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Le Pantalon Féminin

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Quant à l'inexpressible, sachez-le, mes belles lectrices,—écrivait Violette dans son Art de la Toilette—il est absolument moderne et même contemporain: c'est une mode anglaise et nos grand'mères ne les connaissaient pas»[136].

C'est là se montrer un peu affirmatif. Il en est de même de l'élégant dessinateur Vallet, qui fait seulement remonter l'usage du pantalon au règne de Charles X.

«C'est vers la fin du règne de Charles X que les femmes commencent à porter des pantalons mais cet usage ne se généralisa que beaucoup plus tard et rencontra tout d'abord de violentes résistances»[137].

En ce qui touche les résistances, M. Vallet, qui a semé dans la Vie Parisienne et dans l'ancien Chat Noir tant de jolis croquis, est dans le vrai. Elles furent violentes et de longue durée.

Quant à la date, il convient de faire des réserves. Le pantalon n'avait pas attendu la fin de la Restauration pour se produire. La lutte durait à cette époque, depuis plus de vingt ans déjà et l'avantage ne semblait pas appartenir au pantalon lorsque «le pieux monarque» dut reprendre le chemin de l'exil.

«Mode anglaise», comme le dit avec raison Violette. Retirée à Rodney-Hall, au milieu d'anciennes émigrées, dans une sorte de maison de retraite que dirigeait Mme de Mirepoix, Mlle de Condé n'avait pas assisté sans étonnement à cette nouveauté. Les pantalons des jeunes filles, comme leurs jupes courtes et leurs jeux, la scandalisaient un peu.

Faisant déjà très vieille dame, elle écrivait à son père:

«Je suis prête à me persuader qu'au lieu de cinquante ans, j'en ai deux cents par le changement de tout ce que j'ai vu et connu autrefois. Par exemple, pour les jeunes personnes, au lieu de cette décence de maintien, de cette retenue, de tous ces devoirs de bienséance de notre temps, j'ai sous les yeux des culottes—très nécessaires à la vérité pour les extraits de jupes qui les couvrent—une manière de courir en faisant voir les jambes au-dessus du genou. Plus des simples jeux de notre enfance. Collin-maillard, les Quatre-coins, avaient quelque apparence de règle: il n'en faut plus, il faut aller devant soi sans savoir où l'on va, se pousser, se jeter par terre, se rouler sur l'herbe»[138].

Pantalons de fillettes, soit; mais les femmes n'allaient pas tarder à s'en emparer. Une tentative assez sérieuse, du pantalon pour se glisser dans la toilette des femmes, marqua les premières années de l'Empire. L'exemple partit de haut, la reine Hortense adopta la mode nouvelle et y resta fidèle.

—Mademoiselle, je dois commencer par vous prévenir que je ne porte pas de jupon.

J'ai connu une aimable femme pour qui tout essayage débutait par cette phrase, alors que ce n'était pas là encore une mode générale.

Il en était de même il y a plus d'un siècle, et c'est même au manque de jupons ou à leur réduction au strict minimum, par quoi se signalaient les élégantes, que La Mésangère, dans son intéressant Journal des Dames et des Modes, attribue la première vogue du pantalon en 1804:

«Depuis quelques jours plusieurs ménages de Paris sont en querelle, les dames, accoutumées à ne porter qu'une seule robe, s'obstinent malgré la saison, à se vêtir toujours aussi légèrement qu'en été; les médecins et les époux vouloient que ces dames missent un jupon de plus; la plupart des femmes ont opposé la résistance la plus opiniâtre, vu qu'un jupon de plus nuisait au transparent et grossissait les formes.

«Quelques-unes avoient menacé du divorce, au cas qu'on voulût les soumettre à une mesure aussi vexatoire; enfin la plus adroite d'entre elles a accommodé l'affaire en adoptant un caleçon de laine qui réchauffe sans grossir; ce terme moyen a été généralement suivi; en conséquence on peut assurer que la plupart de ces dames portent aujourd'hui la culotte»[139].

Vogue passagère, si passagère que La Mésangère avait totalement oublié cet amusant écho lorsqu'il écrivait dans son Dictionnaire des Proverbes Français, ce passage souvent cité qui ne fait remonter qu'à 1809 l'apparition du pantalon en France:

«En 1807, nous arriva de Londres la mode des pantalons pour les petites filles. Les exercices de saut se pratiquent en Angleterre dans les écoles de jeunes filles; c'est pour cela qu'on leur a donné des pantalons. Le goût français ayant fort embelli ce vêtement, quelques femmes, au printemps de 1809, tentèrent de se l'approprier.

«On les vit se promener en pantalon de perkale garni de mousseline, les unes sur les boulevarts, les autres aux Tuileries. Quoique leur robe fût longue et le pantalon très peu visible, elles marchaient les yeux baissés, parce que tout le monde avait le regard fixé sur elles.

«Ces pantalons furent jugés comme les hauts-de-chausses dont parle Henri Estienne dans le premier de ses deux Dialogues du langage français italianizé...»[140]

Dans ses Nouvelles d'il y a cent ans, l'Echo de Paris a signalé cette nouveauté qui frisait presque le scandale:

«Tant de garnitures de robes blanches, tant de pamélas de paille jaune, de pèlerines découpées, de petits fichus effilés, de cothurnes, parurent, le 27 (avril), aux Tuileries, qu'on avait de la peine à se rendre compte des demi-toilettes de la veille. Les cothurnes étaient vert tendre ou citron. On voyait aussi des guêtres de nankin: une dame même avait un pantalon garni, froncé à la cheville, et qui dépassait la robe de deux doigts[141]».

Un aimable érudit, collaborateur assidu de l'Intermédiaire, a retrouvé un document curieux de l'époque, c'est un «patron de calesson rectifié» datant de 1806, pour le tracé duquel on avait fort mis à mal de superbes parchemins du XVIe siècle.

Ajouterai-je que la dame pour qui ce patron avait été rectifié jouissait d'avantages postérieurs et ne rappelait en rien la fameuse poupée à Jeanneton.

C'était là l'exception; non les avantages postérieurs, mais le pantalon. Peu de femmes souscrivirent à la nouvelle mode. De toutes les clientes de Leroy, le grand couturier du temps, la reine Hortense est seule à en porter, ou du moins à en commander.

