Le Pantalon Féminin
Les protagonistes du pantalon, n'avaient pas malgré le succès très relatif de leurs efforts abandonné la lutte. Dans certaines maisons, c'était comme un uniforme et cet uniforme a fourni à Paul de Kock le sujet d'un roman: la Pucelle de Belleville.
Cette nouveauté ne pouvait manquer de l'étonner un peu et d'exciter sa verve facile.
Adrienne, l'une des héroïnes, «ne porte pas de caleçons», à vrai dire, prétendant «qu'elle ne pourrait pas marcher avec cela, et qu'une femme ne doit point être mise comme un homme»[216]. Par contre, Virginie, la Pucelle, sa mère et même les bonnes de la maison, en portent, et en finette encore! de par la volonté d'une vieille tante, dont on soigne l'héritage:
«Voilà ma fille! C'est pur! c'est intact! c'est l'innocence avec une chemise et un jupon», déclare M. Troupeau qui a le défaut de vanter un peu trop sa progéniture.
Est-ce qu'elle ne porte que cela?
Pardonnez-moi, monsieur le comte, diable! elle est élevée sur le pied de la plus scrupuleuse décence! elle porte des caleçons.
Des caleçons et dans quel but s'il vous plaît?
Mais, monsieur le comte, afin que si par hasard... Vous comprenez, dans la rue le pied peut glisser, ou bien un coup de vent perfide... cela s'est vu! et ma tante prévoit tout! D'ailleurs dans la famille de ma femme, on a toujours porté des caleçons. Sa tante ne les a jamais quittés, à ce qu'elle nous disait l'autre soir; moi, j'en porte depuis notre mariage, notre femme de chambre et notre cuisinière en ont; c'est-à-dire mon épouse vient de renvoyer sa femme de chambre, parce qu'elle s'est aperçue qu'elle se permettait parfois de n'en pas mettre pour sortir le dimanche... Une fille qui ôte son caleçon pour aller se promener dans la campagne ne peut avoir que de mauvaises pensées, nous ne pouvions pas la garder»[217].
Cela rappelle un peu une maison bourgeoise où toute nouvelle bonne recevait à son entrée dans la place, une demi-douzaine de pantalons fermés, de la main de Madame... Ils étaient moins destinés à défendre sa problématique vertu contre la vigueur du garçon boucher et du commis-épicier que contre la sénilité de Monsieur. Ses soixante ans avaient un faible pour le tablier blanc et la cuisinière semblait avoir pour ce vieux gourmand un ragoût particulier.
Ah oui, ce nouveau vêtement étonnait Paul de Kock! La laitière de Montfermeil ne l'avait point habitué à ce mensonge sous la jupe, lors de sa chute non moins sensationnelle que celle de Mlle Churchill.
Oui; mais... on peut tomber sans montrer... sans faire voir... C'est égal, vous êtes le premier qui l'ayez vu, toujours[218].
Petit à petit, quoiqu'on eût tenté, en 1844, de le supprimer aux fillettes, et l'exemple partait de haut, le pantalon commençait à s'infiltrer dans les mœurs, ou plutôt sous les jupes.
La reine des Belges avait bien essayé de n'en pas faire porter à sa petite fille, ainsi qu'en fait foi le Moniteur de la Mode:
«On adopte maintenant pour les enfants les robes courtes sans pantalons. C'est une mode très bonne à suivre dans l'intérêt de la grâce et du développement physique. Nous avons pour autorité et pour spécimen un portrait de la fille de la reine des Belges, par Winterhalter»[219].
Mais l'intérêt des culbutes l'emporta et les fillettes continuèrent à porter des pantalons, d'autant plus que leurs mamans commençaient à en faire autant.
En mai 1843, pour la première fois, on le voit figurer sous la plume de Mme Popelin-Ducarre dans le trousseau d'une élégante:
«Le linge d'intérieur est depuis longtemps un luxe de prédilection pour les dames de Paris. C'est lui qu'elles recherchent avec le plus de soin et qu'elles placent bien au-dessus de la toilette extérieure. Les jupons, les pantalons, les camisoles, les bonnets de nuit, les taies d'oreillers forment par leur prix la partie la plus importante d'un trousseau bien entendu»[220].
Les pantalons des fillettes étaient tantôt blancs, tantôt en jaconas, tantôt en cachemire, garnis de dentelle, d'une broderie anglaise, d'une broderie en soutache, soit d'un feston. Ceux de leurs mères étaient plus simples.
Parlant d'une élégante, Mme de Renneville aura soin de noter «ses pantalons brodés, retenus par un poignet, au-dessus de ses bottines à élastiques»[221].
Les bottines à élastiques, oh! oui... et les pantalons de feutre, comme à Berlin!
Pantalon à poignets et bottines à élastiques, c'est bien ce que le caricaturiste Richard, dévêt, à Ostende, sous les jupes d'une pauvre dame,une Anglaise, naturellementque le vent vient de coiffer de ses jupes.
Le sujet n'est pas nouveau et a par la suite prêté à de fréquentes pochades. Mais, en 1844, il pouvait paraître nouveau dans l'Illustration[222], où la caricature de mœurs n'avait pas conservé la liberté du crayon de Carle Vernet et d'Isabey.
Un roman bizarre de l'époque,[223] déniché sur les quais, dans la boîte à vingt sous, en fait porter à son héroïne. Dans cette production tenant à la fois du pamphlet et de l'autobiographie, se trouvent déjà des cris de colère et des rages à la Strindberg.
Ni Quérard, ni Barbier ne permettent de percer l'anonymat de l'auteur de ce Confessionnal des Jésuites. Trompé, il le fut évidemment, et, évoquant ses jalousies passées et les départs hâtifs de l'adultère pour quelque rendez-vous, il se remémore parmi les dessous de l'infidèle, ses pantalons. Il y a dans sa songerie à la fois de la délectation morose et plus encore de l'amertume. Les pantalons ne constituaient-ils pas surtout une défense contre lui?
