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Le Pantalon Féminin

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Le coude sur la longue planche où elle repassait, il considérait avidement toutes ses affaires de femmes étalées autour de lui, les jupons de basin, les fichus, les collerettes, et les pantalons à coulisses, vastes de hanches et qui se rétrécissaient par le bas»[408].

Cette vision des pantalons d'Emma Bovary et la délectation morose du petit Justin devant ces intimités féminines tout à coup révélées à sa jeune curiosité, semblent, après la Pucelle de Belleville et le Confessionnal des Jésuites, constituer les débuts du pantalon dans le roman contemporain.

Depuis, on en a abondamment usé, abusé même.

Accessoires nécessaires des déshabillages prévus, «difforme pantalon blanc» ou «pantalons hospitaliers»[409], parfois il a fourni prétexte à nouvelles, sinon à roman.

Trois nouvelles de Carolus Brio lui sont consacrées: Flagrant délit,[410], Leurs sales bicyclettes,[411] et Le pantalon de Luce[412].

L'excellent sociétaire de la Comédie-Française M. Maurice de Féraudy a fait jouer le Pantalon de la Baronne et quelle place n'occupe-t-il pas dans l'œuvre diverse et documentée autant que pimentée de Willy?

Que Suzette remette le sien dans le décor connu du home de la rue de Courcelles, la «frissonnière» de Maugis, dont tant ont fait volontiers leur «petit home», ou que, chez la Triple Veuve, elle le retire, déchiré et tombé dans ses jambes, elle aura eu le temps dans l'intervalle, de chercher à «lâcher» l'obèse, chauve, libidineux et spirituel philosophe[413].

Willy en est un, à sa manière, et entre le pantalon dont on noue les cordons et celui que l'on quitte, il y a bien place pour une tranche de vie.

Avec le Pantalon de Mme Desnou, d'Henri Beauclair, c'est le roman à la fois bourgeois et ancillaire, toute la lyre! Enfin, la Jeanne d'Adoré Floupette a sur d'autres la supériorité d'avouer et même de démontrer péremptoirement au tribunal qu'elle porte sous ses jupes le pantalon de la notairesse[414].

Il n'en était pas de même à Solignac (Haute-Vienne) dont la châsse et mon homonyme l'antiquaire Dufay ont révélé à beaucoup l'existence. En présence des dénégations de la délinquante, une des servantes de l'auberge, la mère de la plaignante, se vit élever par le brigadier de gendarmerie—sans pitié, mais non sans pudeur—à la dignité de matrone et dut faire sous les jupes de la fille les recherches qui amenèrent la découverte de la flanelle populacière et peu close de sa progéniture.

Quand on n'est pas couvert par l'autorité de ce corps d'élite, c'est une plaisanterie assez risquée de vouloir, avec nos humoristes nationaux, constater à un dîner de noces, si la mariée a ou n'a pas un pantalon.[415]

Mieux valent—hantise des dessous—les «souvenirs» ou «visions» du Gaga, par lui crayonnés à foison: «corsets», «pantalons blancs», «chemises même»[416]. Ce sont des petits jeux qui ne font de mal à personne, en attendant que la paralysie générale y mette un terme.

Cette hantise, pas un de nos romanciers ne semble y échapper.

Afféteries poudrerizées, réalisme brutal, élégances perverses, cantharides et piments, fruits verts ou déjà presque blets, c'est, blanche et rose, ou bleue, la chanson des dessous; «ce sont les secrets des dames» non plus «défendus à révéler», mais que l'on se fait gloire d'étaler abondamment aux yeux.

L'auteur y prend autant de plaisir que le lecteur. Avec la machine à écrire, on n'a pas à tenir le papier: on peut écrire d'une main.

Certes, dans ce dialogue à la manière de Droz et dans le ton de la Vie Parisienne, on ne prévoit guère les puissantes hardiesses du Mâle et du Happe-Chair. Camille Lemonnier, alors à ses débuts, signa pourtant ce tableautin et rien n'est plus convenable. La scène se passe entre mari et femme, les amusements tolérés des oarystis, les bagatelles de l'alcôve:

«Ma femme (riant).—Devant! Tu as des idées vraiment... Devant! tu n'y penses pas, on aurait l'air... Tiens, prends mes jupons... mais certainement l'air... Attends: je vais te passer mes pantalons... Ah, mon Dieu! voilà ma jambe qui ne veut pas sortir... (Elle me jette ses pantalons) Enfin! Attrape![417]»

Bien bourgeois, bien honnête, bien Second Empire, ce déshabillage, ce devait être du madapolam et nous n'en sommes pas encore aux pantalons de Mme Lupar, ces «pantalons de transparente batiste, une ondée laiteuse, qui coulait par-dessus le rose des cuisses jusqu'à l'agrafe d'or de la jarretière»[418].

