Le Pantalon Féminin
Soudain, harmonieuse et plaintive comme la vibration chevrotante d'une chanterelle qui se brise, une voix murmura:
—J'étais la pudeur des femmes et la sauvegarde des maris qui savaient leur honneur suffisamment cadenassé dans la prison de ma batiste. Toutes les agaceries des bas chavireurs de vertu et des jupons semeurs de désirs venaient piteusement échouer devant le «tu n'iras pas plus loin» de ma citadelle inexpugnable. Le canapé lui-même ne pouvait rien contre moi. Il fallait la complicité du Lit pour me vaincre. Le Lit c'est-à-dire la chute préméditée et résolue, c'est-à-dire cette décision qui n'habite jamais l'esprit flottant des femmes la première fois. Mais, un jour, une perverse survint qui, d'un large coup de ciseaux, troua mon bouclier.
«Et la femme fut perdue.
—Qui donc es-tu, toi qui te lamentes? s'enquit le Canapé qui ne ricanait plus...
«Et la voix répondit, plaintive et mélodieuse, comme la vibration chevrotante d'une chanterelle qui se brise:
—Je suis l'âme du pantalon fermé[503].»
Cette légende, contée par Léo Trézenik, est charmante, comme toutes les légendes; mais, ce n'est qu'une légende, et il n'y faut point chercher quelque chose ressemblant, même de loin, à la Vérité. La Vérité n'a jamais porté de pantalons et la femme les a rarement portés fermés.
Sans remonter aux «caleçons de toile d'or et d'argent» du règne de Charles IX et au maillot de Notre-Dame de Thermidor, le pantalon, tel que l'imposa la crinoline, semble avoir été généralement ouvert. Les patrons de la Lingère parisienne et les dessins de la Mode illustrée indiquent même qu'il l'était terriblement.
Les petites fentes latérales permettant d'en limiter la fente et, au besoin, de les porter fermés, n'apparurent que plus tard. A ses débuts, sous le Second Empire, le pantalon était entièrement ouvert par derrière. C'était, au surplus, sa seule ressemblance avec celui de nos contemporaines.
La princesse de C... se rendant à un rendez-vous avec un pantalon fermé fut et restera heureusement l'exception.
L'«inexpressible» avait déjà assez de peine à se faire admettre dans la toilette des dames, pour ne pas aller les indisposer davantage encore contre lui par les inconvénients résultant de sa claustration.
Bien peu eussent alors consenti à s'embarrasser de la gêne d'un pantalon fermé. De nos jours même, combien préféreraient s'en passer, plutôt que d'en supporter la tyrannie?
Il peut être utile—et de règle dans certains couvents—sous les jupes courtes des fillettes, mais, le plus généralement, il disparaît, à mesure que s'allongent les jupes.
Le jour où il s'ouvrira, comme ceux de la mère et des sœurs aînées, n'est pas attendu avec moins d'impatience que, jadis, le jour où on devait le quitter. Ce jour-là, la gamine se sent presque femme: c'est pour elle un peu la robe prétexte, et que d'excellents prétextes pour les porter ouverts.
Même enfants, beaucoup les ont toujours portés ainsi. Il y a cinquante ans, la Mode illustrée, ne les prévoyait pas autrement pour les fillettes. Le pantalon fermé ne vint que plus tard et la bourgeoisie seule en a adopté l'usage.
Si sa claustration est parfois obligatoire, il y a bien des pensionnats où cette règle draconnienne est inconnue: la plupart des élèves, quel que soit leur âge, les portent fendus, et les curieuses—je n'ose écrire les vicieuses—profitent de ce «large coup de ciseau» pour se livrer entre elles à de menues comparaisons et à de petits concours, que la morale ne saurait pleinement approuver.
A Montmartre qui, cependant, oublie vite, on se souvient encore de Pierrette Fleury, cette jolie fille, qui trouva dans l'éther le suprême sommeil, et dont Antonin Reschal avait fait le prototype de son héroïne. Pierrette confesse, dans le roman, à son père ce détail de mœurs et lui demande de substituer à ses culottes ouvertes des pantalons fermés. Ces jeux de l'école ne lui disent rien encore:
«J'ai eu aujourd'hui la visite de papa. Cela m'a rendu de belle humeur. Il y a si longtemps qu'il n'était venu. Il avait ses poches pleines de bonbons et de chocolats qui vont faire notre bonheur, à Eve surtout, pendant au moins... quarante-huit heures. A un moment il m'a demandé avec tendresse, en me prenant sur ses genoux, si je ne manquais de rien, ne désirais aucune autre chose... Aussitôt, je lui répondis, car je l'aurais oublié:
—Oh! si mon petit père, je voudrais bien que tu m'envoies des pantalons fermés.
—???
—Oui, papa chéri, ai-je continué, parce que quand nous jouons avec mes petites camarades, dans le jardin ou en promenade, à faire des dessins sur le sol ou autres amusements, groupées en rond, elles montrent toutes leur «petit Jésus» sans rougir, se regardent et se jettent du sable dessus. N'est-ce pas que c'est sale? Et puis encore lorsqu'elles vont au petit endroit, toujours par deux ou trois, elles s'alignent le long d'un mur ou d'une haie, les jupes relevées, et c'est à celles qui enverront le jet d'eau le plus loin[504]...
«En me couvrant de baisers, il m'a promis de m'envoyer six pantalons hermétiquement clos.»[505]
Dans le peuple et à la campagne, où elles sont seules à en porter, les gamines ignorent la gêne du pantalon fermé, et c'en est une fameuse, me suis-je laissé dire, par d'aimables femmes, qui, moins heureuses, y avaient été longtemps assujetties.
Incommode jusqu'à quinze ou seize ans, le pantalon fermé, dont elles ont conservé le plus désagréable souvenir, n'est pas tolérable pour une femme. Le rendez-vous hâtif, la folie qu'il ne faut pas contenir des mains qui s'égarent, l'occasion, la mousse des bois ou la profondeur des divans, la femme ne saurait les porter ainsi. Puis, comme disait une autre, non sans sourire, avant que de fausser compagnie à son cavalier, à la lisière d'un petit bois, où, preste, elle disparut: «la nature a certains besoins, n'est-ce pas?»
