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Le Pantalon Féminin

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Drop Cap I

Il y aurait là, semble-t-il, matière à un chapitre assez amusant à ajouter à l'histoire du pantalon féminin. Des caricatures anglaises dans lesquelles le pantalon apparut sous les jupes des premières ferventes, non de la pédale,—elle n'existait pas encore—mais de la draisienne, aux suggestives combinaisons de Fabiano, ce serait rappeler, par le dessin et par les légendes qui l'accompagnent, les étapes du pantalon.

En même temps que son usage se généralisait et s'imposait, la hardiesse des dessinateurs croissait et ne tardait pas à en indiquer les moindres détails. Au lieu de sa silhouette esquissée à grands traits, ils ne reculent plus maintenant devant le réalisme de sa fente et devant la note gamine du pan de la chemise qui s'échappe, quand ce n'est pas un coin de chair qui apparaît.

La Parisienne en corset—le corset noir de Mme Moraines—et en pantalon: n'est-ce pas un peu la Montmartroise de Willette, cet être exquis, chiffonné et charmant, destiné à révéler à nos neveux une Butte sacrée qui déjà n'existe plus, si jamais elle a existé. Le talent et l'imagination de l'artiste a, en effet, poétisé et synthétisé toutes ces échappées du Moulin de la Galette et de tous les moulins où l'on danse, pour en faire sa Colombine, chantant, mieux que toute autre, la bonne chanson des vingt ans et des libres amours. Le prisme de Pierrot leur a prêté les couleurs de l'arc-en-ciel.

Mais, laissons cela. Cette petite femme en pantalon, qu'elle soit de Boutet, de Forain, de Gerbault, de Préjelan, de Guillaume, de la Nézière ou de Vallet, nous entraînerait trop loin. Maison de rendez-vous, hôtel garni ou garçonnière, l'aventure, pour amusante qu'elle puisse paraître, ne laisserait pas d'être banale et se terminerait à la manière accoutumée.

Fantaisies, épidermes, phrases dépourvues de suite, brusque sursaut hors du lit, eau tiède, animal triste... ou gai: gardons-nous d'«évoquer les minutes heureuses» et bornons-nous à étudier la place prise par le pantalon dans les légendes des caricaturistes.

Pour éviter l'ennui d'une redite, je ne reviendrai pas sur les légendes de Hadol, de Randon, de Bertall ou de Grévin, qui ont trouvé place dans les chapitres précédents.

Le pantalon est un objet dont il n'est pas bon pour une débutante de s'embarrasser, quand elle va soumettre à un directeur ses «dispositions», ou du moins, faut-il qu'il soit très court et très... ouvert.

La scène est prévue d'ailleurs. Elles relèvent leurs jupes avec la facilité que d'autres mettent à se coucher ou à s'agenouiller. Le négrier en blanc devant lequel elles montrent le plus possible de leurs jambes vise parfois à l'esprit et joint à sa rosserie celle du mot.

—Je vois ce que c'est... tu auras du succès dans les levers de rideau, fait dire à l'un d'eux, J. Wély, dans un de ses dessins du Rire (29 février 1908).

Les dessous de leurs pensionnaires les intéressent, il est vrai, bien plus que leurs couplets. On connaît cette réponse faite à une artiste et que nota Ibels dans sa Traite des Chanteuses, par le directeur d'une de ces agences où le chantage semblait se pratiquer plus que le chant:

—Hé! je me fous pas mal de vos chansons, c'est votre répertoire de pantalons qu'il me faut![544].

Depuis une vingtaine d'années surtout,—conséquence probable de la campagne de la ligue contre la licence des grues,—le pantalon a pris autant de place, sinon plus, dans la légende des dessins, que sous les jupes de celles qui les portent.

Nos humoristes ont fait bon marché (rayon de blanc) de la pudibonderie bébête qui, longtemps, avait imposé son p'tit cadenas à leur crayon et à leur plume. Le pantalon apparaît dans leurs légendes et dans leurs dessins, depuis le moment où on l'achète jusqu'à celui où on les quitte.

L'ordre semble on ne peut plus logique. Pourquoi ne le point suivre?

De Tézier, dans le Charivari, cette Parisiennerie. A un comptoir d'un grand magasin, une belle dame marchande:

—Bien cher, tout cela.

Et, la bouche en cœur, sur les lèvres le sourire stéréotypé qui fait partie de son office, le vendeur de riposter par cette observation empreinte d'une philosophie que n'aurait point reniée Renan:

—Madame sait bien que ce n'est pas sur les dessous qu'il faut économiser; c'est ce qui se voit le plus.

Les maris sont seuls à en douter, et, contrairement à la légende de Gavarni, ils ne font pas toujours rire:

—Vois, mon chéri, je me suis acheté un pantalon et une chemise tout en dentelles.

—C'est de la folie. Dépenser tant d'argent pour ça!... Qui le verra?

—Eh bien!... toi pour commencer.

(J. Plumet: le Rire, 7 mars 1914.)

De M. de la Nézière, l'un des fervents du vieux Montmartre, dont il a su joliment respecter l'harmonie et le charme, en y faisant construire le plus délicieux home qui soit, non plus le comptoir de blanc, mais le salon d'essayage d'une lingère en renom:

En pantalon, la dame essaie.

—Notre nouvelle création est légère et charmante et madame pourra faire remarquer à tout le monde combien le tissu est agréable au toucher. Madame en recevra partout des compliments.

(L'Indiscret, 1902.)

Il n'est pas bon, pourtant, d'aller offrir de ces fanfreluches à quelque vieille fille échappée de la sacristie la plus voisine, dont la silhouette rappelle assez heureusement celle d'un fourreau de parapluie.

Comme l'a si bien dit notre poète national Blaise Petitveau:

Cette respectable personne
Pourrait ne pas la trouver bonne
Et se laisser aller à de fâcheux courroux.

—Non, mais, dites donc, est-ce que vous me prenez pour une impure?

(Abadie: le Rire, 20 août 1910.)

La petite femme de B. Gautier, encore que rappelant par trop les Parisiennes de Grévin, est vraiment bien préférable et autrement moderne:

—C'est égal, avec des dessous comme ça, une femme peut passer la tête haute.

(Le Charivari, 12 juillet 1893.)

Les trousseaux, la hantise de la lingerie et des dessous! Tout ce qui touche, et de très près, la femme, comme tant d'autres, Catulle Mendès l'avait eue un peu. Aussi, loin de prévoir alors (1902) la mort affreuse du poète de Philoméla, l'Indiscret lui avait consacré un dessin plutôt méchant:

«M. Catulle Mendès (en extase... devant... ou plutôt derrière une jolie mondaine).

—O Providence! Faites que moi, qui crois à la métempsycose, je devienne, après ma mort, pantalon de femme.

«Sa prière fut exaucée; mais, comme sur terre il avait sans compter prodigué ses faveurs..., après sa mort il fut amèrement puni.»

Devenu pantalon, le poète recouvre, en effet, le puissant et énorme fessier de quelque bas bleu hors d'âge, le dernier ponton.

Le Parthénon! Au dessous de ces hauteurs, c'est la ville et son négoce. Devenus calicots, alors que l'agriculture passe pour manquer si désespérément de bras, des déracinés, pommadés et cravatés de clair, vendent à de jolies acheteuses que ces indiscrétions n'effraient pas les parties les plus intimes de leur toilette, et vantent leur marchandise.

Ecoutez celui-ci de Guillaume. Il a toute la sottise et toute la suffisance de l'emploi et doit y joindre l'accent redoutable de Béziers.—On se fait redouter comme on peut:

—Madame préfère les pantalons fermés?

—Oui.

—Madame a bien raison. On est bien plus chez soi.

(Le Frou-Frou, 1901).

Le Frou-Frou semble tenir à cet «on est plus chez soi» qu'un beau jour me servit une jeune femme qui, du moins, avait l'excuse d'être une jeune mariée, une de ces lunes de miel auxquelles le divorce a pu seul mettre un terme. Quatre ans plus tard, on y pouvait lire cette légende, très proche parente de celle de Guillaume, mais moins fine:

—Que penses-tu de mes nouveaux pantalons fermés?

—Exquis, ma chère!... et puis, au moins, on est plus chez soi!

(25 novembre 1905).

Malgré leur élégance et leurs dentelles, les pantalons sont un peu comme la ceinture dorée. Bonne réputation vaut mieux que culotte trop garnie. La tapageuse lingerie bonne à épater les provinciaux en vadrouille, la tournée des faux ducs, ne saurait valoir à sa propriétaire un attachement sérieux (par ses mensualités). Ce sont des nuances que n'ignore point le cœur d'une mère. D'où cette observation d'une matrulle de Forain à sa progéniture, à la suite d'une rentrée tardive:

—Tu ne me feras jamais croire que tu vois des gens comme il faut avec c' pantalon-là!

(Le Courrier français, 19 juillet 1891)[545].

Ces dessous-là ne sont pas davantage indiqués pour aller obtenir d'un créancier un délai sine die, à moins que, pour employer une expression qu'affectionnaient nos grands-pères, on ne le sache porté pour «la bagatelle».

—Je vais aller le trouver ce sale créancier..., on verra un peu s'il a le cœur de poursuivre une honnête femme qui a mère et enfants à sa charge.