D'Ernest Leblanc, le causeur charmant, si plein d'anecdotes et de souvenirs, ce joli déshabillé nuptial dans sa Dépravée.

«Elle enleva complètement le corsage, tandis que le murmure de la soie accompagnait chaque mouvement de ses bras renversés. Et elle apparut droite, la poitrine en avant, avec ses bras nus et ses épaules superbes qu'encadraient, un peu bas, les fantaisies capricieuses et transparentes de la Valenciennes.

«Puis ce fut le tour des jupes. Il y eut un grand froufrou. Gaëtan ferma à demi les yeux et détourna la tête. Décidément, l'idole allait apparaître.

«A peine eut-il repris courage qu'il se retourna vers elle. Il crut à quelque transfiguration.

«Du flot des jupes entassées émergeait, avec mille ondulations charmantes, une sorte de jeune garçon, un peu replet d'ici et là, dont le costume ressemblait à ses costumes d'été lorsqu'il était enfant et qu'il portait des pantalons brodés. Il n'osait plus lever les yeux. Il était embarrassé. Il se sentait rougir»[419].

L'élégance du pantalon s'est affirmée et affinée en effet. Foin du madapolam, des jambes droites et des trois plis bêtes: c'est, au lendemain d'un bal, traînant sur le tapis, la batiste chiffonnée et froissée, «avec sa multitude de volants serrés par les rubans étroits en soie mauve qui se festonnent dans sa longueur»[420].

Si cette batiste contient des microbes, elle conserve plus encore des parfums, «corrompus, riches et triomphants». L'atmosphère est tiède et irritante, une odeur forte de blonde à laquelle les muscs des dessous mêlent leur gamme, y persiste et monte à la tête. Il y a de quoi vraiment troubler la virilité d'un adolescent.

«Mme Brière ajouta après une courte hésitation:

—Tu peux entrer.

«Louis poussa la porte; et sitôt dans la chambre, dont les deux fenêtres étaient fermées ainsi que la porte qui communiquait au dortoir des garçons, il fut pris au cervelet par l'odeur de femelle qui se concentrait dans la pièce ainsi hermétiquement close. Une odeur âpre de blonde, aiguisée du mélange des parfums irritants dont Gabrielle, depuis quelques semaines, aromatisait ses dessous. Et ces dessous faisaient des tas pêle-mêle; les bas par ci à côté de la chemise qui affaissait son rond blanc sur le parquet, très chiffonnée de mille petits plis fins et mouillée sous les bras, avec un recroquevillement de la dentelle, sur laquelle la robe avait déteint en plusieurs couleurs; la jupe par là, avec les jupons au centre encore à moitié ballonnés, et le pantalon dégonflé aplatissant ses jambes fripées»[421].

Cette page de Trézenik est d'une bonne écriture naturaliste. L'observation est exacte et ne fait grâce d'aucun détail, pas même l'arc-en-ciel laissé sur la chemise par l'humidité alcaline des aisselles. Mais, Huysmans, qui ne songeait guère alors à la Cathédrale, n'a-t-il pas consacré au «Gousset» un véritable poème en prose[422]?

Chez Maizeroy, la phrase elle-même semble devenir une caresse. Romancier des amants, comme nul autre, il sait peindre leurs jalousies et leurs angoisses. Il sait le pouvoir de ce linge qu'a porté la bien-aimée, il en sait le pouvoir, comme il en dit l'élégance:

«Au travers du lit, sur la courte-pointe d'un vieux rose éteint, se détache tout chiffonné le pantalon de batiste qu'elle a porté, si léger, si court avec des flots de valenciennes, des fanfreluches de ruban, un de ces pantalons qui ne dépassent pas les jarretières de dentelles, qui affolent un amant mieux que l'étal impudique de la nudité»[423].

