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Le Pantalon Féminin

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Général pour les jeunes filles de la bourgeoisie, l'usage du pantalon ne l'est pas moins pour les femmes.

Quelques-unes, cependant, une fois mariées, le supprimeront avec plus ou moins de facilité, soit l'été, soit en toutes saisons: affaire d'habitude et de latitude.

Enfin, pendant longtemps, il fut des vieilles dames qui, n'en ayant pas porté dans leur jeunesse, ne purent jamais se faire à en porter, et moururent sans avoir sacrifié à cette mode.

Qu'elles reposent en paix.

La lingère parisienne ne se contente plus d'en donner des patrons au commencement de l'hiver ou de la saison des excursions; sœur Véronique

et le sieur Pantalon ne sont plus seuls à en fabriquer. Le pantalon est devenu un rayon florissant de nos bazars parisiens. Certaines même de nos lingères se sont spécialisées dans sa confection. Le pantalon n'est pas seulement un art et une arme, il constitue aussi une industrie,—une industrie qui a, elle aussi, ses chevaliers.—Mais c'est, comme celui de Joseph Prud'homme, un sabre à deux tranchants, auquel la loi du «repos hebdomadaire» a parfois fourni à de joyeux quiproquos, telle cette enseigne relevée par le Mercure de France, rue de Châteaudun:

LINGERIE, CORSAGES, CHEMISES, PANTALONS.
FERMÉ LE DIMANCHE[360].

Ces deux lignes du «Sottisier» ont inspiré à Léonnec, dans le Sourire, un de ses plus joyeux dessins[361].

Suivant les quartiers, le pantalon s'étale plus ou moins à la devanture des lingères et des blanchisseuses de fin. Plus on monte vers Montmartre, plus son élégance croît et plus, comme un tableau de maître, il occupe la cimaise. L'on sent le voisinage de Tabarin et des restaurants où l'on soupe et où l'on danse: il en est de tout en dentelles, dont la fermeture trahit le côté professionnel. Ici, l'on vend des «cousus» pour un prix des plus abordables, là, ils sont ouverts, mais blancs ou roses, avec leurs volants et leurs dentelles, ils ne sont pas du tout pantalons de mères de famille, nullement «mère chrétienne».

Des pages entières des catalogues des magasins de nouveautés leur sont consacrées. Ce serait à croire que l'usage en est devenu absolument général, et que toute femme peut dire, comme Mme Claire de Chancenay: «Après le corset lacé selon les principes, nous avons d'abord à mettre notre pantalon, comme les Messieurs...»[362].

Non pourtant, en dépit de la mode, de la science, des amoureux et des hygiénistes, il est encore des femmes à n'en pas porter et combien, et des plus honnêtes, suppriment, l'été, «ces objets-là», les jugeant «chauds et encombrants».

Il n'y a pas trente ans, Ris-Paquot, dans son Livre de la femme d'intérieur, croyait devoir insister encore sur l'utilité du pantalon... et sur son peu de grâce:

«Le pantalon, pour les femmes, est un objet de lingerie de première utilité, et quelque laid et peu gracieux qu'il soit, il n'en rend pas moins de précieux services.

«Qu'il soit en madapolam l'été, et en flanelle l'hiver, outre qu'il tient chaud, il est d'une utilité incontestable»[363].

C'est faire bon marché de la coquetterie—madapolam et flanelle «non, merci!»—et se ranger carrément du côté des médecins. Ceux-ci sont unanimes et intraitables.

Dès 1816, conformément à l'avis des Drs Desessartz et de Saint-Ursin, le Dictionnaire des Sciences médicales croyait devoir recommander, à l'article «fille»: «l'emploi des caleçons par les temps froids»[364]. Mais cet emploi est long à se généraliser, en 1845, le Manuel d'Hygiène du docteur Foy signale seulement, à titre d'exception: l'usage du caleçon, en cela d'accord avec le Dictionnaire de Napoléon Landais, qui, cette même année, le décrit ainsi:

«Vêtement en forme de culotte, ordinairement d'étoffe légère, que les hommes portent sous le pantalon et quelquefois les femmes sous leurs jupons»[365]. Bescherelle exagérait donc quelque peu en ajoutant: «en France beaucoup de femmes ont adopté l'usage du caleçon» manquant[366].