«Il y avait pour le blanchissage d'une semaine... une profusion de ces jolis pantalons garnis, qui font de nos femmes des pigeons pattus... tout cela pour une semaine»[224].
Le mari, épluchant, après l'accident, le linge sale et le livre de blanchissage de sa femme... mais, j'ai entendu parler de cela, jadis: à Lille, je crois. Je crois même qu'il encaissa de l'amant une gifle qu'il ne rendit pas... mais, tout cela est si vieux!
La dame du Confessionnal voyait moins, faut-il le dire, dans le pantalon, un piment pour les déshabillés des cinq à sept, qu'une défense, la nuit, contre les entreprises de l'époux.
Fermés, alors?
Mais oui, Madame, et la nuit encore!
«Puis après avoir fait sa toilette de nuit avec précipitation, éteint les lumières au moindre bruit, Madame mettait un pantalon... vertugadin de nouvelle espèce contre les insolentes tentatives d'un mari; elle avait eu soin, pour ses courses du soir, de ne pas s'en embarrasser les jambes, cela eût gêné ses mouvements»[225].
Tu parles! ajouterait Bossuet.
Mais c'est bien de la délectation morose, en même temps que de la jalousie: ces dessous flottent dans ses souvenirs.
«Ah! alors qu'elle se parait, rien de trop beau, magnifiques cheveux d'emprunt, puis les bas de soie rose rayés à jour pour une dévote qui ne va plus dans le monde, puis cette profusion de petits fichus brodés pour cacher discrètement un sein qu'on ne voudrait pas montrer et pour cause, et ces jolis petits pantalons avec ces jolies petites garnitures de dentelles, qu'on sait ôter si prestement au besoin, mais qu'on garde comme une barrière aux entreprises du mari»[226]...
Il n'y a pas à dire, ils étaient fermés. Quant à leur joliesse et à leur petitesse, n'exagérons rien: non, pigeons pattus... enfin, si ça l'excitait cet homme!
Le pantalon est loin encore d'être entré dans les mœurs. Les trousseaux que publie, deux fois par an, le Moniteur de la Mode n'en comprennent point (1845-1850). Un trousseau, dont le devis manuscrit m'est tombé entre les mains, en compte une douzaine en madapolam, au prix de 5 francs pièce, soit un total de 60 francs (1846).
Peste, ce devait être une élégante.
Le trousseau de Mlle L. de B., publié en mai 1848, par le Conseiller des Dames, comptait «six douzaines de chemises, garnies d'une valencienne très petite», mais, pas un seul pantalon.
Les excursions de la Cour dans les Pyrénées font cependant comprendre l'utilité de cette cuirasse postérieure. Énumérant les toilettes des jeunes personnes qui accompagneront la duchesse de Nemours, Mme de Renneville décrit ainsi la lingerie:
«La lingerie destinée à compléter ce costume très simple était en mousseline suisse ou en batiste; les gants étaient en peau de Suède, et un petit pantalon fermé par un poignet au-dessus de la bottine devenait indispensable pour gravir les collines et les montagnes»[227].
«Un petit pantalon» qui descend jusqu'à la bottine, non, merci!
Il est vrai que les amazones en portent à sous-pied large de 3 centimètres, fixé par des boutons»[228], tandis que le corset de couleur fait une timide et médiocrement heureuse apparition:
«Quelques femmes un peu économes ont voulu adopter la soie et la moire gris poussière; mais elles ont reconnu qu'un corset perdait de sa grâce et de sa coquetterie charmante, s'il n'était pas d'une blancheur éclatante»[229].
Si longs qu'ils soient, les pantalons commencent à s'orner:
«Les pantalons ont également un entre-deux au bas, posé au-dessus d'un petit volant qui termine le pantalon»[230].
En 1848, la Lingère parisienne commence à donner des patrons de «pantalons de dames»et quels patronsmais, les petites filles surtout en portent, c'est même par quoi leur toilette continue à se différencier de celle des grandes personnes:
«La mode veut qu'on habille ces femmelettes en femmes, et sauf le pantalon qui est de rigueur, rien, dans leur toilette, ne diffère essentiellement de celle de leur sexe»[231].
Dans sa croisade en faveur du costume rationnel, (le mot n'était pas encore créé), Mme Dexter s'étonne de voir trouver inconvenant pour les femmes ce qui pour les fillettes semble de toute décence.
M. John Lemoine rend compte dans le Journal des Débats, de cette tentative et retient cet argument de Mme Dexter:
«J'en appelle à tout homme qui a eu l'occasion de marcher derrière une femme un jour de grand vent, et je lui demande si notre toilette actuelle a droit au monopole de la décence. Jusqu'à l'âge de quatorze ans, le costume qu'on appelle immodeste est très bien porté, mais le lendemain on le trouve inconvenant»[232].
Laid plus encore qu'inconvenant, si l'on veut bien se souvenir de ce qu'était alors un pantalon de femme. Louis Sonnolet a évoqué, dans la Vie Parisienne, le spectre de ces laideurs:
«Mieux que ça, on affuble les femmes et même les petites filles d'amples pantalons dont les deux jambes, empesées, rigides, rigoureusement cylindriques tombent jusqu'à l'escarpin à cordons de soie. C'est le règne du pantalon pour toutes, du pantalon disgracieux et austère qui a un faux air d'armure de chasteté»[233].
Tuyaux de modestie, tuyaux de cheminées, dont ce quatrain attribué au Maître, célébrait dignement l'horreur:
Le fiancé ne prévoyait guère ces voiles protecteurs qu'il devait par la suite ne pas aimer, quand dans une de ses lettres à Adèle Foucher, il lui reprochait de relever trop haut ses jupes dans la rue et de laisser voir ses jambes aux passants[234].