Et l'amant se jette sur ces voiles abandonnés, les déplie et les inspecte, cherche à y retrouver le parfum qui l'affole et à leur arracher l'aveu de la faute:

«Je me suis jeté sur le pantalon, sur la chemise avec des mains raidies qui vacillaient, je les ai dépliés, je les ai respirés, j'ai cherché dans leurs dentelles, dans leurs radieuses blancheurs une déchirure, le griffonnement des doigts qui s'accrochent, une tache, un indice qui atteste la faute plus qu'un aveu»[424].

Ou c'est, dans P'tit Mi, au milieu des greniers de la préfecture, la silhouette dont on a abusé du «gamin effronté et vicieux». C'était gentil aux environs de 1889, lorsque les vers de M. Jean Rameau portaient encore sur les belles dames que le snobisme faisait monter au Chat Noir et feindre de s'intéresser à la chose littéraire. Aujourd'hui, il semble terriblement vieux et rococo le gamin vicieux—pourquoi pas les pantalons de clergyman de Mme Dieulafoy? M. Henri Bordeaux lui-même n'oserait pas l'employer, si sa belle âme daignait s'abaisser à de pareils tableaux et il n'est échappée de couvent qui vous en fasse grâce avant de consentir à le retirer.

«C'était autour de ce corps souple et onduleux dont la grâce féline, les contours indécis d'une affolante sensualité eussent ravi quelque artiste décadent, la tombée successive du peignoir, du corset délacé, des pantalons fanfreluchés qui, un instant, lui donnaient l'air d'un gamin effronté et vicieux»[425].

C'est encore Minne, grande et mariée, conservant, dans ses essais d'adultère, à la poursuite d'un frisson lent à venir, ses dessous simples et démodés de pensionnaire:

«Il voyait Minne en pantalon, et qui continuait son déshabillage tranquille. Pas assez de croupe pour évoquer la p'tite femme de Willette, pas assez de mollet non plus. Une pensionnaire fourvoyée, plutôt, à cause de la simplicité des gestes, de la raideur élégante, et aussi à cause du pantalon à jarretière qui méprisait la mode, pantalon étroit qui précisait le genou sec et fin»[426].

Le décor change, mais Minne reste la même. Avec son impudeur ingénue et tranquille, elle se déshabille, offrant à Maugis, soudain devenu paternel, le royal provin de sa chair jeune et souple[427].

C'est aussi Flory Bruno, la fine diseuse, se rhabillant dans sa loge, devant son gigolo Georges Bonnard, sans se soucier de ce que la fente de ses culottes bâille peut-être plus qu'il ne convient:

«Bien qu'elle n'eût encore revêtu ni jupon, ni jupe, ni corsage, et qu'un petit bout de chemise s'évadât par la fente de son pantalon, Flory, la tête redressée, le bras tendu, les sourcils froncés, rayonnait d'une telle autorité que Georges, docilement, répondit...»[428].

Ah, l'amour!

Non, vraiment, on ne peut pas reprocher à Willy d'être égoïste. Il nous fait assister avec une bonne grâce charmante aux déshabillages de ses héroïnes. Rézi se rhabille aussi vite qu'elle se dévêt, que ce soit bien pour Renaud ou pour Claudine. Ses gestes sont exempts de tout embarras:

«Ah! je savais bien Rézi est là, elle est là, pardi, qui se rhabille ... En corset, en pantalon, son jupon de linon et de dentelle sur le bras, le chapeau sur la tête, comme pour moi»[429].

Pauvre gobette, elle avait joué avec le feu, et ignorait cette confession d'une jolie femme à qui ces fantaisies n'étaient pas tout à fait inconnues:

—Moi, c'est curieux,... après... c'est toujours du mari que j'ai envie!

Il n'est jusqu'à Claudine elle-même qui n'apparaisse en pantalon et, devant «cette petite en pantalon», son grand mari de voir rose:

—... Faites donc comme si vous étiez mon amant.

«Mon Dieu, il me prend au mot! Parce que je viens de relever, d'un pied leste, mon jupon de soie mauve tombé à terre, mon grand mari se mobilise, féru de la double Claudine réfléchie dans la glace.

—Otez-vous de là, Renaud! Ce Monsieur en habit noir, cette petite en pantalon, fi! Ça fait Marcel Prévost dans ses chapitres du grand libertinage[430].