Délicieuse enfant, elle tenait le milieu, peut-être plus juste que sage, entre le libre parler de Mmes de Choisy et de Cavoye[506] et la coupable pruderie de certaines jeunes femmes, qui préfèrent souffrir et risquer la gêne et l'ennui d'«un accident», plutôt que de confesser une de ces faiblesses dont l'amante la plus irréprochable n'est pas exempte.
Et quel ennui d'avoir à relever ses jupes on ne sait jusqu'où—quand elles étaient entravées, c'était même quasi-impossible—pour aller chercher les boutons du pantalon et avoir à le baisser ensuite! C'était là un terrible embarras, sinon un danger: la femme peut être «pressée» et il y en a qui attendent toujours la catastrophe imminente pour se décider à obéir aux lois de la nature.
Au reste, si la pudeur semble conseiller aux fillettes l'usage du pantalon fermé, pour éviter d'en laisser trop voir, dans leurs jeux, sous leurs jupes courtes, on peut se demander si l'hygiène et la pudeur marchent de pair à ce point de vue?
Aux inconvénients qu'on lui connaît, le pantalon fermé en joindrait, paraît-il, un autre, qui ne serait pas sans rappeler les caleçons de laine et les esprits vitaux du recueil de Corona.
Moraliste plus qu'on s'y devrait attendre, Jean de Villiot signale cette particularité dans sa Maison de Verveine:
«Le contact, on le sait, est le plus grand ennemi de la chasteté de la femme.
«Qu'elle porte des vêtements amples et son tempérament restera calme.
«Les religieuses ne portent point de pantalons[507].
«Les paysannes, qui sont en somme assez chastes, n'en portent pas non plus, et quand elles se penchent on voit leurs cuisses nues par dessus leurs bas sans jarretières[508].
«Au contraire, toutes les femmes de plaisir—professionnelles ou autrement—portent des pantalons et les plus élégants qui soient, tandis que la vieille fille prude, les plus hideux possible, et souvent n'en a pas.
«Je connais une dame qui non seulement ne veut pas de ce vêtement pour elle, mais encore ne permet pas à ses filles d'en porter.
—C'est immodeste, dit-elle.
«Cela rapproche la femme par certains côtés du sexe contraire[509].
«Quand le pantalon est fait de toile et fendu, il est ainsi féminisé, si je puis dire, à un point qui neutralise les dangers auxquels je fais allusion»[510].
Les médecins et les hygiénistes s'élèvent au contraire contre les dangers et les méfaits des pantalons ouverts et conseillent sans pitié à la femme la claustration absolue de ses charmes secrets, pour lutter contre l'indiscrétion et l'invasion des microbes[511].
La doctoresse Schultz qui est femme, connaissant les inconvénients du pantalon fermé, en conseille bien l'usage, mais a trouvé une solution élégante qui consiste à les porter... ouverts:
«Question de décence chez les petites filles, à robe courte, c'est pour les femmes adultes une question d'hygiène: les pantalons fermés seuls protègent les parties intimes du corps contre les poussières soulevées par les jupes et les jupons.
«En hiver, ils tiennent plus chauds.
«Mais les pantalons fermés boutonnés sur le côté ne sont pas très commodes pour les femmes, gênées dans leurs mouvements par le poids et la longueur de leurs jupes et jupons.
«Dans ces cas, on peut adopter un pantalon fermé, mais à dispositif différent du modèle courant; par exemple, un pantalon à fermeture croisée»[512].
Mme Schultz donne en note la description de ce pantalon, et, à la lire avec un peu d'attention, on a tôt fait de s'apercevoir que ce n'est autre chose qu'un pantalon ouvert, d'un modèle un peu différent, voilà tout:
«Ce pantalon fermé sur les côtés et aussi dans sa partie supérieure en avant, est ouvert en bas et en arrière. Les deux côtés de l'ouverture sont assez amples pour pouvoir se croiser l'un sur l'autre et, de la sorte, se superposer.
«Pour ouvrir le pantalon sans le défaire, il suffit de faire glisser le fond du derrière sur la coulisse, en amenant le bord vers la hanche de son côté».
C'est-à-dire que, par devant, la fente ne commence qu'à environ 16 centimètres du biais formant ceinture, alors qu'elle s'en ouvre généralement à 3 ou 4 centimètres, quelquefois moins, laissant les jambes presque indépendantes l'une de l'autre, tandis que, par derrière, elle se continue jusqu'à la coulisse.
Ce pantalon peut donner, par devant, l'illusion d'être fermé, mais il est parfaitement ouvert. Des jeunes femmes qui les portaient ainsi n'ont jamais, que je sache, songé à en nier l'ouverture et cherchaient par le croisement des bords de la fente, non à éviter les microbes, dont elles se souciaient peu, mais à empêcher, ce dont elles se souciaient beaucoup, la chemise de s'échapper par derrière et de former pan.
C'était, confessèrent quelques-unes, l'unique moyen qu'elles eussent trouvé d'éviter cet «horrible pan» et elles n'y étaient jamais arrivées avant de porter des pantalons entièrement ouverts, dont les bords de la fente pussent croiser par derrière.
«Le pantalon, écrivait Bertall, s'attache sur le corset, soit à l'aide d'un ruban-ceinture, soit à l'aide de boutons disposés pour cela»[513].
Longtemps, il n'en fut plus ainsi.
Espérant s'amincir et se faire la taille plus fine, beaucoup de femmes se mirent à les porter non sur le corset, mais sous le corset. Ce fut un genre. Puis, à certains moments, il leur semblait appréciable de pouvoir enlever leur corset, sans avoir à défaire leur pantalon.
Un corset dans lequel on étouffe ou une barbe de la veille chez le partenaire, il n'en faut souvent pas davantage pour gâter le plaisir le plus fugitif et enlever tout son charme à la fantaisie d'une jolie femme?
