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Le Pantalon Féminin

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Après avoir tenté, en 1804, de suppléer au manque de jupons ou à leur insuffisance, le pantalon fut, suivant La Mésangère, importé d'Angleterre en France, et vint dès lors compliquer la toilette des petites filles.

Durant près de cinquante ans, elles en eurent, pour ainsi dire, le monopole, et demeurèrent à peu près seules à en porter.

Il fait partie intégrante de leur costume, et il n'y a guère que les gosses du faubourg, dont Alfred Machard nous a si joliment conté l'épopée, pour n'en point avoir.

—Moi, j'irai à cheval... comme un gars.

«Tique, narquois, ricana:

—Penses-tu, on verrait tes guibolles!

—Quèq' t'en sais?

—Je l' sais, va, qu' t'as pas d' pantalon[334].

Elles sont pourtant l'exception, et en province même, les garçons ont tôt fait de remarquer quand leurs petites camarades en sont dépourvues. Arthur Rimbaud devait ainsi se souvenir d'une de ses voisines de Charleville, dont il aimait à mordre les fesses, se saoulant de sa chair nue:

Quand venait l'œil brun, folle en robes d'indiennes,
—Huit ans,—la fille des ouvriers d'à côté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons;
—Et par elle meurtri des poings et des talons
Rapportait les saveurs de sa peau dans sa chambre[335].

En dehors de ces cas isolés, son usage est absolument général, que ce soient les «petits pantalons brodés» de Virginie[336], «ce pantalon qu'une main brutale avait arraché» et sur qui s'apitoyait la femme Testou[337], ou encore celui de la petite Alice Fossard. Des cambrioleurs avaient pénétré chez sa grand'mère, à Créteil, et l'un d'eux, soigneux, avait eu la délicate attention, de déposer sur une chaise le pantalon de la gamine, pour ne pas salir, en montant dessus, la tapisserie de la rentière.

Devant la Cour d'assises de la Seine, la vieille dame dépose:

«C'est alors que le troisième a fait signe de fouiller dans le baldaquin du lit. Le garçon à côté de moi ramassa sur un fauteuil le pantalon de ma petite-fille et le mit sur une chaise... Vous savez, j'ai des chaises en tapisserie qui sont déhoussées. Et, pour ne pas abîmer la chaise, il mit le pied sur le pantalon placé sur la chaise, et atteignit ainsi le baldaquin»[338].

On a vu, certes, des acquittements plus scandaleux; la bonne dame plaidait presque les circonstances atténuantes pour le malandrin qui avait respecté sa tapisserie. S'il fut condamné, il put, à sa sortie de Fresnes, être engagé de confiance par une maison de déménagement: de semblables références sont rares.

Ces pantalons de gamines, on les connaît, laissant, comme celui d'Augusta, apercevoir par leur fente, quand ils ne sont pas fermés, «sous un pan de chemisette mutinement retroussé, des choses grasses, rondes, fraîches comme des pommes»[339].

La fillette grandissant et les jupes s'allongeant, le pantalon demeure la règle, sauf à la campagne où il disparaît tôt. Dans les pensions, il est obligatoire. Établissements laïcs ou congréganistes, le trousseau des élèves en comprend une douzaine ou deux, «les blancs unis», spécifient les règlements.

C'est le «pantalon de pensionnaire»[340], que plus tard les coquettes ont en horreur pour sa simplicité, le pantalon des élèves des Dames Blanches, auquel un pauvre abbé dut son surnom, en raison du malin plaisir qu'une division de rhétoriciens, trouva, en promenade, à le faire s'égarer parmi les cordes supportant la dernière lessive des Dames Blanches, uniquement, ce jour-là, composée de pantalons:

«Ils étaient accrochés par la ceinture; la brise douce leur gonflait le ventre et les jambes, les agitait d'avant en arrière, d'arrière en avant, élargissait, puis rétrécissait leur ouverture, et par cette fente mobile, on voyait le ciel bleu»[341].

