Le Banian, roman maritime (1/2)
XII
Ah! si vous saviez, mon cher ami, ce que c'est que d'être attaché jour et nuit sur le banc du char avec lequel on éclabousse toutes les petites renommées de rien, toutes les basses envies qui barbottent sur vos traces dans la fange ou la poussière, vous me plaindriez, j'en suis sûr, même au sein de mon opulence et de mes voluptés asiatiques.
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Une fortune bâtie sur le sable;—un jour de fatuité.
«Presque tous les voyages de mer sont devenus aujourd'hui des choses tellement communes, que c'est à peine si une campagne au long cours peut compter comme un événement dans la vie d'un homme. Il faut que quelque circonstance bien extraordinaire pour les marins eux-mêmes, vienne varier la monotonie accoutumée des courses à travers les deux Océans, pour qu'un passager s'expose au ridicule de dire dans le monde: J'étais là quand cet accident a eu lieu: je suis échappé seul de tout l'équipage, à tel naufrage ou à tel massacre sur les îles de la Sonde. Les poétiques monstres marins de Carybde et Scylla ne sont plus maintenant que des rochers méprisés par les plus pauvres pêcheurs eux-mêmes. Les îles Fortunées, peuplées, pour les antiques navigateurs, de tant de joies et d'enchantemens, n'apparaissent plus à la longue-vue des capitaines, que comme des points de longitude, bons tout au plus à régler leurs chronomètres. Le gouffre redouté des Abrolhos a cessé, depuis trois siècles, de vomir sa volcanique écume: c'est à peine aujourd'hui un écueil marqué sur les cartes marines… Plus de peur, plus de mythologie, partant plus de poésie sur le vaste sein des mers!… Le merveilleux dont se composaient nos anciens voyages, ne serait plus digne de figurer dans nos plus fades romans. Le positif a tué jusqu'à l'histoire.»
Ma traversée de la Martinique au Hâvre, et mon retour du Hâvre à la Martinique se firent, à peu près, comme des voyages en diligence. Une casquette m'aurait suffi, je crois, pour garantir ma tête de ces grands cahots du navire, oublié pendant deux mois, entre ce ciel, éternel spectacle des marins, et cette mer que la quille d'un bâtiment laboure si nonchalamment d'un sillon de quinze cents à deux mille lieues. Pas le plus petit événement pour moi sur les flots, dans cette navigation où jadis j'avais placé de si vives espérances d'aventures, un si romanesque avenir de plaisirs et d'émotions… Mais c'est qu'aussi entre mon premier départ de France et mon retour aux Antilles, toute une vie spéculative était venue séparer les rêves de ma jeunesse, des préoccupations d'un âge plus avancé. Et puis, dans les flancs de ce bâtiment qui me ramenait sur le théâtre de mes premiers succès commerciaux, n'avais-je pas à songer à des intérêts plus sérieux que ceux de mes amusemens ou de mes goûts? Toute ma riche pacotille acquise au prix de mes travaux passés, et augmentée des nouveaux sacrifices faits par ma famille en faveur de ma bonne conduite et de mon intelligence!… Oh! que j'aurais redouté, en revenant aux îles, la rencontre d'un de ces pirates qu'une année auparavant j'aurais tant désirée, pour jeter un peu de merveilleux dans mon existence inoccupée! Ne nous parlez pas de ces équipages qui ont fait beaucoup de prises, pour bien se battre, disent les corsaires. Ne me parlez pas, ajouterai-je, pour paraphraser cet aphorisme maritime, ne me parlez pas des gens qui ont gagné quelque chose, pour avoir de l'imagination.
En revoyant la ville de Saint-Pierre, et après y avoir opéré le débarquement de mes nouvelles marchandises, je m'informai, avec distraction et par désœuvrement, du sort de M. Baniani Létameur que j'avais laissé, à mon départ, il y avait à peu près six mois, fondant une grande maison de commerce sur une circulaire. «M. Baniani! me répondit-on; mais c'est une des premières maisons de la place, une des meilleures signatures de l'île! Tenez, il habite non loin d'ici les anciens bureaux de la Douane; un vrai ministère; sept à huit commis, un personnel immense; et des maîtresses donc, oh! des maîtresses… Ah! l'heureux coquin!»