Il y eut mieux: d'autres, pour éviter de chiffonner leur «chemise garnie», enfilèrent le pantalon, non seulement sous le corset, mais sous la chemise. Des théâtreuses et des professionnelles de déshabillés lancèrent cette mode; les femmes du monde n'eurent garde de ne pas la suivre et, si éphémère qu'elle ait pu être, des spécialistes des dessous, comme Mlle Marguerite d'Aincourt, préconisèrent ce «soin qu'il ne faut pas négliger et que prennent toutes les femmes de goût»[514].
Qu'il fût porté sous le corset ou sous la chemise, comment eut-on voulu qu'un pantalon fut fermé?
Une indiscrétion me fit connaître l'embarras d'une Pierrette qui, à un bal travesti, avait cru devoir revêtir sous ses jupes courtes un pantalon fermé et avait eu l'imprudence de le mettre sous le corset: il fut terrible. La pauvre femme dansa pour oublier. Put-elle ne pas s'oublier?
Et ce fut la mode des corsets longs et des jupes collantes, quand elles n'étaient pas entravées. Le pantalon reprit d'autant plus la place que lui assignait Bertall que souvent, le plus souvent même, il tint lieu de jupon. Mais, monté sur biais, n'ayant plus de ceinture, «les fentes de côté, les boutons, les boutonnières sont supprimés»[515], le pantalon n'en restait pas moins ouvert.
La femme, parfois forcée de s'y reprendre à plusieurs reprises, avait déjà assez de peine, à relever sa jupe, quand il était nécessaire, pour ne pas affronter la gymnastique qu'exigerait dans ces conditions, un pantalon fermé pour le baisser et pour le remonter.
Elle n'est pas un athlète complet; nous ne songeons guère à le lui demander, puis, aurions-nous, nous-mêmes, la force et la fougue désirables pour «essarter», en un coin de fenêtre ou ailleurs, ses culottes, si, comme la Môme Picrate, elle avait le mauvais goût de les porter fermées?
«Mais à peine dans la chambre, il s'anime, et miraculeusement rajeuni, fond sur la danseuse, l'enlace, la culbute:
—«Môme adorée!
—«Tiens! y a qu'une minute, t'étais pas si pressé. Mon pantalon? Attends. Attends donc! Tu vas l'dachirer, et on me voira ma nature»[516].
Le pantalon est donc forcément ouvert et nul, au surplus, ne se fait illusion.
L'Intermédiaire, toujours curieux, s'est demandé si la vertu avait quelque chose à gagner à la vogue du pantalon et, très sagement, a conclu à la négative:
«Est-ce un retour à la vertu? Je voudrais le croire, mais j'en doute, et notre questionneur me paraît bien ignorant de la forme de ces pantalons, s'il croit qu'ils apportent le moindre obstacle aux surprises des sens; les porteuses y ont mis bon ordre, car (comme disait à cette occasion certaine grande dame) on ne sait pas ce qui peut arriver»[517].
Ou plutôt, on le sait très bien et on ne veut pas qu'une barrière, si légère soit-elle, se puisse opposer à cette déesse fantasque qu'il faut toujours saisir par où l'on peut: l'occasion.
A la devanture des lingères et des blanchisseuses de fin, ce sont, accueillants et rieurs, les «pantalons de femme en faisceaux légers, demi-transparents, si drôles avec leur longue, longue fente qui n'en finit plus»[518].
A la sortie du lycée, des potaches déjà grands regardent et songent au lendemain, cependant que des hommes, dont les cheveux grisonnent, évoquent, mélancoliques, le passé.
Il en était de même, il y a cinquante ans. A part un dessin marquant les débuts—ou plutôt le retour—des pantalons ouvrant sur les côtés par de petites fentes latérales, la Mode Illustrée ne donne pas, de 1860 à 1863, un seul modèle de pantalon fermé.
Ils étaient même terriblement ouverts, comme ceux que portaient sous leurs jupons courts les «jeunes bergères d'Arcadie» de la «Brasserie du Divorce»[519], comme ceux de la petite Augusta[520], de la grande Virginie[521], lors de la fessée classique de l'Assommoir ou comme celui de Nana, avec le naturalisme qui sembla à l'époque constituer une audace sans nom, de la chemise qu'en laissait, par derrière, échapper la fente: «par derrière, son pantalon laissait passer encore un bout de sa chemise»[522].
Ah! oui, le pan, ce «fameux pan», si difficile—impossible même, confessèrent quelques-unes—à éviter, qui semble, pour beaucoup une conséquence forcée de l'ouverture du pantalon. Amusant parfois, amusant et impertinent, quand il se montre à peine pour être aussitôt rentré d'un geste familier, il est le plus souvent ridicule et gâte facilement un ensemble qui, sans lui, serait charmant.
Il est lié de très près, ce pan, à l'iconographie de la femme en pantalon et les caricaturistes en ont volontiers abusé.
Elles font bien ce qu'elles peuvent, les pauvres, pour tâcher de le retenir, mais peu y parviennent. On a beau ramener et croiser la chemise entre les cuisses, croiser par derrière, comme le préconise Mme Schultz, les bords de la fente, au besoin, si la chemise est garnie, en fixer la dentelle, au risque de la déchirer, à l'agrafe du corset, il n'y a pas moyen de retenir le fugitif. Ou c'est, chez de très rares, la traîtresse épingle anglaise: mais elle est dangereuse et gênante.
Cela tient, à peu près, quand on vient de s'habiller: aussitôt qu'on a marché, descendu ou monté un escalier, c'en est fait de cette harmonie si péniblement obtenue. La chemise commence par pointer, puis ne tarde pas à pendre en plein.
Pour d'aucunes, c'est une préoccupation. Il en est que la crainte de ce maudit pan empêchera, plus que toute autre considération, de se laisser voir en pantalon. D'autres ne se déshabilleront pas avant d'avoir remis subrepticement un peu d'ordre dans leurs dessous et fait réintégrer à la chemise la prison trop ouverte du pantalon. Ce sont les soigneuses, celles qu'intimident ou qu'effraient le rire du mari ou le sourire de l'amant.
De plus nombreuses, hélas! par une négligence coupable, semblent ne pas avoir cure de ces contingences. Leur chemise pend, elles la laissent pendre, sans même la rentrer et chercher à l'emprisonner, quand elles en ont occasion.