Le grand-livre de Leroy, conservé à la Bibliothèque Nationale[142], nous révèle, à côté du compte plutôt modeste de Mlle de Vienne, du Théâtre-Français et des riches costumes de chasse de la reine de Naples, ces voiles d'un ordre plus intime au débit de la fille de Joséphine, pour l'année 1812:

Juin 12. Façon d'un pantalon de percale, 18 francs.

Juin 13. Blanchissage d'un pantalon et de la robe 5 fr.; Façon d'un pantalon avec bordure, 24 francs.

Septembre 27. Façon de deux pantalons de percale garnis de mousseline festonnée à 18 fr.; 36 francs,[143].

Peut-être trouvera-t-on que c'était un peu cher pour la percale, mais c'était une originalité et toute originalité se paie.

L'Impératrice n'avait pas sacrifié, elle, à cette nouveauté. Son trousseau comprenait bien 500 chemise—selle en changeait trois fois par jour—148 paires de bas de soie blancs, 32 de soie rosés, et 18 de couleur chair, mais c'est tout juste si on pouvait leur adjoindre «deux pantalons en soie de couleur chair pour monter à cheval»[144].

A part Hortense et quelques audacieuses que la chose avait pu tenter, les grandes dames de l'Empire ignoraient, comme nos aïeules, «ce petit vêtement inutile et bizarre»[145] et Colombine était dans le vrai, lorsqu'elle transcrivait dans l'ancien Gil Blas, ces spirituelles paroles d'un académicien:

«Voyez-vous, madame, dans ma jeunesse, sous l'Empire, les femmes ne portaient pas de pantalon, si bien que lorsque nous apercevions, ne fut-ce que cinq centimètres de jambe sous la jupe, notre imagination grimpait le long des bas et nous entraînait extasiés vers des régions aussi intimes que délicieuses. Nous ne voyions pas, mais nous savions que nous pourrions voir, le cas échéant: Victor Hugo n'a-t-il pas dit que c'était déjà quelque chose de regarder un mur derrière lequel il y avait quelque chose. Mais, aujourd'hui, quand même nous apercevrions la jambe jusqu'au genou, nous savons que là notre vue serait irrémédiablement arrêtée par un obstacle, que notre voyage suggestif aboutirait à un entonnoir de batiste et nous nous arrêtons découragés au pied du mur»[146].

Les tentatives du pantalon pour prendre place parmi les dessous de la femme se renouvelleront sous la Restauration et ne seront pas souvent plus heureuses. Tantôt gagnant, tantôt perdant, le pantalon, beau joueur, ne renoncera pas à la lutte. Il la poursuivra sous la monarchie de Juillet, et enfin verra la Crinoline, la fameuse crinoline, amener l'heure de son triomphe, comme jadis les vertugades avaient amené celui du «calesson».

Pauvre crinoline, pour nous si laide et si ridicule, quelles armes n'a-t-elle point fournies aux caricaturistes; les vertugades n'avaient-elles point eu contre elles les prédicateurs et les moralistes[147]?

La chute de l'Empire et le retour des Bourbons n'avaient cependant pas étouffé la foi qu'avait le pantalon dans son... étoile. En 1817, deux planches du Bon Genre évoquent empantalonnées les novatrices du jour. Ce sont: les Parisiennes à Fontainebleau et les Grâces en pantalon.

Évoquant et pastichant le groupe de Canova, l'une, de dos, en bleu, tient par l'épaule et le haut du bras ses deux compagnes. Sa jupe s'arrête à mi-jambes, et, jusqu'à la cheville, où le serre une coulisse, pour s'évaser ensuite en un plissé, tombe son pantalon, bleu également, assorti à la robe.

Les jupes des deux autres jeunes femmes sont plus courtes encore. L'une verte, relevée par devant jusqu'aux genoux, découvre le pantalon blanc, qui, s'amincissant et formant des plis, couvre de son volant les cordons du cothurne.

La troisième semble en peignoir, ou peu s'en faut... Garni d'un ruché, celui-ci s'entr'ouvre haut, livrant aux regards, semblable aux précédents et d'un jaune tirant au vert, cet accoutrement extraordinaire et à moitié turc qu'était un pantalon de femme en 1817.

La décence pouvait y gagner, mais, à voir cette planche, on comprend que les femmes comme il faut aient eu leurs préjugés et que les femmes comme il en faut aient osé seules arborer ce travesti.

«Ce costume, à demi-masculin, ajoutait en effet La Mésangère, a quelque chose d'étrange, et le petit nombre de femmes qui se sont montrées en pantalon sur les boulevards et aux Tuileries ont été l'objet d'une curiosité si inquiétante, que les filles seules ont osé adopter ce vêtement»[148].

Les filles... et les petites filles; tout au moins pour prendre leurs leçons de gymnastique, car il apparaît déjà comme le corollaire nécessaire des exercices physiques. La fillette de bon ton a, par jour, une «heure de gymnastique en blouse et larges pantalons marins»[149].

Mais, en dehors du trapèze et des anneaux, le pantalon restait ignoré. Il ne figure dans aucun trousseau de mariage. M. Henri Bouchot a reproduit le devis de celui de Mlle de Luxembourg. Il comprend bien «huit douzaines de chemises brodées au plumetis, deux douzaines de jupons, une douzaine de camisoles, une douzaine et demie de fichus de nuit, deux douzaines de serre-tête en batiste, etc.,[150]» mais nulle apparence de pantalons.

L'Almanach des Modes donne la composition d'un trousseau, en cette année 1817. Malgré la longueur de ce document, je ne crois pas inutile de le reproduire. Il est instructif et a son intérêt:

«Voici une note exacte de ce qui compose le trousseau d'une riche héritière; elle est puisée aux meilleures sources. Nous en appelons à toutes les demoiselles; qu'elles disent s'il y a rien là de superflu.