—Bien, alors, tu aurais dû mettre une chemise plus simple, ç'aurait l'air plus sérieux.

(Radiguet: le Rire, 20 août 1898.)

Il est, par contre, des parties de campagne et des visites qui commandent impérieusement à la femme de soigner ses dessous. Le linge uni serait, ces jours-là, déplacé.

D'un amant prudent et peu jaloux:

—Tu sais, mets du beau linge, Nini, toutes les fois qu'on va à la campagne chez Georges, on ne sait pas avec qui on couche.

(Conrad: le Frou-Frou, 1901.)

Le fin du fin: savoir prévoir. Il y a, il est vrai, de bien drôles de maisons:

—Mâtin! Quel pantalon!

—Tu sais bien que chez les X..., où nous dînons, on vaccine tout le monde au dessert...

(G. Meunier: le Rire, 22 mars 1902.)

Et ce sont les gendelettres, ces naïfs, les journaleux du petit reportage, virtuoses du chien écrasé ou ténorino de l'interview, ceux qu'étonnent et emplissent d'admiration le très moderne vieux Rouen d'un bidet souvent enfourché et les fausses valenciennes de linges qui ne demandent qu'à être retirés.

Théatreuses

—Quels dessous suggestifs!

—Dame, mon cher, c'est mon jour de réception des journalistes.

(Hil: Paris-Galant, 1910.)

Les maladroits ils ont des stylos qui fuient ou leur hâte de noter ces splendeurs sur leur block-notes leur a enlevé le libre exercice de leurs mains, car sur ces blancheurs point mûres encore pour la blanchisseuse, voici des taches d'encre, qui n'ont point l'excuse de provenir de l'écritoire de Maurice Barrès:

—Ça ne m'étonne plus que le monsieur qui est venu hier ait cru que madame connaissait des journalistes: madame a des taches d'encre sur son pantalon.

(Carlègle: le Rire, 10 novembre 1906.)

Annette, vous croyez donc encore aux tares professionnelles, mon enfant?

Enfin, taches pour taches, celles-là ne sauraient être suspectées et soumises à l'examen des médecins légistes. Elles ne sauraient même empêcher le riche «mariage», pour peu que le michet ait le désir de se créer des relations dans le monde des demi-lettres.

Le michet! Les plus belles et les plus troublantes lingeries lui sont réservées aussi bien à Vienne qu'à Paris.

Au-dessous d'un dessin de Roystrand, une sujette de François-Joseph, le seul et véritable «Increvable» ainsi que le qualifia heureusement le Matin—de se munir en conséquence:

—Le vieux comte doit venir me trouver aujourd'hui pour que j'engage son fils à me quitter! Il s'agit d'avoir du linge capiteux[546].

Qu'il soit «Falstaff ou bien Hotspur», le monsieur s'extasie devant ces élégances, cependant que la poule glousse d'aise et ayant insuffisamment suivi la laïque, lisse ses plumes et ne comprend pas:

—Un prince, oui, ma chérie, un vrai!... Il m'a même dit qu'il aimait mieux mes dessous que ceux de lady Plomatie... une grande dame de sa cour, sans doute... tu parles!

(G. Meunier: le Frou-Frou, 1901.)

Les femmes du monde ne sont pas sans envier, on peut le croire, à ces enfants chères le luxe de leurs lingeries. Il y a comme ça des ambitions qui sont faciles à satisfaire et on leur fait tant de plaisir.

De Gerbault, cette «Ambition de femme du monde». Le dessin et la légende sont charmants:

—Alors vous trouvez que j'ai des dessous de cocotte? Bien vrai? Vous ne dites pas ça pour me faire plaisir?

(Le Frou-Frou, 1901.)

Oui, mais que la femme qui soigne ainsi son linge, les jours de ses cinq à sept, se méfie des belles-mères et des maris jaloux. Ces êtres-là sont terribles et ne sont dupes ni des dentelles, ni des pantalons roses:

—Ugène... méfie-toi! Ta femme met son pantalon rose.

(L'Assiette au beurre, 15 septembre 1902.)

Autre suspicion, celle-là signée Guillaume:

—C'est pour aller chez le photographe que tu mets un pantalon rose?

(Le Rire, 24 juin 1905.)

Encore un qui est près de se douter que, chez le photographe, le pantalon est le plus généralement inutile.

Puisque les caricaturistes tiennent au pantalon rose, il vaut mieux pour la femme que le mari joue aux courses: ce pantalon porto-veine sera pour lui le fin tuyau et lui permettra de ponter sur les grosses cotes:

—Ma femme met son pantalon rose?... Je cours à Auteuil et je joue un louis sur le tocquard.

(Samanos: le Rire, 16 décembre 1911.)

Des raisons analogues nous feront retrouver ce tocquard. C'est là une façon charmante d'utiliser une situation particulière au mieux de ses intérêts sans prêter le... front à la médisance.

Ah! les philosophes qui ne chantent pas la chanson du browning et que laissent froids les papiers et la procédure des avoués.

Le fiancé lui-même, ce bon jeune homme si réservé et un peu godiche, s'enhardit parfois et la fantaisie lui prend de vouloir photographier, avant la lettre, sa fiancée en pantalon.

La blanche brebis a des scrupules et les confie à sa femme de chambre:

—Mon fiancé voudrait me photographier ainsi, en pantalons; ne croyez-vous pas, Catherine, que, pour la fille d'un sénateur, ce serait tout de même un peu risqué?...

(Almanach du Sans-Gêne, 1904.)

De quoi vous plaignez-vous, Mademoiselle, cela prouve que votre fiancé vous croit de jolis pantalons et non de ces horribles madapolams qui interdisent aux filles sans dot d'espérer lever, à la mer ou dans les villes d'eaux, l'amant sans relâche attendu.

Les Départs.

—Non, mais, maman, crois-tu que c'est avec des pantalons pareils que je vais trouver un mari?

(Le Frou-Frou, 1901.)

Mieux valent la douane, c'pas? et les démêlés de cette mondaine qui rive fort bien son clou,—une table, près de la fenêtre,—au personnage, un de ces gabelous, qui n'ont de commun avec Alceste et avec vos rubans, Marthon, que la couleur de leur uniforme.

A la Douane.

—Mais, ces dentelles, ce sont mes chemises, mes pantalons...

—Mazette! On ne doit pas s'embêter avec vous...

—Combien je regrette, monsieur, de ne pouvoir vous en dire autant.

(Balluriau: L'Assiette au beurre,
19 octobre 1901.)

Très joli! mais, au moins, faut-il que le contenu réponde au contenant. Ces élégances siéent mal à une vieille femme ou à une maritorne. Laiderons et dondons, celles dont la graisse déborde de tous côtés, n'ont que faire de ces dentelles. La dame trop mûre, qui a peine à soutenir la gélatine de ses seins et à comprimer, sous le corset, le gras-double de son ventre, fera bien de renoncer à ces gentillesses.

Le pantalon le plus froufrouté du monde n'enlèvera rien à la laideur d'un vilain derrière. Il en fera, au contraire, ressortir l'énormité et le grotesque: salons d'automne que guette le cubisme et auxquels les caricaturistes n'ont pas ménagé leurs traits: les grasses en pantalon.

Pourtant, elles n'ont abdiqué aucune prétention, elles rêvent de conquêtes et volontiers feraient les petites folles:

—Croyez-moi, ma chère, faites comme moi. Soignez vos dessous... Un homme qui trouve en sa femme toutes les séductions d'une fille ne songe pas à la tromper.

(Radiguet: le Rire, 15 octobre 1898.)

Et ce sont des chichis:

—Pardon de vous recevoir ainsi, Arthur, mais si souvent vous m'avez répété que vous adoriez les dessous féminins.

(Engel: le Rire, 22 avril 1899.)

Pas plus que le garçon boucher, le charbonnier n'échappe aux agaceries de ces antiques femelles, presque un détournement de mineur:

—Tu as bien raison, Nini, de porter ce genre de pantalon. Encore hier, chez moi, j'ai fait tourner la tête de mon charbonnier.

(Le Frou-Frou, 1901.)

Les risques de la profession. Comme le peintre, ce fils de l'Auvergne, eût sans doute préféré un bon verre de vin. L'on ne comprend que trop bien la froideur des satyres les plus réputés en présence des agaceries de ces grand'mères qui font les enfants et songent encore à violer le dixième commandement, à des heures où les portes de Charenton et de Chardon-Lagache sont depuis longtemps fermées:

—Vous avez dû remarquer comme moi, chère madame, que les hommes d'aujourd'hui ne savent plus apprécier les dessous féminins...

(Sigl.: Le Rire, 25 juillet 1908.)

L'office, naturellement, s'en mêle, et il n'est jusqu'à la cuisinière, l'initiatrice à l'eau de vaisselle, qui ne risque de se faire flanquer ses huit jours, en arborant des pantalons sensationnels, idoines à griser l'imagination du fils de la maison:

—Je m'suis acheté un pantalon, monsieur Marcel, si madame le voyait, elle me flanquerait à la porte.

(Poulbot: Le Rire, 13 janvier 1906.)