«Diable! pensai-je en apprenant la destinée brillante de notre Banian, comme les premières maisons poussent vite sur ce sol que j'ai à peine quitté quelques semaines!… Voyons, par curiosité, MM. Baniani Létameur et Compagnie dans sa nouvelle splendeur, pendant qu'il en est temps encore: ce sont de ces grands spectacles qu'ici il ne faut jamais remettre au lendemain.»
Je me dirigeai, tout en faisant ces réflexions, vers les anciens bureaux de la Douane. Je remarquai d'abord, qu'en changeant de maître, le local avait aussi tout-à-fait changé d'aspect. A l'extérieur austère et même un peu négligé qui annonçait auparavant un des établissemens du fisc colonial, avait succédé un air d'opulence et de recherche qui me frappa. J'entrai dans des comptoirs riches et spacieux d'où semblait s'exhaler une sorte de parfum de grandes affaires et de haute notabilité commerciale. Je demandai M. Létameur, et les domestiques mulâtres à qui je m'adressai, faillirent me rire au nez, comme si la demande d'une entrevue avec le chef suprême avait été la chose la plus ridicule du monde.—«Avez-vous écrit à monsieur? me dit alors un des commis.—Écrit à monsieur? et pourquoi?
—Mais, parbleu! pour obtenir une entrevue?
—Comment, monsieur donne donc des audiences maintenant?… Oh! faites-lui dire tout bonnement que c'est moi, son ancien commanditaire quand il portait la balle, qui voulais lui demander de ses nouvelles, en passant, et rien de plus…»
Le scandale de cette sortie m'aurait probablement attiré une très mauvaise affaire avec les gens de la maison, si M. Baniani en personne, attiré par le bruit, ne fût venu mettre un terme aux clameurs de tout son personnel indigné de mon inconvenance… «Laissez entrer monsieur, s'écria-t-il du premier étage: j'y suis pour lui;» et à la faveur de cette bienveillante exception, je passai triomphant au beau milieu des bureaux consternés, humiliés de mon insolence et de mon impunité.
Baniani avait repris, pour me recevoir dans ses appartemens, la posture qu'il n'avait sans doute quittée un instant que pour m'arracher au péril qui m'avait menacé dans son comptoir… Enveloppé d'une robe de chambre soyeuse, à grands ramages, il gisait voluptueusement sur un divan de crin noir arabesqué d'or. Deux négresses, un large éventail à la main, agitaient sur le front épanoui de ce sultan efféminé, l'air parfumé qu'un riche moustiquaire de gaze verte laissait pénétrer dans cet asile de la grandeur et de la mollesse… Le sybarite lisait, la tête renversée avec abandon sur le coussin de l'ottomane, le volume élevé sur ses yeux à demi-fermés par le doux affaissement de l'excessive chaleur du jour.