«Deux douzaines de chemises de toile de Frise, petits poignets garnis en Valenciennes;—2 douzaines id. de percalle, poignets brodés; 18 chemises de toile pour la nuit;—6 id. de percale forme montante et manches longues, avec garniture de mousseline au col; lesquelles peuvent servir de jupon et de camisole;—6 camisoles de nuit, garnies en feston;—6 id. pour le matin, garnies de bandes brodées;—6 jupons de basin superfin;—6 id. de percalle, à garnitures variées en mousseline;—12 bonnets de nuit en batiste d'Écosse, garnis de mousseline brodée et festonnée;—4 douzaines de mouchoirs de batiste à vignette blanche;—1 douzaine id. de toile superfine;1 douzaine id. de batiste brodée;—4 douzaines de serviettes de toilette;—6 peignoirs de toilette;—1 douzaine de frottoirs;—8 robes de percalle, façons diverses;—4 robes-redingote;—1 robe de mariage en mousseline des Indes (la garniture unie à fournir par le futur, doit être du prix de 150 fr. au moins);—12— fichus et canezous en mousseline brodée, garnis de tulle;—3 bonnets de mousseline brodée;—4 pièces de petite dentelle;—6 douzaines de paires de bas superfins;—2 pièces de percalle pour employer à volonté;colerettes, bandes brodées;—1 douzaine de madras;—1 douzaine de taies d'oreiller garnies de dentelle;—4 couvre-pieds en percalle garnis;—1 couvre-pieds de parade, point de Bruxelles;—1 douzaine de coiffes de pelottes, brodées avec chiffre et dentelle;—1 robe de cachemire blanc à bordure pour le matin;—id. à palmes pour le soir»[151].

Cette lingerie prêtait, bien entendu, matière à exposition et à protocole:

«Quelques jours avant le mariage, le trousseau doit être disposé sur une table que l'on recouvre de mousseline ou de quelqu'autre étoffe précieuse, pour être montré aux parents et amis. Les différentes parties en sont nouées avec des faveurs, et séparées par des bouquets de fleurs artificielles.

«Il faut ajouter au trousseau de la mariée le cadeau qu'elle doit faire à son futur; il est aussi simple qu'autrefois. Ce sont:

«Deux chemises de batiste;1 paire de manchettes et jabot de dentelles;2 cravates de mousseline;2 madras[152]».

Après le trousseau, la corbeille:

«Le futur donne en échange de ce présent une corbeille de mariage renfermant:

«Une douzaine d'éventails riches et variés;4 aumonières garnies en or et en acier;3 douzaines de gants longs; 6 douzaines de gants courts;1 douzaine de bourses variées, en or et soie, en acier, en perles;2 flacons en cristal de roche avec bouchons d'or;jarretières élastiques avec coulants, médaillons, etc.;1 bonbonnière d'écaille blonde avec cercles d'or;1 bonbonnière en cristal; 12 robes de fantaisie;1 voile d'Angleterre;1 cachemire long;1 cachemire carré; 1 robe de tulle;1 robe lamée;nécessaire complet en vermeil;1 écrin;1 buisson de fleurs artificielles;1 paquet de plumes d'autruche.

«A la corbeille on joint souvent un sultan, dans lequel on met les gants et les éventails, et que l'on garnit d'odeurs. On doit aussi remplir d'or une ou même plusieurs des bourses que l'on dépose dans la corbeille[153]».

Frottoirs, bonnets de nuit, madras! une douzaine ou deux de pantalons sembleraient sans doute, aujourd'hui moins «superflues».

Mais, malgré les deux estampes du Bon Genre, cet accessoire était loin d'être entré dans les mœurs. A la scène même, oubliant l'ordonnance de police qui y avait rendu, jadis, le caleçon obligatoire, combien de jolies filles n'en portaient pas. A Toulouse, Louis Minet de Rosambeau, le roi des comédiens ambulants, le fit, à cette époque, prouver jusqu'à l'évidence à une de ses pensionnaires:

«Une soubrette imprudente, qui ne souffrait d'observation de personne, obstruait la scène pendant les entr'actes, faisant la roue, le dos appuyé contre le rideau, au milieu d'un demi-cercle d'abonnés du théâtre. Un soir de représentation qu'elle restait sourde, selon son habitude, aux injonctions de Rosambeau, qui tenait l'emploi de régisseur, celui-ci fit monter la toile. La tige de bois qui la traverse en bas releva les jupes de la mijaurée, laquelle, paraît-il, ne portait pas ce soir-là de linge protecteur. Aussitôt effroi, fuite précipitée des gandins et hilarité de la salle devant la soubrette vue de... dos. Après cet intermède imprévu, pendant lequel notre héros s'était désopilé la rate, blotti dans le manteau d'arlequin, le rideau retomba.

Ça m'est égal, dit à ce moment la soubrette, cherchant à dissimuler sa colère, ils n'ont pas vu la figure!

«Le mot est resté[154]».

Ce n'est pas que la femme négligeât, pour reprendre l'expression de Brantôme, d'entretenir sa jambe belle. Le luxe des bas était extrême, au contraire, et ce billet emprunté au Journal des Dames et des Modes, en donne une idée:

«Voulez-vous, mon cher Edmon, mettre quelque chose de très nouveau dans la corbeille de votre future, achetez une demi-douzaine de bas de fil de dentelle de M. Dubost; chaque paire ne coûte que 172 francs. Achetez vite pendant que vous êtes amoureux; car après...[155]»

On ne porte pas des bas de ce prix-là pour les enfouir dans des tuyaux de percale ou de mérinos.

Les petites filles semblent à peu près seules à en porter en 1819; on les assortit à leur robe:

«Même en hiver, le pantalon des petites filles avait toujours été blanc; on le fait en mérinos, comme la robe et on le garnit de fourrure[156]».

En 1820, cependant, le pantalon semble prendre le meilleur et quelques femmes commencent à en porter; nouveauté que le recueil de La Mésangère n'est pas sans trouver un peu ridicule.

Dans un article consacré au budget d'un ménage parisien, on lit, à la date du 31 mai 1820:

«On ne croirait pas une chose, c'est qu'une des plus fortes dépenses de ma belle est en caleçons; elle en fait faire par douzaines, et elle ne monte pas une fois à cheval, elle ne rentre pas du bal ou du bain que ses pauvres caleçons ne soient en loques; elle a une ouvrière à demeure exprès pour les entretenir[157]».

Plus que jamais, La Mésangère attribue au pantalon une origine anglaise; l'explication qu'il en fournit ne laisse pas d'être assez inattendue:

«On sait que les Anglaises ont plus d'occasions que nos dames de faire des voyages sur mer, et par conséquent de monter à l'échelle, qui est ordinairement fixée le long du bord du vaisseau. Comme elles ont remarqué qu'en cette circonstance elles étaient exposées à laisser trop voir leur jambe, elles ont, par bienséance, et non par coquetterie, adopté la mode des chemises et des caleçons garnis de malines brodée. On se doute bien que nous ne parlons que des dames, d'une certaine classe, et non de celles qui ne possèdent pour toute garde-robe qu'un jupon blanc, un spencer noir, et un shall bleu[158]».