Ainsi que la politique, le pantalon fit des siennes et tenta son coup d'état, en décembre 1851, en réclamant ses droits sous la «toilette de bal ou de grande soirée»:
«La jupe est en gaze blanche très ample; elle a pour tout ornement, devant, trois chefs d'argent partant du milieu et s'éloignant du bas. Entre eux il y a un semis de pois d'argent. Un pantalon de gaze blanche unie et n'ayant que très peu d'ampleur est retenu au bas de la jambe par un chef en argent»[235].
Cette description ne ment pas à la réalité.
Sur la planche consacrée à ces splendeurs, la jeune personne ainsi accoutrée lève modestement de la main droite le bas de ses jupes, sous lesquelles apparaît, au-dessus de la bottine, le poignet du pantalon. A ce douloureux spectacle, une belle dame, dont le costume constitue une symphonie d'un vert grelottant, baisse vers elle l'attrition de son regard... On sent proches des compliments de condoléances.
Encore que ce ne fut guère joli, jamais tentative aussi sérieuse n'avait été faite pour faire accepter à la femme cet accessoire. C'était vouloir le faire passer de la toilette de villégiature, sous laquelle on le déclarait dès 1846, indispensable, dans la toilette habillée. Depuis les beaux jours de Catherine de Médicis et de Notre-Dame de Thermidor, jamais on n'avait eu semblable audace.
Certaines, entre autres la princesse de C... suivirent trop à la lettre la mode nouvelle, et ne craignirent pas de s'embarrasser d'un pantalon non pour une soirée, mais pour un rendez-vous. Lourde faute, car il était fermé.
Cela ressemblait à une mauvaise plaisanterie. La pauvre femme en fit l'expérience et ne pardonna point à son soupirant de n'être pas un de ces vigoureux amants de Brantôme, qui, en un coin de fenêtre, savaient essarter les caleçons de leur dame s'ils avaient le mauvais goût d'être bridés?:
«Après Mme P..., Mme la marquise de C..., a eu l'honneur de passer devant notre aréopage. C'est encore un bas bleu de première qualité, qui étudie les langues modernes et les guitares, jadis coquette et très maniérée; je l'ai connue fumant la cigarette chez la princesse M... Le pauvre E... M..., en était très épris, il eut d'elle un rendez-vous qui n'eut aucun résultat, parce qu'elle portait pour la circonstance des pantalons sans couture, que mon timide ami n'osa pas déchirer, ce qu'elle ne lui a point pardonné»[236].
Cette idée aussi! Comme on comprend après cela ce cri du cœur d'une honnête bourgeoise de Nancy qui, après avoir voyagé en tête à tête et de nuit avec un bel officier bleu, confessait le lendemain à une amie:
Sotte que je suis! pour une fois que j'ai eu une occasion, j'avais un pantalon fermé...
En janvier 1852, les premières lignes de la chronique du Moniteur de la Mode constataient le terrain gagné par le pantalon:
«Le pantalon, jadis toléré pour la demi-toilette, a fini, d'empiètement en empiètement, par avoir ses entrées au bal. On fait pour les soirées dansantes d'élégants pantalons bouffants et serrés à la cheville par un poignet formé d'un chef d'argent. Cette mode a pour objet de protéger la jambe contre les indiscrétions de la valse et de la polka.
«Quelque chose de charmant et qui s'harmonise à ravir avec les pantalons à la sultane (tel est le nom de cette importation asiatique), c'est un brodequin de satin blanc...»[237].
«Le pantalon jadis toléré pour la demi-toilette». Que diraient de cela les belles dames ou les fraîches demoiselles de chef-lieu de canton qui n'en portent, elles, que leurs jours de grande toilette? Le pantalon accompagne le chapeau à plumes, et quelles plumes!
Tantôt en percale, sans garniture d'aucune sorte, tantôt garnis d'une humble frivolité (1844) ou «en batiste très fine, bordé d'une toute petite valencienne» (juin 1851), couvrant la jambe et une partie de la bottine, ces pantalons dépassent sous les jupes des fillettes et des jeunes personnes. Les journaux de modes et les journaux illustrés en font vivre le souvenir et Violette ne les a point oubliés:
«Ces pantalons de percale voilant la jambe jusqu'à la cheville, très décents, mais affreusement laids et bourgeois, qui donnèrent aux jeunes filles d'il y a trente ans l'air de pigeons pattus»[238].
Lorsque les femmes se décidèrent à emprunter aux petites filles cette partie de leur toilette, l'hygiène aurait eu voix au chapitre autant que la prudence, ... je n'ose dire la pudeur. Edmond Texier accorde même plus d'importance à cette considération qu'à la crainte du vent et des chutes.
Pour ma part, je croirais volontiers plus encore à la toute puissance de la mode. L'hygiène a bon dos, mais c'est une de ces voix que les femmes écoutent peu.
«De jour en jour, hommes et femmes accordent de plus en plus à l'hygiène. L'usage si répandu aujourd'hui de la flanelle sur la peau, des doubles chaussures contre l'humidité attestent des soins plus prudents. C'est aussi dans cette vue que les dames se sont définitivement mises en possession des pantalons»[239].
Ah non! faisant grâce à celles que nous aimons ou que nous désirons de la flanelle sur la peau et des doubles chaussures, voyons surtout dans le triomphe du pantalon une conséquence de la crinoline, qui n'allait pas tarder à en faire l'«indispensable».
Le vent et les chutes, le froid et l'humidité, ce sont pourtant les deux facteurs que font valoir le Conseiller des Dames et la Lingère parisienne en donnant leurs premiers patrons de «pantalons» ou de «caleçons de dames».
L'un envisage les excursions:
«A la demande des dames qui voyagent, nous donnons le patron d'un pantalon pour dames ou jeunes personnes»[240];
L'autre, les rigueurs de l'hiver, mais la formule ne change guère:
«A la demande d'un grand nombre de nos abonnées, nous donnons aujourd'hui, à l'entrée de la saison d'hiver, un excellent patron de pantalon de dames»[241].
