Le paillasson: Mœurs de province
X
SUPPRESSION DES JEUX
L’on a fort épilogué, touchant la décision du préfet de police par quoi le cercle chôme depuis huit jours. Certes rien n’est plus moral que de combattre la funeste passion du jeu, dans les municipes voisins et d’y protéger contre les écornifleurs, la ponte bécassière. Mais une telle mesure est inapplicable dans Bagnères où l’on entoure les joueurs d’une véhémente probité. Aussi, malgré les récriminations de quelques esprits grincheux, malgré certaines déclamations dictées bien plutôt par de basses rancunes que par la soif du vrai, nous n’hésitons pas à redemander, la réouverture du boudoir à tapis vert.
Le cercle du Casino est l’habitacle d’un monde choisi, avec lequel on a tout bénéfice à perdre quelque somme. Pour notre part, nous avons distribué, dans l’espace de deux ans, la bagatelle de 20.000 louis aux diverses réunions florissant alors dans notre bonne ville et quand nous songeons aux fruits que nous retirâmes de ce faible débours, il nous vient une confusion d’avoir si chichement payé. Ce prix dérisoire nous valut quelques-unes de nos meilleures relations : la familiarité de Gaspard le Huron ; le shake-hands du vénérable Escarmouche ; le droit de tutoyer Martin et de recourir à l’obligeance de P. Tapa, le plus serviable des hommes — au denier deux. Pas une crapule n’a gîté dans Bigorre, au cours de ces nuits-là ; pas une arsouille, pas un truand, pas un marlou, près de qui je n’aie connu la philanthropique douceur de prendre place, en attendant la main. « Homo sum… » Pas un goujat qui ne m’ait soufflé son brûle-gueule au visage ! Pas un nigaud qui ne m’ait abreuvé de sornettes ! Pas un croupier qui ne m’ait salué par mon nom !
De telles acquisitions contre une misérable dépense ! N’est-ce pas tout profit pour le récipiendaire et, comme disait Gavarni « beaucoup d’honneur pour son argent. » En vérité qui se voudrait plaindre ? Quelque bardache, tout au plus.
Les représentations théâtrales poursuivent d’un cours égal leur triomphante carrière. La troupe lyrique et celle de comédie (amant alterna camenæ…) charment les doubles échos de la bonbonnière Saint Jean et de la salle des Fêtes. Ne reculant guère devant les sacrifices — même périlleux — quand il s’agit de l’art et de ses abonnés, M. Fauré nous révéla naguère un ouvrage inédit, ou peu s’en faut, dont l’originalité, la fantaisie et la verdeur nous ont su procurer une jouissance artistique aussi vive qu’inattendue. La chose est, sauf erreur, baptisée, Les Dragons de Villars et passe communément pour une œuvre posthume d’Hector Berlioz. Dans cette partition, d’un style harmonieux et coulant, abondent les motifs aisés à retenir. Aussi avons-nous ouï sans trop d’ébahissement des chœurs de jeunes hommes aboyant à sa sortie
D’autres partitions de moindre importance, des vaudevilles à foison, des drames par centaines et des saynettes par milliers ; une fête nocturne dans les jardins du Casino, de quoi le besoin se fit sentir du jour où la température basse permit d’espérer une moisson flatteuse de bronchites et de rhumes de cerveau : tel est en résumé le bilan des allégresses bagnéraises. Soyons fiers et bénissons avec nos hôtes le sagace cornac auteur de ces loisirs.