Ce qui était vrai lorsque Littré publia son Dictionnaire ne l'était pas encore lors de la première édition du Bescherelle, et Littré, citant Montaigne, se borne à évoquer la «richesse des calessons de la signora Livia»[367], sans entrer dans de plus amples détails.

Le premier Larousse, généralisant l'affirmation de Bescherelle définissait ainsi le pantalon féminin: «Vêtement que les femmes portent sous leurs jupons, et qui est analogue au pantalon des hommes, mais plus court»[368], tandis que le Nouveau Larousse se montre descriptif: «Culotte de lingerie ou de flanelle, fendue ou se boutonnant sur les côtés, que les femmes portent sous leurs jupons»[369].

La Grande Encyclopédie, par contre dans le long et consciencieux article qu'elle consacre au Costume (Tome XII, p. 1151-1170) fait à peine allusion aux «chausses désignées sous le nom de caleçon»[370] des contemporaines de... Charles IX et ne souffle pas un mot du pantalon actuel.

Les médecins n'avaient pas désarmé, cependant. En 1877, tout en ne sachant trop «recommander aux femmes l'usage des caleçons de toiles,» le Dr Becquerel constatait avec plaisir que cet usage «commence très heureusement à se répandre et même à se généraliser»[371].

Ce qui n'empêchait pas, quinze ans plus tard, le Dr de Soyre d'écrire avec mélancolie:

«Je sais bien que de nos jours l'habitude est prise par beaucoup de dames de porter des pantalons; mais, comme j'en connais encore qui n'ont pas souscrit à cette nouvelle mode, je suis obligé de déclarer que toute femme en temps ordinaire comme pendant sa grossesse, devrait toujours porter un pantalon»[372].

Ces médecins sont de terribles hommes. Il ne leur suffit pas d'ordonner aux femmes de porter un pantalon, encore faut-il qu'il soit en flanelle[373] ou en futaine, ou encore «en tissu anglais, laine et coton»[374]: à cette condition seule, ils lui permettront d'«être fendu largement, comme le pantalon; seulement comme il s'applique étroitement sur la peau, il maintient la chemise bien croisée en avant»[375].

Sans quoi, tout en constatant que la «plupart des femmes, au moins celles des villes, portent aujourd'hui des pantalons»[376], ils voudraient, aussi bien le Dr de Soyre que le Dr Olivier ou qu'Ernest Monin[377], que ceux-ci soient fermés. Les pantalons tels qu'ils sont portés, «étant très largement ouverts, laissent passer l'air et les nombreux microbes qu'il contient»[378].

L'air n'est pas seul à contenir des microbes. Vous aussi, vous en contenez, chères âmes, et ce qui est pis, vous en répandez. Les chimistes, ces gens-là sont, comme les médecins, sans pitié, ont étudié les microbes que contenait un pantalon de femme, après avoir été porté. Ils sont innombrables et redoutables. Ceux qui constituent les poisons les plus violents ne viennent pas de l'air, mais de vous, Mesdames.

Lisez plutôt cette chronique documentaire d'Émile Gautier. Je lui en laisse toute la responsabilité:

«N'allez pas croire que ce soit là (le poison sudural) le triste apanage de la plus vilaine moitié du genre humain! Vous même, sauf votre respect, charmante lectrice, dont la peau fraîche, élastique et veloutée semble un poème d'ivresse et d'extases, vous logez, sans vous en douter, à non moins scabreuse enseigne.

«Quelqu'un s'est procuré, sans doute à prix d'or, non pas le gilet de flanelle, mais... comment dire cela?—mais... la lingerie la plus intime... le pantalon (ça y est!) d'une jeune et jolie personne, retour du bal. Eh bien! mis à tremper, encore tièdes et humides, dans l'eau bouillie, ces capiteux «dessous» ont donné des produits terribles, qu'on a essayés—non sans rosserie—sur des lapins. Les lapins en sont morts tout comme le chien du professeur Arloing, mais leur agonie fut différente. Au lieu de la dépression comateuse constatée chez le chien, les lapins furent en proie à une sorte de névrose hystérique, avec contorsions, satyriasis, danse de Saint-Guy, tout le saint tremblement, bientôt résorbé dans le suprême effondrement de la paralysie générale.