Parfois, elle se contente de l'emprunter aux tiroirs de madame elle-même et quelle rosserie, quelle terrible leçon, dans cette légende de Falke, si le cocquebin osait comprendre:

—Ça c'est gentil d'avoir acheté un pantalon de cocotte!

—J'l'ai pas acheté, j'l'ai chippé à madame votre mère.

(Le Rire, 14 décembre 1912.)

Il faut, cependant, qu'un pantalon soit ouvert ou fermé. Ce dernier est l'exception et je crois peu, pour ma part, au Repos hebdomadaire. Si amusant que soit le dessin de Léonnec, il semble rentrer dans le domaine toujours charmant de la fantaisie.

A pleines mains, une jeune personne, au large chapeau, soulève jusqu'à la ceinture son jupon et sa jupe, découvrant son pantalon clos, sur laquelle se détache cette inscription chère aux courtauds de boutique:

Fermé le dimanche.

(Le Sourire, 14 mars 1908.)

Le mot est drôle—déjà il avait été révélé par le Sottisier du Mercure—mais, ce n'est qu'un mot. On en peut dire autant de cette légende de Gris:

—Comment tu portes des pantalons fermés, maintenant?

—Mais certainement. Toujours pendant les vacances...

—Ah oui! Réouverture en septembre...

(Le Rire, 11 septembre 1909.)

C'est précisément le moment où de très honnêtes dames les reprennent, après les avoir quittés tout l'été. Mais, rassurez-vous: ils ne sont pas fermés.

La plus jeune des arpètes de l'atelier—elle accuse seize ans et en paraît bien treize—ne consentirait pas à les porter ainsi. C'est moins, dans sa bouche, une négation qu'une protestation indignée:

—Ta mère ne te mets plus de pantalons fermés?

—Penses-tu?... j'ai seize ans aujourd'hui.

(Poulbot: Le Rire, 1er octobre 1908.)

Plus jeune d'un an, Nini est moins heureuse. Sa mère, une femme qui sans doute a eu des malheurs dont la jouvencelle est peut-être la conséquence,—l'inconséquence d'un vieux—la condamne aux pantalons fermés qu'elle-même prétend porter:

Les quinze ans de Nini.

—Comment un pantalon fermé?

—Oui, ma fille... comme moi.

(Mirande: Le Rire, 27 décembre 1913.)

L'âge passe vite qui permet aux gamines du quartier de laisser déchirer leurs pantalons, quand ils sont fermés, par leurs camarades du sexe opposé, pour voir ce qu'il y a dedans:

—C'tte sale tête de cochon-là, i m'a encore déchiré mon pantalon.

(Poulbot: Le Rire, 14 novembre 1908.)

Jeux de mains, jeux de vilains. Très préférables pourtant, ces gosses de Poulbot aux septuagénaires, pas toujours bien propres, dont la curiosité semble avoir survécu à la virilité.

C'est encore du pelotage et la morale qui couvre ces méfaits a vraiment bon dos.

Les Bêtes féroces: le moraliste.

—Mon enfant, je vais voir si vous avez un pantalon fermé...

(Roubille: l'Assiette au beurre, 23 septembre 1905.)

Un autre spécimen de l'espèce, c'est le Protestant en voyage, de Willette. Il semble, malgré son collier de barbe blanche qui en faisait presque un portrait, relever, comme le moraliste, du pied dans le derrière, si ce n'est de la correctionnelle ou de la cour d'assises.

En wagon, le Tartuffe, non moins sensible aux beautés temporelles qu'à leurs sœurs éternelles, ne peut résister à la tentation de se livrer à une petite enquête touchant les dessous de la jeune femme qui partage avec lui la solitude d'un compartiment de première:

—Si je regardais voir si elle a un pantalon?... Allons du courage, c'est pour la morale.

(Courrier français, 3 décembre 1893.)

L'enquête n'a pas donné, paraît-il, un résultat favorable; Tartuffe a tâté une étoffe plus moelleuse que la jupe d'Elmire, aussi, cachant son trouble sous une apparence paternelle et bonnasse, offre-t-il à sa voisine un de ces pantalons dont sa valise contient toujours des échantillons:

—Ça coûte donc bien cher, un pantalon, ô ma sœur?

(Le Courrier français, 21 janvier 1894.)

La chère petite n'a pas pris seulement goût aux préludes comme Héloïse, elle a pris également goût à l'objet. Le couple est installé maintenant à l'hôtel. En bras de chemise, l'homme zieute par-dessus ses lunettes et sa Bible, l'aimable enfant, dont, moqueurs, les seins saillent hors du corset, cependant qu'un court et coquet pantalon ceint ses hanches—pures et radieuses, ô Marguerite—et dessine le contour ferme des cuisses.

A coup sûr, il en aura pour son argent—on n'en saurait dire autant de la pauvrette—mais, c'est égal, 80 francs un pantalon de propagande, il faudra, au retour, joindre à la note de la lingère quelques frais accessoires pour la faire «registrer» par le comptable de la Ligue:

—Parfait!... mais 80 francs un pantalon... Je vais être grondé à la Ligue.

(Le Courrier français, 28 janvier 1894.)

Il est un âge auquel on est vite au bout de son rouleau et auquel, pour reprendre le mot d'un maître qui nous est cher à tous, on demande surtout de la patience à sa partenaire. Le petit voyage est terminé: ils ont repris le train, Malicieuse, émoustillée par quelques détails croustillants, elle lit la Bible; Lui, méthodique et méthodiste, replie le pantalon qu'il vient de lui retirer, prêt à le renfermer dans la fameuse valise.

Lui.—Décidément, le pantalon est incommode; rangeons-le comme objet de propagande.

Elle.—Mais il est rigolo pain de seigle, son bouquin!

(Courrier français, 11 février 1894)[547].

Les vieux, les vieux, sont des gens heureux, avons-nous dit: à condition de n'avoir point soif, ils ne doutent de rien, à moins que déjà ne se fasse sentir l'effet de cette trépidation des trains, que le bon poète Armand Masson chanta en un poème lapidaire:

La trépidation excitante des trains
Vous glisse des désirs dans la moelle des reins:
Pan! un enfant!

Ah! non, pas ça: ce serait peut-être un singe.

Pour revenir aux pantalons fermés—parlons-en toujours et n'en portons jamais—qu'un linger n'aille pas envoyer par un trottin une culotte aussi saugrenue à une de ses clientes. L'accueil serait plutôt froid:

—Des pantalons fermés! Est-ce que votre patron me prend pour sa femme?

Ou, fermé, faut-il, du moins, qu'un pantalon se puisse ouvrir:

Chez le marchand de linge.

—Ouvert ou fermé?

—Bah! fermé, mais que ça puisse s'ouvrir!

(J. Wély: Le Frou-Frou, 1901.)

Malheur à la camériste qui, par mégarde, aura donné à sa maîtresse un pantalon fermé, le jour où elle doit voyager avec de vieux messieurs. Nous retombons dans refrain connu: c'sont là des chos' qu'un' femm' n'... pardonn' pas.

—Vous savez, ma petite, la première fois que vous me donnerez des pantalons fermés les jours où je dois voyager avec des sénateurs, je vous retiendrai un mois de vos gages!

(Chantelaine: L'Indiscret, 1902.)

Même au bal de l'Opéra, où, dans les couloirs, la galanterie française aimait à revêtir une brutalité toute germanique pour tripatouiller les dessous des dominos, la plupart ne s'embarrassaient pas d'un pantalon fermé. Au besoin, si elles craignaient par trop les mains froides, elles recouraient à l'épingle cruelle pour clôturer l'entrebâillement de la fente:

—C'est qu'on dit qu'à l'Opéra, ils sont très entreprenants.

—Tant pire pour eusses..., ils trouveront des épingles.

(Lourdey: Le Journal pour tous, 29 janvier 1896.)

Les imprudentes, il n'en faut souvent pas davantage pour ruiner les plus belles espérances:

—Et ne laisse pas d'épingle à mon pantalon comme l'autre jour. Il n'en faut pas plus pour briser une carrière.

(Paris-Galant, 1913.)

Il y a des plaisanteries faciles que les humoristes, comme les revuistes, n'ont garde d'omettre:

—Mon amant aime que mes pantalons soient tout roses!...

—C'est curieux, le mien préfère qu'ils soient tout verts!...

(Almanach du Sans-Gêne, 1904.)

Chanson analogue:

Idylle.

Lui.—Avec ta manie de toujours t'asseoir sur l'herbe, voilà que mon pantalon est tout vert.

Elle, —distraite.Eh bien, ferme-le.

(Le Rire, 4 juillet 1903.)

Il y a, cependant, des fantaisistes pour les porter tantôt ouverts, tantôt fermés, suivant leurs inspirations, suivant la couleur du ciel ou leurs projets. Dans ce cas, si peu observatrice qu'elle soit, leur femme de chambre saura à l'avance, suivant le modèle choisi, si Madame rentrera dîner le soir avec son mari, ou si elle rentrera en retard pour le déjeuner:

—Madame mettra-t-elle une combinaison?

Un pantalon ouvert, Justine, avec de la valenciennes.

Justine,—étourdiment ou effrontément.—Alors, Madame ne dîne pas avec Monsieur, ce soir?