Pas toujours si unis que cela, cependant, car, parmi ces fillettes, il en est qui n'attendent pas leur sortie du couvent, pour attacher à cette lingerie un prix tout particulier. Écoutez plutôt, au parloir, les doléances que présente à sa mère Mlle de Clavelin:

«Jeanne garda un silence mystérieux... puis soudain:

—Maman, j'ai à te dire que mes pantalons sont dans un état que c'est une horreur. Tu sais le linge ça n'a jamais été ta préoccupation dominante. Je ne t'en fais pas un reproche; on est pour le linge, ou pour les robes, ou pour les bijoux.

«Toi, maman, tu es pour les bijoux. Moi, je suis pour le linge»[342].

Toutefois, si la mère est également «pour le linge», la fille fera bien de ne pas lui emprunter, comme modèle, un spécimen trop garni de rubans ou d'entre-deux. Dans un couvent bien tenu, il risquerait de faire scandale. Les bonnes sœurs semblent avoir conservé certains préjugés sur ce que doit être le pantalon d'une «mère chrétienne».

A nouveau, la scène se passe au parloir. Le frère est venu voir sa sœur:

Jeanne.—Tu ne remarques donc pas qu'on m'a retiré, hier, ma croix de corsage? La plus grave punition, mon vieux!

Pierre.—Qu'as-tu fait, Seigneur? un pied de nez à la Mère générale?

Jeanne.—Non. Je me suis emportée à la classe d'aiguille. Une colère bleue, à cause du pantalon de maman.

Pierre.—Qu'est-ce que c'est que cette histoire-là?

Jeanne.—Tu ne sais pas? A la dernière sortie, j'avais chipé à la maison un pantalon à mère, parce qu'il y avait, dans le bas, un très joli entre-deux en guipure que je voulais apprendre à faire au crochet. Hier, à la classe d'aiguille, j'avais le pantalon dans ma poche. La Mère Violette s'en est aperçue: «Qu'est-ce que vous avez là, mon enfant?»—«Mais rien, ma mère!»—«Vous mentez, mon enfant. Sortez tout de suite ce paquet que vous cachez». Elle est venue à moi, elle a exhibé le pantalon. Et dame! quand elle l'a eu déplié et qu'elle a vu les entre-deux et les rubans roses... elle est devenue cramoisie, noire; j'ai cru qu'elle allait éclater raide, sans les secours de la religion. «Qu'est-ce que c'est? Dites ce que c'est?» J'avais beau lui répéter: «C'est un pantalon à maman.»—«Vous mentez! Jamais une mère chrétienne... «Alors, dame! j'ai pris la défense de maman, moi, j'ai perdu la tête, et certainement j'ai dit des choses très vilaines. La Mère Violette m'a retiré ma croix, et elle a rédigé un rapport, mon cher, où elle a écrit que j'étais «diabolique».

Pierre.—Et le pantalon?

Jeanne.—Il est confisqué à l'économat, chez la Mère Antigone[343].

Léon Lavedan, après Marcel Prévost et Anatole France, en attendant Maurice Donnay, en vérité, toute l'Académie Française y passera.

Laissant là, cependant, l'attente vaine—pourquoi pas Loti?—d'un prix de vertu, préférons-lui l'entente cordiale, et tournant momentanément le dos à l'institut, émigrons des bords de la Seine, mes chères brebis, vers ceux de la Tamise.

Le pantalon n'est pas moins la règle, bien entendu, dans les pensionnats d'Outre-Manche que dans les bals, music-hall et couvents parisiens. Contrairement à sa gorge que chanta Donnay, ils en, ou plutôt elles en ont bien en Angleterre, à moins qu'il ne soit remplacé par la combination. La «vieille cinglade britannique»—joli cadeau à faire à une enfant—prête, en la matière, à de singulières et cinglantes révélations.

La flagellation—et avec ça, Monsieur, saignante ou baveuse?—ne cause pas un plaisir extrême seulement aux aimables petits vieux auxquelles sont familières ces gentillesses. Les maîtresses et sous-maîtresses de pensions anglaises partageant à son endroit (?) les goûts de Catherine de Médicis et même de Catherine II, prennent volontiers part à ces fêtes intimes. Le rite n'en change guère, des filles déjà grandes doivent, sous leurs jupes relevées, dévêtir leurs pantalons, puis les baisser, découvrant sous la chemise, à son tour relevée, leur arrière-train déjà puissant.