Et ce qu'il prête, le misérable, avec ses dentelles et la complicité de sa fente, aux jeux,—pas si vilains que prétend le proverbe—de la main et du hasard.

C'est un peu au bois de la Gruerie que nous entraîne Jean Reibrach et je suis convaincu qu'il y aurait fait bonne besogne à la tête de sa compagnie:

«Elle riait, montrant, les deux pieds réunis dans des mules de satin, avec, au-dessus, des bas de soie rose.

—Ah! ça c'est gentil, dit Martiny.

«Sur le mollet une flèche noire, s'élançait perdue sous la broderie du peignoir. Martiny s'approcha. Sisine laissa tomber le peignoir, les jambes vite ramassées sous le canapé... Puis elle avoua que Vermelin faisait bien les choses. Elle alla à l'armoire à glace, montra des chemises, des pantalons. Un moment elle s'attarda, cherchant un pantalon de satin crême, le plus joli, pour lui faire voir; et tout à coup, elle parut se rappeler, éclata de rire:

—Suis-je bête? Je l'ai sur moi.

—Ça ne fait rien! dit Martiny, montrez tout de même!

«Elle se tordit de rire, devenue rose, refusant obstinément.

«Martiny, après une taquinerie sans but n'insista pas. De nouveau, il se déclara vanné, bâilla, puis se levant:

—Au revoir! Je vais faire un somme.

—Déjà!

«Elle l'accompagna jusqu'à la porte, lentement, attardée dans l'entre-bâillement. Comme il descendait, elle le rappela:

—Ecoutez!

—Quoi?

—Venez voir mon pantalon.

—Ah! je veux bien.

«Tous deux rentrèrent:

—Vous ne me toucherez pas, par exemple! Je vais vous montrer la dentelle. Asseyez-vous là! Soyez sage!

«Pourtant elle ne montrait rien, l'air craintif, tout à coup enfermée dans une pudeur. Il dut insister, finit par soulever le peignoir:

—Voyons! Je n'y toucherai pas! Rien que la dentelle!

«Comme il approchait la main, elle prit un air de bouderie, se ramassa sur elle-même. Non, elle ne voulait pas; il n'était pas gentil; pas de ces choses-là.

—Mais je ne vous touche pas, se récria Martiny.

«Il pesa sur son épaule légèrement pour lui faire lever la tête; alors comme si elle cédait à une violence, elle se laissa aller en arrière, se renversa sur le canapé, les bras sur le visage:

—Oh! non, geignait-elle; c'est mal! c'est très mal! Si Vermelin le savait!

—S'il savait quoi? Oh! non, ça vous pouvez être tranquille. La femme d'un camarade, jamais!

«Sisine rouvrit les yeux, abasourdie. Son imagination avait trotté; et elle le trouva debout, l'air très calme. D'un bond, elle se releva, hors d'elle:

—Alors qu'est-ce que vous faites à me renverser là-dessus? Vous mériteriez que je le dise à Vermelin. Comme si vous n'aviez pas assez de vos saloperies de femmes![431]

En attendant les jeux de mains meilleurs promis par la bienfaisante Anarchie, «Déesse aux yeux si doux», cela s'appelle l'Occasion manquée et ne se pardonne guère.


La femme ne prévoit pas en général ces pannes d'allumage, aussi tient-elle à conserver le souvenir des dessous qu'elle avait pour un premier adultère, du pantalon principalement, ce parvis du temple, condamné souvent au rôle de témoin, quand il n'est pas la première victime d'un sacrifice parfois trop hâtif.

«Notons bien, pour me le rappeler plus tard, quelle était la toilette de mon adultère:

«Ma simple petite robe de drap vert... parce que le corsage en est divinement réussi... et des dessous à m'en émotionner moi-même, une mousse de dentelles embaumées! Je m'amusai à me regarder longtemps dans ma glace, en simple pantalon, avant de passer le reste, et ceux qui disent qu'une femme n'est pas charmante en pantalon sont des imbéciles... Je les invite à venir se rendre compte! Pauvre petit pantalon!... léger, léger, tout court, presque tout en dentelles, avec ses hautes échancrures liées par trois flots de ruban, pauvre petit pantalon si joli... il est tout déchiré maintenant»[432].

