Le paillasson: Mœurs de province
IX
BAGNÈRES DE BIGORRE
2 septembre 1886.
Notre petite ville si riante au cours de la saison, montra, ces jours passés, une surprenante animation. L’on eût dit, que pour faire accueil à ses visiteurs, Bagnères se fût mise en frais de coquetterie, en multipliant sous leurs pas, les amusements de toutes sortes. A l’instar des grandes stations, notre paisible « endroit » a sa « grande semaine » qui ne le cède en rien à celles de Deauville, Luchon, Dinard et tous lieux renommés. Aux sportsmen, la Société des Courses offre une réunion embellie par tout ce que les haras pyrénéens recèlent de gentilshommes ; aux favoris de Terpsichore, la mairie donne, dans les salons princiers du Casino, des bals d’une rare magnificence, où l’éclat des toilettes rehausse encore le choix du personnel ; aux amis d’une franche gaîté, la Commission des fêtes exhibe des mâts de cocagne, avec leur couronnement obligatoire de gallinacées en putréfaction ; aux babies, le prépotent Fauré ouvre l’Eden des sauteries infantiles, ce prélude aux jeux dont Tissot écrivit le manuel. Enfin pour les bourgeois, qu’effarouchent la dépense et le bruit, nos verdoyantes promenades se parent de leurs plus clairs soleils. Mais, par-dessus toutes les attractions, celles du luxe comme celles, non moins pénétrantes de la nature, le « clou » des réjouissances fut la cavalcade en masques, organisée par quelques jeunes fashionables, d’accord avec les notables commerçants.
Notre compaing en journalisme, M. Ignace Papulard, que les graves soucis de la vie publique n’empêchent point d’être tout à tous et d’entendre, mieux que personne au monde, ces sortes de passe-temps, a droit à l’hommage de notre gratitude. Il y a dans M. Papulard — comme dans César — du dandy et du chef d’armée. C’est pourquoi nous le voyons si merveilleusement propre à gouverner les masses, dans un but de conquête ou de simple agrément. Dux !
Donc la chevauchée à laquelle se complurent nos compatriotes et leurs amphitryons, naquit d’un sien concept, uni au désir de quelques éphèbes cagneux, jaloux d’exhiber, en tutus roses, leurs secrètes difformités. Le succès décora leurs efforts et la recette — nous dit-on — atteignit un chiffre inespéré. Qu’ils goûtent la pure joie d’adoucir quelques misères ; la journée fut deux fois bonne, pour le plaisir et pour la charité.
Les étrangers affluent dans nos murs : le modeste « congé » coudoie l’élégante Parisienne, les Thermes sont forcés de débiter les eaux ménagères, pour satisfaire à l’incroyable empressement des baigneurs. Personne d’ailleurs ne paraît s’apercevoir de la substitution.