(Vallet: Vie Parisienne.)

De Vallet également:

Justine.—Ouvert ou fermé, le pantalon de Madame?

Madame.—Ouvert, Justine, ouvert avec des nœuds roses.

Justine, à part.—Allons bon on va encore déjeuner en retard ce matin!

(L'Indiscret, 1902.)

Cette Justine—son prénom l'y autorise—semble ne pas ignorer «les malheurs de la vertu». Un mari qui n'ignore pas les siens saura également quand il devra tenter la veine à Auteuil ou sur la pelouse humide des suburbains. Le pantalon ouvert constitue, pour certains, comme le pantalon rose, un pronostic:

Le bon tuyau.

—Si elle se colle un pantalon ouvert... Je prends le toquard dans un fauteuil...

(J. Wély: le Frou-Frou, 1901.)

Le pan de chemise de Nana et d'Echalote, le fâcheux pan de chemise, parfois si amusant, ne pouvait, naturellement, manquer de tenter la verve des artistes. Le plus souvent, tel Marcel Capy, le peintre des lys, Capy des lys, tels Gerbault ou La Nézière, ils se contentent de le dessiner. Parfois, pourtant, ils le font intervenir dans leurs légendes:

De Carlègle, ce quatrain:

De son amie, Untel remarquant la chemise
Qui passait par le pantalon entre-bâillé,
Répéta ce dicton qui lui parut de mise:
«Il faut qu'un pantalon soit ouvert ou fermé.»

(Le Rire, 24 mars 1906.)

Ce pan, corollaire inévitable des pantalons ouverts, certaines le craignent, d'autres en rient, de plus nombreuses s'en moquent. Intimement lié aux dessous, il fait partie des déshabillés. La mondaine n'y échappe pas plus que la midinette ou que la professionnelle: passe hâtive ou liaison sérieuse, il manque rarement de jeter, une fois la jupe tombée, sa note gamine.

Leurs Gueules.

Celle de l'ancienne pensionnaire des Oiseaux Adultère avec la croix et la bannière

(Grün: l'Assiette au beurre, 18 mars 1903.)

C'est l'exception quand, sous les jupes d'une femme troussée à l'improviste, la «bannière» n'apparaît pas; aussi, au-dessous d'un dessin qui aurait pu joliment illustrer la fameuse scène de l'Assommoir, Balluriau a pu tracer, exclamative, cette légende:

Batailles de femmes. Le duel au lavoir.

—Ah! mince alors! Madame a peur des courants d'air?... Le pavillon est en berne!

(Le Rire, 28 octobre 1905.)

Le grand pan n'est pas mort.

Mieux que les manifestations féministes et que le raffut momentanément oublié des suffragettes, le pantalon a amené entre les sexes une sorte d'égalité. Comme Monsieur, Madame a son pantalon et en est fière. Le vieux rêve de toutes les femmes de porter culotte est exaucé. Souriante, une petite femme de Gerbault s'exclame, dans le Rire, avant de dépouiller l'inutilité de cette lingerie:

Égalité.

—Vous faites le fier parce que vous êtes un homme. Eh bien quoi? moi aussi, j'ai un pantalon.

Ce pantalon se prête à tous les sports, aussi bien au jeu un peu désuet du saute-mouton qu'à la séance d'équitation si fâcheusement interrompue de Marthe Payet, à Bayreuth.

Au-dessous de deux fringantes déshabillées se livrant à cet innocent amusement, L. Vallet a placé cette invitation moins innocente:

Great exhibition.

Mme la comtesse Ida de Monplaisir et Mlle Ninon de Chabot ont l'honneur de prévenir leur nombreuse clientèle de l'ouverture de leur grande exposition de blanc.

(Le Frou-Frou, 1902.)

Objets d'art nouvellement arrivés—ne mettons pas débarqués—de la Chine et du Japon... On les connaît ces expositions et le bristol qui invite à les visiter... On y est généralement d'un louis.

D'aucunes, assez nombreuses, aiment à s'attarder en pantalon. Elles se trouvent charmantes ainsi et elles n'ont pas tort. C'est un déshabillé coquet et commode, à condition, toutefois, que la femme soit jeune et qu'elle ne tienne ni de la poupée de Jeanneton, ni de la Vénus hottentote.

Ainsi, il ne saurait convenir à la femme du herr professor, la Diane des fesses, ni même à la milliardaire américaine, quand elle a atteint l'âge de la Baronne. Ces très ci-devant jouvencelles marcheraient encore volontiers; mais, hélas! le chic et le sac ne marchent pas toujours d'amble:

—T'as le sac, mais pour le chic, faudra repasser, ma vieille.

(Grandjouan: le Rire, 28 mai 1904.)

Trop de teutons. Cette jeune Viennoise a pour elle la jeunesse; elle voudrait bien, elle aussi, marcher, mais, point assez moderne pour prendre un amant, il lui faudrait la croix en plus de la bannière que déjà elle possède. Pour mieux goûter plus tard aux joies de l'adultère, à sa toilette, elle songe au bon motif en attendant le meilleur:

—Ces imbéciles d'hommes, avec leurs compliments: combien je suis plus jolie dans ma toilette de bal. S'ils savaient combien plus jolie je suis sans aucune espèce de robe, depuis longtemps déjà, l'un d'eux m'eut épousée.

(Wiener Caricaturen, 1903)[548].

Dame, on fait bien des choses, habillée, ou à demi-déshabillée, comme le confessait, un jour, une aimable femme, et le pantalon se prête autant à ces petits jeux que les jupes entravées, les corsets trop longs et l'arsenal compliqué des jarretelles les rendaient parfois difficiles, sinon dangereux.

Monsieur,—le ménage doit aller dîner en ville,—ayant déjà revêtu le frac, presse Madame, à qui il ne reste plus qu'une épingle à mettre... à son pantalon:

—Eh bien, es-tu prête?

—Cela dépend pourquoi.

(Fabiano: le Rire, 7 décembre 1907.)

L'heure du berger. Malheureusement, le mari lui préférera sans doute celle du dîner: les amants ont toujours beau jeu.

Que Rézi, cependant, si elle conserve son pantalon, enlève au moins son chapeau. L'Amour porte un bandeau—et à l'œil encore—et non un Gainsborough.

—Oui, mon cher, je suis fantasque, originale..., il faut me prendre comme je suis.

—Retire au moins ton chapeau.

(Paris-Galant, 1910.)

Dans les ministères, comme dans les hôtels meublés, les cloisons sont minces. C'est l'époque impatiemment attendue où se prépare la promotion violette. Les candidats sont sur les charbons et les attachés de cabinet, non sur les dents, mais sur les boulets.

N'ayant déjà plus que son pantalon, une jeune femme perçoit la scène insuffisamment muette qui se joue de l'autre côté:

—Tiens, tiens, j'entends dans le bureau à côté une dame qui est aussi en train de faire décorer son mari.

(Paris-Galant, 1913.)

Souvent, ô fonctionnaires, l'élégance ou la couleur d'un pantalon auront plus fait pour votre boutonnière que l'ennui pesant et si parfaitement inutile des heures de bureau:

—Je serais curieuse de savoir qui enlèvera les palmes: les quinze ans de service de mon mari ou mon pantalon mauve!

(Préjelan: l'Indiscret, 21 mai 1902.)

Ah! le dévouement des épouses.

Combien, sans être montées jusqu'au Ministre pourraient lui adresser le même reproche que cette aimable empantalonnée de Gerbault:

Décoré.

—Dis donc, mon p'tit ministre, pourquoi donc, pour la décoration de mon mari, n'a-t-on pas mis à l'Officiel: «Pour services exceptionnels de sa femme?»

(Le Rire, 10 février 1906.)

L'épreuve peut n'être pas trop pénible, même pas pénible du tout, quand on a affaire à un jeune attaché dont la fine moustache fleure l'ambre et dont les lèvres sentent appeler le baiser; il y a, par contre, les directeurs et les chefs de bureau déjà lézardés avec lesquels ça devient une rude corvée.

Ne croyez pas que ce soit toujours drôle l'amour et que la femme ne soit pas souvent la première à porter la croix:

Quand on n'a plus vingt ans.

—Tu vois, ma chère enfant, qu'il y a encore moyen de s'arranger avec les vieux.

—Oui, mais de quelle façon...

(Wiener Caricaturen)[549].

Les moteurs des six-chevaux et demi des débuts de l'auto, les préhistoriques et ridicules tacots de jadis, qu'effrayaient la côte de Suresnes, ne sont pas seuls à connaître la honte des ratés: il y a d'autres pannes d'allumage dont on ne saurait se tirer.

—Vous en avez des idées de me faire promener comme cela en corset et en pantalon, et pour rien.

(Jack Abeillé: le Frou-Frou, 1901.)

Entre femmes, cette tenue permet d'aimables comparaisons auxquelles n'aurait point su se dérober Pâris et dont les anciens bals du Courrier français n'ignorèrent point le charme. Ce serait une erreur grossière de croire que tous les derrières se ressemblent. Il en est de beaux, comme il en est de vilains: les uns auraient pu exciter la verve d'Armand Silvestre, d'autres rappellent la croupe de l'éléphant, ou c'est un «pauvre petit derrière de rien du tout», comme celui de M. Badin.

