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La Terre de Feu d'après le Dr Otto Nordenskjöld

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CHAPITRE XI

Le plateau de Las Baguales.—Du rio de Los Baguales au rio Coyle.—Le guanaco.—Le nandou.—Perdus dans la pampa.

Après avoir visité la côte Sud du lac Sarmiento, l'expédition suédoise se dirigea vers le plateau de Las Baguales. Sur le bord du rio de Las Baguales, Nordenskjöld abandonna sa caravane et piqua droit vers la montagne, accompagné seulement de deux hommes. Très curieuse la vallée de ce rio, bordée à l'Est par un escarpement de 1 000 mètres, couronné d'une nappe de basalte découpée en aspérités fantastiques. Au fond du paysage les basaltes se dressent également en une montagne hérissée de pinacles et de tours, pareilles à un gigantesque château du Moyen âge. Une des gravures reproduites ci-après montre un autre exemple d'érosion au pico Deseado.

«... Aucun arbre n'existe dans cette région, raconte O. Nordenskjöld, il ne saurait donc être question ici de limite supérieure de la végétation forestière; les dernières broussailles de berberi dépassées, les premières neiges ne sont plus loin. Nous établissons le bivouac, ce n'est ni long, ni difficile, nous n'avons point de tente, pour tout abri nous ne possédons qu'un prélart. Heureusement un beau ciel étoilé scintille au-dessus de nous dans le calme profond du désert.»

Le lendemain continuation de l'ascension. Au-dessus des premières neiges, le sol, tout imprégné d'eau, devient un bourbier. A chaque pas les chevaux glissent et manquent de culbuter dans quelque précipice. Soudain la monture du chef de l'expédition fait un faux pas, elle va rouler dans l'abîme, le cavalier n'a que le temps de lâcher bride et étriers pour se jeter de côté; abandonné à lui-même, l'animal retrouve aussitôt son équilibre. Il serait imprudent d'emmener plus loin les chevaux, et, abandonnant ses compagnons qui ne sont pas précisément des alpinistes, Nordenskjöld s'achemine seul vers le sommet de la montagne (1,100 mètres), situé sur la crête séparant les eaux atlantiques de celles qui s'écoulent vers le Pacifique par le fjord de l'Ultima Esperanza. De ce point le panorama est grandiose, embrassant toute une vaste portion de la Cordillère des Andes; de tous côtés ce n'est qu'un hérissement de colosses neigeux découpés d'abîmes qui renferment d'étroites vallées.

CRATÈRE ÉRODÉ AU PICO DESEADO

Dans cette région les guanacos sont extrêmement abondants. Nulle part ailleurs au cours de ses excursions antérieures l'expédition n'en avait rencontré une telle quantité. Certaines montagnes grouillaient de troupeaux comptant plusieurs milliers de têtes. Le guanaco (Auchenia Huanaco) est le plus grand animal de la pointe extrême de l'Amérique du Sud. Sa taille atteint 1 mètre 60 et sa longueur 2 mètres 30.

Naturellement il est l'objet d'une chasse acharnée; les indigènes, ne possédant pas d'armes à feu, le poursuivent à cheval avec des chiens. Seule la chair des jeunes est mangeable. Inutile de vouloir essayer de déchiqueter la viande des exemplaires adultes; les plus solides mâchoires ne peuvent entamer un pareil morceau de cuir. Seule également la peau des jeunes est utilisable. Elle sert à fabriquer des manteaux dits quillangos, un des principaux articles d'exportation du pays. Treize peaux sont nécessaires pour la confection d'un tel vêtement; à Punta-Arenas la valeur d'un beau quillango peut atteindre 50 francs. Pour toutes ces raisons on ne tue que les jeunes animaux et chaque année on en fait une véritable hécatombe. La chasse est pratiquée en décembre et en janvier; elle est menée surtout avec ardeur par les Indiens qui trouvent dans cette industrie une source importante de revenus; les blancs ne négligent pas non plus ce profit et à cette époque un certain nombre vont mener la vie du trappeur dans la pampa. Les troupeaux rencontrés par Nordenskjöld sur les crêtes de Baguales s'étaient probablement réfugiés au milieu des montagnes pour échapper à une poursuite acharnée. A quelque temps de là les explorateurs rencontrèrent du reste plusieurs campements de Patagons. Cette tribu si célèbre est aujourd'hui bien réduite. Ce sont de beaux hommes, vigoureux, bien découplés, bien différents de leurs misérables parents de la rive Sud du détroit de Magellan, mais ce ne sont nullement des géants comme la légende s'est plu à les représenter.