Non pas Anatole, mais Hector France, a été, avec la complicité d'un rideau—une tournée de grand duc en mieux—témoin d'une de ces exécutions. Il a conté la scène avec trop de verve et de charme, pour que je ne me fasse pas un devoir de reproduire ces pages si vivantes.

Miss Nelly, l'héroïne de cet humble drame, a seize ans. «Grassouillette comme une caille en juin», elle fait paraître plus haïssables encore la sécheresse et la laideur de Miss Rabbit, la directrice de pension, qui, sans se laisser attendrir par ses larmes et ses supplications, vient de prendre, dans un coin de la chambre, une baguette de bouleau, et lui a ordonné de «relever ses jupes et de dégrafer son inexpressible».

«Ai-je bien entendu?

«Hein! Dégrafer... et pourquoi faire? Ne serait-ce donc pas sur ces belles joues roses qu'elle va appliquer des gifles? Ce n'est donc pas ses oreilles qu'elle va boxer? J'en restais frappé de stupeur. Le Times et ses annonces m'échappèrent des mains. Je ne songeais plus à me ménager une retraite rapide et, oubliant toute prudence, je collai l'autre œil à la vitre de la porte.

«Oui, tant pis. Dussé-je être découvert et chassé de l'école comme un frère ignorantin, il me faut voir le pantalon de Miss Nelly. Mes idées d'intervention s'étaient évanouies. Après tout, cette jeune personne avait sans doute mérité une punition exemplaire. Pourquoi serais-je intervenu. Entre l'arbre et l'écorce... Vous savez le proverbe. Du moment que la digne Miss Rabbit, femme sévère, mais juste, lui ordonnait d'ôter ses culottes, il valait mieux laisser la justice suivre son cours.

«Et je vis son inexpressible, un pantalon comme tous les autres, blanc, en fin calicot, avec une petite bordure de fausse dentelle au bas. Il cachait la jarretière, mais laissait découvert un mollet bien dodu, tout habillé de bleu. Un drôle de petit tire-bouchon, comme aux polissons qui vont à l'école, frémissait par derrière.

«Certes, si Miss Nelly eût soupçonné que des regards indiscrets s'arrêtaient sur son inexpressible, elle eût rentré bien vite ce bout de vêtement intime; mais tout entière à sa douleur, elle ne savait que sangloter et dire:

—Madame! oh madame! je vous en prie, ma chère dame.

—Be quick! faites vite, répondit sèchement Madame, vous vous lamenterez après, à votre aise.

«Ce que c'est que l'énergie! Cependant, je ne sais pas si je me serais laissé attendrir; je crois que, comme Miss Rabbit, j'aurais été impitoyable. Décidément, c'est une femme de tête. Elle a raison, après tout. Allons, petite Nelly, je vous aime bien, j'aime à vous entendre conjuguer le prétérit du verbe être, mais il faut obéir et dégrafer votre culotte. Be quick! Be quick! On a beau être gentille, quand on a mérité un châtiment, on doit le recevoir. Je ne connais que cela, moi!

«C'est in petto, bien entendu, que je me disais ces paroles; mais les eussé-je exprimées tout haut, Miss Rabbit ne les eût pas entendues. La colère la rendait sourde. Lèvres pincées, œil en feu, et face blême, elle répéta:

Be quick! Be quick!

«A la vérité, cette petite Nelly était bien longue à se dégrafer.

«Alors, voici que d'un autre bout de la chambre s'élève une voix aigrelette. Lentement et sentencieusement, elle semble réciter un passage de l'Evangile:

—Les branches mauvaises de l'arbre malade doivent être coupées pour donner plus de force à la sève, et elles sont jetées au feu pour chauffer le bûcheron; ainsi la grâce de Notre-Seigneur Jésus, sève sainte, ne peut pénétrer dans l'âme malade qu'à condition qu'elle ait été, au préalable, amputée de ses branches mortes, qui sont les vices, par le glaive tranchant de l'humiliation, lesquels vices sont passés au feu de la honte. Madame, ne pensez-vous pas que plus profitable serait le châtiment, s'il était infligé devant la classe réunie, comme cela se pratique encore dans l'école où j'avais l'honneur d'appartenir avant d'être sous-maîtresse ici.

