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Le paillasson: Mœurs de province

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XI
OUVERTURE DE LA CHASSE

Bagnères de Bigorre, 7 septembre 1886

L’ouverture de la chasse exécutée par un lutrin d’acéphales, peuple de résonnances imbéciles les coteaux et les bois. La vénerie au petit pied est à coup sûr un des moyens topiques dont use la classe moyenne pour faire patente son incurable stupidité. Aucun spectacle n’est plus idoine à éjouir les quadrupèdes de tout pelage que l’aspect d’un huissier en tenue de guerre, ou le ventre d’un tabellion bedonnant sous son carnier. J’imagine que les oiseaux de divers ordres garés des fusils maladroits, s’esclaffent aux dépens des boutiquiers cynégétiques. Le hérisson débite au lièvre maintes pointes, touchant les gabatines qu’il leur donna ; le connil, cette crapule forestière, leur fait la nique au bord des haies ; le geai les siffle, et le chat-huant les vitupère ; la bécasse prend en pitié la niaiserie de leurs apophthegmes ; et du creux des châtaigniers, la buse en parle à l’émouchet, son compère. — Eux, vont toujours, sans même soupçonner l’ironie des bêtes et des choses ; la grimace cachinnatoire du soleil goguenard qui leur bleuit la trogne et vermillonne leur sinciput.

Puis le soir tombe et les bestioles vengées se livrent sans contrainte aux passions affectives, dont Toussenel les a si libéralement gratifiées.

Celui de tous les écrivains qui s’est le plus attendri sur les déjections naturelles, j’entends le père Michelet, n’a pas manqué d’attribuer aux moindres volatiles de suprêmes amours et de rares pensers. Volontiers, il s’extasie sur la vaillance des guêpes et le grand cœur des pingouins… Sans communier aussi largement de l’âme des choses, nous ressentons un fraternel émoi pour tant d’innocentes et gracieuses formes de la vie. Les oiseaux surtout, amis de la chaumière et du labour, portent une grâce augurale et pour ainsi dire sacrée. La caille, au plumage couleur de terre et de blé ; le virevent, qui fuse le long des saulaies comme un éclair d’émeraude et de lapis ; la perdrix, si délicatement fourrée d’une peluche bleuâtre où saignent des gouttes de corail ; et par-dessus tous, la vaillante alouette qui porte au plus haut ciel l’allégresse des laborieux matins, ne sont-ils pas la voix même, le chant humble et doux du terroir natal ?

Je ne pense pas que ces considérations empêchent Messieurs les chasseurs de tirer au poil et à la plume, ni les maîtres-queux d’étendre leur butin sur de fines rôties. Nous déplorons seulement que la chair humaine n’ait point la saveur du lapereau, sans quoi nous proposerions à quelques snobs galipoteux, de remplacer les victimes ailées dont nous nous délectons.

Le dernier feu s’éteint sur la lande embrumée :
Plus de flamme aux carreaux, aux toits plus de fumée.
La note des crapauds vibre, seule, et la nuit
Sous ses voiles de crêpe endort ce faible bruit.
Les étoiles ne sont pas encore allumées,
Silencieusement des brises embaumées
Passent sur le sommeil des moissons et des bois ;
Une clarté se pose au faîte blanc des toits
Et de taches d’argent sème la terre brune :
Voici qu’à l’orient, là-bas, monte la lune.

Le premier bal de la ville, commencé lugubrement, a secoué peu à peu son allure mortuaire et jusques vers l’aurore, papillonné clopin-clopant. Quelques gracieuses femmes, un soupçon de toilettes, les valses émergeant de bambous tout en fleurs, l’or du gaz sur les moulures pâtissières, en la salle dite des Fêtes, cela ne suffit point à galvaniser l’ennui dont Bagnères affadit ses visiteurs. Certaine robe d’un provincialisme excessif suscita de courts élans de gaieté, fournit aux désheurés du lendemain, le motif d’une agréable conversation. L’on rapporte que plusieurs convives autochtones portent encore du mal au cœur, pour s’être ingurgité sans mesure, l’orgeat gratuit et les sandwiches sébacées des festivals municipaux.

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