Je saluai le voluptueux à ma manière accoutumée, c'est-à-dire avec rondeur et familiarité. Il se leva à moitié pour me répondre, et pour laisser tomber sa main de mon côté; et, sans me donner le temps de reprendre la conversation au point peut-être où elle en était restée à notre dernière séparation, il me dit en entrecoupant ses phrases:
«Mon cher ami, je suis bien aise de vous voir revenu en bonne santé… Depuis que nous ne nous sommes vus, ma position commerciale a tout-à-fait changé de face, tout-à-fait… Des affaires capitales; oh! oui, capitales! J'envahis la colonie que mes relations ont fécondée… Ma maison, comme vous devez bien le penser, a dû répondre à l'exigence de ma situation… Un train honorable; oh! oui, très honorable; mais un peu dispendieux… Que voulez-vous!… le monde aime à être ébloui par ces heureux que la fortune pousse à la tête de la société… Ici l'on a dû vous dire déjà quel était le rang que j'avais conquis… le premier rang de l'île… C'était une nécessité, une impérieuse nécessité de position… Dans quelques jours je donne une fête, une fête à tout écraser, par le choix et la variété des jouissances. J'ai reçu tant de marques de bonté, un surcroît si accablant de politesses de la part de toutes ces bonnes gens… Tenez, au moment où vous êtes entré, et où j'ai cru reconnaître votre voix pénétrante retentir dans mes bureaux, j'étais à feuilleter le Siècle de Louis XIV, par M. de Voltaire; vous le connaissez? un homme, comme vous le savez, d'assez d'esprit, mais ignorant complétement, oh complétement, la révélation de l'art, de l'art-nature, comme nous l'appelons. J'en étais à la fête que donna le surintendant Fouquet au grand roi, ainsi qu'on appelait alors Louis XIV… Cette fête devait effacer toutes celles de Versailles, qui ne réussissaient, à ce qu'il paraît, qu'à rappeler assez médiocrement à quelques bons missionnaires des Grandes-Indes, la magnificence des fêtes chinoises… Moi je veux, ainsi que je vous l'ai déjà dit, donner aussi ma fête… Dieu! sont-ils heureux ces Chinois, avec le peu d'imagination dont le ciel les a doués, de pouvoir déployer une telle magnificence dans leurs festins! Il est vrai que le pays qu'ils habitent sourit à tous les caprices des hautes fortunes; tandis que dans une bicoque comme la Martinique on ne peut que jeter de l'inattendu ou du bizarre, là où l'on voudrait faire tomber du sublime, du grandiose… N'est-ce pas, mon bon ami?… Vous connaissez sans doute le Siècle de Louis XIV, par M. de Voltaire?
—Ainsi donc, je vous revois enchanté de l'état florissant de vos affaires?
—Enchanté, mon cher, c'est le mot. Mais c'était là, comme je vous l'avais prédit d'avance, un fait inévitable, une chose convenue à la répétition. Mais pour en revenir à la fête du surintendant Fouquet, je vous avoue que si je m'étais trouvé à sa place, je n'eusse été nullement embarrassé de déployer autant de luxe et de magnificence pour traiter un roi. Parbleu! en France, avec des millions et un peu de goût, il est bien difficile, ma foi, de créer des merveilles! Mais ici, que voulez-vous qu'on fasse, même avec des millions et beaucoup d'imagination?
—Avez-vous lu aussi comment se termina la fête du surintendant Fouquet?
—Oui, oui, j'en ai vu quelque chose dans ce livre: il fut arrêté par ordre du roi, dit-on, presqu'au sortir de cette nuit de lampions et de délices, de transparens de toutes les couleurs, et de voluptés de tous les genres… Oui, oui, j'ai vu cela; mais c'est là de l'histoire et de la politique, et tout ceci est totalement étranger à l'objet important qui m'occupe aujourd'hui. Croiriez-vous bien, mon bon ami, que pour cette fête, qui aura sans doute un retentissement immense, j'aie fait venir de Baltimore, un schooner américain chargé de glaces; que j'aie mis à contribution tous les pays environnans pour me fournir les mets les plus recherchés, les fruits les plus rares? Un cuisinier de la plus haute réputation m'arrive de Saint-Thomas: c'est le gouverneur lui-même qui a eu l'extrême bonté de me le céder pour quelques jours. Mon orchestre, composé de cinquante exécutans d'élite, sera conduit non pas à l'archet, mais au bâton de mesure, par un Italien; ah! vous savez bien, ce chanteur qui a fait le voyage avec nous. Je l'ai pris, ce pauvre diable, par humanité et pour son talent, talent réel, fantastique et plein de mouvement… Mais ce qui vous surprendra bien, c'est le goût tout-à-fait gothique que j'ai su imprimer à la gigantesque salle en bois que j'ai fait construire tout exprès sur une vaste savane, pour servir de théâtre aux folâtres ébats de ma nuit de bal… Ogives, arceaux, créneaux, niches, tourelles, fossés à l'entour, pont-levis même, rien n'y manque. Les invités entreront là comme dans un vieux château féodal, qui bientôt, grâce au coup de baguette d'une fée bienfaisante, sera transformé en un palais enchanté; et cette bonne fée, je n'ai pas besoin de vous le dire, c'est mon imagination… Oh! le féodal, moi, m'a toujours séduit! Vous souriez, méchant, et je vous vois déjà vous récrier sur toutes mes folies; mais ce n'est pas tout encore: jamais vous ne devineriez l'idée qui m'est venue d'inspiration, pour jeter une pensée neuve, inespérée, au beau milieu de tous ces plaisirs assez somptueux peut-être, mais déjà un peu communs. Cette idée, je vous en préviens d'avance, est toute à moi: c'est la nuit dernière, au sein de mes rêves, qu'elle m'est arrivée sur l'aile d'un génie protecteur, ou peut-être bien même sur les cornes fantastiques d'un lourd cauchemar.
