Le paillasson: Mœurs de province
II
LE ROI DE LA BAROUSSE
OU M. IGNACE PAPULARD CANDIDAT AUX ÉLECTIONS GÉNÉRALES
M. Ignace Papulard, docteur en droit, zélateur de la Société des Courses, membre de plusieurs archi-confréries et candidat balloté au Conseil fédéral, avantagea récemment les lettres françaises d’un opuscule immortel.
J’entends le manifeste par quoi ce jeune Rodrigue dévoila son cœur aux collèges électoraux selon la bonne formule du conciones et de M. Hervé.
A l’exemple des grands aïeux, que les labeurs de la guerre et les soins de la diplomatie n’empêchaient point de sacrifier aux grâces, l’éminent docteur infuse sa doctrine en des pages stupéfiantes de beauté. Sa harangue l’égale d’emblée aux gentilshommes qui n’estimèrent point s’encanailler en raffinant sur le bien dire : Montaigne, Salluste du Bartas, Agrippa d’Aubigné, Bussy-Rabutin, La Rochefoucauld et tant d’autres illustres — ses précurseurs.
Il convient de louer sur toutes fleurs, la rose blanche, et Ignace Papulard entre les enfants des hommes. Jeune, verbeux, fait d’un air à savoir peu de cruelles, Marc de la Barousse n’hésite point devant les sacrifices les plus audacieux. Pour raffermir le trône et retaper l’autel, il part comme un bon petit Quichotte, exposant aux vicissitudes climatériques son crâne chauve et son paletot bleu — fidèle, mais déteint. Par les granges, sous les arbres, dans les auberges, il confabule avec le pacant et tette son reginglat. Des lumières l’environnent. Saint-Crétin, dentiste, l’offre aux peuplades agricoles « car, dit-il, lui seul peut guérir, sans pharmacopée, les maux de la vigne et le progrès des doctrines funestes ». O merveilleuse puissance de l’orviétan ! Ignace Papulard assoiera demain son alopécie hâtive entre les grosses légumes départementales. Disert comme la jument de Bayard, il parlera même sous l’eau, sans demander de sucre, et poussera Philippe VII avec un zèle de voyageur en vins.
Notre humble rang de chroniqueur, le respect qu’on doit aux institutions monarchiques, nous imposent le devoir d’admirer en silence les hautes destinées où gravit Ignacelou, sans prétendre le moins du monde pénétrer les conseils de ce génie à la Talleyrand.
« Je laisse aux plus hardis l’honneur de la carrière »
et me contenterai de commenter l’échantillon d’éloquence tribunitienne dont se pourlèchent encore les indigènes de Mauléon !
« Mes Chers Concitoyens »
Début simple, familier aux grands penseurs. Remarquons l’habileté dont M. Papulard évite les formules irritantes. Un pur aux mains sales eût apostrophé : « Citoyens ! » tout court : lui, ne juge pas inutile d’ajouter le préfixe que l’on sait, lorsqu’il est question de ses électeurs.
Le docteur connaît la ponctuation et l’usite avec à propos.
« Je viens solliciter pour le Conseil général vos libres suffrages. »
Notez la magnificence hautaine, la simplicité toute guerrière du discours. La phrase tombe dans un vague lamartinien qui laisse fluer la pensée, en de molles rêveries. Les suffrages que M. Papulard sollicite, les veut-il pour sa personne ou pour le conseil général ? Tout porte à croire cependant qu’il les réclame en faveur de ce dernier.
« Trop souvent, on dénature le caractère véritable du mandat qui incombe au conseiller général, et pour moi, c’est un mandat d’affaires, que j’entends accepter et non un mandat politique. »
D’aucuns esprits grincheux trouveront peut-être la liaison insuffisante entre les deux idées que relie la conjonctive ET : 1o la pensée délicate sur la falsification du mandat ; 2o les intentions particulières de M. Papulard, à l’égard du mandat susnommé. Pour notre part, nous ne voyons en cela qu’une belle hardiesse miraculeusement propre à relever la composition par quelque chose d’imprévu et de passionné.
Autre exemple !