—Miss Gopsel, répliqua sèchement la directrice, je sais ce que j'ai à faire; seulement nous n'en finirons plus, avec ces pleurnicheries, si vous ne mettez vous-même la main à la besogne.

«Miss Gopsel s'inclina avec respect et s'avança, d'un pas ferme et délibéré, comme un soldat qui défile la parade. Grande, étroite, osseuse avec son long cou, son front énorme et ses cheveux coupés courts un peu au-dessous de la nuque, elle avait l'aspect d'un pommeau de canne sortant d'un fourreau de parapluie.

«Il était facile de voir que, même aux jours les plus plantureux du printemps de sa vie, la couturière n'avait jamais eu besoin d'élargir le devant de son corsage.

«Mettre la main à la besogne, ce fut bientôt fait. Elle n'eut qu'à poser la dextre sur l'épaule de la victime qui, demi-morte de peur, plia comme un roseau sous le poids d'une grue; et en moins d'une seconde, le pantalon avait glissé jusqu'aux chevilles, tandis que jupes et chemise remontées par dessus la tête laissaient exposé au regard ce que de nos jours on ne montre même plus à M. Diafoirus.

«Sans s'attarder à un spectacle dépourvu pour elle d'intérêt, Miss Rabbit brandissait, d'une façon terrible, une baguette flexible que six fois elle leva et baissa avec force et méthode, marbrant les grasses chairs de cette belle fille de six longues rayures rouges»[344].

Hector France ne s'en est pas tenu là. Le pauvre La Cécilia lui avait raconté déjà avoir entendu, en traversant un corridor de l'école où il donnait des leçons de français, le bruit d'une fessée donnée à une des plus grandes élèves,—une superbe Irlandaise de dix-sept ans, mais en paraissant bien vingt,—et ce n'était là qu'une petite fessée, little whipping, confessa une sous-maîtresse.

Le Town-Talk, dans les campagnes qu'il a menées contre les fessées scolaires, non qu'elles n'aient «du bon», mais qui ne devraient pas être données «en public», lui a apporté bien d'autres révélations.

Les correspondants même du journal,—la plupart partisans du fouet, souvent anciennes directrices de pensionnats—avaient, par leurs lettres, fourni les principaux éléments de cette enquête à posteriori.

Dans sa Pudique Albion, Hector France a traduit quelques-unes de ces lettres, non sans en atténuer la forme quand il était besoin, car le latin n'est pas seul à braver l'honnêteté. C'est toujours la même cérémonie, et le rite n'en varie guère: la patiente, quelle que soit la pension, reçoit l'ordre soit d'ôter sa robe et son pantalon[345], soit de retirer ses pantalons[346], la séance ayant régulièrement lieu «jupes troussées et pantalon bas»[347].

C'est ce qui nous importe: aussi, sans fouler plus longtemps les plates-bandes de Jean de Villiot, reprenons le bateau de Southampton qui, au Havre, nous déposera devant l'Hôtel de l'Amirauté.

J'ai nommé Jean de Villiot, pourquoi ne le citerai-je pas? Ne confesse-t-il pas, dans la Maison de Verveine, ressentir parfois un plaisir analogue à la gêne de l'abbé Pantalon devant la lessive des Dames Blanches?

Je ne puis «m'empêcher de trouver des plus suggestifs, avoue-t-il, le spectacle qui m'est parfois offert quand je regarde des fenêtres d'un wagon les jardins de banlieue et que je vois, flottant au vent ou étalés sur le gazon, les linges blancs de femmes que mon imagination remplit.

«Et je pense alors, s'ils pouvaient causer, ils révéleraient des mystères comme «le chêne qui parle», de Tennyson»[348].

Ah! oui, quelque chose comme l'Odyssée d'un pantalon... la librairie belge a publié cela, et ce n'est pas fameux.

A la ville comme à la pension, le pantalon est la règle.

—Quelle folie! Est-ce qu'une fille bien élevée ne porte pas toujours des pantalons! s'écrie non sans raison une acariâtre bourgeoise de Charles Aubert[349].

Sans doute, mais ce qui est vrai à Paris et au nord de la Loire, cesse de l'être quand on descend dans le Midi. Dans la meilleure bourgeoisie, me suis-je laissé dire—la Vie Parisienne l'affirme[350],—bon nombre de femmes et de jeunes filles n'en portent point et ne s'en portent pas plus mal.