Sans arriver à ces accidents suprêmes, l'amusante Floche du Voluptueux Voyage, nous initie à l'économie de ses lingeries les plus intimes, de ses genoux et de son carnet de blanchissage:

«Quelles pensées avaient pu absorber la comtesse Floche? Elle, si causante d'ordinaire, regardait devant elle d'un air préoccupé. Elle songeait à ses malles, à son linge, à son blanchissage sans doute, car son premier mot, en sortant, fut:

—Mon pauvre pantalon! Je le sens chiffonné, poussiéreux... Pourtant je n'ai pas à me plaindre. Il faut vraiment venir à Venise pour ses dessous. Imaginez qu'ici mon pantalon de huit jours est propre! A Paris, je suis obligée d'en changer deux fois par semaine pour le moins, car, comme je les porte fermés et que je suis cagneuse, c'est tout noir entre les genoux»[433].

Peut-être ne saisira-t-on pas très bien pourquoi, fermés, ils se salissent davantage entre les genoux? Enfin... Une Bruxelloise faisait, d'ailleurs, un jour, devant moi, le même reproche aux pantalons ouverts; à Paris, les bords de la fente devenaient tout de suite «noirs», tandis que, là-bas, chez elle, un pantalon lui faisait facilement huit jours.

Non plus un Voluptueux Voyage, mais un départ précipité, celui de l'institutrice Irma—les voilà bien les progrès de l'instruction primaire!—à qui la posture fâcheuse dans laquelle elle s'est laissée surprendre avec le vicaire du lieu, a rendu la situation impossible dans le patelin où elle étalait ces élégances:

«Les armoires dénudées bâillaient mélancoliquement, éventrées d'un tas de nippes qui s'éparpillaient sur le parquet: des bas roulés en poings, des pantalons comme des cuisses aplaties aux hanches bouffantes, des taies d'oreiller, des carrés de mouchoirs...»[434]

Hélas! que sont les cuisses de ces pantalons, quand, par leur finesse même, ils exagèrent ces redoutables amoncellements de chairs, l'arrière-train des dames trop mûres.

Jean Lorrain, dont l'observation était exacte et cruelle, a tracé cette silhouette de Mme Monpalou en corset et en pantalon. C'est plutôt un épouvantail:

«La scène se passait dans une grande chambre au premier de l'hôtel des Trois-Fontaines. Madame Monpalou l'arpentait à grands pas, les épaules nues, en pantalon et en corset; sa formidable croupe ballonnant sous la batiste d'une lingerie de luxe, sa forte taille embastionnée dans un «Léoty» de satin ponceau de la même nuance que la chair de ses joues, de sa poitrine et de ses bras»[435].

Le musée des horreurs! Aussi conçoit-on l'effroi d'un brave bourgeois de Pont-sur-Yonne à voir les charmes blets de son épouse arborer ces coûteuses et voyantes lingeries:

—Comment!... sa femme faisait faire pour deux mille francs de pantalons et autres balançoires?... C'était raide!...[436]

Des fantaisistes ont, je le sais—ces êtres-là sont adorables—chanté le los de la grosse dame en pantalon, et ce qui est pis, en pantalon de flanelle. Le paradoxe est amusant et mérite d'être reproduit:

—Oh! me disait un jour un de ces sincères amis du beau, quel inoubliable moment que celui où l'un après l'autre, sont tombés les voiles! Ses bras énormes avaient un air bon enfant sous la chemise de toile commune. Elle négligeait ces recherches des femmes habituées aux aventures. Tout chez elle était naturel et sincère, jusqu'aux vêtements de dessous. Sous le genou de tendres jarretières bleues à boucles d'acier les plus larges qu'ait jamais vendues le magasin de Pygmalion, faisaient pour ne pas éclater un effort désespéré. Enfin, quand enveloppé dans le pantalon de flanelle rouge, m'apparut l'énorme développement de ses formes, ce fut une vision de poète oriental!»[437]

L'esprit excuse tout et la Vie Parisienne en a assez pour qu'on ait tôt fait de lui pardonner cet étrange plaidoyer; mais, éloignez de nous, Seigneur, ce calice et chassez loin aussi l'ombre falote de Mme Péruwels, la «chaleureuse Belge» de l'Hôtel de Fontenoy et ce «truculent pantalon de flanelle rouge qu'elle porte du 15 octobre au 20 mars, jour du marronnier».