Les occasions de monter à l'échelle manquant en France, non seulement les femmes, mais nombre de petites filles, ne portaient pas de culottes, ce qui ne les empêchait pas de sauter à la corde «avec une décence admirable»:

«Passez aux Tuileries, et vous verrez toutes les petites filles (même celles qui ne sont point en pantalon), munies d'une longue tresse terminée par deux poignées en bois, sauter, faire sur cette corde des croisés, des doubles et jusqu'à des triples tours, avec une décence admirable[159]»:

Au Bois, où la promène, le matin son père, nous apparaît, en voiture, ainsi vêtue «Mlle Emma, âgée de 6 ans: grand chapeau à bord plat, en tissu, dit paille de riz, entouré d'un simple ruban Bleu Elodie; tunique et pantalon de perkale, avec une triple garniture; souliers de maroquin rouge lacé(s)...[160].

Malgré le manque de pantalons, les jupes continuent à être courtes, très courtes; des trotteuses ou peu s'en faut et elles ne sont pas sans grâce:

«Une robe à la mode doit-être assez courte pour que, lorsqu'une femme marche, on voit le tour que forment les rubans-cothurnes des souliers au-dessus de l'endroit où il se croisent. Aussi les bas à jour sont-ils très recherchés[161]».

Quant aux fillettes, leurs pantalons sont tellement longs que, sans ambage, on les dit «en pantalon»:

«Les cerceaux... Regardez cette jolie enfant en robe courte, en pantalon...»[162].

Quelques femmes en portent pour se baigner et leur costume de bain mérite d'être décrit. C'est une nouveauté, comme l'école de natation où il est obligatoire:

«Un spéculateur vient de former près du Pont-Neuf, un établissement où les dames et les demoiselles du bon ton peuvent non seulement se baigner, mais apprendre à nager sans aucune espèce d'inconvénients. Chaque leçon coûte 30 sols, ou par abonnement 25 sols. Le costume de rigueur se compose d'un caleçon ou d'un pantalon-veste d'un seul morceau, en flanelle ou en mérinos. La veste est sans manches. Autant qu'il est possible, les commençantes doivent porter le caleçon préférablement au pantalon, qui gênerait leurs mouvements.

«La dame qui nous a communiqué ces détails, s'est trouvée aux bains du Pont-Neuf avec des Anglaises et de jeunes Françaises de très bonne compagnie».[163]

Pour monter à cheval, au contraire, nombre d'amazones n'en portent pas et certaines ont trouvé ce moyen d'obvier aux inconvénients du vent et du galop: «Un long jupon de couleur descend presque jusqu'aux jarrets du cheval; il est retenu sous le pied par une espèce de chaînette dorée qui traverse le jupon, ce qui le force à dessiner gracieusement les formes. Mais ce nouveau moyen de prévenir les inconvénients attachés à un exercice qui peut parfois compromettre la décence des femmes n'offre-t-il pas un danger éminent dans le cas d'une chute? Au reste, c'est le genre du jour; et ce n'est pas à nous, prêtresses de la mode, à blâmer ouvertement les abus où elle peut entraîner».[164]

Si incomplet qu'il puisse paraître aujourd'hui, le trousseau des femmes était luxueux cependant. Le Journal des Dames et des Modes du 25 décembre 1821, signalait dans le trousseau d'une nouvelle mariée une «camisole destinée à la première nuit de noces... du prix de 500 francs».

La camisole de noces, pourquoi pas la chemise à trou?

De son côté, le luxe des bas ne diminuait pas. Le 5 janvier 1822, figuraient parmi les objets qui ont du débit:

«Des bas de soie entièrement formés de point de dentelle. Ce dernier article se trouve dans le magasin de bonneterie situé à l'un des coins des rues de Richelieu et Saint-Marc».

Cette année 1822 fut pourtant témoin d'un retour offensif du pantalon:

«Au mois de mai 1822, quelques femmes reprirent le pantalon; c'étaient des femmes à équipage; et on ne les vit guère à pied que dans les galeries du Musée, promenade où peu de personnes étaient admises. Leur pantalon blanc dépassait de quelques travers de doigt une blouse de batiste écrue. (Voyez le no 1972 de la suite des Costumes parisiens).[165]

La vogue des blouses commençait en effet. La Mésangère en fournit cette description:

«Les robes en blouse, que quelques couturières appellent gallo-grecques, n'ont pour ornement autre chose que des plis comptés et arrêtés, qui passent sur le corsage, tant devant que derrière, et descendent jusqu'à la garniture du bas, laquelle est elle-même formée de remplis... Le seul endroit où, avec ces robes, l'étoffe soit tendue, c'est sur les hanches»[166].

Les débuts de cette mode qui devait être durable semblent avoir été pénibles:

«Les personnes qui ne sont point allées au Salon, les deux premiers samedis qui en ont suivi l'ouverture, et celles qui ne vont point au bois de Boulogne, doivent regarder comme imaginaire la mode des blouses pour les dames élégantes et celle des pantalons sous les blouses; car on ne voit ni l'un ni l'autre vêtement dans nos promenades»[167].

La blouse prit, il est vrai, beaucoup mieux que le pantalon, et la gazette sut tout de suite trouver au nouveau venu une excuse malhonnête:

«Les femmes qui ont des raisons particulières pour cacher leurs jambes, ont la ressource du pantalon, mais une blouse doit être faite courte»[168].

Le Journal des Dames, loin de désarmer, dans sa justice relative, joint l'ironie à ses critiques:

«En voyant maintenant deux compagnes de couvent, se rencontrant avec leur grand chapeau de paille, leur blouse de toile écrue, leur pantalon et leurs guêtres, on les prendrait plutôt pour deux jeunes paysans que pour deux Parisiennes»[169].

La blouse devait triompher de ce mauvais vouloir et son triomphe fut éclatant:

«On eut la blouse, une robe-sur-tout légère et très ample, bouffante sur la poitrine, serrée d'une ceinture à la taille, et devenue presque la seule parure négligée des Merveilleuses entre 1822 et 1830. La blouse comporte le pantalon de percale, tombant sur la chaussure, brodé et festonné à outrance, et coquettement montré par un geste gracieux que toutes connaissent bien. Après avoir raillé la blouse et l'avoir ridiculisée, au théâtre des Variétés, en un mot, lancée par la meilleure réclame, on lui fit une fortune durable. Sincèrement, la Restauration ne sut rien trouver de plus délicieux ni de plus artistique en fait de toilette. Longtemps la blouse corrigea les intempérances du gigot et des tailles en gaîne»[170].

