La Terre de Feu d'après le Dr Otto Nordenskjöld
CHAPITRE XII
Une excursion au Chili.—Le désert d'Atacama.—Ses richesses minérales.—Les mines de Tamaya et de Condoriaco.
Pendant l'hiver austral de 1896, M. O. Nordenskjöld interrompit son exploration de la Terre de Feu pour entreprendre une course rapide au Chili.
Au cours de cette excursion il visita le désert d'Atacama, une des parties les plus intéressantes de cette république. L'Atacama renferme, dit-on, dans l'Est, les plus hautes saillies du globe après celles du Tibet et de l'Himalaya; mais ce qui donne à ce pays son aspect typique, son faciès désertique, c'est la rareté des précipitations atmosphériques. Si, sur les bords de cette zone, on enregistre une ou deux chutes de pluie par an, dans l'intérieur, on ne compte que quelques ondées par siècle. Dans un tel pays, la végétation est naturellement peu abondante, mais combien extraordinaire! de gigantesques cactus, des plantes épineuses, toutes basses, aux aspects difformes et grimaçants. A une époque ancienne les pluies furent cependant plus copieuses; les profondes vallées, à sec aujourd'hui, qui sillonnent le pays, n'ont pu, en effet, être modelées que par les actions d'un ruissellement singulièrement abondant et actif. Depuis, l'érosion atmosphérique a désagrégé les sommets, couvert d'amas de blocs les versants et les vallées; tous ces produits d'altération, n'ayant pu être entraînés, demeurent en place comme de gigantesques ruines. Encore un caractère commun avec les régions pamiriennes et tibétaines. Sur la côte la présence de quelques haut sommets détermine des précipitations plus fréquentes, mais en dehors de ces localités d'immenses espaces sont absolument secs et ne renferment que quelques petites oasis créées par de minces filets d'eau issus des glaciers et des neiges qui tapissent les flancs des grands volcans de la Cordillère, comme le San José et les crêtes de la ligne de partage des eaux (Cerros del Divortium) ici très accentuées. Et cet épouvantable désert, un des plus tristes et un des plus vastes de la terre, contient des richesses minérales d'une fécondité extraordinaire. Ce sol sur lequel rien ne peut pousser recèle en abondance de l'or, de l'argent, du cuivre, du fer, du plomb, du manganèse, du soufre, du borax, etc., etc. L'argent et le cuivre constituent les exploitations les plus rémunératrices. Dans le Sud de l'Atacama et à l'Est de Coquimbo, se trouvent les mines de Tamaya, le plus riche gisement de cuivre du monde, dit-on. Un chemin de fer relie Coquimbo à Ovalle, situé à cinq heures de cheval de la mine. Les procédés d'exploitation étaient, lors de la visite de M. Nordenskjöld, extrêmement primitifs. La mine appartenant à un grand nombre de propriétaires, chacun d'eux faisait travailler sans se préoccuper de son voisin et sans nul souci d'obtenir le meilleur rendement. Pour ramener le minerai d'un puits profond de deux cent cinquante mètres, point de machines; on le hissait à dos d'homme, dans des sacs en peau de bœuf; ces sacs d'un poids énorme, des malheureux devaient les transporter, en grimpant comme des écureuils sur des échelles branlantes ou des roches escarpées glissantes comme du verre.
Dans les mêmes parages sont situées les fameuses mines d'argent de Chañarcillo, qui comptèrent longtemps parmi les plus riches du monde. La valeur totale de leur production s'est élevée, dit-on, à sept cents millions. Aujourd'hui elles sont abandonnées. Non loin de là, aux environs de Condoriaco, de très importants gîtes métallifères se trouvent, tous dans de bonnes conditions d'exploitation. Condoriaco forme une petite ville minière composée de misérables cassines d'ouvriers; dans un pays où la pluie et le froid sont inconnus, les indigènes ne sentent point le besoin de bonnes habitations. Ici les mineurs n'ont encore formulé aucune revendication, le droit à la grève n'a point été proclamé et les relations entre patrons et ouvriers sont restées patriarcales.
Dans la même région M. Nordenskjöld visita les importantes mines d'argent de Veteranas, puis revint à Serena sur le Pacifique. La distance entre les deux localités est de quatre-vingts kilomètres, mais combien difficile est la route, tantôt établie en longs lacets pour escalader un escarpement haut de huit cents mètres, tantôt taillée en balcon sur le flanc de falaises ou de traînées d'éboulis! Néanmoins, grâce au bon marché des transports et de la main-d'œuvre, le minerai peut être exporté dans des conditions encore avantageuses.
M. Nordenskjöld visita ensuite Copiapo, une des plus jolies oasis de l'Atacama, entourée de vergers de chirimoya. D'après le jugement d'un grand nombre de voyageurs, le fruit de cet arbre serait le meilleur qui existe au monde. Des millions et des millions ont passé par cette petite ville; son importance économique est, d'ailleurs, mise en évidence par ce fait que, dès 1851, une voie ferrée y fut établie, la première construite dans l'Amérique du Sud.
De Copiapo, notre voyageur suédois alla visiter plusieurs exploitations, notamment celle d'Amolanas. Très curieux le pays traversé par le chemin de fer; tantôt de tristes déserts de sable, tantôt d'âpres montagnes nues et desséchées. Dans la vallée du rio Copiapo, le terminus de la ligne est situé à l'altitude de mille mètres; les mines sont situées à trente kilomètres de là, et à quinze cents mètres plus haut: elles produisent du cuivre.
Mais la plus grande richesse du Nord du Chili consiste dans les fameux gisements de salpêtre. Les plus riches se rencontrent dans la province de Tarapaca, ainsi que dans les parties centrales de l'Atacama. Le salpêtre se rencontre généralement à une profondeur d'un mètre.