Le Harem entr'ouvert
VIII
LA MARIÉE AU HAMMAM
Ma voisine Manoubiia vient de se marier. J’étais invitée à toutes les fêtes, à commencer par la cérémonie du hammam, où elle est allée se « purifier » avec ses parentes et invitées.
J’ai vu bien des mariages plus brillants que le sien ; je commence à me blaser sur la petite minute émouvante, quand l’époux dévoile et aperçoit pour la première fois sa femme, au seuil de la chambre nuptiale.
J’ai souvent circulé la nuit, dans un carrosse fermé, accompagnant la fiancée chez son mari, au son des yous-yous aigus dont les femmes du cortège déchirent le silence des rues obscures.
J’ai contemplé bien des mariées, hiératiques en leur attitude rituelle, aux visages uniformes et conventionnels sous le fard et le henné.
J’ai même pris part à ces pantagruéliques festins, où chacune pique du doigt parmi les victuailles surchargeant la table.
Mais une noce au hammam réveillait ma curiosité.
Manoubiia et ses invitées s’y sont rendues la nuit, les voiles et les voitures closes n’étant pas jugés suffisants sans la protection supplémentaire des ténèbres. Des servantes nous avaient précédées, portant les tapis, et les corbeilles pleines de linge et d’objets de toilette.
C’est une occasion pour chacune de faire parade de ses richesses. Les plus opulentes avaient tout un attirail d’argenterie : aiguières, coupes à henné, peignes, boîtes à fard, coffrets, étuis à kohol, miroirs.
Elles s’installèrent dans une grande salle, aux colonnes gaîment coloriées de vert et de rouge, sur des estrades où l’on avait étalé les tapis et les nécessaires, et commencèrent à se déshabiller.
Dans un coin, une négresse préparait des rafraîchissements et des sucreries : limonades, café, gâteaux.
On m’invite à quitter mes vêtements pour entrer dans les étuves.
— Non, non, je ne veux pas me purifier, je tiens seulement à voir.
— Mais tu n’y pourras résister…
N’importe, je pénètre quand même toute vêtue. La chaleur est suffocante. La vapeur condensée ruisselle sur le sol et les murailles. Au bout de quelques minutes je dois fuir.
Mais j’ai eu le temps d’apercevoir le plus étrange spectacle : au milieu d’un brouillard épais, vaguement éclairé par quelques lumignons, une soixantaine de femmes nues circulent, s’agitent et causent… Il y en a des grosses, des minces, des petites, des grandes, des blanches, des jaunes, des noires, des vieilles, des jeunes…
La lumière jaunâtre pique des reflets de-ci, de-là, sur un torse brun, une gorge trop opulente, des bras, des jambes, une croupe rebondie, frottée par une négresse en sueur. Manoubiia, la fiancée, promène une anatomie grasse et tassée, dont l’époux aura bientôt l’heureuse surprise.
Sans doute, il devait y avoir de jolies filles bien faites, mais elles disparaissaient dans la masse affreuse. Une phénoménale matrone étalait une obésité digne d’être exhibée dans une foire, à côté de vieilles guenons squelettiques, absolument décharnées, semblables à des harpies.
En vérité, c’était là un spectacle d’enfer, comme en eût imaginé Gustave Doré, bien plus qu’une paradisiaque vision musulmane.