La fortune du pantalon fut moindre. Les «courtisanes» furent seules d'abord à la suivre:

«Déjà en 1822, écrit Edmond Texier, quelques élégantes de la Chaussée-d'Antin avaient voulu faire adopter la mode des longs caleçons de mousseline, portés par les enfants; mais chose singulière, les courtisanes seules adoptèrent cette mode décente; il n'en fallut pas davantage pour la discréditer»[171].

Il en serait différemment aujourd'hui et cet exemple suffirait sans doute à faire adopter, de nos jours, n'importe quelle mode.

Le luxe affolant des bas ne devait pas être étranger à ces résistances... On ne porte pas des bas à jour de 180 francs pour les enfouir sous cette malencontreuse lingerie.

«Parmi les bas de coton à jour exposés au Louvre, il en est de 180 francs la paire. Au-dessus du brodequin là où il n'y plus de jours, jusqu'à la bordure du haut le tissu est plus transparent sur la jambe qu'au brodequin même, où pour former les jours, il y a nécessairement quelques brins de coton réunis en parties mates»[172].

Pour mieux faire valoir le bas et la jambe, les robes sont courtes, idéalement courtes, dépassant, pour danser, à peine le mollet:

«Une robe de taffetas écossais, une robe de gros de Naples ne doivent point approcher des jambes; une femme à la mode marche au milieu de sa robe»[173].

Cette même année, Jenny Vertpré, cette jolie fille du temps, dont la vogue fut grande, apparaît aux Variétés, dans l'Actrice en voyage, en blouse et en pantalon. C'est, en quelque sorte, la consécration de la mode nouvelle.

La femme possède la science des euphémismes. Que, pour patiner ou pour braver les accidents des jeux en plein air, elle ait revêtu cet accessoire encore peu usité, elle n'avouera pas avoir un pantalon, elle sera «assurée».

D'autres, il est vrai, y mettront moins de formes et arboreront bravement pour monter à cheval, la chaînette n'ayant pas pris, «un pantalon de peau avec des bottines noires»[174].

La crainte de montrer son derrière serait-elle donc le commencement de la sagesse? Chutes et culbutes possibles sont les seules raisons d'être du pantalon... Il est précieux pour les «jeunes personnes» et leur permet de jouer en plein air sans trop laisser voir de leur individu. Puis, un amusant détail de sa confection nous est révélé: ces petites fentes latérales permettant de l'attacher sur les côtés, appelées à disparaître avec le Second Empire, pour reparaître ensuite et disparaître à nouveau:

«Le matin, à la campagne, pour courir dans le jardin, pour monter sur les cerisiers et pour jouer sur le gazon, les jeunes personnes portent de larges pantalons de perkale, qui s'attachent sur les corsets, et qui s'ouvrent et se boutonnent sur les côtés»[175].

L'année suivante, en 1824, le Journal des Dames, pour l'ordinaire si hostile à cette mode qui n'en est pas encore une, semble s'y rallier. Il en chante les avantages, pour ne pas dire les bienfaits, non seulement pour les fillettes, mais pour les jeunes filles et pour les femmes:

«Les pantalons de perkale sont très à la mode en ce moment pour les enfants, les jeunes personnes et même les dames. A la campagne ils sont d'une nécessité absolue. Comment sans ce vêtement protecteur, oser monter sur un coursier, aller à âne ou se risquer sur la balançoire? Mais aussi faut-il le dire: quand une jeune élégante est protégée par le bienheureux pantalon, il n'est pas d'écolier qui puisse lui être comparé, c'est un vrai lutin»[176].

C'était trop beau pour durer. Suit ce conseil aux amazones dépourvues de pantalon, pour obvier aux retroussis de la jupe:

«On met un spencer avec un jupon de mérinos. Les demoiselles qui n'ont point de pantalon font faire au bas de leur jupon, une boutonnière pour le fixer à droite et à gauche, au moyen d'un des boutons de leurs guêtres»[177].

Loin de partager l'enthousiasme du journal de La Mésangère, l'Hermite rôdeur saisit surtout le ridicule de ces modes qui l'étonnent:

«Nous avons nos précieux ridicules en fait de modes, dans le XIXe siècle, et jamais nos ancêtres ne nous ont fourni une chose plus extraordinaire que l'échange des culottes et des jupons entre les deux sexes; car tandis que nos belles ont usurpé les pantalons, le sexe qui en tout devrait être mâle, a emprunté la toilette des femmes, en portant des corsets, des estomacs matelassés, de larges pantalons, pareils à des jupons, et même des pantalons plissés, qui ressemblent tellement à des jupes, qu'il est difficile de les distinguer.»[178]

Les ridicules des femmes ont pour excuse la mode, (une jolie femme est-elle jamais ridicule?) ceux des hommes se pardonnent moins.

D'ailleurs, elles continuaient à s'embarrasser si peu de ces «objets-là»le mot est d'une très honnête dameet le pantalon restait si bien l'apanage des petites filles, que, par ce détail seulement, leur costume différait de celui des grandes personnes:

«Si l'on excepte un pantalon de perkale à larges remplis, le costume des petites filles est pareil à celui de leurs mamans»[179].

Pour ces femmelettes, il semble, par contre, de rigueur:


«Pour les petites demoiselles, on porte toujours sous la blouse un pantalon de perkale à cinq remplis»[180].

Les frileuses ignorent encore l'ignoble travesti des pantalons de flanelle ou de futaine; des guêtres en tiennent lieu:

«On fait pour les dames des guêtres qui montent jusqu'aux genoux; elles sont les unes en batiste écrue, les autres en laine, et tiendront lieu de pantalons»[181].

Le costume habillé ne comporte, bien entendu, ni guêtres, ni pantalon. Les robes de bal sont plus courtes que jamais et la richesse des bas ne diminue pas:

«Les robes de bal laissent apercevoir au moins la moitié de la jambe. Pour donner une idée de la transparence des bas, nous dirons que jusqu'à l'endroit où finit le brodequin, c'est du tulle, et plus haut de la gaze»[182].

Les protagonistes du pantalon, car il y en a, n'abandonnent pourtant pas la lutte. Une patineuse laisse apparaître sous sa jupe, en 1826, le voile qui la protège:

«Nous avons vu une jeune dame patinant: elle portait un costume en casimir garni de fourrure, un pantalon l'assurait contre l'inconvénient des chutes»[183].