Décidément, la poire était mûre et les femmes semblaient vouloir y mordre.
La note était la même dans le Parterre des Dames et Demoiselles (1857) et un petit conseil y était joint:
«Pantalon: vêtement que les femmes ne devraient jamais quitter, surtout en hiver».
Eh! eh! la bulle contre les caleçons, qu'en faites-vous, M. l'Abbé? car le jardinier de ce Parterre n'était autre que l'abbé C. M.; un Parterre qui parfois tournait au «jardin secret».
Cette fois, dans sa simplicité, le pantalon est admis et adopté par les élégantes. Les jupons sont garnis et les pantalons unis; qu'importe, les voici bien près d'avoir conquis leur place parmi les dessous de la femme:
«Des ceintures pareilles à celles des jupons se posent aux pantalons que les dames adoptent généralement aujourd'hui. Mais ils sont aussi simples que les jupons sont riches»[242].
Ce triomphe aurait peut-être été long à venir si un allié, plus puissant que le froid, que le vent et que les chutes, ne l'avait assuré. La crinoline commençait à sévir et pendant plus de dix ans, encombrante, disgracieuse et ballonnante, elle allait éloigner du corps les jupes des femmes et rendre cet empantalonnement nécessaire.
«Subitement, voici apparaître de formidables barrières. Subitement, voici venir une de ces révolutions de la mode dont nous parlions à l'instant.
«Jusqu'alors, en effet, dans la toilette féminine, l'inexpressible, le pantalon, ce qu'on appelaittant il se portait peule caleçon des coquettes, n'avait joué qu'un rôle secondaire. Or, avec le second Empire, avec la Crinoline, il devient l'indispensable, si bien que ce qui se relevait et se montrait si facilement, si naturellement, dès maintenant, va devenir plus fermé, plus caché.
«Finis désormais les Nus rayonnants et sans malice du premier Empire et de la Restauration, finis les visions engageantes, les aperçus de cuisses avec lesquels l'imagerie de 1830 raccrochait les passants.
«Et alors va commenceril faut savoir se contenter de ce que l'on ale règne du mollet amené par le retroussage des jupes courtes sur la cage de fer, sur la crinoline.
«Le retroussage complet ne s'obtiendra plus que par les côtés, dans ces positions particulières nettement définies: montée, entrée en omnibus, en voiture, en wagon, et avec, comme vue de dessous, cette chose peu gracieuse, hideuse même; la femme empantalonnée, la femme mise en sac dans le pantalon droit de l'époque. Regard oblique vers les bastilles de la toilette»[243].
Artistes et moralistes pouvaient, à défaut de lois somptuaires, railler et combattre la mode absurde des cages. Elles étaient maîtresses et reines: par leur bon plaisir, les femmes allaient être condamnées désormais à porter culotte.
Ce n'est pas à dire que toutes protestations aient cessé. Il s'en élevait et il devait s'en élever longtemps encore.
Pour certains, la femme ne pouvait que gagner à rester femme et par ces malencontreux pantalons elle achevait de se viriliser:
«Nous nous rapprochons du costume des hommes, nous portons les chapeaux ronds, les cols brisés, les manchettes mousquetaires; rien n'y manque, pas même les pantalons pour beaucoup d'entre nous. Je ne suis pas sûre que nous y gagnions, les femmes doivent rester femmes avant tout»[244].
Pas un historien du costume n'a négligé de noter cette petite révolution que les cerceaux des coquettes amenaient dans leurs dessous.
«C'est l'usage de la crinoline, écrivait Bertall[245], et de ses énormes cages de fer, dont l'effet était d'écarter au loin les jupes et les jupons des dames, qui a nécessité l'emploi de ces petits fourreaux de fine toile de lin ou de coton, qui sont chargés de garantir ce que les jupes et les jupons placés trop loin ne garantissent plus suffisamment.
«Depuis, les cages et les vastes jupons ont été supprimés, mais l'habitude du pantalon était prise et elle a persisté».
A diverses reprises, M. John Grand-Carteret a signalé l'étroite alliance qui unissait le pantalon à la crinoline et qui devait, dans le Gil Blas fournir à Colombine le sujet d'une si jolie chronique.
«Prise en elle-même, au repos, suivant la pittoresque expression d'un vaudevilliste, la crinoline, loin d'accentuer les formes, enfermait le corps dans une sorte de cage de sûreté; malheureusement elle ballonnait, et ses balancements, plus ou moins gracieux à la marche, devenaient inquiétants lorsqu'il s'agissait de franchir un passage étroit.
«N'est-ce pas elle qui compléta la toilette intime en rendant les inexpressibles d'un usage général?
«Malgré tout, la femme qui montait un escalier n'aimait pas à se sentir quelqu'un derrière les talons, parce que, en ce mouvement ascendant, comme quand elle se penchait du reste, on voyait toujours de son individu, plus qu'il n'est pour habitude d'en montrer»[246].
Monter en voiture ou seulement s'asseoir présentaient une difficulté et offraient un danger.
«L'entrée en voiture oblige au jeu le plus étourdissant de froissements, à des gestes pudiques rappelant celui de la Vénus accroupie. Si l'on s'assied en public, il faut prendre des temps et se contorsionner en de savantes manœuvres»[247].
«On dût inventer, ajoute Maurice Leloir, des caleçons bouffants dans le genre de ceux des Vénitiennes du XVIe siècle, vêtement de toute nécessité, car qui ne se souvient des indiscrétions des crinolines lorsqu'une élégante se prosternait à l'église ou simplement s'installait dans un omnibus»[248].
A parler franc, le pantalon des élégantes rappelait moins «la richesse des calessons de la signora Livia» que l'humble et populaire «coton» de Tullia d'Aragona et je doute que les belles dames et même les «biches» du Second Empire fréquentassent beaucoup les omnibus.