Celles qui sont douées de ces insuffisances se montrent aisément pincées et agressives. La laideur et la maigreur rendent susceptibles:

—Le tien est plus gros... Et puis après? Faut pas t'imaginer que ça se vend au kilo!

(Stop: Journal amusant.)

Si gracieuses que puissent paraître en pantalon nos contemporaines, on ne saurait leur conseiller de sortir dans ce costume. Elles risqueraient de se faire remarquer:

—Je voudrais bien savoir ce que j'ai de si comique que tout le monde se retourne ainsi sur moi.

(Die Auster, Munich, 1903)[550].

Ce serait le moins de mettre des gants et non, comme beaucoup, de les serrer dans ses bas:

—Ben quoi! Tu ne vas pas aller au Bois comme ça, je pense? Prends au moins des gants blancs.

(Petitjean: le Frou-Frou, 1901.)

La Pudeur publique, la vieille dame aux bottines à élastiques et au cabas de tapisserie rappelant le sac de Choulette, pourrait la trouver mauvaise, jugeant que cette feuille de vigne tient trop de la feuille de rose.

Elle prendrait, dans la circonstance, les espèces et le bâton blanc d'un de nos bons agents, et il ne conviendrait pas, ô délinquantes, de rouspéter:

—Alorrs, s'foutez d' la pudeur publique?... Croyez qu'ça va s'passer comme ça?

—Désolée, m'sieu l'agent, mais ma couturière est en grève.

(G. Meunier: le Frou-Frou, 1901.)

Les caricaturistes ne respectent rien. Les malheurs de la famille Humbert—nous avons eu depuis des vols plus sensationnels—n'ont pas trouvé grâce devant eux. Au lendemain du jour où était éparpillée, rue Drouot, la défroque de la «gens», on pouvait lire dans le Journal, au-dessous d'un amusant dessin d'Abel Faivre, cette légende d'une plaisante actualité:

La vente Humbert-Boulaine.

—Tu as eu tort d'acheter la lampe de Boulaine... la voilà qui file!

—... Mieux vaut le pantalon d'Ève... on peut mettre tout le monde dedans.

(Le Journal, 14 novembre 1902.)

Encore que la Parisienne ne puisse se montrer dans la rue en corset et en pantalon, sans risquer un bon rhume et une contravention, les occasions ne lui manquent pas, nonobstant la disparition des impériales d'omnibus, de laisser apercevoir à ceux qu'intéresse le retroussé, les froufrous et les dentelles de ses pantalons.

D'abord, il y a le bal, le bal qui a permis à Bertall et à Randon de noter, les premiers, l'importance prise par le pantalon dans les dessous de la femme.

Avouerai-je n'avoir jamais été de ceux qui, à l'Élysée ou au Moulin-Rouge, faisaient cercle autour des quadrilles. Ce linge brutalement étalé, ces jambes étiques ou que guette l'éléphantiasis m'ont toujours laissé froid. Ce sont là distractions qu'il faut laisser aux riverains de la Sprée et aux autochtones de Brives-la-Gaillarde ou de Crozant, venus faire la bombe à Paris. J'ai bâillé? au Père Lebonnard, le grand écart ne m'en a jamais dit davantage.

Le chahut a cependant fourni trop de croquis ou de légendes aux caricaturistes pour qu'il soit permis de le négliger. Subissons donc ce «tour» de quadrille, comme on subit, en attendant la revue, le tour de chant d'une romancière contemporaine d'Amiati et de nos avant-derniers bas bleus. Peut-être, parmi ces professionnelles de la pastourelle, s'en trouvera-t-il une qui lève la jambe pour son plaisir et que n'incite pas à cette gymnastique l'appât du maigre cachet quotidien?... Saluez-la bien bas, ou mieux, offrez-lui un bock: il sera le bienvenu, surtout s'il est en tôle émaillée.

Sous un croquis bien second Empire, encore que ne rappelant que de loin la manière de Winterhalter, Grévin, traçait, en 1866, cette légende:

Les Bastringues.

«Nouveau pas de la chaloupe en détresse. Histoire de montrer qu'on a du linge».

(Le Petit Journal pour rire.)

Ne vous excitez pas: vous ne verrez rien.

Et c'était Mabille, dont le dessinateur Pelcoq célébrait ainsi les quadrilles:

Revue de Mabille.

Arme au bras!... Le plus fier mouvement de la danse nationale française (traduction anglaise de ce qu'à Mabille on nomme tout bonnement le cancan). Shocking! et «pas de début» pour toute femme qui veut se poser un peu bien dans le monde.

(Le Journal amusant, 12 septembre 1868.)

Nous avons mieux: l'opium, l'éther, la cocaïne posent davantage, de nos jours la petite grue qui va tanguer à Magic-City, quitte à regagner, par l'autobus, la fontaine sacrée de Pigalle, si le michet désiré ne répondit pas au sourire carminé de ses lèvres.

Le cancan ne saurait fournir à une jeune personne qui se destine à la prostitution le collier et l'Hispano-Suiza dont rêve toute première communiante. Le quadrille est mort avec la Goulue et je doute qu'elle se soit retirée millionnaire.

Heureuse époque, on dansait sous les marronniers des Champs-Élysées. Les modes n'étaient peut-être pas jolies, jolies, mais, les «petits crevés» savaient ne pas demeurer insensibles aux hardiesses d'un cavalier qu'ils s'empressaient de ne pas laisser seul:

—Savoir danser! t'es jeune, ma petite! Avec une jolie jambe, comme ceci... mets tes jupes sur ton bras, comme ça, et pars du pied gauche!

(Stop: le Charivari, 1867.)

La progression n'a guère varié. En dépit de la suppression du port d'arme, les mouvements sont restés les mêmes, et sous le retroussis «comme ça» des jupes, apparaît la blancheur claustrale du pantalon, dessinant des rondeurs qui la teintent de rose:

—Ceci n'est pas une étoile, c'est—une lune—de la danse.

(Stop: le Journal amusant, 8 août 1891.)

La lune, avec des nuages autour. Grâce à quoi, un vieux savant—non, mais à quelle heure les couche-t-on?—doit de s'entendre familièrement interpellée par une de ces nymphes, chez lesquelles la bosse du respect est aussi rare que celle de la maternité:

Ous qu'est mon baromètre.

—Puisque t'es à l'Observatoire, dis-moi si ce nuage-là indique le beau temps.

(Le Frou-Frou, 1901.)

La Goulue aimait exhiber cette partie de son individu sous la transparence de son pantalon, qui, sans le Père la Pudeur—le vrai—n'aurait pas toujours été aussi clos que les salons auxquels le marquis de Chabanais doit d'avoir survécu dans la mémoire des hommes.

Le geste pouvait ne pas être beau, mais un dessin du pauvre Heidbrinck l'a sauvé de l'oubli:

Valentin.—Prends garde, la Goulue, tu vas te faire remarquer...

(Courrier français, 29 juin 1890.)

Si officiels qu'ils soient, ces dessous sont pourtant plus propres que ceux de la Chambre et des couloirs. Une chahuteuse de Carl Hap est heureuse de le constater:

—Nos dessous sont toujours plus propres que ceux de la politique.

Tu sais, ma petite, il n'y a pas de quoi te montrer si fière. Le point de comparaison ne saurait être à l'honneur de ta blanchisseuse.

Il paraît qu'il y a encore des gens que ce spectacle émoustille à ce que déclarent ces dames:

Appats pour hommes.

—Des dessous, de la cuisse, des bas noirs et de la prunelle.

(Ruiz, le Frou-Frou, 1901).

Allons, tant mieux... mais combien y en a-t-il à qui ces expositions d'un blanc douteux font surtout, en fait de Chopin, l'impression d'une marche funèbre, la marche funèbre de Schopenhauer, ô Donnay.

Ce qui attire les étrangers et les provinciaux, c'est moins, savez-vous, la lingerie tapageuse et tape à l'œil de ces automates, que l'improbable mirage d'un pantalon insuffisamment clos, ou que l'éclair, plus improbable encore, de la chair nue et vierge de culottes.

Oui, mais, notre vivace et bel aujourd'hui—à des faunes en convient-il pas de parler la langue un peu sybilline du Maître?—ne s'enorgueillit que rarement de cette féerie.

Les inspecteurs et les gardes municipaux sont un peu là, ils sont même uniquement là, pour s'opposer à ces sans-culottides. La garde veille ailleurs qu'aux barrières du Louvre—et les vieilles gardes donc!—elle représente l'œil non de la Providence, mais de la police, et dans sa hâte de verbaliser et de constater un illusoire délit, il lui arrive même de se fourrer le doigt dans l'œil. Fortes de leur droit et la fermeture de leurs pantalons, ces demoiselles se montrent alors exemptes d'aménité:

—Pas d'pantalons, moi! Oh là là! Mais, mon vieux, j' suis plus sérieusement culottée que ton nez.

(Maurice Marais: la Chronique amusante, 16 mars 1893.)