D'autres pour tâcher de gagner des adhérentes au pantalon, en changent le tissu:

«Quelques damesces mots en disent longportent des pantalons, mais la bourre de soie et le cachemire de France ont remplacé la toile et la perkale»[184].

Le pantalon s'humanise et fait lui-même des concessions. Il consent à se raccourcir et se garnit:

«Il y a pour les Merveilleuses, des caleçons de deux sortes: les uns ressemblent aux caleçons ou culottes courtes des hommes; les autres aux pantalons collans, mais ils ne descendent point au-dessous du brodequin d'un bas à jour.

«Les caleçons longs sont en mousseline épaisse, dite mousseline de Suisse, ou en perkale. Quelques-uns ont une petite broderie, un tulle plissé, une dentelle à leur bord inférieur. Un cordon passé dans une coulisse, ou une agrafe, ou encore un bouton plat les assujettit au-dessous du mollet.

«Quelques dames portent des caleçons courts d'une étoffe de laine extrêmement fine, et bâtissent à leur extrémité une manchette de mousseline épaisse»[185].

Vains efforts. Ces caleçons ne prennent pas pour cela et, même pour patiner, nombre de femmes semblent s'en passer:

«L'un des jours où il a fait un beau froid, on a remarqué sur le bassin de La Villette, une dame qui patinait avec autant de grâce que de hardiesse. Robe noire de gros de Naples très courte et garnie de trois rangées de hauts volants, chapeau noir, brodequins noirs: tel était son costume... Si la dame portait un pantalon, il devait être fort court, car, quoique le vent agitât le bord de sa robe, nous n'avons vu au dessus du brodequin qu'une jambe bien tournée»[186].

A la mer, on ignorait encore le pantalon prescrit à l'école de natation du Pont-Neuf, en 1826, «à Dieppe, on se contente de robe de serge verte ou brune»[187].

Ce devait être bien joli et d'une complète incommodité pour nager. Allez, avec ce costume faire autre chose que trempette.

Le pantalon reste décidément le propreet comment?des amazones et des fillettes:

«Pour monter à cheval, les Merveilleuses font faire des pantalons et des canezous de mousseline anglaise à mille raies. Les pantalons sont froncés autour de la cheville et garnis de deux volants, celui de dessus orné d'une petite dentelle et à tête»[188].

Celui des fillettes s'attache à la taille par une ceinture:

«Les pantalons garnis que les petites demoiselle portent sous leurs jupes courtes ne sont point attachés avec des bretelles, ni avec une boucle, mais avec une ceinture passée dans une large coulisse»[189].

En 1828, le bazin remplace pour les amazones la mousseline anglaise:

«Les amazones sont en drap fumée de Navarin, chapeau gris et cravate noire à bordure de couleur. Très court par devant, l'habit d'Amazone laisse voir l'étrier de la jambe droite, et même un brodequin noir en satin turc et un pantalon blanc de bazin à milles raies»[190].

Ce pantalon avait même parfois des sous-pieds:

«Nous avons vu en tilbury des dames portant le costume suivant: amazone de drap fumée de Navarin à jupe sans queue. Corsage à shall, chemise d'homme plissée à petits plis plats, et fermée par trois boutons d'or émaillé; col plaqué contre les joues; cravate de soie noire; sautoir en cachemire rouge croisé comme un petit shall; pantalon de bazin à sous-pieds, et brodequins de satin turc»[191].

«La fâcheuse androgyne», moins le «tailleur», qui, avec la chemise d'homme constitue son invariable uniforme. Le tailleur n'était pas encore trouvé.

L'été, à la campagne, les élégantes se décident enfin dans deux circonstances, à enfiler un pantalon: le matin, pour descendre au jardin, ou, l'après-midi, pour monter à cheval. Le reste du temps, elles se gardent bien d'en porter:

«Une élégante fait, à la campagne, trois et quelquefois quatre toilettes par jour. En se levant elle met un peignoir de jaconat blanc, garni d'un double volant, haut de deux pouces et plissé à gros tuyaux, un pantalon de mousseline et des guêtres: c'est le costume pour se promener dans le jardin, en y ajoutant un grand chapeau de paille d'Italie, avec brides garnies»[192].

A cheval, le pantalon était d'autant plus nécessaire qu'à la campagne, les «Merveilleuses» substituaient volontiers à l'amazone, dont la queue les gênait, une fois descendues de cheval, leurs robes de ville et l'on sait si elles étaient courtes:

«A la campagne beaucoup d'élégantes font leurs visites à cheval. Les robes d'amazone étaient incommodes à cause de leur longueur. On monte à cheval avec des robes aussi courtes que les robes ordinaires et un pantalon garni»[193].

Sous l'amazone, par contre, le pantalon disparaissait quelquefois et était remplacé par des guêtres:

«Quelques dames montent à cheval avec des guêtres de chevreau lacées par le moyen d'œillets métalliques ou bouclés avec de petites boucles d'or»[194].

Mâtin!

Le Journal des Dames et des Modes, bien que faisant apparaître dans un dessin de 1829,hardiesse qu'il avait eue déjà en 1827[195]le volant serré autour de la cheville d'un «pantalon de jaconat»[196] sous une toilette de ville, s'étonne de voir au Wauxhall:

«Une jeune femme portant un pantalon blanc garni de mousseline brodée tombant jusqu'à la cheville, sous une robe de popeline unie gris-argent, très courte»[197].

C'était, évidemment, une audacieuse, car, à ce «concert d'Amateurs», elle était loin de la promenade au jardin, l'été, à la campagne.

Il lui semble plus grave encore de se livrer à de semblables exhibitions dans le jardin des Tuileries. Cette fois, tout juste s'il ne proteste pas:

«Encore une élégante se promenant aux Tuileries en pantalon! Ce dernier presque collant était de bazin; il descendait jusqu'au talon du brodequin, était échancré sur le coudepied, et avait des sous-pieds, retenus de chaque côté par un petit bouton d'or. Que l'on ne se figure pas un habit d'amazone: la dame qui portait ce pantalon, avait une robe de soie»[198].

A part les sous-pieds, l'émoi de la gazette peu sembler exagéré: n'est-ce pas aux Tuileries, précisément, qu'elle avait pris, deux ans plus tôt, le modèle qui avait figuré dans ses Costumes Parisiens?