«L' chien n' mont' pas dans les omnibus», a constaté, non sans tristesse, Richepin dans sa Chanson des Gueux, cocottes et cocodettes n'y montaient sans doute pas davantage.
Mais, allez donc détruire une légende quand elle a pour elle les caricaturistes que le sujet avait séduits.
Le pantalon était devenu non pas nécessaire, mais «indispensable» avec la crinoline. C'est même sous ce vocable et sous celui «d'inexpressible» que le désigneront celles que le mot effraiera encore.
Que de chichis en vérité, alors que nos contemporaines disent tout simplement leur «culotte»!
On le voit, dès lors, figurer dans les trousseaux. Les journaux de modes ne se contentent plus d'en parler. Bravement, ils étalent l'objet dans leurs dessins, laid et disgracieux par la largeur et l'ampleur de ses jambes unies, entre lesquelles bâille l'énormité de sa fente.
Les gazettes mondaines s'en emparent. Encore à ses débuts et ne soupçonnant pas le parti qu'elle devait en tirer plus tard, la Vie Parisienne se montre presque dure à l'égard de l'intrus.
Au-dessous d'un de ses dessins intitulé: Longchamps, les modes, Hadol laisse percer ce regret mélancolique:
«Autrefois, vous aviez les jolies jambes pour vous consoler de la pluie, maintenant il ne nous reste plus que le macadam et les pantalons» (1863).
L'on peut maintenant tomber de carrosse soit à la campagne, soit à Epsom, sans que le soleil pense «retourner en arrière». Les beaux temps de Voiture sont finis, Mlle Paulet porte un pantalon:
«Il y a des événements grotesques. Trois gentlemen et une jeune dame étaient sur leur voiture. Les chevaux font un mouvement, tout le monde tombe les jambes en l'air; mais tous avaient des pantalons» [Marcelin][249].
C'est la mode du jour. Elle prête à de petits tableaux risqués dont la Vie Parisienne a soin de profiter. Des parties de campagne en fournissent le décor, de jeunes et aimables femmes le fond.
A âne, c'est «l'indiscrétion des jupes courtes et l'effronterie courageuse des jambes qui, rassurées par la présence du pantalon et de sontu n'iras pas plus loin,vous sautent aux yeux et vous rient au nez»[250].
Si une chute vient à se produire, l'inévitable chute chère à M. de Caylus et que la victime demande si elle est bien tombée, au lieu des vers galants du comte, elle s'entendra répondre:
—Oh! admirablement, chérie! nous ne savions pas que vous ayez de si belles valenciennes!»[251].
Ces gentillesses vont jusqu'au conseil:
«Le déjeuner sur l'herbe... et sur une fourmilière, simple conseil aux dames: faire mettre une coulisse à leurs pantalons, on ne saurait croire jusqu'où va l'audace de ces bestioles»[252].
A la cour même, à Fontainebleau, pour une partie «en jupes courtes» proposée par Mme de Metternich, toutes ces dames, même celles qui, pour l'ordinaire n'en portaient pas, ont soin de s'«assurer» contre les dangers d'un accident:
«La plupart des femmes qui devaient être de la partie avaient également applaudi à l'idée des jupes courtes et toutes s'étaient munies en conséquence»[253].
Ces pantalons étaient blancs, immuablement blancs comme les jupons. La Parisienne de l'Empire ignorait ou feignait d'ignorer, non sans regret peut-être, le facile piment du linge de couleur. Il était abandonné aux femmes de théâtre ou de plaisir:
«Elle ne se servait guère que de linge blanc, rehaussé, il est vrai, par des dentelles merveilleuses; mais l'instinct suggestif des couleurs, dans sa lingerie intime, lui était inconnu.
«Ses bas, ses pantalons, ses chemises, ses jupons étaient blancs, et une femme de la société régulière eût provoqué un scandale inouï si elle se fût avisée de paraître dans un salon, avec des dessous de couleur»[254].
On ne s'ennuyait pas, paraît-il, dans les salons, et on n'avait pas attendu le tango pour y montrer ses dessous.
Des protestations s'élevaient bien encore çà et là contre le pantalon et contre les «petits tableaux risqués» auxquels il donnait lieu.
Les moralistes ont toujours été particulièrement chatouilleux:
«Des petits tableaux risqués, un pied qui fait deviner le reste,—un pantalon féminin qui n'entre pas, et qui amène la comparaison idalienne du gant dont le pouce est trop étroit. La scène se passe toujours entre maris et femmes. C'est libertin, mais moral»[255].
D'autres adversaires, étaient plus sérieux. C'étaient les amants de la femme qui ne lui pardonnaient pas ce déguisement qui les déroutait, et qui, pour peu que le pantalon fût fermé, paralysait leurs efforts.
Pour reprendre une jolie expression d'Albert Aurier, ils aimaient trop leur amie pour multiplier les obstacles entre sa chair et la leur[256].
Le pantalon leur inspirait à ceux-là, non de l'aversion, mais de la haine.
Ils la cachaient peu; les puissants de ce monde n'ont guère à dissimuler leurs sentiments et une anecdote, si indiscrète soit-elle, a chance de ne pas pas se perdre, quand elle a eu pour théâtre le palais des Tuileries et pour héros le roi d'Italie.
La partenaire de Victor-Emmanuel était Mme de Malaret, femme d'un diplomate de l'époque. M. Pierre de Lano s'était borné à donner l'initiale de son nom et j'aurais imité cette discrétion, si M. Frédéric Lolliée ne l'avait, depuis, nommée tout au long.
«Se trouvant dans une soirée aux Tuileries, devant Mme de M..., il l'arrêta et se mit à causer avec elle.