Certaines, même, convaincues qu'elle s'échappera aussitôt, négligent, en s'habillant, de rentrer dans la batiste du pantalon le pan, qu'en l'enfilant, aura laisser tomber la complicité de la fente.
—Que voulez-vous? c'est forcé..., répondront-elles avec une petite moue drôle, si on les plaisante. Et, pour peu qu'on insiste, elles ajouteront, philosophes, en manière de consolation:
—Bah! avec ça que ça ne pend pas à toutes?
Sans doute... Il en est même, qui, sans chercher plus loin, le laissent pendre, ce pan, pour rien, pour le plaisir, parce qu'elles le trouvent amusant. Ça leur donne un air gamin qui ne leur déplaît pas.
Prenez garde, Mesdames: je sais bien que vous ne commencez pas à grossir, mais souvenez-vous de ce couplet au gros sel, adressé aux Fédéralistes, qui eut son heure de vogue dans les salons de la Restauration:
Les «duchesses les plus délicates et les plus charmantes femmes du monde»[524] chantonnèrent ces méchants vers et en rirent aux larmes. Si misérable fut-elle, au moins elles avaient une excuse: ne portant pas de pantalons, elles n'avaient point à craindre semblable accident.
Que la fente soit ou ne soit pas close et que la chemise apparaisse plus ou moins, les heures sont courtes et passagères qui permettent de répondre à une grande fillette que sa mère veut empêcher de faire des «tourniboiles» sur l'herbe, comme les garçons:
—Mais maman, on ne verra rien, j'ai un pantalon fermé[525].
Laissez quelques rares jeunes femmes s'entêter à les porter ainsi, prétendant, la bouche pincée, que «c'est plus intime», qu'«on est mieux chez soi» et soyez convaincues qu'elles sont l'exception, l'exception, ajouterait la sagesse des nations, qui confirme les règles. Toutes les autres, effrayées par la gêne du pantalon fermé, les portent ouverts. Celles même qui, à la scène, se voient forcées, dans certains rôles, d'affronter l'ennui du pantalon officiel, s'empressent, à la ville, de le troquer contre son frère plus conforme aux lois de la nature. D'où cette anecdote dont Louise Balthy fut l'héroïne et que Jean Lorrain contait dans l'Echo de Paris, avec tout son esprit.
Dans un salon du faubourg Saint-Germain, malgré l'insistance de tous, elle refusait «de dire la fameuse ronde du Moulino de la Galettas, cette cachucha chantée où l'artiste se révéla si impayable; à quoi la chanteuse, requise tout à trac:
—Mon pas espagnol, ici, impossible, mon p'tit; j' n'ai pas de pantalon fermé[526].
Qu'un trop timide amoureux ne s'effraie donc pas trop si, sous les jupes de l'aimée, ses mains viennent à rencontrer, ce qu'il devait prévoir, la batiste tiède d'un pantalon et surtout qu'il n'ait pas une exclamation de désappointement et de mauvaise humeur. C'est là un passage et non un obstacle, et toutes les femmes n'ont pas pour tant d'innocence, la suprême indulgence de Marguerite:
«On entendit un léger bruit étouffé presque aussitôt; le nom de Raoul prononcé plusieurs fois, puis cette énergique exclamation:
—Ah! sacrebleu! un pantalon!
—«Un silence suivit... une petite voix le rompit en murmurant ces mots:
—Il est fendu![527]
Bien que Maugis ait prétendu, à un thé,—à qui se fier, vraiment?—qu'elle les portait fermés, celui de Marthe Payet n'était pas moins ouvert, au cours du petit raid intime qui, à Bayreuth, la fit surprendre par sa belle-sœur à califourchon sur les genoux du critique.
«...Mais qui donc parle dans la chambre de Marthe?
«Ce murmure qui ne cesse pas, ponctué d'un rire tranchant ou d'une exclamation de ma belle-sœur... Une étrange conversation à coup sûr.
«Soudain! un cri. Une voix d'homme profère un juron, puis la voix de Marthe irritée:
—Tu ne pouvais pas caler ton pied? Un peu plus je me blessais!...
«J'ai saisi le loquet. J'ouvre, je pousse le battant de toutes mes forces, un bras devant le visage comme si je craignais un coup...
«J'aperçois, sans comprendre tout de suite, le dos laiteux de Marthe, ses épaules rondes jaillies de la chemise. Je vois aussi ses petits pieds vernis, qui pointent à droite et à gauche, écartés comme ceux d'un homme qui monte sans étriers... Elle est... elle est... assise sur les genoux de Maugis, de Maugis rouge, affalé sur une chaise, et tout habillé, je crois..... Marthe crie, bondit, saute à terre et démasque le désordre de l'affreux individu. Une espèce de plainte—sanglot? nausée?—m'échappe; et je détourne les yeux de ma belle-sœur.
«Campée, debout, devant moi, en pantalon de linon à jambes larges et juponnées, elle évoque irrésistiblement, sous son chignon roux qui oscille, l'idée d'une clownesse débraillée de mi-carême. Mais quelle tragique clownesse, plus pâle que la farine traditionnelle, les yeux agrandis et meurtriers... Je reste là sans pouvoir parler.
«La voix de Maugis s'élève, ignoblement gouailleuse:
—Dis donc, Marthe, maintenant que la môme nous a zieutés, si qu'on finirait cette petite fête... Qu'est-ce qu'on risque?[528]
Ce brave Maugis, il ne doute de rien. C'est presque la réplique de la phrase connue du commissaire, après le constat d'adultère, la femme en larmes et en chemise et le complice, un peu gêné, trouvant qu'il y a, dans la vie, des petites comédies qui se terminent bien mal:
—Maintenant, continuez!... si vous pouvez.
Ah! Marthon, combien préférables les soirs de villes d'eaux, où, les petits chevaux aidant, il vous était loisible de retirer votre pantalon et où nul incident fâcheux ne venait vicier l'arrivée:
«Elle est venue dans ma chambre, toute gaie; il lui a suffi de retirer son pantalon pour oublier la culotte qu'elle venait de prendre»[529].
