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Le paillasson: Mœurs de province

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VI
BULLETIN DE VOTE.

Bagnères de Bigorre, 1886.

J’ai reçu, ce matin, un imprimé de forme oblongue, contenant mes nom, prénoms, domicile et vertus, mais d’une réserve charmante, au sujet de mes ans. Cela remis par un sergot — irisurbaine — et dénudé de toute enveloppe. Mon cœur électoral a tressailli ; car vous supposez bien que ce papier fatidique, n’était rien moins que la carte m’autorisant à circuler sur le trottoir du suffrage universel. Dimanche et quelque peu les jours suivants, s’il plaît aux candidats couchés dans le hamac du ballottage, les entendoires bagnérais auront à prononcer entre Monsieur Troussemêtre, qui en sa qualité d’arpenteur, doit tenir un plan, et le docteur Cazalas, jaloux de médicamenter notre belle patrie. A vrai dire, je dois beaucoup à ces messieurs, pour le soin qu’ils prennent d’égayer les murs de proclamations versicolores. Je n’ai point lu le texte de leurs papiers, à cause que le verbe constitutionnel n’entame point, sans douleur, ma caboche ignorante. Mais les beaux placards, usités pour le raccrochage des suffrageants, amusent l’œil de leur polychromie, et le préparent aux oiseaux imprévus, aux étoffes estomirantes, qu’importent dans nos murs les Landes et le Gers.


Pour le restant, Bagnères montre la gaieté, d’un champ de betteraves, dans un jour brumeux. Le Casino, peu sorti de ses fondations, unit agréablement les plâtriers aux dames indigènes, de quoi résultent force erreurs et confusions de maquillages. Les comédies fossiles alternent dans la salle des fêtes avec les renâclements du ténor sans voix et les ingénuités de chanteuses quinquagénaires. Joignez la laideur crue du badigeon, la présence inéluctable des mêmes spectateurs, et vous imaginerez sans doute l’allure pénitentiaire de ces divertissements.

L’obstination qui caractérise les hôtes du Casino avec l’inamovibilité du répertoire, y donnent une sensation macabre d’ennui rétrospectif. Les visages restent les mêmes, allégés d’incisives et soulignés de pattes d’oie ; les tailles se déforment, et telle qui s’essouffle aujourd’hui en des valses commémoratives, bondissait aux rythmes printaniers, voici quelque dix-huit ans.

Il sied d’admirer la force d’âme à rendre capable d’endurer après des lustres, la Rose de Saint Flour ou les Dragons de Villars.

Une autre cause de tristesse est l’absence de joueurs qui fait pousser des champignons dans le tiroir de la cagnotte et substitue la dèche crapuleuse aux pêches miraculeuses de l’été. L’auguste influence qui supprima — fort à raison d’ailleurs — l’inepte pornographie des opérettes, devrait bien suspendre aussi le passe-temps de la Mascotte, où les petits jeunes gens compromettent le repos de leurs nuits et l’avarice de leurs ascendants.


Le ciel tout gris, le ciel ouateux d’après l’orage, descend en brume fine jusqu’au ras des coteaux. Les blanches routes aux candeurs marmorales ignorent les sveltes promeneuses et le gai fracas des excursions. Un petit âne chargé de bois, un pâtre sur le chemin de hautes bergeries et dans leurs tape-culs, les courtiers d’élection, promenant la sottise au grand air, voilà pour le paysage. La campagne s’endort au clapotement des eaux troubles, au gargouillis des branches égouttées. La pluie incessante avive et rajeunit le ton laqué des feuilles, depuis le vert noir des aunes, jusques au pâle argent de l’osier.

Et c’est une gloire verte des bois et des prairies, des gazons où s’enorgueillit la claire dentelle des frênes, la découpure savante des yeuses, la pourpre jaune des sorbiers, l’aile tremblante des sycomores. Renaisse le bon soleil, ami des plantes et des hommes, le soleil qui fait bourdonner aux blessures des chênes les scarabées de lapis et d’or ! Renaisse le bon soleil et tremblantes dans leurs robes de printemps, les belles dames inscriront sur les hêtres débonnaires des chiffres de jeunesse et de coquet amour.

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