«Comment la conversation roula-t-elle tout à coup, sur la toilette des femmes, et comment le Roi devint-il, soudain, fort osé. C'est ce que nul ne saurait dire.
«Quoi qu'il en soit, Victor-Emmanuel adressa bientôt cette question à son interlocutrice:
—Que pensez-vous, madame, des femmes qui portent des... pantalons?
«Et comme Mme de M... demeurait quelque peu interdite:
—Elles me font horreur, déclara le Roi.
«Puis reprenant son interrogation qui devenait trop significative:
—Je parie, madame, que vous ne devez pas être de celles-là?
«Mme de M... rougit, mais comme on écoutait autour d'elle, elle assura sa voix et, très haut, répondit:
—Vous vous trompez, Sire, je suis justement de celles-là.
«Alors, Victor-Emmanuel s'inclina et dit:
—Merci, Madame. Et mille excuses de vous avoir ainsi questionnée.
«Et dès lors, il ne parla plus à Mme de M...»[257].
M. Frédéric Lolliée, s'appuyant sur une lettre de la comtesse de Danrémont à l'ambassadeur Thouvenel, donne de l'anecdote une variante assez plaisante, suivant laquelle la haine du roi n'était que relative. Il en voulait au pantalon fermé des dames de Turin et non au «paradis ouvert» des Parisiennes:
«Au milieu d'un groupe il avisait une dame d'honneur de la souveraine, circonspecte et pincée, Mme de Malaret; et tout le monde écoutant, il lui déclarait qu'il aimait les Françaises parce qu'elles étaient aimables, parce qu'il s'était aperçu, depuis qu'il était à Paris, qu'elles ne portaient pas des pantalons comme les dames de Turin, et qu'avec elles, en vérité, c'est le paradis ouvert»[258].
Après un roi, un prince, un prince de la littérature, l'un des auteurs les plus fêtés et les plus aimés du Second Empire.
L'on connaît ses Confessions. Ce fut un de ces heureux de la vie dont la vieillesse n'a qu'à évoquer une suite ininterrompue d'aventures et de liaisons amoureuses, pour se rendre compte du temps passé; Casanova plus raffiné et avec plus de scrupules.
Pas plus que Victor Hugo, Arsène Houssaye—je vois d'autant moins d'inconvénient à le nommer, que l'aventure se renouvela souvent—n'aimait, ni n'admettait «Vénus en pantalon».
Il ne posait pas la même question que Victor-Emmanuel; ses mains la posaient pour lui. Parmi les jolies femmes qui venaient, dans le fastueux décor de la maison pompéienne, effleurer de leurs lèvres la coupe d'Anacréon, malheur à celles qui, sacrifiant à la mode du jour, portaient, comme Mme de Malaret, des pantalons.
L'ardeur du poète s'éteignait. Le beau rêve commencé s'achevait en un réveil brutal, et, tandis que découragée, sa dextre retombait sous la crinoline où elle s'était égarée, l'audience prenait vite fin.
Il fallait qu'une femme fût bien jolie, mais bien jolie, pour que, la reconduisant à la porte, l'hôte des redoutes lui glissât à l'oreille, tout en gantant la main d'un baiser:
—Eh bien! revenez une autre fois... mais, pas de pantalon, n'est-ce pas?... pas de pantalon!
L'horreur du maître pour cette inutile lingerie était connue de ses familières. Toutes ou presque lui en avaient fait le sacrifice. Pour d'aucunes, ce put être tout d'abord une gêne, mais l'habitude n'a-t-elle pas tôt fait de devenir, elle aussi, un maître?
En dépit de quelques timides valenciennes, on en était encore à l'aphorisme de Balzac, aujourd'hui si désuet et si faux:
«Toute notre société est dans la jupe;—ôtez la jupe à la femme, adieu la coquetterie! plus de passions. Dans la jupe est la toute puissance: là où il n'y a que des pagnes, il n'y a pas d'amour».
Octave Uzanne—toujours à citer quand il s'agit de la femme et de son élégance—s'est élevé comme il convenait et comme on pouvait s'y attendre, dans Nos Contemporaines, contre cet axiome du Tourangeau.
Ce qui pouvait sembler vrai, à son époque, ne l'est plus aujourd'hui, mais pas du tout:
«Vit-on jamais pareille méprise?—Si, en thèse générale, l'axiome se peut comprendre et soutenir, croyez bien que dans le sens même de la toilette de ce temps, l'hérésie est complète. Ne sentons-nous pas que le moraliste qui a ciselé cette pensée appartenait à l'époque où l'on se pâmait devant un bas bien tiré et à coins verts? Combien loin de nous nos honnêtes ancêtres!—Là où il n'y a que des pagnes, il n'y a pas d'amour!—voyez-vous ça?
«C'est à la vue du pagne, au contraire, que l'amour s'exaspère aujourd'hui, et il appartiendra du moins à cette fin de siècle d'avoir inventé un art incomparablement exquis, subtil, adorable, qui est la dernière expression mythologique de la femme. Je veux parler de l'art des dessous vaporeux et olympiens, du suprême goût des déshabillés, de la chemise, des bas, du corset, des jarretières, pantalons, petits jupons et peignoirs.
«Jusqu'alors la femme n'avait point absolument affiné ses sensations du vêtement intime; il lui a fallu des siècles pour pousser dans le dernier galant le goût délicat de ses voiles de la pudeur...»[259]
Des pages entières seraient à reproduire, bornons-nous à en emprunter la conclusion:
«Il n'est point de spectacle qui puisse valoir aux yeux d'un mari amoureux ou d'un amant passionné, doué du sens des chiffons, le spectacle du déshabillage de la femme aimée. Tous les mystères des Idoles antiques ne présentaient assurément pas dans leur symbole la troublante poésie des rites qui accompagnent le dévêtissement de nos élégantes divinités, à l'heure des apothéoses du désir, quand un à un tombent, légers comme de l'écume, les voiles qui froufroutaient autour d'elles»[260].
