à tirer de la méconnaissance persistante de ses droits» (concordataires) et que «obligé de constater... que le Saint-Siège maintient les actes accomplis à l’insu du pouvoir avec lequel il a signé le concordat, le Gouvernement de la République a décidé de mettre fin à des relations officielles qui, par la volonté du Saint-Siège se trouvent être sans objet».

C’était dire, en termes diplomatiques, que le Gouvernement considérait que par la volonté du Saint-Siège, le Concordat n’était plus observé et que, par suite, les relations existant entre la République et le Pape devenaient sans objet.

Dès lors la dénonciation du Concordat devient inutile, les agissements du Saint-Siège ayant été tels que le Gouvernement français a pu en déduire l’intention du Pape de ne plus exécuter intégralement la convention signée par Bonaparte et Pie VII.


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