Lucie, fille perdue et criminelle, assiste, de sa cachette, à une reprise de manège très analogue à celle de Bayreuth. Le cadre seul diffère, quoique il ne soit pas davantage noir. Là encore, contrairement à la légende de la gravure des petits pieds, «tout (ne) se passa (pas) à l'ordinaire».
Naturellement, le pantalon d'outre-rein était ouvert, lui aussi:
«...Ils en étaient passés à l'action! Et Maucroix tenait la duchesse sur ses genoux, la duchesse qui avait jeté tous ses vêtements, et qui, grasse, en pantalon, les fesses débordantes dans un balancement, toute la peau à nu presque, écrasait ses belles chairs laiteuses contre cet homme, lequel commençait à frémir, à s'énerver, à tâter de tout cela d'un air éperdu»[530].
Ouvert également le pantalon de Virginie Chômel, dont les dentelles avaient choqué, peu de temps auparavant, la receveuse des postes, une femme à principes, qui s'était trouvée «seule avec elle dans un endroit intime».
Cette fois, l'enfant s'est laissé surprendre dans le cabinet de toilette de M. Le Vergier des Combes; elle n'est pas sur les genoux, mais aux genoux du vieil homme, qui semble n'avoir rien perdu de sa dignité. Son attitude est presque patriarcale:
«Je n'ai, d'abord, vu que de jolis petits pieds chaussés de bas à côte et ajourés qui montraient des talons hauts et des semelles fines, posés gentiment, comme à confesse, dans un énorme encadrement de chemises, de jupes bordées de dentelles et de culottes, bâillant juste assez pour offrir à l'air un double croissant de peau rose, le tout coiffé, couronné de cheveux châtains répandus en boucles, en mèches, en touffes, en queue,—crinière de cavale plutôt que chevelure de fille, sur laquelle une main sèche et autoritaire comme un sceptre s'appuyait avec autorité»[531].
La congestion menaçante et, sans avoir été Maurice de Saxe, c'est ainsi que finit le beau rêve que fut la vie pour certains privilégiés.
A la scène même, et en court, Mossieu! combien d'autres que Nana les portent ouverts. C'était le cas de Pimprenette, et, dans le beuglant de province où elle débutait, elle eut, pour faire... face au chahut qui, de l'orchestre, montait vers elle, le geste de mépris auquel la Mouquette dut le plus clair de sa réputation. Il est vrai que la pauvre fille n'en portait d'aucune sorte.
«Sur quoi, Pimprenette exaspérée eut un de ces gestes qui déchaînent les révolutions... Elle se retourna prestement et, d'un geste canaille, troussant jusqu'aux reins sa jupe déjà si courte, ne permit à personne d'ignorer qu'elle portait un pantalon fendu»[532].
Allons, ne vous excitez pas, pâle voyeur. Vous ne vous figurez pas que je vais vous introduire dans la loge de Pimprenette de Folligny, en passe (un mot qui lui convient très bien) de devenir une des étoiles de nos plus éphémères music-hall. Vous ne verrez rien, mais il vous sera permis d'écouter ce dialogue aussi suggestif qu'un film non visé par la censure et n'y revenez pas:
—Ah! zut! Et mon pantalon! c'est ça qui va m'enlever mon blanc! Faut-il que je sois bête! Comme si je n'aurais pas dû y penser.
—Ben, n'en mets pas, voilà tout.
—Non! mais tu ne voudrais pas, tout de même! Pense donc que je n'ai qu'un sarreau d'écolière et pas de maillot... Ma vieille, ça serait un coup à se faire emboîter!
—C'est bien ça les hommes, grommela Hortense, philosophiquement, ils ne viennent que pour voir de la peau, et quand on leur en montre, ils gueulent! Enfin... je vais te le tenir tout ouvert, tu n'auras qu'à glisser les jambes sans frôler...[533]
Si ouvert qu'il lui fût présenté, le pantalon de Pimprenette ne devait pas être «fendu», ce soir-là.
La combinaison, cet objet bâtard, tenant à la fois de la chemise et du pantalon qui nous est revenu d'Amérique affublé de ce nouveau nom, est non moins ouverte et... c'est forcé.
Déjà, en 1863, la Mode illustrée dont l'initiative en matière de dessous ne fut pas toujours heureuse, avait soumis à ses abonnées un bien singulier modèle de pantalon. Par devant, un tablier retombait sur la fente pour la masquer. Cela devait donner à celles qui le portaient—si jamais aucune en porta—un faux air de Vénus hottentote, tandis que, par derrière, la fente se boutonnait, comme une brayette[534].
C'était hideux et mille fois plus inconvenant que le pantalon, malgré l'énormité d'une solution de continuité qui aurait fait fuir bien loin le petit diable de Papefiguière.
En 1866, elle fit mieux, et bravement, sans songer à lui infliger un baptême et le «patent» d'une importation des U. S., lança un modèle de chemise-pantalon, auquel était jointe cette glose:
«Nous cherchons toujours à donner à nos abonnées, outre les objets pour ainsi dire classiques, ceux qui nous semblent concilier le progrès avec l'utilité. Nous plaçons par conséquent sur notre planche, consacrée au linge et à la lingerie, un modèle encore inconnu, mais destiné à obtenir, croyons-nous, un véritable succès; nous l'appelons la chemise-pantalon, parce qu'il résume ces deux objets, jusqu'ici distincts l'un de l'autre»[535].
Chemise et pantalon n'étaient guère jolis à cette époque—une bonne à tout faire refuserait de s'en affubler, aujourd'hui, ses jours de sortie, pour aller... cueillir la violette avec le pompier de ses rêves—leur résumé ne l'est pas davantage naturellement. Il est difficile de concevoir quelque chose de plus laid que la grand'mère de la combinaison.
Mise en goût par cette création, la Mode illustrée le conçut, cependant: ce fut la chemise de nuit-pantalon.
Pourquoi pas la chemise à trou?
Je doute que l'objet ait obtenu, à l'époque, le succès qui lui était prédit. Il fallait, pour qu'il l'obtint, beaucoup plus tard, qu'il eut, comme le pantalon et comme la chemise, singulièrement modifié sa forme et que les Américaines s'en soient mêlées.