Certes, on n'en était pas là. Victor-Emmanuel très zouave,—ne lui avait-on pas décerné les galons honorifiques de caporal?—n'avait cure de la chanson des désirs et du poème des déshabillés. La possession lui suffisait, qui culbute et qui se repaît, les dessous lui importaient peu.
Encore que la chronique nous ait conservé le souvenir des «pantalons angulaires» de Cora Pearl, et que la photographie ait fixé sur la plaque sensible la silhouette non moins austère de «l'inexprimable» d'Alice la Provençale[261], nous savons peu de chose des demi ou quarts de mondaines du Second Empire.
Le «passage de l'inexprimable»[262] était bien devenu une des heures de la toilette des dames. Nombre d'entre-elles, cependant, n'en portaient pas encore, leurs braves femmes de mères ne les ayant pas habituées à ces complications.
Grévin qui a semé tant de pimpants croquis de Parisiennes en chemise et en corset—la chemise longue et le corset court—pas plus que Gavarni, n'a esquissé sa silhouette en pantalon. Affaire de goût, sans doute, de sa part, car ses petites femmes portaient, elles aussi, des pantalons, deux de ses légendes en témoignent.
L'une est placée au-dessous d'un couple de canotiers, ces êtres, hélas! préhistoriques.
—Déjà la brise du matin...
Soulève de Nini la jupe frémissan... an... ante.
—Oui... mais Nini a des culottes»[263].
L'autre corse ce dessin intitulé : Un engagement.
—Avez-vous du galbe?
—Plaît-il?
—Avez-vous des jambes?
—...Je vous ferai bien voir... plus haut, mais j'ai un pantalon»[264].
Avoir du galbe ou avoir des dispositions, cela se vaut dans la bouche des directeurs d'agences théâtrales, ce sont toujours les jambes... un peu plus haut. Plus récemment, «le regretté» G. Albert-Aurier—ô Monna!—a donné dans son roman de Vieux cette contre-partie à la légende de Grévin:
—Allons non... monsieur Thomas... non... pas de bêtises... allons, non, non, finissez... j'ai pas de pantalon, finissez...[265]
La crinoline avait imposé le pantalon. La cage disparaissant, saluée de quels quolibets son complément n'allait-il pas la suivre dans son hégire ?
Sous les jupes tombant droit, sans ballonner, son utilité devenait tout au plus relative. L'occasion pouvait sembler excellente aux femmes et aux jeunes personnes pour supprimer de leurs dessous cet objet qui avait eu tant de peine à faire accepter sa présence. Nombre d'entre elles le tenaient pour disgracieux ou gênant et il y en avait encore pour le juger indécent.
Il n'en fut rien.
Les mœurs n'avaient pas changé et n'étaient pas devenues meilleures. La simple vision d'un pantalon de femme suffirait à dissiper cette illusion. Mais, le pantalon lui-même avait changé et il devait moins le revirement dont il bénéficiait aux circonstances, dirai-je concomitantes, qu'à l'évolution qu'il avait subie.
Il avait dansé et avait plu.
De long et rébarbatif qu'il était quinze ans plus tôt, il était devenu presque court—je dis presque: aujourd'hui, il nous semblerait affreusement long—dépassant à peine le genou et avait gagné en élégance ce qu'il perdait en longueur et en largeur.
La percale et la batiste avaient remplacé le bazin et le madapolam, il ne finissait plus en tuyaux d'orgue et ses poignets commençaient à se garnir.
Bertall a ainsi décrit ce pantalon de la fin du Second Empire et des premières années de la République, ignorant encore, le plus souvent, des entre-deux et des valenciennes dont quelques rares élégantes appréciaient cependant déjà la saveur:
«Suivant que la dame qui porte le pantalon a la jambe plus ou moins heureusement tournée, le pantalon est plus ou moins long.
«Généralement, il s'arrête un peu au-dessous du genou.
«Celles qui possèdent une jambe bien faite, que dis-je? deux jambes bien faites, ornent avec plus de soin le bas du pantalon, soit d'une guipure, soit d'une broderie, soit de petits plis finement tuyautés. Il faut bien être prête pour les éventualités de la promenade, les ascensions ou les descentes de voiture, ou les fantaisies de la brise.
«Celles dont les jambes ne sont pas irréprochables donnent moins de piquant à la garniture du pantalon, afin de ne pas attirer les regards.
«Généralement elles mettent un soin méticuleux à laisser tomber les draperies de leur jupe, et l'on aperçoit le bord timide du pantalon que dans les circonstances exceptionnelles de vent indompté ou d'orage ruisselant»[266].
Évidemment, ce n'était pas encore le fouillis de dentelle qu'est aujourd'hui le pantalon d'une jolie femme, toutefois, ce n'était déjà plus le rempart de jadis, rempart pour rire, car une large brèche en avait depuis longtemps réduit à néant le système de défense?
Complice de toutes les coquetteries et les pires, impassible et inerte témoin de bien des abandons, pratiquant, avant la lettre, la libre doctrine du «laissez-faire, laissez-passer», de «l'inexpressible», de «l'inexprimable», de «l'indispensable», il était devenu tout bonnement le «pantalon», avant que de redevenir, pour nos coquettes la «culotte».
De son indécence, il n'était plus question, mais de son élégance et de sa joliesse.
Il n'effrayait plus les amoureux, mais les excitait. Vieux et jeunes commençaient à connaître le charme et le pouvoir d'«une culotte ornée de dentelles»[267], le voile devenait piment et le roman et la caricature en attendant la photographie, n'allaient point tarder à s'en emparer.
La crinoline pouvait disparaître, le pantalon lui survivrait et il aurait pour cela de bonnes raisons.