« La politique ! on la mêle à tout et pour tout ! »
Des grimauds eussent écrit : « La politique, on la mêle à tout » suivant les errements de ce faquin de Vaugelas. Mais les porphyrogénètes dédaignent ces pratiques de la syntaxe roturière et se laissent emporter à leur bon plaisir. Par un tour incorrect le duc de Saint-Simon campe un bélître en pleine lumière :
« Il n’avait pas le sens commun, ni fréquenté personne que l’on peut nommer. »
La Fontaine dit :
« Et pleurés du vieillard, il grava sur le marbre ce que je viens de raconter. »
Pourquoi, le dauphin de la Barousse, ne jouirait-il pas d’égales privautés ?
« Les électeurs, en ne se préoccupant que d’une chose, la couleur du candidat, (après tout, si c’est leur caprice à ces gens-là, de n’être point conseillés par un nègre !) — parfois indigne — souvent incapable — plus souvent insatiable — ont fini par faire arriver au pouvoir… (le reste comme chez M. Goujat de Cassagnac).
Je voudrais bien savoir lequel est incapable, indigne ou insatiable. Le candidat ? La couleur ? nonobstant, je m’incline, en déplorant l’imperfection de mon intelligence.
Plus loin, notre Ignace, définit l’attitude qu’il prétend adopter « au sein » de ses confrères :
« Or, se demande-t-il par un artifice agréable — quel est le vrai rôle d’un conseiller général ? »
Et d’emblée, il se répond :
« C’est : 1o de s’occuper des affaires du département (entre nous, je l’avais soupçonné avant ce jour) ; 2o de s’occuper plus particulièrement et surtout des affaires du canton » (Ah ! bah !)
Particulièrement et surtout, rappellent, sans l’affaiblir, la construction en outre et surtout, rencontrée un peu plus haut, les répétitions ne contribuent pas peu à donner au style, un énergique inattendu.
J’omets à regret des aperçus exquis touchant le pacage et l’élève du bétail, à propos de quoi le jeune écrivain sut retrouver les mots du comte de Buffon. A travers un bosquet fleuri de catachrèses et de synecdoques, j’arrive à la cavatine finale, au thème de bravoure où le pacificateur du Louron exalte la bonté de son ours. D’accord avec son roy, il veut « à tout prix » sauver le droit, la liberté, la propriété, l’ordre et la religion. Ah ! la religion ! Est-elle assez consolée de l’indifférence du temps en ces béates Pyrénées ! Voici que pour corrober son pouvoir, le palatin de la Barousse, apparaît casque en tête et dague au poing. Spectacle édifiant ! Comme la Hire ou du Guesclin, le baron Marc s’agenouille dans le sanctuaire avec un bruit de casseroles héroïques. Il offre pour les encensoirs, la myrrhe des croisades, le baume oriental, le cinname, qu’autrefois sous le nom plus modeste de cannelle, ses auteurs débitaient en des cornets de papier gris.
J’arrête ici l’examen littéraire de l’élucubration Ignace Papulard. Pour la fin, j’ai réservé la phrase unique, la phrase parangon, le Kohinnor des phrases, dont s’empanache l’inaccessible péroraison.
Oyez la dévotement :
« Non ! Vous achèverez votre œuvre ! elle est digne de vous (à toi, Jacques Bonhomme !) et moi, je me rendrai toujours digne de vous-mêmes. »
Rien d’approchant ne fut à ma connaissance proféré jusqu’à nous par les auteurs gaulois. L’on distingue ici l’influx du Paraclet. Je rementois vaguement telles grandiloquences prud’hommiennes ! « Ce sabre est le plus beau jour de ma vie ! Si ce mariage ne peut faire ton bonheur, sois-le ! » et je m’abîme, écrasé sous les catadupes oratoires de ce docteur en droit qui pourrait aussi bien être docteur ès-lettres, mais qui préfère solliciter le libre choix du Louron.
Puissent-ils poser sur sa tête les suffrages des bons ruraux !
En le proclamant souverain définitif de la Barousse, les terriens de Loures manifesteront une jugeotte extraordinaire : car jamais dans le vaste monde, ils n’en pourraient trouver un autre aussi complet.