Le paillasson: Mœurs de province
I
VILLES D’EAUX
(Bagnères de Bigorre)
De tous les fumiers propres à réchauffer le goût de la prostitution, à gonfler d’une sève fécale les ventres arrondis en citrouilles devant le dieu Cent-Sous, de tous les pourrissoirs où la dignité se vertdegrise, où l’intellect se désagrège en des pensers de batracien, il n’en est point que je sache de plus méphitique, de plus nauséabond que les tannières généralement connues sous l’appellation humide : Villes d’Eaux. Pour la copulation du crétinisme avec la filouterie, pour l’embrassement des pantalons et des sycophantes, ce sont bocages d’élection, ces choses plantées sur la montagne ou déposées au fil des grèves.
Les barons de la séquence, les tendrons hydrargiriques, les calicots phanérogames, les galériens nantis de mouchoirs, les Agnès compromises par de trop peu secrètes parturitions, les femmes du monde Jean Lorrain, se viennent engluer aux appeaux de l’habitant aranéeux. Campements de bohème aux pays de Misère, visites de la pègre transhumante chez les votereaux suspects des mauvais lieux à piscines, qui nombrera les immondices, de quoi vous êtes parfumés !
Certes le pays de Gascogne porte mieux que tout autre un vif renom pour ses tripots et ses lieux d’empoisonnement.
Depuis Barèges où Gassuro chasse l’izard et le chrétien, jusques à Pau où trichent les notaires, chaque bourgade s’y peut vanter d’une table hellénique, ornée d’un croupier en surtout.
L’amoureux de la forte somme y serre l’ongle du ponte carottier. Sicre règne à Luchon et Blandin — ce Neptune — donne des lois à Biarritz. Tous les autres ont leurs journées, où des Espagnols pain d’épices, aventurent leurs piastres, avec des mouvements de gorilles promus curés, des pokers où reluisent tels gentilshommes à qui le papa Dur[1] refuserait quarante sols. Toutes ces villes ont leurs pontes et des idées sur la conduite à mener devant le point de cinq : toutes regorgent d’anecdotes que Follou brode sur le dessert ; mais Bagnères de Bigorre se glorifie seule de Monseigneur Fiorentino della Porta, fermier général à Cauterets.
[1] Dur, un citerien de Bagnères.
Peut-être satisfairait-on les curieux de ce personnage en détaillant par le menu son histoire naturelle. Contentons-nous de le suspendre à nos discours (tel un rameau du Vignemale) et de nommer, après les fleurs de chiourme écloses à ses pieds, Félix, le suzerain de Saint-Pol. Maréchal qui, comme un lierre, végète sur les ruines et toi, jeune homme inexpressible, que les femmes ont si fort gâté.
Après le cercle, les étuves. Car il faut bien de temps à autre récurer un peu ses ongles et se laver les pieds. Il existe des caractères audacieux pour confier leurs organes les plus intimes aux fantaisies de médecins hilares et de masseurs emplis de cupidité. Les adolescents vigoureux réchappent quelquefois de ces immersions néfastes auprès desquelles le système hydrothérapique du regrettable Carrier pourrait passer pour de la Saint Jean.
Bigorre s’est constitué depuis longtemps une spécialité de courants d’air qui font de ses thermes le plus merveilleux endroit du monde pour, en quelques minutes, acquérir une maladie mortelle. Par compensation un administrateur infatigable prit le soin de réduire en cotrets tous les arbres susceptibles de fournir quelque ombrage au temps caniculaire, de sorte que les visiteurs ont le choix entre la pleurésie et l’insolation.
Ceci posé, nulle industrie plus honnête dans Bagnères. Les démolitions et reconstructions annuelles des baignoires donnent du pain à vingt équipes d’ouvriers, que, nonobstant la douceur de son nom, le jeune Monsieur Clément, traite comme des nègres. D’autres virtuoses aussi jouent de ces pistons, par quoi les vice-rois de la compagnie nous firent paraître leurs merveilleuses capacités.
Les loueurs en garni, fournisseurs de punaises et de fauteuils à trois pieds, les promeneurs de guimbardes, les caïmans de toute espèce, ne mériteraient-ils pas un thrène spécial en cette véridique lamentation ? Mais la fée Mab, la jolie petite fée Mab, avec ses ailes de crêpe et son diadème de perle, a tiré la coquille de noix, son carrosse, et Mercutio, le page, se délecte à la voir baller dans un rayon nacreux de lune.
A qui profite au surplus de prouver la moindre chose ? A quoi bon houspiller les échines de Messieurs les paltoquets et les honorer d’exordes comminatoires. N’est-ce pas, proprement, vouloir ferrer des cigales ? Aussi bien, nous les allons voir à l’œuvre et notre petit bonheur annuel est près de débuter. La saison s’ouvre en bâillant comme une huître qu’elle est. Cabotins, épiciers, fausses comtesses, Athéniens du baccara, valseuses en fer, chaperonnées de pères en bois, touristes à voiles verts, Anglaises giraffières, le déballage commence et la parade ambulera demain. Les gargottiers intoxiquent leurs potages, les valets de cercle machinent des portées. Le juif Lévy est à son pupitre et les doucheuses à leurs tuyaux.
Philistins, entrez dans Bagnères ! Le lotus de la sottise y va donner sa floraison.