Américaines et Anglaises professent volontiers, en effet, contre la chemise, les préventions des Merveilleuses du Directoire. Ses plis sont «ondulants et maladroits. Voilà plus de deux mille ans que les femmes portent des chemises, cela était d'une vétusté à périr»[536].
La chemise ne remonte pas, à vrai dire, aussi haut dans l'histoire de nos mœurs; ce ne fut pas une raison, quand vint la mode des jupes collantes, pour ne point la supprimer, grâce à la combinaison, le nouveau nom de la chemise-pantalon, qui, pour reprendre le mot de la Mode illustrée, résumait les deux articles.
La vogue de la combinaison fut grande et immédiate. Elle sévit jusque dans les pensionnats de jeunes filles; en Angleterre, paraît-il, les jeunes filles qui en portaient auraient seules été longtemps dispensées d'avoir à baisser leur pantalon pour recevoir la vieille cinglade britannique.
Si la combinaison sévit encore, je veux croire, en ces temps d'entente cordiale, que la cinglade, malgré son antiquité, a cessé de sévir, si elle a jamais sévi autrement que dans l'imagination d'Hector France, qui fut un fantaisiste aimable, et des collaborateurs anonymes dont le pseudonyme de Jean de Villiot couvrait le... fonds social.
En France, la combinaison ne fut pas cependant sans rencontrer, tout d'abord, des résistances analogues à celles qu'avait rencontrées le pantalon lui-même.
Toutefois, elles durèrent moins longtemps.
En 1885, dans son Art de la Toilette, Violette croyait pouvoir porter contre elle un jugement sans appel:
«Je n'ai point voulu parler de cette sorte de maillot de batiste qui réunit en une seule pièce la chemise et le pantalon, sous prétexte de ne point grossir la taille sous le corset. On a tenté cela; mais échoué dans le quart de monde, ce ballon mort-né, frappé à l'avance d'une piqûre fatale, n'a pu s'élever dans les sphères d'une élégance plus pure: cela manquait à la fois de grâce et de chasteté»[537].
Il est peu de jugements qui ne soient sujets à révision. Je ne sais si la combinaison argua d'un «fait nouveau» pour faire casser l'arrêt de Violette, mais il semble, sans avoir eu à subir les conclusions de Maître Labori, avoir eu devant la cour suprême que composent nos contemporaines, tous les honneurs de la cassation.
La Parisienne a fait, il est vrai, une concession aux chers usages auxquels nous devons les gestes jolis et classiques de la femme qui se déshabille. Le plus souvent, elle n'a pas sacrifié la chemise à la mode nouvelle: la combinaison, portée sur le corset, tient lieu de cache-corset et de pantalon, ou de cache-corset et de jupon. Dans ce dernier cas, on l'a affublée d'un nouveau nom: c'est la combinaison-marquise.
Les catalogues des magasins de nouveautés et les étalages des lingères suffiraient, s'il en était besoin, à marquer la place qu'a prise en France, depuis trente ans, la combinaison. La concurrence de la «petite culotte Louis XV»[538] et du «pantalon-cuirasse», dont Mme Claire de Chancenay vantait, en 1891, les avantages aux lectrices du Figaro[539], n'ont rien pu contre sa vogue chaque jour grandissante. Les journaux de modes, comme les femmes, se sont prononcés pour la combinaison et il n'est jusqu'à la Mode pratique qui n'en ait célébré les bienfaits.
Dans un article trop long pour être reproduit, Mme de Broutelles va jusqu'à faire ressortir l'économie de blanchissage que représente la combinaison[540]. Le linge sale demande à être lavé en famille; préférons-lui, plutôt, ces indiscrétions assez amusantes touchant les Américaines et leur manière de porter la chemise... quand elles en portent:
«Les Américaines qui ont voyagé en Europe portent assez volontiers une chemise, mais sans renoncer pour cela à leur petit tricot qu'elles appellent en français un veston. Celui-ci se porte directement sur la peau, par-dessus elles agrafent directement leur corset, mettent leur pantalon, et c'est après tout cela qu'elles endossent une chemise, qui tient lieu à la fois de corsage de dessous et de petit jupon; une chemise qui est une sorte de robe de dessous»[541].
D'autres que les Transatlantiques ont porté, nous l'avons vu, le pantalon sous la chemise, mais cette chemise qui tient lieu à la fois de corsage et de jupon ressemble bien plus à la combinaison qu'à la chemise. C'est, dans toute sa simplicité, la combinaison-marquise.
La Mode pratique avait bourgeoisement vanté les économies de blanchissage que permettait de réaliser la combinaison. La Nouvelle Mode, elle, leur substitua les avantages que la mode nouvelle présentait au point de vue de l'hygiène[542].
Je n'insisterai pas et j'en aurais fini avec la combinaison, à laquelle, pour être franc, j'avouerai préférer, comme Violette, le pantalon, si, à ce sujet, l'Allemagne ne nous fournissait quelques mots composés de la plus belle venue.
On ne peut pas toujours composer des mélanges asphyxiants, rédiger de fausses dépêches, bombarder des cathédrales ou mutiler des femmes et des enfants: il faut alors se rejeter sur les mots composés, ce qui, comme on sait, remplacent, sur les bords de la Sprée, les chansons à Montmartre.
Sans avoir eu, le plus souvent, la mauvaise curiosité d'aller y voir, on connaît l'inélégance des dessous de la femme allemande:
«Des jupons de flanelle, des pantalons de flanelle rouge, des corsets en coutil mal faits, des chemises bien hautes en grosse toile, des bas tricotés bien courts, finissant au-dessous du genou»[543].
M. Grand-Carteret a beau, après cette citation, crier à l'exagération—ce n'est pas «moche» c'est «boche»—cette description ne semble pas mentir à la réalité. Une aimable femme, que son commerce a fait séjourner à Berlin, a bien voulu me donner à ce sujet des détails amusants et y a même joint des catalogues et des échantillons à leur manière suggestifs.