»J'avais, il faut vous dire, j'avais depuis long-temps une cinquantaine de petits négrillons, reste fort embarrassant de ma dernière opération de traite. On me proposait un prix fort médiocre de cette queue de cargaison, et plutôt que d'avilir le cours de la marchandise, en bon négociant j'ai préféré garder pendant deux mois ces petits carnivores africains, qui me mangent un argent fou dans l'une des habitations où je les ai mis à la forme. La nuit dernière, songeant à mes négrillons invendus et à ma fête future, ne me suis-je pas mis en tête de trouver le moyen d'appliquer noblement mon débris de cargaison à la magnificence de ma fête!… Écoutez-bien ce que je vais vous confier: c'est une surprise que je veux ménager à toutes nos dames.
»J'ai conçu le projet d'armer chacun de mes petits esclaves d'un beau fanal; de faire reconduire chaque Terpsychore par un de ces nouveaux valets de ma fabrique, qui, une fois arrivé à la demeure de la belle danseuse, lui dira: «Maîtresse, je suis à vous; mon maître m'a ordonné de rester ici et de ne plus retourner chez lui.» Comment trouvez-vous ce nouveau genre de galanterie; là, sans flatterie?… N'est-ce pas là une idée toute à moi, une idée neuve, incréée; une idée modèle et mère enfin?
—C'est, à mon avis du moins, une idée très folle, et je me permettrai d'ajouter assez inconvenante; car enfin comment supposer que les dames que vous recevrez à votre bal, et qui auront bien voulu accepter votre soirée et votre fastueux ambigu comme on accepte ces sortes d'invitation, consentiront à recevoir un cadeau de vous, et surtout le cadeau d'un petit nègre, qui ne vaut guère moins de cinq ou six cents francs? Autant vaudrait envoyer à chacune d'elles un billet de banque!
—Si vous pouviez savoir comme moi, mon cher ami, combien je leur dois d'amour et d'ivresse! C'est que je leur en dois tant à ces aimables femmes, à ces célestes créatures… Et à leurs maris donc, à quelques-uns de leurs maris surtout!… Je vous promets bien en bonne conscience que, toutes réflexions faites, ce n'est pas trop qu'un négrillon; car, entre nous soit dit, le service rendu surpasse encore le prix matériel que j'y attacherai! Concevez-vous bien ce que je veux vous exprimer en ce moment?
—Taisez-vous donc… Oubliez-vous que d'autres que moi vous entendent, et que les deux épousseteuses que vous avez à côté de vous, pourraient rapporter la conversation que vous tenez devant elles?
—Quoi! ces deux négresses? Allons donc; ne sont-elles pas de la maison… D'ailleurs cela n'entend jamais rien; et au pis-aller quand la négraille saurait un peu ce que personne n'ignore ici, quel mal y aurait-il, je vous le demande? Est-ce un crime si grand pour des valets que de posséder un maître à bonnes fortunes?… Déjà, j'en suis certain, toute la colonie en vous parlant de moi a dû vous dire…
—Oui, elle m'a appris, toute la colonie, que vous aviez abandonné la femme du marchand de cigarres, dont vous partagiez l'échoppe à mon départ, et que…
—Taisez-vous donc aussi à votre tour! Est-ce qu'il est bien convenable, croyez-vous, de parler de ces choses-là devant toute cette domesticité?