Cet homme de guerre peut d'ailleurs s'absenter et profiter du jour de sortie de sa connaissance pour l'emmener au théâtre Montmartre ou à la Comédie Mondaine, l'ancien Divan de joyeuse mémoire. Un homme de bien n'hésitera pas à revêtir sa tunique et à aller prendre sa consigne devant l'arche, sans y mêler le pas un peu spécial auquel l'humoriste David a dû de figurer parmi les ancêtres des Clodoches:

«M. Bérenger endossant l'uniforme de municipal pour s'assurer que, dans les bals publics, les dessous des dames sont bien clos.»

(Henriot: le Charivari, 3-4 avril 1893.)

Comme le gendarme, dont ils se rapprochent par leur origine et par leur tenue, ces êtres-là sont sans pitié. Bien que le public ne demande que ça, ce n'est pas une blague à faire que de lui montrer son ..., non, sa lune, sans qu'elle soit voilée par un de ces nuages légers que déplorait le bon Silvestre et que l'honnête M. de La Rochefoucauld ne trouvait jamais assez épais.

Sur un très vieil air, cela se chante. C'est une variante, à l'usage des enfants de Marie ayant dépassé l'âge de la puberté, d'un des couplets qu'elles chantonnèrent gamines:

Quand j'étais petite je n'étais pas grande,
Je montrais mon ... à tous les passants,
Oui, mais à présent c'est bien différent
Quand j'en fais autant
On veut m' f... dedans.

(J. Villon: le Rire, 1er février 1902.)

Le café-concert permet de petites exhibitions qui ont sur celles du bal la supériorité de se prêter beaucoup mieux au levage et à l'élevage des protecteurs sérieux, ils ont sur les singes l'avantage de l'argent et l'infériorité de la parole. Le caf-conc., devenu temple de la revue, semble avoir, cependant, peu fouetté la verve des caricaturistes. Les théâtreuses en déshabillé, bas, corset et pantalon abondent dans leur œuvre légère, mais c'est à peine si l'on peut emprunter cette légende au dessinateur Robert:

—Un simple petit retroussis de jupe et les voilà tous à moi.

(Le Frou-Frou, 1901.)

Demain n'est à personne!

De Gerbault, il y a bien une «beuglante» d'une si jolie venue, avec ses seins saillis du corset fatigué, le réalisme de son pantalon et ses bras qu'elle étire, qu'il semble difficile de ne la pas mentionner—mieux vaudrait pouvoir la reproduire. Mais, c'est moins une caricature qu'un croquis pris sur le vif: coin de garni entrevu en feuilletant la Traite des Chanteuses d'Ibels, la ville de garnison et son pesant ennui, le tréteau du limonadier devenu négrier, le tenancier sinistre et cynique dont le dos verdit et dont les bras tournent aux nageoires, Philibert à la manque et Tellier non patenté.

On ne saurait se figurer, par contre, le nombre de retroussés auxquels, depuis Rowlandson, pour ne pas remonter plus haut, le vent a prêté. Pas plus que celles de Carle Vernet et d'Isabey, les héroïnes de Rowlandson ne portant pas de pantalons, passons au déluge, c'est-à-dire à l'année 1844, du règne de Louis-Philippe, la quatorzième.

Nous avons déjà signalé ce dessin consacré par Richard, aux Bains de mer belges (Illustration, 28 septembre 1844): il suffit donc de le rappeler pour mémoire. C'est le point de départ d'une série qui, depuis, s'est démesurément allongée, en même temps que se raccourcissaient les pantalons. Du temps de Richard, ils tombaient jusqu'à la cheville, atteignent-ils maintenant le genou?

Richepin et Trézenik ont célébré l'amateur de mollets. Nos humoristes sont tous plus ou moins de ces amateurs-là, et, scrutons nos consciences, n'en sommes-nous pas un peu tous également?

La femme vraiment femme, que tente l'aventure et que l'idée n'effraye point de laisser apercevoir, au-dessus de ses bas, un peu de sa chair nue, met-elle un pantalon les jours de vent.

A cette question, sans même attendre qu'elle leur soit posée, les humoristes répondent généralement par la négative. C'est pour eux un axiome qui ne se discute pas et qui fait foi.

Une femme prudente.

—Fait-il beau?

—Beaucoup de vent.

—Alors, j'mets pas d'culotte.

(Préjelan: la Caricature, 6 mars 1897.)

Préjelan dont la petite femme est si charmante et si moderne, évoquant, moins le corset aux fleurettes bleues et les faveurs bleues—un bleu auquel on se vouerait volontiers—telle silhouette aimée, Préjelan semble tenir à cette donnée et une réplique de cette légende revient sur les lèvres d'une de ses soubrettes:

—Si Madame sort, elle fera bien d'enlever sa culotte, il fait un vent à vous coiffer avec vos jupes.

(Le Frou-Frou, 1901.)

Il est vraiment désolant d'avoir, ces jours-là, un pantalon. C'est un peu la «soirée perdue», autrement que ne la conçut Musset:

Les temps difficiles.

—C'est bien ma veine! Pour une fois que je mets un pantalon, il fait un vent du diable.

(Hémard: le Rire, 6 avril 1907.)

Au moins faut-il qu'il soit on ne peut plus transparent: la sainte mousseline.

—Suis-je assez bête, par ce joli temps si propice au commerce, ne pas avoir mis mon pantalon de mousseline!

(Mirande: l'Indiscret, 1902.)

Sans être du midi, les caricaturistes n'exagéraient-ils pas légèrement?

La rafale fait rage, retourne les parapluies et soulève les jupes des malheureuses, dont le chapeau à tenir occupe suffisamment les mains.

Bonne fille, un trottin déclare:

—Et puis, moi, vous savez, franche comme l'or! J'ai jamais rien pu cacher à personne!

(Robert: le Frou-Frou, 1901.)

Qui s'en plaint? Pourtant, prenez garde, mademoiselle, il y a de vieux messieurs qui, en dehors de l'intimité, ne sauraient admettre ces blancheurs suspectes. Ne pouvant supprimer les bourrasques, ne s'en prendront-ils pas à vous une autre fois?

—Les bourrasques sont dangereuses non seulement pour la sécurité publique, mais aussi pour la morale. Donc, supprimer les bourrasques.

(Le Frou-Frou, 1901.)

Ironie des choses, l'accident peut se produire en passant devant le Sénat, ce dernier rempart de la Pudeur et de la saine gaîté de nos pères.

«Juste devant le Sénat... Ah! si M. Bérenger voit ça...

(Henriot: le Charivari, 1893.)

L'artiste semble affectionner ces effets d'orage.

Tempêtes.

—Heureusement que grâce à nos collets on ne peut pas voir notre figure s'écrie, dans le Charivari,
une dame, dont, sous les jupes troussées,
le pantalon apparaît jusqu'à la ceinture.

C'est le jour ou jamais d'avoir du linge blanc, dût la fente laisser échapper par derrière le drôle de petit tire-bouchon que l'on sait.

Prévoyante, une jeune fille de Doès rassure sa mère:

—T'inquiète pas, maman, j'ai changé de linge ce matin.

(Le Rire, 26 mars 1898.)

Le vent malin peut s'amuser à coiffer la figure postérieure de la dame du couvre-chef envolé de la tête d'un homme sérieux, professeur ou chef de bureau. Mieux eût valu, en vérité, le fond béant de la batiste dévêtue:

—Je crois qu'un impudent se sert de mon couvre-chef pour se couvrir... la tradéridéra. (Die Bombe, Vienne).

Et ce n'était pas le bord plat de feu Maugis.

La montée difficile d'une vieille dame en voiture n'est pas sans fournir un tableau du même genre, aggravé par le fait que c'est un vieux tableau:

—Voyons, Eusèbe, dépêchez-vous, vous allez finir par faire voir mon pantalon.

(Robert: le Frou-Frou, 1901.)

On le voit, en effet; mais la brave femme peut se rassurer, cette vue, si elle prête à rire, ne saurait éveiller aucun désir dans le cœur de l'animal qui sommeille. Elle inspirerait plutôt, ma chère, l'horreur du péché.

Depuis Miss Helyett—et même avant—l'alpinisme, le vent et les sentes roides de la montagne ont, de leur côté, provoqué pas mal de pochades dans lesquelles le pantalon joue naturellement son rôle.

Une vierge de Wély dont la lingerie est pour nous sans mystère a cette louable préoccupation.

L'Alpinisme.

—Ma robe qui s'envole... dis, m'man, est-ce qu'on voit quelque chose?

(Le Rire, 20 juin 1903.)

—Voui, ma gosse..., mais, n't'en fais pas, on pourrait zieuter quelque chose de plus désagréable.

Bien que nous ne soyons plus aux temps lointains de Paul de Kock—on s'amusait de bien peu de choses, à commencer par les aventures de la Pucelle de Belleville ou de Gustave le mauvais sujet—la balançoire a, après le vent, conservé la palme, presque académique, pour ces aimables retroussés auxquels sont restés sensibles les enfants de tous les âges.

Les hasards de l'escarpolette ont pu perdre de leur charme et de leur élégance: qu'importe? Est-il meilleur prétexte à dévoiler de jolies jambes et l'intimité de dessous dont il est rare de pouvoir faire aussi généreusement montre.