«Ce qui tendrait à établir que l'odor di femina se caractérise par quelque chose de convulsivant et de tétanique.

«N'insistons pas de peur de dire des bêtises et de glisser sur la planche savonnée de l'inconvenance»[379].

Bref, la vengeance du pantalon sur le «lapin», et quel admirable moyen pour les femmes implacables et jalouses de se débarrasser de leur seigneur et maître: ni arsenic, ni bouillon d'allumettes, mais un bon bouillon de pantalon, et ce sera la paralysie générale après une nuit d'amour, une de ces nuits sensationnelles qu'une femme n'oublie pas.

Tandis que le pantalon rencontrait en Europe de telles résistances, il est amusant de constater l'enjouement enfantin dont il a été, au contraire, parfois l'objet, sous d'autres latitudes.

Ainsi, dans ses Souvenirs de Birmanie, lady Dufferin, marquise d'Ava, femme de l'ancien vice-roi des Indes, qui fut quelque temps ambassadeur à Paris, note ce souvenir d'un des caprices de la reine Soopaya Lât, épouse du roi Theebaw:

«Ces dames (des religieuses françaises) travaillaient aussi beaucoup à l'aiguille pour la reine. Elle découvrit, par exemple, que le pantalon est un vêtement indispensable dans la toilette d'une femme: aussitôt les sœurs se mettaient à l'ouvrage et confectionnaient des pantalons pour toutes les dames de la Cour»[380].

A Madagascar, il y eut mieux: les femmes howas «n'ont jamais dû voir de pantalons d'européennes, car elles n'en portent pas», disait, dans une conférence M. Landeroin, l'un des frères de l'ancien interprète de la Mission Marchand[381]... Pas du tout! m'a affirmé un officier supérieur, longtemps attaché à l'état-major du général Galliéni, elles en portent, de finement dentelés, même, et dont elles ne se séparent jamais, pas même la nuit car, ouverts, ou fermés, ils ne les gênent en rien, seulement,... ils sont tatoués.

Malgré l'appui sérieux que lui a apporté le clan des hygiénistes, le pantalon n'a cependant pas vu en France désarmer tous ses adversaires.

«Je me méfie toujours des femmes qui portent des caleçons: c'est la pudeur avec une enseigne», écrivait Commerson[382], pour qui la chose était nouvelle encore.

Sans aller aussi loin, c'était, pour le pauvre Dubut de Laforest «l'odieux inexpressible qui donne à nos Parisiennes des airs de maternité... honteuse[383] et n'était-ce pas le procès du pantalon que le journal le Sport,—oui, mais... Suzanne se déshabille mieux—citait à sa barre:

«Le pantalon a parfois sa raison d'être dans l'ordonnance d'une toilette de femme, mais il n'y saurait entrer à titre d'élégance. Il est nécessaire, mais il n'est jamais gracieux...

«En voyage, c'est un détail d'habillement presque indispensable. Il peut l'être aussi au point de vue hygiénique. Le choix de l'étoffe dont il est fait est alors subordonné au goût de la personne elle-même ou à une appréciation thérapeutique. Au bal, le pantalon est utile pour une femme lorsqu'elle aime la valse à trois temps, la belle et poétique valse à trois temps, et qu'elle s'y livre, parce qu'alors, on le sait, les longues robes, dans l'emportement rapide du mouvement de rotation qui leur est imprimé, finissent par perdre de leur aplomb; elles se relèvent, laissant dans certains élans, la presque totalité de la jambe à découvert».

Non, mais, le journal le Sport aurait-il spécialement étudié la valse à la Galette, chez l'ami Debray, ou à la salle Wagram? Ce n'est pas «la belle et poétique valse à trois temps», qu'il évoque, mais le spectre décharné de Mélanie Waldor:

Quand Madame Waldor à Paul Foucher s'accroche,
Montrant le tartre de ses dents
Et dans la valse en feu, comme l'huître à la roche,
S'incruste à ses membres ardents;
Quand sous ses longs cheveux flagellant sa pommette,
De son épine osseuse elle crispe les nœuds,
Coudoyant les valseurs, pareille à la comète
Heurtant les astres dans les cieux...