—Bah! ne venez-vous pas de me dire que cette domesticité n'avait ni oreilles ni langue? Et quand bien même la négraille viendrait à savoir que vous avez possédé les charmes de la marchande de cigarres, quel mal si grand y aurait-il que tous vos gens connussent les conquêtes amoureuses de leur patron?
—De grâce, mon bon ami, de grâce, un peu plus de respect pour les convenances… Thysbé et Laura, allez-vous-en, et fermez la porte; vous entendez, négresses!»
Les deux négresses sortirent avec leurs éventails.
Le fat, qui jusque-là n'avait pas craint de passer pour un séducteur de bonne compagnie, même aux yeux de ses négresses, venait de trembler à l'idée de passer pour l'ancien amant d'une malheureuse marchande de cigarres… Tout ému encore du péril que mon observation lui avait fait courir, il ne reprit l'entretien qu'avec un embarras visible. Ce fut à moi alors de ressaisir sur lui l'avantage que, par une feinte bonhomie, j'avais consenti à perdre dans les premiers momens de notre entrevue.
«Et la petite comtesse de l'Annonciade, lui demandai-je après le départ des deux négresses, qu'en avez-vous fait?
—Oh rien, rien absolument; parole d'honneur! je n'en ai même plus entendu parler; et moi-même j'ai eu si peu le temps d'y penser… Cependant, il y a quelques mois, il me prit fantaisie de la faire venir de Cumana pour la sacrifier peut-être à un souvenir, à un caprice…; cela eût fait une maîtresse piquante pendant deux ou trois semaines, et c'est toujours autant de gagné en variété sur la monotonie qui résulte le plus souvent de la nécessité de n'avoir que les mêmes femmes… chose accablante, même au sein du bonheur que les femmes faciles nous procurent!… Ah! si vous saviez, mon cher ami, ce que c'est que d'être attaché nuit et jour sur le banc du char avec lequel on éclabousse toutes les petites renommées de rien, toutes les basses envies qui barbottent sur vos traces dans la fange ou la poussière, vous me plaindriez, j'en suis sûr, même au sein de mon opulence et de mes voluptés asiatiques.»
Tant d'impertinence à la fin me révolta. J'avais jusqu'à ce moment conservé, en présence de mon sot parvenu, ce sang-froid qu'inspire quelquefois la pitié que l'on éprouve pour certaines folies; mais le ton avec lequel M. Baniani venait de prononcer ces dernières paroles m'avait semblé tellement intolérable, que je perdis alors moi-même toute retenue, pour lui dire en le quittant:
«Baniani, mon ami, vous avez réussi à faire passer un peu d'or entre vos mains, parce que vous êtes actif, intrigant et sans scrupule; mais je vous prédis que vous mourrez sur la paille, parce que vous êtes prodigue et imprudent, et qu'au moment où la fortune, qui vous trompe, vous aura tourné le dos, la pitié se sera déjà éloignée de vous pour n'y plus revenir. Je ne souhaite pas que ma prédiction s'accomplisse; mais si elle se réalise, et elle se réalisera, je pourrai peut-être encore vous commanditer une seconde fois d'une balle de 200 francs; mais je vous préviens qu'alors je n'aurai plus une parole pour vous consoler dans votre misère, ni un sentiment pour excuser vos insolentes folies. Adieu!»
Avec un peu d'âme, le malheureux m'aurait reconduit pour fermer à jamais sa porte sur moi: la première idée qui lui vint fut de me rappeler, en criant du haut de son escalier:
«Eh quoi! vous vous enfuyez déjà, vilain bourru? Et ma fête!… Vous voyez bien que je ne me fâche pas, moi… Voilà bien nos moralistes, donnant avec humeur des conseils qu'on ne leur demande pas, et se fâchant contre ceux qui ne demanderaient pas mieux que de les suivre!… Vous y viendrez toujours, n'est-ce pas, à ma fête?… Allons, il ne répond rien… Quel homme!»