Outre l'habitude et la peur des chutes qui ne permettent pas à beaucoup de les supprimer quand elles ont accoutumé d'en porter, outre l'hygiène, la crainte du froid et de la poussière, outre la pudeur, ou, si l'on préfère la prudence, la femme avait pour rester fidèle au pantalon—on a la fidélité que l'on peut—une raison meilleure que toutes, sa coquetterie.
Court, large et ouvert comme il est, cuirasse percée en son milieu, le pantalon n'arrête pas plus l'insolence des mains qui se glissent que l'indiscrétion de la brise ou des bestioles, mais il est de mode d'en porter, il complète les dessous et corse les déshabillés. La silhouette de la femme en pantalon, si le fâcheux embonpoint ne le gagne pas, est amusante et charmante, et vous auriez voulu qu'elle renonçât à en porter, sous prétexte qu'elle abandonnait ses cages?
Le pantalon a été dans la toilette féminine non une révolution, mais une évolution, évolution qu'a chantée, sans en comprendre peut-être toute la grâce, un poète dont les qualités de sagace administrateur n'ont éteint ni la verve, ni l'esprit.
Oui, mais... elle sait fort bien, l'impudique, le prix et le pouvoir de ce qu'elle montre et, pour le «suiveur» ravi, ce prix est inappréciable, quand il n'est pas honnêtement tarifé.
Aussi, loin de disparaître, l'usage du pantalon s'est-il, depuis le proconsulat de M. Jules Grévy, singulièrement généralisé, je dirais même démocratisé, si le vocable ne me semblait malséant.
A part les chauds juillet et les brûlants août où tant, et des plus honnêtes, les suppriment, à l'affût d'un peu de fraîcheur, il n'est petite des Modes et Confections qui n'en porte aujourd'hui. Que diriez-vous de cette lingerie biscornue, Mimi Pinson et, vous, Francine, chères âmes qui jamais ne songeâtes à en compliquer vos dessous si sommaires.
Ils semblaient, dépassant à peine le genou, courts à Bertall; ils le sont devenus bien plus et l'on ne peut,—l'on doit cet hommage à la sainte Ligue—parler de la Parisienne, sans parler de ses dessous et de ses pantalons.
«Passons à l'inexpressible, écrivait, il y a trente ans, Violette. Celui-là, du moins, s'il n'est pas toujours gracieux a le mérite de sa personnalité. Ce n'est pas comme la chemise-pantalon un objet neutre et hermaphrodite.
«Le pantalon désormais ne descend pas au-dessous du genou. Qu'il soit orné par un ruban, de forme zouave avec un plissement de dentelle jabotant sur la jarretière ou bien tout droit, achevé par une neige de plis, d'entre-deux et de dentelle, sa longueur est marquée. Il doit être inapparent: à peine si le bord léger flotte sous le petit jupon court, le seul que l'on porte aujourd'hui»[269].
Mieux encore, Mlle Marguerite d'Aincourt semble en avoir apprécié la grâce et s'est efforcée de la rendre:
«Ce n'est plus l'horrible gaine d'autrefois, on le fait adorable et coquet, pour qu'il ne trouble pas d'un accord discordant le délicieux poème qui s'appelle la toilette intime de la femme et qui semble écrit par ce grand et incomparable poète: l'Amour. Il n'y a que les Anglaises gourmées qui n'osent parler du pantalon Chérubin, si joli avec sa jarretière de ruban qui se serre au genou, sous lequel s'agite et frissonne un long volant de dentelle.
«En voici un autre, qui aurait dû recevoir le baptême et que nous nommerons le Charmeur, de notre autorité privée. Vîtes-vous jamais chose plus gracieuse, que cette multitude de volants de dentelles dont il est formé, volants que relèvent et serrent les sept rangs de rubans étroits qui le garnissent en long.
«Vous voyez que cet objet de toilette correspond par son élégance, à toutes les autres parties de notre costume, et qu'il n'est plus besoin de lui assigner un coin caché dans les tiroirs»[270].
Pour clore ces citations par une prose d'une autre qualité, qu'il me soit permis de citer à nouveau Octave Uzanne.
Qui pouvait mieux chanter le secret de nos vierges en fleurs et chanter la louange de leurs pantalons «assortis aux chemises... non moins variés, jolis et ingénieusement combinés en pongis ou en étoffe de soie vaporeuse, avec des flots de dentelles aux genoux, des entre-deux sur la hanche et des enrubannements inexprimables»[271]?
«Les moralistes, conclut d'autre part Octave Uzanne dans Nos Contemporaines, qui ne sont aucunement des «féministes», et plus rarement encore des sensitifs et des artistes, s'élèveront encore contre le luxe effréné et scandaleux de la toilette; ils protesteront contre ces recherches dans la confection du corset, du jupon, de la nuageuse chemise, et contre cette préciosité des tuyaux de modestie,—ainsi que les demoiselles de couvent nomment leur pantalon;—mais ces sophistes ne seront point écoutés davantage aujourd'hui que naguère»[272].
En vérité, il faut savoir gré au pantalon des transformations successives qui, depuis plus de vingt ans, laissent la jambe, svelte ou forte, trop longtemps uniformément vêtue de noir, saillir dans l'harmonie de sa ligne, hors de la fallacieuse et illusoire batiste, sans quoi, mêlant ses regrets à ceux du Pont-Royal, il faudrait emprunter à Bertall un peu de sa cendre et regretter avec lui le temps passé:
«Le vent n'a plus de ces révélations indiscrètes dont s'amusaient nos pères, et dont les dessins d'Horace et de Carle Vernet nous ont conservé le souvenir. En ce temps, certains gourmets et curieux faisaient station sur le Pont-Royal à l'affût de quelque bourrasque révélatrice.
«L'introduction du pantalon féminin a supprimé définitivement cette source d'indiscrétions, il ne stationne plus de curieux ad hoc aux abords du Pont-Royal»[273].
O mélancolie des choses!
TROTTINS ET MIDINETTES
Th. Hannon.