Nos ancêtres riaient de ces envolées qui, faute de pantalon, laissaient apercevoir le rose des cuisses, des nymphes qui ne semblaient nullement émues. Grâce à la Ligue et au vent moralisateur et délétère des tranchées pasteurisantes, nous faut-il rougir, aujourd'hui de ce spectacle auquel le fabuliste aurait pris, sans doute, autant de plaisir qu'à écouter conter Peau d'Ane?

Les dangereux hasards de l'escarpolette.

—Et dire qu'il y a cent ans j'aurais pu regarder ça sans rougir!

(J. Wély: le Frou-Frou, 1901.)

Ma foi non, je ne rougis pas et je confesserai même contempler assez volontiers les formes que révèle généreusement cette petite femme de Mirande:

L'escarpolette.

—Quand je me balance avec toi, tu vois, j'y mets des formes...

(Le Rire, 30 juillet 1904.)

Mieux que des formes, un véritable panorama:

—N'est-ce pas que d'ici on peut embrasser un joli panorama?...

(P. Balluriau: le Rire, 2 mai 1908.)

Que ces demoiselles ne s'y fient pas: c'est là par ces temps malsains, un jeu dangereux; voici un homme à favoris gris, qui s'avance, qui pourrait la trouver mauvaise et se laisser aller, lui aussi, à de fâcheux courroux:

L'escarpolette.

Encore un grand plaisir pour les Parisiennes. Les hommes font cercle. On voit les mollets et quelquefois aussi... mais chut! Baissez votre jupe, mademoiselle! Monsieur Bérenger s'approche.

(George Edward: la Chronique amusante, 24 août 1893.)

Évidemment, comme Max Blanc:

—Voilà comment j'aimerais voir les dessous de la politique.

(L'Indiscret, 1902.)

Au Panama—que c'est vieux déjà!—je préférerais le panorama ainsi révélé, presque la Terre promise. Mais, ne nous frappons pas, n'est-ce pas comme dit l'autre, des balançoires?

Un sage.

—Dans la vie, vois-tu, il ne faut jamais s'occuper du voisin, et se dire que tout ce qu'on voit, au fond, c'est des balançoires.

(L'Indiscret, 1902.)

Il est bon, parfois, de détacher ces regards de la terre et de regarder plus haut: c'est un coin de ciel entrevu, ce paradis ouvert que vantait Victor-Emmanuel et que Mahomet n'a point promis à Von der Goltz pacha:

—Tout ce qui se passe sur la terre, mon fils, c'est de la balançoire. Portez vos regards vers le ciel...

(Rouveyre: le Rire, 14 juillet 1900.)

Et vous, les michetons et les jaloux, les punais de l'amour, ne faites pas tant de foin et laissez vos petites amies faire aux pauvres bougres qui ne les entretiennent pas l'aumône de leurs jambes et la charité de leurs dessous. Il n'est pas bon d'aller troubler dans son sommeil le chat qui dort et vous pourriez vous faire griffer, messeigneurs:

Les joies de l'escarpolette.

—Fais donc attention! On voit ton pantalon!

—Impossible! Je n'en ai pas!

(Ch. Laborde: le Rire, 16 août 1913.)

La balançoire, combien qu'on en puisse douter, prête à réflexions philosophiques. Ces gosses, au milieu de leurs jupes envolées, vous font la Nietzche.

Ainsi parlaient les Wiener-Caricaturen:

—Avec la balançoire, c'est comme dans la vie. Il faut savoir ce que l'on montre et ne pas perdre l'équilibre[551].

Au tennis, il n'y a pas seulement celles dont le rattrapage difficile d'une balle un peu «raide» laisse apercevoir assez haut le pantalon sous l'envolement de la jupe, il y a aussi les bonnes raquettes. Celles-là, quand elles jugent une balle impossible à reprendre, préfèrent feindre le plus lamentable des accidents, le pantalon défait qu'il faut rattacher, plutôt que d'avouer leur défaite:

Au lawn-tennis.

Fait semblant de perdre son pantalon pour ne pas avouer qu'elle a manqué la balle. O coquetterie!

(La Fin de Siècle, 14 octobre 1894.)

Bouton qui saute, cordon qui se dénoue ou qui craque, le pantalon se perd, en effet, quelquefois.

—Tu fais comme mon pantalon, tu me lâches...

(Le Boudoir, 1880.)

Plus souvent il se quitte et, parfois, il s'oublie.

De Gerbault, cette exclamation d'une parisienne assise en chemise, tandis que gît à ses pieds son pantalon retiré, étalant sur le parquet la large ouverture de sa fente:

—Comment il faut aussi que je retire ma chemise! Alors, c'est ça que vous appelez faire mon profil?

(L'Indiscret, 1902.)

Cela rappelle un peu la tenue de rigueur des femmes du monde pour feuilleter, dans sa garçonnière, les cartons d'un Monsieur qui collectionne les Rops.

La femme a vraiment toutes les charités. Un modèle—la tenue de notre mère Ève, moins la feuille de vigne—pour venir au secours de la détresse du bon peintre, lui offre l'illusoire aumône de son pantalon. Un chiffon, non de papier, ô chancelier, mais de batiste:

Le Portrait.

—C'est un sénateur qui vient pour faire faire son portrait. Je n'ai plus de toile; pas un rond pour en acheter; quel guignon!

Le Modèle.—Et ça, est-ce que ça serait assez grand?

(Carlègle: Le Rire, 24 octobre 1908.)

Mais pourquoi l'artiste vieilli, conservant sous ses cheveux blancs l'amour des gamineries de rapin, a-t-il la fâcheuse manie de subtiliser le pantalon de ces enfants?

—Allons, ne faites donc pas le Jacques, rendez moi mon pantalon.

(Poulbot: Le Frou-Frou, 1905.)

Ou c'est le pantalon que, bien qu'ouvert, on a pour des raisons qu'il ne convient pas d'approfondir, cru devoir retirer, un jour de ballade à la campagne. L'arrivée malencontreuse du garde champêtre—vrai ou faux—a brusquement interrompu l'entretien. L'enfant, abdiquant son extase, (en voulez-vous du Mallarmé?) dans sa hâte de fuir, déjà docte, par chemins, a négligé de réintégrer ses culottes. Huit jours plus tard, le couple les retrouve, suspendues, dépouilles opimes, au même arbre. Là ils furent heureux et connurent d'ineffables minutes; la Grande Nature les invite à recommencer, avec la complicité amusée de toutes les bestioles répandues parmi les champs, «champ d'amour brutal», eut, comme Goudeau, spécifié Richepin, à l'époque où les Gueux et leurs ivresses tenaient dans son cœur une place accaparée, depuis, par les cousines et les abonnées des Annales.

Les premiers beaux jours.

—Enfin, nous y sommes: regarde ta culotte de dimanche dernier.

(Mirande: Le Rire, 22 avril 1911.)

Les peintres ne sont pas seuls à se livrer à des plaisanteries qui dénotent une aimable familiarité bien faite pour tromper l'ennui des villégiatures estivales. Il y a des maisons où l'on ne peut recevoir une femme à déjeuner ou à dîner, sans qu'on lui «fasse» son pantalon ou son corset:

L'affaire du Collier.

—Ben quoi? elle va déjeuner en ville et on lui chauffe ses perles! Moi, c'est bien rare que je boulotte chez des amies sans qu'on me fasse mon corset et mon pantalon...

(Métivet: Le Rire, 1er août 1908.)

Retiré dans le salon d'un Monsignore—encore un salon où l'on passe, si l'on y cause peu—le pantalon d'une visiteuse peut se retrouver parmi l'inutile paperasse des dossiers d'une commission d'enquête. La politique est un grand bazar auquel les jeux de l'amour ne sont pas interdits et ces dentelles peuvent constituer pour quelque arrondissementier obscur et farouche une révélation toujours pénible:

A la commission d'enquête Montagnini—N... de D... un pantalon de ma femme!

(Le Rire, 4 mai 1907.)

La caricature est vraiment bonne fille. Elle nous rafraîchit la mémoire: qui, sans elle, se souviendrait, même à la Chambre, de cet abbé Montagnini, que l'on expulsa comme un vulgaire correspondant austro-boche, et dont quatorze vers n'ont pas permis de soupçonner le secret?

Le pantalon de sa femme! C'est lui également que rapporte, dans cette amusante page de Caran d'Ache, la Vie de château, cet animal fidèle, mais gaffeur, auquel le Petit musée de la Conversation[552] assurerait qu'il ne manque que la parole.

A la première heure, le gentilhomme campagnard, couvert d'une chaude pelisse et son cigare déjà allumé, est sous les fenêtres de l'invité:

—Allons, debout!... le paresseux, venez faire le tour du propriétaire.

Sans enthousiasme, celui-ci l'a rejoint dans le parc, et tandis qu'ils s'éloignent, ce dialogue s'engage:

—Faites comme moi: toujours debout à six heures!

(Cette phrase pourrait non moins figurer dans le recueil de Castigat et Ridendo, qui, d'ailleurs, ne corrigera rien).

L'invité:—Brr! ça pique, et moi qui ai oublié mes gants...

—Oh! qu'à cela ne tienne! Tom, ici!

Et Tom s'étant avancé, la queue basse devant ce ton de commandement:

—Donnez-lui votre main à sentir. Là! Vous allez voir: dans trois minutes il vous rapportera la chose.