L'excellente femme aime à le «dévoiler comme par hasard», le matin, dans la chambre de ses locataires: «Ça la débarbouille...»[438] Elle n'est point notre hôtesse et nous n'avons souci de ses ablutions, si intimes soient-elles.

Les romanciers étrangers, dans le Nord s'entend, où l'usage du pantalon est constant, n'ont pas plus que les nôtres, échappé à la contagion et ont eu soin d'en faire porter à leurs héroïnes.

Dans sa douloureuse autobiographie, le Plaidoyer d'un fou, Strindberg a peint, lui aussi, un départ, un départ qui est en même temps une rupture et une femme ne rompt pas sans compter et emporter son linge:

«Dans le salon tout annonce la dissolution du ménage. Du linge traîne sur les meubles, des robes, des jupons, des habits. Sur le piano, là j'aperçois des chemisettes à entre-deux que je connais si bien. Sur le bureau s'élève toute une pile de pantalons de femmes et des bas, mon rêve de naguère, mon dégoût d'aujourd'hui. Elle va et vient, remuant, pliant, comptant, sans vergogne, sans honte.

—Est-ce moi qui l'ai en si peu de temps corrompue? me dis-je en contemplant cette exhibition des dessous d'une femme honnête.

«Elle examine les hardes et met de côté ce qui peut encore aller au raccommodage. Elle prend un pantalon dont les cordons sont arrachés et le pose à part. Tout cela avec un calme parfait.»[439]

Au cours d'une nouvelle de Peter Nansen, Marie, dont M. Gaudard de Vinci, a publié la traduction dans la Revue Blanche, c'est un déshabillage et sa psychologie. J'en détache ces lignes:

«Les rubans se dénouent et se dégrafent des agrafes, les jupons glissent et le corset sur le plancher. D'où vient cette gentille personne en pantalons se blottir sur ma poitrine.

«Qu'elle est petite en petit garçon, la grande jeune fille de tout à l'heure»[440].

Le «petit garçon» n'est pas tout à fait un inconnu, toutefois, il marque moins que le «gamin vicieux» et il faut savoir gré à M. Peter Nansen de nous avoir évité cette redite.

Encore que le pantalon lui soit à la fois un objet d'horreur et d'envie, il n'est jusqu'à Armand Silvestre qui ne lui ait consacré une nouvelle entière: le Pantalon d'Héloïse.

Puis, c'est, à la garden-party offerte par Mme Hackel-Cadosch, l'accident qui, sous ses jupes, embarrasse fort Suzanne de Lizery et auquel l'infortunée cherchait à remédier, lorsque survinrent le fâcheux Napoléon-Démosthène et Rebecca elle-même.

—Oh! mon vieux Maugis, soupira Mme de Lizery... Ne vous moquez pas de moi... Il m'arrive la plus terrible chose qui puisse arriver à une femme, surtout dans le costume que je porte.

—Le plus grand malheur qui puisse arriver à une femme?... Vous perdez votre pantalon? dit Maugis avec une sombre certitude.

—Vous l'avez dit! Que faire, mon Dieu... je ne puis pourtant pas le laisser glisser et s'abattre à mes pieds...

—C'est bien dommage... Mais ne nous frappons
pas, Suzette! Nous voici près du perron. Franchissez-le et gagnez le cabinet de toilette de Mme Hackel-Cadosch... Courez, patinez-vous! Kouropatkinez-vous même... je couvrirai votre retraite.

«Mme de Lizery se hâta de suivre ce sage conseil. Quand elle parvint dans le cabinet de toilette il était temps... ou plutôt il n'était plus temps. Malgré tous les efforts qu'elle faisait pour la maintenir à deux mains à travers sa robe, l'enveloppe intime, où tenait le bonheur de quelques aimables gentlemen, glissa le long de ses jambes et tomba sur ses bottines blanches.

«Les chevilles empêtrées dans cette entrave de dentelles, Suzette s'activait à la recherche des indispensables épingles, tout en maugréant contre la trahison de ses dessous...»[441]


CES DEMOISELLES DE LA DANSE

L'introduction du pantalon dans la toilette féminine a révolutionné la chorégraphie parisienne.

Bertall.

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