PITON BASALTIQUE DE LA SIERRA DE LAS BAGUALES

Les Patagons vivent dans des tentes en peaux de guanaco, ou en toile, soutenues par des morceaux de bois; au fond sont installés les lits de la famille et à l'entrée le foyer. Dressées sur le bord d'un petit ruisseau, à l'abri du vent, ces tentes constituent, en somme, des habitations relativement plus agréables que celles de nombre de colons. Ces indigènes sont nomades; ce genre de vie leur est rendu d'autant plus facile qu'ils disposent de nombreux troupeaux de chevaux pour le transport des bagages. Nordenskjöld cite le cas d'un groupe de ces naturels qui possédait 400 chevaux magnifiques.

Les Patagons, se trouvant en relations constantes avec les blancs, sont aujourd'hui très civilisés. Des unions ont même lieu entre les deux races. De pareils mariages sont, il est vrai, calamiteux pour le colon. Les fils de la Pampa ont, en effet, l'habitude de venir s'installer chez les nouveaux mariés et de vivre à leurs dépens; la coutume admet à prendre part à cette vie commune, non pas seulement la famille la plus proche de la femme, mais encore tous ses cousins jusqu'au quatrième et cinquième degré.

PITON BASALTIQUE DE LA SIERRA DE LAS BAGUALES

De la vallée des Baguales, l'expédition suédoise se dirigea vers la pampa, vers le rio Coyle, pour étudier dans cette région les steppes de la Patagonie. Un fort triste pays, constitué par une couche de cailloux, arrondis, polis par le vent; en fait de végétation de petites-plantes, basses et rabougries, éclatantes, il est vrai, d'une floraison merveilleuse. Seulement au fond des vallons creusés à pic dans l'épaisseur de cette plaine, des pelouses égayent le regard. De temps à autre une lagune blanchit la tonalité neutre du sol, ponctuée de taches roses formées par des troupes de flamants. On approche et à la place d'une nappe d'eau on ne trouve le plus souvent qu'une couche de sel. A côté des flamants, on observe également des nandous. La chasse à cet oiseau est la passion des indigènes; il fournit, en effet, une chair excellente, et ses plumes, sans valoir celles de l'autruche d'Afrique, se vendent encore un certain prix. Aussi bien, à la vue de ces oiseaux, deux des membres de la mission n'y purent tenir et partirent à leur poursuite, tandis que M. Nordenskjöld continuait sa route, laissant en arrière les bagages à la garde d'un homme. La liaison entre les deux parties de la caravane devait être obtenue au moyen de feux qui, dans ces plaines immenses, sont visibles de fort loin. Malheureusement, le soir la pluie survint et il fut impossible d'allumer un brasier. Le deuxième jour, ni chasseurs, ni bagages n'avaient encore paru; il était donc de toute nécessité de se mettre à la recherche des égarés. Avec cela les vivres manquaient...

«Tandis que j'envoyais un homme, raconte notre voyageur, chercher des provisions chez le colon que nous avions quitté quelques jours auparavant, je battis l'estrade dans l'espérance de retrouver les chasseurs; en même temps j'allumai un grand feu pour signaler notre présence aux retardataires. Bientôt toute une partie de la prairie fut en flammes. Il est sévèrement interdit d'user de pareils procédés, mais dans ce désert personne n'a cure des lois ni des règlements. Mes recherches étant demeurées inutiles, je continuai ma route. Une rude expédition à marches forcées à travers un désert, sans tente, sans autre combustible que des fumées de guanaco, sans autre nourriture que du riz et les produits de la chasse. Un homme ayant réussi à capturer un puma, ce fut presque l'abondance. Dans l'après-midi du troisième jour, nous rencontrâmes quelques moutons isolés; évidemment nous approchions d'une localité habitée. Avec une nouvelle ardeur nous poursuivons donc notre route à travers la large vallée verdoyante du rio Coyle; dans la soirée nous atteignons enfin l'établissement d'un éleveur. Le propriétaire est malheureusement absent et le gérant refuse de nous vendre quoi que ce soit. C'est la première fois qu'au cours de ce long voyage l'hospitalité la plus large ne m'est pas accordée. Enfin, après d'interminables pourparlers, je réussis à obtenir une marmite de graisse de mouton qui fit nos délices. Sur ces entrefaites le propriétaire arriva. Inutile de dire qu'il s'empressa de nous faire oublier l'accueil de son employé. Les nouvelles qu'il apportait nous rassurèrent sur le sort de nos camarades. Les chasseurs avaient été vus quelques jours auparavant, se dirigeant bien tranquillement vers Punta-Arenas.

«Nous demeurâmes un jour dans cette estancia, puis nous nous acheminâmes à notre tour vers ce port. Le voyage dura huit jours et n'offrit que peu d'intérêt. Le 19 janvier, nous faisions notre entrée dans Punta-Arenas. Au retour du désert, les cases toutes basses et les rues sales de la capitale des Terres Magellaniques font un effet presque grandiose et donnent la sensation de la rentrée dans le monde civilisé.»

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