En effet, une minute...

Deux minutes... Et

Trois minutes après, Tom rapportait la chose!![553] cependant que, derrière lui, une femme de chambre courait de toute la vitesse de ses jambes, et que, en une banderolle, s'échappaient de sa bouche ces mots imprécatoires:

—Tom! veux-tu laisser ça! Tom!... Tom!... Oh, la sale bête... Tom!... Tom!...

Ça, c'était, naturellement, le pantalon de la châtelaine, qui au passage, avait conservé un peu du parfum des mains de l'invité et dont les jambes flottaient au vent.

Encore que la sienne ne fut pas galonnée, M. le comte était digne de porter la casquette du «chef de gare.»

Cercles mixtes, tripots, Enghien et autres lieux où fleurissent «le verbal neuf et huit diminutif» (Goudeau), les pontes y attrapent tant de culottes, peut-être parce que les habituées de l'autre sexe y perdent les leurs:

Les jeux de l'amour et du hasard.

—Quel tripot! Et on y pelotait ferme...

—C'est donc ça qu'on y ramassait tant de culottes!

(Cardona: Le Rire, 26 janvier 1907.)

Les pantalons se quittent, se perdent... et se salissent. Le livre de comptes de Mme Irma de Montigny, égaré au passage de la Bérézina et communiqué, depuis, à l'institut, par M. Salomon Reinach, en même temps qu'il lavait la marquise de... Mithylène, des méchants bruits répandus sur ses habitudes par quelques amies délaissées (musique de Gounod), n'est pas seul à nous renseigner sur la facilité avec laquelle le haut de chausses féminin gagne la tache, la fameuse tache qui constitue une des trente-six situations chères aux dramaturges et que ne dédaigne pas davantage les gentilshommes sans préjugés acculés à la dure nécessité du mariage.

Taches d'encre, marques de doigts... et d'autres encore: le pantalon va souvent chez la blanchisseuse. Mais, il ne convient pas qu'il subisse, avant d'être mis, les approches de l'homme.

Ce serait risquer de la salir avant la lettre:

—Laisse ça, tu me salis tout mon linge. Voilà un pantalon qui, avant que je le mette, a déjà des marques de doigts!

(Le Rire, 8 avril 1905.)

Dans l'atmosphère surchauffée de l'atelier de la blanchisseuse de fin, ce sont, chez les ouvrières, de philosophiques et mélancoliques réflexions tout en promenant le fer sur les trou-trous et les entre-deux:

—C'est dur, tout de même, de penser qu'on gagne tant à la salir et si peu à la nettoyer.

(Henri Boutet: Le Frou-Frou, 1901.)

Hélas! c'est la tentation proche. Quelque lundi, la petite blanchisseuse, s'attardera plus qu'il n'est nécessaire pour compter chemises de jour et de nuit, faux-cols et manchettes des «pratiques paresseuses.» Quand on nettoie tant le linge d'autrui, on peut bien risquer de salir un peu le sien.

Elle ne guette pas moins les filles de la campagne qui, aux mois de vacances, étendent sur des cordes les pantalons courts et froufroutés des belles madames en villégiature:

—J'ai envie de changer de métier, on m'a dit qu'on gagnait plus à les chiffonner qu'à les blanchir.

(G. Meunier: Le Rire, 9 août 1902.)

Il en est d'autres, heureusement, dont l'exemple ne saurait inspirer ces pensées pas du tout funèbres à des enfants que les conseils réputés mauvais des kéroubins tentateurs n'effraient que fort peu.

Ce sont celles qui suppriment leurs pantalons tout l'été, attendant, pour les reprendre que la bise soit venue. Elles peuvent, à la rigueur, suivre le conseil de la fourmi et danser, lasses d'avoir chanté; mais, pour lever la jambe, elles auront soin de se placer de profil: de face, le geste laisserait voir trop de choses.

—Je ne me mets pas de face, car, n'ayant pas de pantalon, on pourrait saisir l'Almanach.

(Almanach du Frou-Frou, 1901.)

Impossible à celles-là d'obéir aux suggestions malignes de l'Amour, ou, tout au moins convient-il de prendre certaines précautions. Là encore, il y a la manière:

Automne.

—Fais comme les feuilles, laisse-toi tomber.

—... C'est que je n'ai pas de pantalon.

(Gerbault: Le Rire, 14 novembre 1903.)

L'œil du maître, quand celui-ci ne méprise pas les attouchements ancillaires, aura cure de ces contingences et ne craindra pas de pousser l'enquête jusqu'à ses dernières limites.

L'œil du maître.

—Ça y est, Marie, je m'en doutais!!!... Oser servir mes invités sans pantalon!

(A. Bertrand: Le Rire, 26 octobre 1912.)

Après tout, s'il est jaloux, cet homme, et s'il craint que d'autres mains ne s'égarent que les siennes.

Une brave bourgeoise de Limoges déclarait, jadis, retourner contre la muraille le portrait de feu son époux, quand elle lisait du Zola. Il y a également des mères pour s'indigner de voir leur «demoiselle» se contenter d'une chemise pour dévorer Monsieur de Camors.

Pauvres gosses, en fait de pommes, elles en ont croqué de plus vertes, depuis!

—En voilà une posture, mon enfant, pour lire Octave Feuillet!... Passe au moins un pantalon.

(Guydo: Le Rire, 12 janvier 1901.)

Les robes collantes et les jupes entravées, dont la conséquence était la simplification des dessous quand ce n'était pas leur suppression totale, a fait un moment courir un danger réel au pantalon. Jamais, depuis la mort de la crinoline, il ne s'était trouvé aussi menacé.

Ce fut le triomphe passager de la culotte et de la combinaison. A défaut d'autres, la culotte, inconsidérément oubliée par une petite amie dans le cabinet de toilette d'un homme de sport, avait au moins l'avantage de fournir un alibi, le jour où l'objet tombait sous les yeux de sa «liaison sérieuse:»

L'Alibi de l'escrimeur.

—Tu me raconteras encore que je suis la seule femme que tu reçoives ici, quand je viens de trouver ça dans le cabinet de toilette!

—Mais, mon amour chéri, ça, je te le jure, c'est ma culotte de satin pour tirer en assaut public!

(A. Guillaume: Le Rire, 20 février 1909.)

Hum? le public aurait pu facilement devenir gênant.

—Quant à la combinaison,—nous lui devons d'exquis dessins de Fabiano—son nom seul devait prêter à de faciles légendes que les caricaturistes n'eurent garde de laisser échapper.

Jehan Testevuide n'avait pas même attendu, pour ouvrir le feu, le règne de l'entrave. Dès 1895, la Chronique amusante préludait ainsi aux jeux de mots aisés à prévoir du surlendemain:

—Ça un pantalon! jamais de la vie! Une combinaison... et elle m'a toujours porté bonheur.

(12 septembre 1895.)

Et ce furent les jupes collantes auxquelles la combinaison dut de trouver en France une vogue qu'elle avait vainement cherchée jusque-là. Dessins et légendes se multiplièrent et ne varièrent guère:

—Pour l'obliger à m'aimer, j'ai, moi aussi, ma petite «combinaison».

(Fabiano: le Rire, 19 décembre 1908.)

Nous sommes en plein dans le jeu de la «combine» et sans avoir jamais fréquenté le paddock autrement qu'à l'anglaise, je ne ferai aucune difficulté d'avouer qu'il n'est pas du tout déplaisant:

—Eh mais, voici une combinaison dans laquelle je marcherais volontiers.

(Viardot: le Rire, 6 août 1910.)

Moi aussi, et vous?

Culotte et combinaison, on put même croire, un moment, le pantalon assez menacé, pour que Guillaume ait fait figurer cette légende au-dessous d'une vitrine contenant divers modèles, rieurs ou rébarbatifs, suivant l'époque, de la lingerie proscrite:

Un collectionneur.

—Oui, chère madame, le musée de Cluny m'a déjà fait des offres insensées... On n'en trouve plus.

(Le Rire, 30 mai 1908.)

Mais non, on en trouve encore et même beaucoup. Edmond Haraucourt n'aura pas, que je sache, à accorder sa lyre pour chanter la légende du pantalon. La mode de la culotte, trop facilement tombée dans le jersey et le bon marché, passera. Des frileuses seules, sans souci du charme et de la grâce des déshabillés, lui resteront fidèles, six mois de l'année.

Malgré la concurrence de la combinaison, qui, à parler franc, lui ressemble comme une sœur, la vogue du pantalon ne semble pas appelée à disparaître. Sa forme a évolué, voilà tout, et, sans doute, elle évoluera encore.

Si Marthon a supprimé ses dessous, chacun sait qu'elle les reprendra le lendemain, ses jupes une fois élargies. Que son vilain mari n'aille pas, pour ces «pantalonnades», lui faire la scène à ne pas faire.

Tout ça, comme l'a si très justement dit Préjelan, c'est des pantalonnades.

(Le Rire, 30 mai 1908.)

Ce livre, n'est-il pas lui-même une pantalonnade? Une pantalonnade rappelant, je le crains fort, par sa longueur, les inexpressibles tombant jusqu'à la cheville des bonnes dames qui furent nos grand'mères?

Paix à leur mémoire.


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