Ce sont, il est vrai, plus que jamais des exceptions. Le froid d'un hiver rigoureux ne parvient pas même à faire accepter aux femmes l'ennui et la gêne d'un pantalon. Les frileuses ont recours à deux paires de bas qu'elles mettent l'une sur l'autre:

«Les dames élégantes qui désirent être bien chaussées portent des bas fins et à jour; mais, pour ne pas souffrir du froid, elles ont en dessous des bas très longs, couleur de chair. Ces derniers tiennent lieu de caleçons et s'attachent à la ceinture comme ceux des enfants»[199].

Des tirettes sinon des jarretelles.

Ce n'était là qu'un pis-aller. Si les jambes et à la rigueur une partie des cuisses étaient protégées, il n'en était pas de même du reste: le «pauvre derrière» de ces dames conservait toute sa froideur, cette «...froideur du derrière, image de la mort»[200], que chanta le bon poète chansonnier Maurice Mac-Nab.

Après les jarretelles, les chaussettes. Rien n'est nouveau sous le soleil, ni même ailleurs:

«Au Théâtre-Italien, sur l'escalier qui descend au vestibule, une dame se posait de façon à faire voir des babouches brodées en or et en couleur; des chaussettes de soie ponceau lui couvraient le bas des jambes»[201].

O Willy, ô Curnonsky!

Seule la toilette négligée ou de voyage semble comporter un pantalon. L'apôtre du «dandysme», le connétable Jules Barbey d'Aurevilly, en fait porter à la Vellini, dans Une vieille Maîtresse:

«Elle était vêtue comme une femme qui descendrait de vaisseau après une traversée. Elle avait une robe de voyage en étoffe écossaise, à grands carreaux écarlates, avec un pantalon de la même couleur»[202].

A part les chevauchées à la campagne, les surprises des parties sur l'herbe et les hasards des voyages en diligence, «les Parisiennes (qui) ont peu de gorge et la jambe bien faite», tiennent à la montrer, avec des jarretières historiées et des bas brodés en or et argent. Ainsi, «la mode des robes courtes, même très courtes, s'explique toute seule»[203].

La gorge ne leur venant pas, sans doute, les jupes demeuraient courtes, et ces dames laissaient apercevoir plus qu'à demi leurs jambes, sans que les plus timorés se scandalisassent.

Heureuse époque! c'était celle du «bas blanc, bien tiré», auquel les chasseurs de la butte ne joignaient pas le commerce rémunérateur de la «coco» et autres stupéfiants.

La «drogue» ne sévissait pas et Josette ne suçait pas le bambou.

A la cour du vieux Charles X, on faisait, par contre, profession de plus de pruderie. On ne regardait pas, ou on feignait de ne pas regarder les jambes des aimables filles qui venaient y danser le ballet de la Somnambule:

«Des personnes auxquelles rien n'échappe ont cru remarquer que pendant les ronds de jambe et les pirouettes de Mesdemoiselles telles et telles dans le ballet pantomime de la Somnambule, les dames de la Cour ont constamment tenu les yeux baissés sur le livret (libretto des italiens). D'autres regards se portaient franchement sur les jolies jambes de Mlles *** ****»[204].

Pouah! cela sent son Bérenger. Mais ces dames pouvaient avoir une excuse: ayant la jambe mal faite, la comparaison les effrayait.

La rigueur de l'hiver de 1830, incita cependant quelques frileuses à faire tomber sur les jours de leurs bas les tuyaux de cheminée de pantalons de satin ou de velours noir:

«Dans trois différents quartiers nous avons vu des dames en pantalon de satin noir ou de velours noir, garni d'une broderie de chinchilla ou de martre»[205].

Cette mode ne prit pas heureusementc'était un peu le musée des horreurs ces pantalons annamiteset le silence du Journal des Dames semble indiquer que la percale et le bazin subissaient eux-mêmes une éclipse.

L'avènement du roi-citoyen ne semble pas avoir amené celui de l'«inexpressible». La gazette reste muette à son sujet et il faut arriver à l'année 1833 pour assister à sa résurrection.

Non contentes de le porter à la campagne, quelques jeunes femmes essaient de le conserver chez elles, «pour la chambre».

A son tour, le Journal des Femmes signale son utilité dans des périphrases que n'aurait point désavouées l'excellent abbé Delille:

«A la campagne, les pantalons sont une nécessité pour les femmes comme pour les jeunes personnes. Comment oser se risquer sur un noble coursier, ou sur l'animal aux longues oreilles sans un pantalon protecteur contre les chutes? Or donc, ces pantalons en jaconas sont taillés soit à la turque très larges, à plis ou à froncés et montés sur un poignet qui ferme sur la cheville, soit à la russe avec des fronces retenues sur le sous-pied, et agencées avec un morceau d'étoffe figurant une guêtre»[206].

Ce n'était déjà pas mal; il y eut mieux.

«Enfin, pour la chambre, il y a des pantalons en mousseline, et, le dirai-je? telle est la faveur de la dentelle noire, les pantalons sont garnis du bas par une petite ruche de dentelle de cette nuance»[207].

Le pantalon avec bordure de deuil.

La campagne, les parties d'âne... cette chanson déjà entendue n'eut pas plus de succès en 1833, que dix ans plutôt. Elle ne convainquit personne et c'est tout juste si, en 1837, on ne faisait pas cercle, à l'Opéra, autour d'une Anglaise coupable de n'avoir pas sacrifié ses culottes à la musique de Meyerbeer.

La toilette de la dame était d'ailleurs sensationnelle. Il y avait de la muse romantique dans sa coiffure et dans sa silhouette: «Les cheveux en boucles flottantes sur ses épaules et tout autour de sa tête; une robe de mousseline empesée et très écourtée, un large pantalon à deux rangs de garnitures.

«Cette dame prenait pour de l'admiration, ce qui n'était qu'une ironique curiosité de la part de toute cette foule»[208].

Loin de se vendre tout fait, par séries, le pantalon ne se confectionnait encore que sur mesure et des prudes, que, peut-être, l'objet tentait, étaient retenues par la crainte de laisser prendre les leurs. Cette opération ne permettrait-elle aux mains du couturierce caleçon semble en vérité tenir plus de la culotte que du pantalonà des investigations particulièrement indiscrètes.

Aussi, l'un d'eux, le sieur G. Dartmann, «tailleur et professeur», de chercher à rassurer les hésitantes, en indiquant la «manière de prendre la mesure.

«Une des vertus qui caractérisent et embellissent le plus les femmes, c'est sans contredit la modestie: aussi la plupart d'entre elles, quelque soit d'ailleurs leur désir de posséder un caleçon s'effarouchent-elles à la seule idée d'en laisser prendre la mesure. Elles renoncent donc à porter ce vêtement commode dans la supposition où elles sont qu'on ne pourrait en prendre la mesure sans que leur pudeur n'eût à en souffrir.