Barytons à l'Opéra et au beuglant législatif, la terre «ministrable» fournit également des «sans culottes» femmes. Sans passer son p'tit Loupillon, comme M. Fallières, et sans posséder les nombreux millions de M. Laygues, la Bérengère Trois Chansons devait être du Lot-et-Garonne: c'était là son excuse, à moins que son saint patron ne l'ait, par indulgence spéciale, dispensée de ce voile protecteur?

«Il faut croire que Bérengère convoitait surtout les cerises des branches les plus éloignées, car elle grimpa encore le long de l'échelle tremblottante; et il y eut un grand coup de vent; et comme elle n'était pas de celles qui déshonorent par des accoutrements virils les intimités de la toilette féminine, l'amoureux eut la vision de presque toute une nymphe dans un éclair de neige rose»[351].

Pour qui ne passe pas dans le Midi le beau temps des cerises—et des crises—de pareils spectacles sont rares. Aussi, malgré quelques indiscrétions dues, au tennis, à l'envolée brusque des jupes, ou à quelques petits blanchissages imprudemment abandonnés sur une corde, en serai-je réduit, comme toi lecteur, à l'incongrue portion des hypothèses, si le rieur troupeau des demi-vierges ne s'en était mêlé... et il s'en est mêlé.

En un coin de Bretagne alors perdu, et où sévissent aujourd'hui des Anglaises de tout âge et les chansons de Botrel, elles étaient trois, emplissant de leur rire et de leur gaîté, l'auberge où subsistait, vivace, le souvenir de Paul Gauguin, et la petite plage où, la marée aidant, l'on descendait se baigner.

Vous en souvenez-vous, Jules Bois, qui portraicturates l'une d'elles dans votre Douleur d'aimer?[352].

Pas de cabines, naturellement. Méprisant l'illusoire abri d'un tas de goëmon ou d'une roche, sans embarras et sans fausse pruderie, elles se déshabillaient, chuchotantes, se sentant regardées, et quand, garçonnières elles apparaissaient en pantalon, ou toutes blanches, en chemise, leur fol amusement au déclic brusque d'un kodak ou d'un vérascope:

—Vous m'en donn'rez une, c'pas?

Et au Pouldu, donc, à l'indignation grande des époux Feyssard et de leur demoiselle, leurs dégringolades, les jupes envolées, sur les falaises de sable, ce pendant que, en bas, les guettait l'indiscrétion d'un Zeiss.

Deux d'entre elles portaient, je m'empresse de l'ajouter, des pantalons—et fermés, encore!—mais la troisième, comme Bérengère, n'en avait d'aucune sorte.

—Cela l'eut gênée... confessait-elle ingénûment, et c'était, très rose, au-dessus de la ligne noire des bas, le nu de ses cuisses sveltes encore d'adolescente...

Cela arrive à d'autres, d'ailleurs, de n'en pas avoir. A quoi tiennent un gros succès d'une pièce et un gros succès d'argent! Que la blonde enfant eût eu, ce jour-là, un pantalon, et surtout qu'il eût été fermé, et c'en était fait de Miss Helyett et de l'homme de la montagne... En vérité, que notre poussière est peu de chose.

La mode des expositions de trousseaux—elle tend, semble-t-il, à disparaître—prêtait, elle aussi, à de menues indiscrétions, qui, pour moins savoureuses qu'elles fussent, ne laissaient pas d'être parfois gênantes.

Entre femmes, cela n'a pas d'importance, dira-t-on. Oui et non. Il y en a qui sont, sur ce point, particulièrement délicates, et que froisse l'étalage de toute cette lingerie intime.

«Cela parut à la fiancée comme une profanation. Elle se persuada que ces rieuses et malicieuses personnes devinaient ses formes d'après les courbes des intimes vêtements. Une contrariété»[353].

C'est pis lorsque la curiosité des beaux messieurs inspecte ces dessous, et prête entre l'un d'eux et des élégantes à ce dialogue:

—Je vous avouerai que les exhibitions de corbeilles et de trousseaux m'amusent comme une pensionnaire.

—Pourquoi cela?