Les éditeurs des œuvres complètes d'Alfred de Musset n'ont pas recueilli cette rosserie et ont eu tort. Pour revenir au Sport:

«Le pantalon, en un mot, concluait-il, est un vêtement d'homme de même que le gilet, et, à cause de cela, les femmes qui ont la véritable intuition de l'élégance de leur sexe s'en abstiendront toujours».

S'il ne se montrait pas moins catégorique, M. Ernest d'Hervilly avait le mérite d'être moins dogmatique et plus drôle:

«Je ne parle pas des pantalons, je les hais.

«C'est utile, je le sais bien. La poussière, etc. C'est égal, c'est hideux.

«N'en mettez jamais à la campagne. Les femmes s'imaginent que tous les insectes en veulent à leurs charmes. Elles ont tort: leurs charmes n'ont pas une valeur entre-insectes.

«Et un pantalon... oh! que c'est terrible! n'est-ce pas Messieurs? Le madapolam est une frontière.

«Plus de douanes!»[384]

Enfin, Colombine,—c'était, je crois, M. Henry Fouquier—a publié dans le Gil-Blas un réquisitoire d'une trop jolie venue pour que, malgré sa longueur apparente, je ne croie devoir le reproduire dans son entier. Partisans et adversaires de cette coquette inutilité m'en sauront gré.

PANIERS ET PANTALONS

«Ma spirituelle confrère Etincelle qui possède, comme eût dit Eugène Chapus, la compétence vestimentaire, vient d'annoncer une nouvelle qui, pour nous autres femmes, a une importance capitale.

«Au risque de plonger dans le désespoir mon excellent ami J.-J. Weiss, dit-elle, je lui apprendrai qu'on va reporter des paniers.

«Pour celles d'entre nous qui ne sauraient pas ce que vient faire dans la question le docte normalien, le sous-secrétaire d'État d'Émile Olivier, l'ancien conseiller d'État et le directeur politique de Gambetta, nous leur apprendrons qu'il n'a pas toujours été l'ermite d'aujourd'hui, le philosophe retiré dans sa bibliothèque de Fontainebleau.

«Il y a quelques années, J.-J. Weiss était un mondain, il fréquentait le salon de la princesse de Brancovan; il était assidu des fameux mardis de la baronne Caruel de Saint-Martin et des samedis de la duchesse de Bellune. Là, entouré de jolies femmes qui buvaient ses paroles, il regardait de ses petits yeux, un peu clignotants, le défilé de nos modes.

«Or, son idéal, au point de vue de l'esthétique, était le style grec. Une tunique drapée toute simple et à plis tombant droit, laissant le torse libre et accusant les hanches, lui paraissait le costume le mieux fait pour mettre en valeur toutes nos séductions plastiques.

«Et voilà pourquoi les paniers vont le désoler, les paniers qui coupent la ligne, défigurent le chef-d'œuvre du Créateur, refont des torses artificiels et, qui sait, nous ramèneront peut-être par des gradations successives à la crinoline, la terrible crinoline de 1860.

«Et c'est alors que surgit à nouveau, fatale et inexorable, la question de cet objet de toilette, appelé par nos voisines pudibondes un inexpressible, et par nous autres,—plus souples et moins prudes—un pantalon.

«Nos arrière-grand'mères, ces aimables vieilles, qui firent les beaux jours de l'Empire, même nos aïeules—ces sexagénaires d'aujourd'hui—ignoraient absolument l'usage du pantalon. Dans ce temps, les jupes tombaient toutes simples sans ficelles, sans complications; il ne fallait pas hérisser d'obstacles la voie devant des héros qui n'accordaient à l'amour que quelques minutes entre deux campagnes et n'avaient que le temps de passer et de vaincre.

«Mais avec la crinoline, avec tout l'imprévu des coups de vent, des montées en voiture, des chutes possibles, etc., il fallut forcément protéger notre... pudeur contre les regards trop indiscrets; et les maris, goguenards après avoir vu leur épouse se barder de fer, se palissader de baleines et de tissus indéchirables, se mirent à rire dans leur barbe en pensant qu'ils avaient peut-être un peu défendu leur front.