«Il devient donc opportun ici de faire connaître par quel moyen entièrement rassurant pour les mœurs, nous arrivons promptement à prendre la mesure nécessaire à la confection de ce vêtement.

«D'abord on procède par-dessus la robe; à cet effet, on pose le bord de la mesure au-dessus des hanches, puis on la descend immédiatement jusqu'au dessous du genou; dès lors c'est le jarret qui détermine la longueur du caleçon et c'est de l'étendue que prend la circonférence du jarret que doit sortir la division de la mesure.

«Comme on le voit, le moyen est prompt, assuré et conforme aux principes de la plus sévère bienséance; il est en outre assez simple pour que la personne puisse elle-même prendre la mesure de son caleçon, et il n'y a rien, comme on voit, qui puisse alarmer la pudeur.»[209]

Après ces lignes rassurantes, le professeur a soin de célébrer comme sœur Véronique et comme Mercier, les avantages du caleçon, particulièrement contre le froid:

«On ne saurait trop conseiller aux dames d'adopter le caleçon, les avantages qui s'y rattachent sont incalculables; leur esprit est trop subtil pour qu'elles n'en devinent pas une partie; mais n'y eût-il que l'avantage unique de les garantir de la rigueur du froid et de l'intempérie des saisons, ce serait ce nous semble raison suffisante pour en rendre l'usage général.»[210]

Malgré ces avantages incalculables, «les impures» même ne semblent pas avoir conservé à cette époque, le goût pour le pantalon qu'avait signalé La Mésangère et que devait noter Edmond Texier. Gavarni n'en fait porter à aucune de ses «lorettes»: elles sont, pourtant, demeurées charmantes avec leurs longues et larges chemises, si démodées, et qui datent pour nous d'un autre âge.

Une note de Balzac paraît, il est vrai, indiquer qu'il était resté cantonné dans le quart de monde, ou qu'il le cantonnait, si l'on préfère. La femme du monde, la femme comme il faut, n'en portait pas encore, ou les portait très simples et ne les laissait point voir:

«Elle ne porte ni couleurs éclatantes, ni bas à jour, ni boucle de ceinture trop travaillée, ni pantalons à manchettes brodées bouillonnant autour de la cheville»[211].

Les fillettes sont plus que jamais seules à en porter, et, passé dix ans, la plupart le suppriment. Le Journal des Demoiselles, dans la correspondance un peu bêbête qui faisait la joie de ses jeunes lectrices, considérait comme inconvenant à une première communiante d'en porter le jour où elle accomplissait «l'acte le plus auguste de la religion»:

«Si ta sœur fait sa première communion à Pâques, voilà comment je te conseillerai de l'habiller pour le plus beau jour de notre vie: une robe de gros de Naples blanc, etc.; cette robe doit être longue. Maman n'approuve pas qu'une petite fille porte un pantalon le jour où elle devient une demoiselle, en faisant l'acte le plus auguste de la religion»[212].

Si du moins elles s'étaient bornées à le supprimer, ce jour-là, pour le reprendre ensuite? Mais, pas du tout, pour beaucoup la suppression était définitive. Je puise à nouveau dans la Correspondance du Journal des Demoiselles:

«Elles (les fillettes figurant sur une planche) ont un chapeau de feutre noir ou fauve, orné de galons, et un pantalon dans le cas où elles n'ont pas fait leur première communion...»[213]

Le pantalon, on le voit, semblait plutôt perdre du terrain. Cinq ans auparavant, les gravures du Moniteur de la Mode le faisaient encore tomber sous les jupes de fillettes déjà grandes qui avaient déjà fait leur communion.

En 1850, «les petites épouses», pour reprendre l'expression de Rimbaud, n'en portaient plus et le supprimaient à dater de ce jour.

Il fut un certain temps, d'ailleurs, à s'introduire dans les couvents et pensionnats religieux. En 1845, il ne figurait pas encore sur le trousseau des pensionnaires des Ursulines. Aujourd'hui même, il est interdit dans certains établissements, à la Providence, notamment.

Si au Sacré-Cœur et aux Ursulinesoù les élèves en changent parcimonieusement: une fois par semaine[214]la chose n'effraie plus et est même exigée, il n'en est pas de même du mot. L'objet que l'on doit passer sous son jupon, pour éviter de se montrer à ses compagnes de dortoir en pantalon s'appelle «tuyaux de modestie» ou «tiroirs».

Quelles gentillesses, ma chère!

Aussi, aux environs de 1850, était-ce le rêve des fillettes de le quitter. Du fait, elles se croyaient jeunes filles, femmes presque.

«Dès qu'on a quitté les pantalons, édictait, en 1840, le Journal des Jeunes Personnes, on peut quitter les volants; à seize ans vous portez des robes de ville, semblables aux robes simples de vos mères».

Et, seize ans plus tard, dans une nouvelle de H. Lesguillon, Le Contrat n'est pas encore signé, on entendait une fillette qui voudrait être une demoiselle, s'écrier d'une voix pathétique:

«Encore des pantalons, j'aurai donc toujours des pantalons!»

Au surplus, ces enfants avaient une excuse. Les pantalons que comprenaient leurs trousseaux étaient d'une laideur suffisante pour leur inspirer cette horreur. Mme Judith Gautier, dans cette chose délicieuse qu'est son Collier des Jours, a noté ce souvenir de son enfance. C'était odieux:

«Mon trousseau avait été confectionné sur des mesures approximatives et sans être essayé; on m'en revêtit le lendemain. Il était hideux et me fit horreur.

«Un pantalon en finette grise, terminé par des bouts de jambes, de serge noire, en forme de pantalon d'homme!... une robe de serge noire, à gros plis, trop longue, et un tablier en lustrine noire, à manches boutonnées»[215].


LA CRINOLINE
L'INDISPENSABLE

Prise en elle-même, au repos, suivant la pittoresque expression d'un vaudevilliste, la crinoline, loin d'accentuer les formes, enfermait le corps dans une sorte de cage de sûreté; malheureusement elle ballonnait, et ses balancements, plus ou moins gracieux à la marche, devenaient inquiétants lorsqu'il s'agissait de franchir un passage étroit.

N'est-ce pas elle qui compléta la toilette intime, en rendant les inexpressibles d'un usage général?

J. Grand-Carteret.

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