En dehors des clientes de l'abbé Kneipp, auxquelles l'hygiène interdit de porter des pantalons; dans la classe moyenne, la plupart des femmes n'en portent pas davantage, l'été. Uniquement destiné à tenir chaud, long et large, tombant à mi-mollet, caleçon plutôt que pantalon féminin, il n'est guère en usage que l'hiver et alors apparaissent sous les jupes des femmes et des filles des herr professor, outre le classique madapolam, le croisé, le molleton, la flanelle, rouge parfois et plus souvent grise—c'est moins salissant.
La bourgeoise n'a pas besoin de posséder dans son armoire un jeu complet de pantalons. Elle n'en porte que l'hiver et en change rarement. Deux ou trois, et même moins, suffisent.
Le feutre noir est particulièrement apprécié. Un pantalon de feutre se porte toute la saison. En avril ou en mai seulement, on l'envoie chez le dégraisseur, pour ne le reprendre qu'au commencement de l'hiver suivant.
Pouah! voilà qui peut satisfaire la louable économie domestique de l'Allemande; mais ces détails suffiraient sans doute à assagir les mains de nos «poilus» les plus entreprenants et les moins raffinés.
Ce sont pourtant les modèles de «Damen-Beinkleider»—ne traduisez pas par caleçons de bain pour dames—les plus courants.
Dans le grand monde et dans le demi—ils se touchent toujours de très près et en matière de dessous et de déshabillés sont généralement tangents—le haut persil berlinois enfile, il est vrai, sous la jupe tailleur, une «culotte abbé Louis XV» de satin ou de surah noirs, doublée de liberty clair, qui, collante des hanches, est serrée au genou par une boucle d'acier ou d'argent.
Ce fut là, ces dernières années, le dernier bateau pour les grandes élégantes. Cette culotte tenait lieu de jupons. Puis, dans l'entourage du Kronprinz-Monseigneur, où l'on passait pour ne pas mépriser les hommes de la garde, quel ragoût devaient avoir les plus notoires déshabillées, quand leurs jupes tombées, elles apparaissaient travesties de la sorte.
On obéissait ainsi aux lois de la nature, tout en satisfaisant certains goûts que la Correctionnelle apprécie assez sévèrement et auxquels le Mauric's-bar a dû son éphémère réputation.
Mais il n'est pas donné à toutes les femmes de donner à leur époux, à leur amant ou à leur client, l'illusion d'un «Jésus-la-Caille». A côté des «Damen-Beinkleider» et de la «culotte abbé Louis XV», il y a place pour différents systèmes de pantalons, que la langue allemande a différemment baptisés.
Tout d'abord, le «système normal»—breveté et contrefait combien!—du docteur.
Fait en tricot, l'objet descend jusqu'aux pieds, et affecte la forme soit d'un pantalon, soit d'une combinaison. La bottine à élastiques et à tirettes se met par dessus.
Ce n'est pas mal, mais, en fait de combinaisons, il y a mieux et il faut vraiment que l'on ait recours à la bêtise de 93 intellectuels allemands pour leur trouver des noms, des noms à coucher sous les ponts ou à finir dans un camp de concentration, et sans les retirer, encore!
On a ainsi le «Hemd-Rock-Beinkleid» (chemise-jupon-pantalon); le «Hemd-Beinkleid» (chemise-pantalon, la combinaison proprement dite); et l'«Untertaille-Rock u. Beinkleid» (cache-corset-jupon et pantalon).
Ces différents objets sont, on le voit, aussi composés que les mots qui les désignent... Les catalogues des maisons de confection allemandes en offrent divers modèles et ils se font en plusieurs qualités.
La qualité supérieure ne se contente pas d'être plus fine de tissu, plus soignée, plus élégante et plus courte de jambes. Un perfectionnement lui a été apporté, qui mérite d'être noté.
Moins que toute autre, la femme allemande ne peut songer à porter des pantalons et moins encore des combinaisons fermés. Les chopes de bière qu'elle ingurgite volontiers à la brasserie, à côté de son seigneur et maître, le lui interdisent formellement. Elle a, toutefois, une pudeur, ou mieux une pudibonderie relative et, pour pallier aux inconvénients de la fente généralement aussi béante que le sourire de l'héritier du trône d'Allemagne, elle a trouvé quelque chose, dont aucune Parisienne ne voudrait jamais, sans doute, affronter le ridicule.
La combinaison d'un modèle soigné est à pont.
Ce détail est très scrupuleusement représenté sur la figure du catalogue. C'est à la fois grotesque et inconvenant. L'on ne peut songer sans rire à la gymnastique à laquelle sont contraintes les malheureuses qui portent cette lingerie. Oh honte! au lieu de Bacchus ivre ou de Danaé surprise, Dorothée en train de baisser son pont ou Charlotte occupée à remonter le sien!
Et à l'heure des abandons, lors des petits jeux qui, dans la chambre tiède, où stagne le mélange cher du chypre et du tabac blond,—plus blond et plus savoureux que toi, Gretchen!—précèdent les soupirs et les mots entrecoupés de la bien-aimée, avoir à déboutonner le pont de sa combinaison, à moins qu'elle ne préfère le faire elle-même:
—Attends, chéri, que j'défasse mon pont.
Voilà qui, dans la langue du grand siècle, doit singulièrement vous monter le bourrichon!
C'est comme pour les armements. L'Allemagne ne pouvait naturellement s'arrêter en aussi belle voie. Les dessous de la femme allemande sont, ainsi que ses appas, de l'artillerie lourde. Le «Hemd-Rock-Beinkleid» représentant sur sa Krupp le 320 autrichien, quoi d'étonnant à ce qu'elle y ait joint un «kolossal» 420, sous la forme des «Reformbeinkleider».
Dans ce pays de la Réforme, où cependant l'on semble réformer si peu, quelque docteur à court de mélanges détonnants ou de torpilles sensationnelles—avec tous ses défauts, bien préférable la Môme!—devait songer à réformer le pantalon féminin. Il est vrai que, malheureusement, cela ne dut faire de mal à personne et bien peu gêner les plantureux séants qui, huit mois de l'année, ignorent totalement l'usage des pantalons.