—Je suis très content de savoir comment sont confectionnés les chemises et les pantalons de mes danseuses. Ainsi, il y a des trousseaux qui me déplaisent souverainement; et quand je vois celles auxquelles ils appartiennent, je me dis: Toi, tu as des pantalons avec des plissés bêtes... toi, des chemises à lourde broderie...

—Voulez-vous bien vous taire![354].

Le choix d'un trousseau Pierre Giffard, avant d'être l'homme du «bienfait social», en avait tracé un joli croquis dans ses Grands Bazars:

«La mère et la fille parisiennes, ou rompues au mouvement de Paris, achètent le trousseau après réflexion, après examen, après une rêverie interminable et charmante sur les chemises, sur les bas brodés, sur les pantalons, sur le linge qu'on tient entre ses doigts, rêverie qui est le propre de la femme et que notre sexe est incapable de comprendre ou d'analyser. Mais enfin, il n'y a pas d'excès dans leur manière d'agir.

«La mère provinciale, au contraire, accompagnée de sa fille qui l'est également, et de son futur gendre, qui l'est encore davantage, proteste, s'exclame, s'enfle, fait de gros yeux et parle toujours d'argent.

«Elle ne cesse de jeter sur l'amour des deux jeunes gens, si toutefois amour il y a, les déclarations les plus saugrenues, l'argent qu'elle dépense pour sa fille, la valeur extrême des culottes qu'on vient de choisir, les qualités des camisoles et des chemises de nuit...»[355].

Que le futur gendre ne s'en mêle pas surtout!

«Mais quand je le vois qui s'en mêle, oh! alors, mes nerfs s'excitent, et pour un rien j'interviendrais dans la mêlée! Il conteste la qualité des pantalons et des draps! Il ne veut pas des camisoles sans broderies! Il veut que les chemises de nuit soient à jour, lui pas bête, tandis que la belle-mère trouve cette confidente de la nuit trop shocking[356].

Si dans le peuple la femme honnête se reconnaît à ce qu'elle a les genoux sales, ajouterai-je, pour tenir la balance égale, que dans la bourgeoisie, les dessous laissent autant à désirer comme propreté.

«Sur cent femmes, confessait une essayeuse d'un grand magasin, je vous certifie qu'il n'y en a pas quinze qui aient une chemise propre, un corset propre et un pantalon de même»[357].

D'où un moraliste conclurait, sans doute, que la femme n'a souci de ses dessous que lorsqu'elle a un amant devant lequel il lui faudra se déshabiller. Je ne me refuse pas à le croire; mais je ne suis pas un moraliste.

A propreté douteuse, pudeur relative. La pudeur du pantalon... le bon billet! Dans un amusant croquis, le Charivari a crevé la baudruche de ce préjugé, mais il a, ainsi que ses semblables et que l'empereur d'Autriche, la vie dure.

Ce pendant que, derrière le comptoir d'un de nos bazars les plus réputés, un calicot étale des deux mains, devant une bourgeoise et sa demoiselle, un pantalon outrageusement ouvert, M. Benoît emmène à l'écart l'inévitable futur gendre, le benêt avec lequel on dînera le soir chez Duval, avant que d'aller se gargariser à l'Opéra-Comique d'une infusion bien française:

—Mon futur gendre, éloignez-vous; ces dames en sont à une partie du trousseau où votre présence gênerait la pudeur de ma fille»[358].

Pharisiens, sépulcres blanchis! que préférables à cette solennelle imbécillité, la gauloiserie et le bon sens natifs de cette brave femme, plus ou moins cousine de Mme Cardinal, douairière, ou de Mme Manchaballe, sa belle-sœur:

«Une Dieppoise entre dans un magasin de bonneterie avec une jeune fille, à qui l'on peut donner comme âge, entre dix-huit et vingt ans. Elle demande des pantalons.

—Pour vous? lui demande un commis.

—Non, pour la petite qui va se marier.

—Ah!... Et quelle ouverture?

—Une bonne main d'homme»[359].


CES DAMES

Je me méfie toujours des femmes qui portent des caleçons: c'est la pudeur avec une enseigne.

Commerson.

La première femme qui mit un pantalon fut tenue pour immodeste; l'immodestie, de notre temps, consisterait à s'en passer.

Angèle Héraud.

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