La Terre de Feu d'après le Dr Otto Nordenskjöld
CHAPITRE XIII
Résultats de l'expédition Nordenskjöld à la Terre de Feu et en Patagonie.
A une époque géologique relativement récente, pendant l'ère quaternaire, on sait qu'une grande partie de l'Europe était ensevelie sous une épaisse carapace de glace, pareille à celle qui recouvre aujourd'hui le Grönland. Toute la Scandinavie, une grande partie de la Russie d'Europe, l'Allemagne presque entière, l'Écosse et une notable fraction de l'Angleterre formaient une gigantesque mer de glace, tandis qu'autour des reliefs de nos pays se développaient de puissants glaciers. L'Amérique du Nord a, elle aussi, passé par cette phase extraordinaire. Le même phénomène s'était-il produit dans l'hémisphère austral? Telle était la question que se posaient les géologues. Dans la Nouvelle-Zélande des traces certaines d'une ancienne extension des glaces avaient été relevées, mais peut-être est-ce là un phénomène local? Cette île, très montueuse, est isolée, et l'allongement des glaciers pouvait avoir été déterminé par des circonstances spéciales, telles qu'une aggravation du climat dans cette région. Dans les terres magellaniques des massifs montagneux portaient des indices remarquables d'une ancienne glaciation. Cette glaciation s'était-elle étendue sur la plaine voisine? A cet égard les observations précises faisaient défaut.
M. O. Nordenskjöld a eu l'honneur de résoudre cette question particulièrement intéressante de l'histoire du globe et a reconnu que cette région avait, elle aussi, eu une période glaciaire. La plaine fuégienne se termine, sur l'Atlantique, par un escarpement, dont la hauteur varie de 30 à 70 mètres, qui constitue une superbe coupe géologique. Le premier examen de cet escarpement donna au naturaliste suédois la solution du problème. En effet, dans toute sa hauteur la falaise est constituée par de l'argile morainique que la glace, dans son mouvement d'écoulement, a entassée ici en masses énormes. Si l'on avance vers l'Ouest, on trouve, au pied de la Cordillère, un paysage non moins caractéristique résultant de l'action des anciens glaciers. M. Nordenskjöld a réussi à reconstituer les stades de la glaciation dans l'extrême sud de l'Amérique méridionale et a reconnu que ce phénomène y avait éprouvé les mêmes phases que dans l'hémisphère Nord.
Avant cette invasion de glaces, quel était le climat de l'extrémité méridionale de l'Amérique? L'expédition suédoise a également étudié cette intéressante question. La découverte de plantes fossiles en différentes localités indique qu'à cette époque la végétation était assez semblable à celle d'aujourd'hui. Toutefois la rencontre d'empreintes d'araucaria aux environs de Punta-Arenas semble indiquer que le climat était jadis plus chaud; il devait être également plus humide. Ces plantes fossiles datent de la première moitié des temps tertiaires, de cette période durant laquelle toute l'Europe septentrionale et même les régions polaires étaient couvertes de magnifiques forêts vierges. De ces recherches poursuivies à la Terre de Feu il résulte que les variations de climat qui ont affecté l'hémisphère Nord se sont produites presque en même temps dans l'hémisphère Sud. Il y a donc eu un phénomène général et non point simplement local.