Ils ne se sont d'ailleurs pas fatigué les méninges, les intellectuels allemands, pour trouver ça: il y a vingt-cinq ans, bien des petites femmes, dont les agents de M. Lépine eurent peine à endiguer la rage réformatrice, en avaient fait autant. Les «Reformbeinkleider», c'est tout bêtement la culotte de bicyclette, sans bicyclette. Seulement, la ménagère allemande qui est à la fois économe et pudique à sa façon, la porte en flanelle, toujours pour économiser les frais de blanchissage et passe par-dessus une jupe. Elle est ainsi vêtue et protégée contre les surprises du froid, je ne parle pas de celles des sens. Pour elle, ils comptent peu. L'accouplement est pour l'Allemande une fonction plus qu'un plaisir et elle ignore généralement, malgré son penchant pour les bocks, «la froide majesté de la femme stérile».
Ce molleton ou cette flanelle se boutonnent sur les côtés par de petites fentes latérales et un élastique passé dans un coulisse les serrent autour du genou.
Non, vrai, on comprend, quand on a contemplé ces pauvretés, le rut qui, lorsqu'ils sont à Paris, pousse les représentants des diverses classes de la grande Allemagne à se ruer—turba ruit ou ruunt—vers Montmartre et vers les divers établissements où d'aimables enfants, ignorant, elles, l'infamie des molletons et des flanelles, montrent, pour aguicher ces clients de passage, beaucoup du blanc de leurs dessous et un peu du rose de leur chair.
Semblables au faucon désencapuchonné du divin Arétin, les verres de leurs lunettes d'or couvertes de buée, le visage rouge et la nuque guettée par la congestion proche, ils halètent de luxure. Un prurit leur monte au cerveau qui, à la sortie du music-hall, leur fera accompagner dans un garni voisin quelque pauvre fille, qui, à juste titre méfiante, aura soin de se faire bailler son petit cadeau, avant de livrer au Werther en vadrouille ou à l'Herman en goguette, son jardin cependant si peu secret.
Que Mercure, qui passe pour réparer les méfaits de Cupidon, soit propice à l'homme aux lunettes! Parfois, cela s'est vu, la fille profitera du sommeil du rustre pour soulager son portefeuille crasseux de quelques billets et il ira, le matin, tout penaud, las d'avoir marché dans son rêve entôlé, raconter sa mésaventure au commissaire de police.
Cet honorable fonctionnaire classera la plainte, comme il convient, et, à son tour, la laissera dormir. Quant à plaindre le professeur Knatschké plus souvent! il n'avait qu'à ne pas tromper madame son épouse ou sa fiancée aux cheveux de chanvre avec la première venue—hein! on est moral ou on ne l'est pas?—puis, c'est toujours autant de repris sur le bandit de grand chemin que cache tout Allemand.
Des «chiffons de papier,» après tout! Allons-nous leur accorder plus d'importance que M. le Chancelier lui-même?
Vraiment, ça sent mauvais. Ces gens-là laissent derrière eux un fâcheux relent de brôme et de chlore. Vite, brûlons du sucre et parlons de la Parisienne, la vraie, que la nécessité de payer sa logeuse et d'assurer la maigre pitance du lendemain, ne force pas à «marcher» avec tous les infidèles qui viennent chercher à Montmartre le paradis de Mahomet qu'Enver-Pacha, malgré ce nom prédestiné, est incapable de leur fournir.
Non moins que la professionnelle de la butte, elle ignore l'emmaillottement des molletons et des flanelles; malgré la méchante concurrence que lui fit, un moment, l'inesthétique culotte de jersey, le pantalon est resté pour elle un objet de première nécessité, dont elle aime à soigner particulièrement l'agencement.
C'est un peu le voile sacré qui, loin de cacher sa nudité attendue, se contente de la voiler et la rend plus désirable. Elle sait la toute puissance des dessous, si réduits soient-ils, et connaît l'entêtante griserie des déshabillés.
Aussi, les pantalons sont-ils, dans son trousseau, l'objet de soins tout spéciaux. Ils la touchent de trop près pour que l'étoffe, ô Tartuffe, n'en soit pas, plus que toute autre, moelleuse. Il n'est pas pour eux, de dentelles trop belles, ni d'entre-deux trop aguichants. La Parisienne connaît l'art des transitions: l'écrin, en s'entrouvrant, laissera apercevoir la radieuse nudité de son corps et la «consolante harmonie» de son ventre. Il faut donc qu'il soit digne de l'éternelle fleur de lotus, vers laquelle appareillent sans trêve les désirs des hommes.
Fût-il très simple, blanc et uni, honnête et bourgeois, à peine orné d'un feston ou d'un volant, il aura encore pour un amoureux tout son charme et même ce parfum de mystère que comporte la cueillaison du rêve que l'on va cueillir. Sous son sabot se détache, au-dessus du bas, en une ligne rose et lisse, la chair des cuisses, et voici, que plus haut, dans l'«envergure harmonieuse» que chanta comme nul autre le bon Théophile Gautier, germe, à travers la fente béante de la batiste ou de la percale
Les pudibonderies bêtes de jadis sont abolies. Foin de l'«inexpressible», de l'«indispensable» ou de l'«innomable», la Parisienne n'a pas plus peur du mot que de la chose. Elle dit simplement, sans songer à mal, son «pantalon» et le vocable évoque aussitôt à l'esprit quelque chose de très féminin et de très charmant. La forme peut varier: pantalon-jupon ou jupon-pantalon; ces orphelins, vêtus de blanc ou de rose, se ressembleront comme des frères. Parfois, conséquence des jupes étroites de ces dernières années, ils affectèrent une forme plus masculine, et plus bravement encore, celles qui les portaient disaient, amusées, leur «culotte».
Les magasins de blanc avaient même lancé un moment un mot et un objet nouveaux qui, d'ailleurs, ne firent pas fortune; le pantalon «couche-culotte».
Chères gosses!
LE PANTALON
ET LA CARICATURE
Finis désormais les nus rayonnants et sans malice du premier Empire et de la Restauration, finis les visions engageantes, les aperçus de cuisses avec lesquels l'imagerie de 1830 raccrochait les passants.
J. Grand-Carteret.