«Et ce n'était pas tant l'obstacle matériel qui décourageait les impertinents, mais la suggestion morale n'y était plus. Comme me l'expliquait un jour M. Nisard—encore un directeur politique—autrefois quand on apercevait, ne fut-ce que la cheville d'une femme, l'imagination grimpait le long de cette cheville jusque dans les réduits mystérieux et touffus où se célèbrent les sacrifices chers à la blonde déesse; mais alors même qu'on apercevrait la jambe jusqu'au genou, si l'on sait que ce bas bien tiré aboutit à un entonnoir de batiste, l'inspiration s'envole à tire d'aile.

«Je sais bien que nous avions fini par réduire ce pantalon au strict minimum, tellement qu'il n'était plus pour ainsi dire... qu'une expression géographique. Descendant à peine sur la cuisse, formé de tissus délicats et diaphanes, partagé en deux sections par une de ces larges voies stratégiques qui permettent le régime du laissez-faire et du laissez-passer (je ne sais si je me fais bien comprendre), le pantalon était devenu plutôt un ornement qu'une défense proprement dite.

«Et pourtant celles d'entre nous qui ont étudié le dix-huitième siècle, qui connaissent l'Embarquement pour Cythère, de Watteau, l'Escarpolette, de Fragonard, avec son envolement de jupes zinzolin et ses aperçus polissons, savent bien le charme étrangement attractif produit sur les nerfs exacerbés du mâle par la vue de belles jambes, émergeant blanches et satinées à travers les froufroutements des linons et des dentelles, se profilant au hasard des renversements imprévus, nues et sans obstacle, l'envers du jupon en satin rose, avec une ligne coupée seulement par quelque jarretière franfreluchée.

«Celles-là étaient dans le vrai; aussi profitant des modes dernières, des costumes tailleurs, collants et tout simples, des robes fourreaux, beaucoup d'entre nous avaient carrément supprimé le pantalon, au moins du 1er avril au 1er octobre, époque légale pendant laquelle on ne fait pas de feu dans les bureaux des ministères. Cette suppression pouvait indiquer la saison et la température, absolument comme les moines barométriques annoncent le temps probable en coiffant ou en supprimant leur capuchon.

«Quelques arriérées pourtant tenaient bon même en été, donnant des raisons d'hygiène, de poussière, de chaleur... comme si la bonne eau du bon Dieu n'était pas la grande purificatrice, arguant de promenades en mails avec obligation de monter sur l'échelle de Jacob; mais la masse intelligente—j'en étais—avait bravement aboli cette partie du costume au moins inutile, ce pantalon qui n'empêche pas grand'chose, je le concède, mais qui n'aide à rien, ce qui est déjà un grand tort.

«Or, si Étincelle a raison—et Étincelle a toujours raison—si les paniers reviennent à la mode, malgré le désespoir de J.-J. Weiss, le pantalon doit rentrer en triomphateur, comme un accompagnement indispensable; ceci amène cela, et en songeant à l'hospitalité écossaise, nous pouvons dire: ceci tuera cela, car si l'hospitalité écossaise jouit d'une renommée spéciale, c'est qu'en Écosse le pantalon est aussi inconnu que les brosses à dents en Bretagne ou, pour être plus poétique, que les éperons à Venise.

«Je ne sais si nos maris et nos amants sont précisément, en cette fin de siècle, à une de ces époques héroïques où, comme Guzman, on ne connaît pas d'obstacle. Je ne sais s'il est intelligent, s'il est politique de notre part d'accumuler les difficultés, de revenir aux anciennes entraves et de remplacer par le système protecteur celui du libre-échange, qui semblait donner d'excellents résultats. Et cela précisément au moment où M. Lagneau constate, par des rapports éplorés, que la population diminue dans une inquiétante proportion. Ne serait-ce pas au contraire le moment de faire feu sinon des quatre pieds, du moins... des deux jambes et de réveiller les sens endormis par une recrudescence de séductions et d'aperçus cantharidés, par une exhibition suggestive rappelant la belle phrase du divin prophète: «Laissez venir à moi les petits enfants.»

«La femme est charmante en chemise,—on me l'a souvent dit et à vous aussi, mesdames? Regardez plutôt au musée du Louvre la statue de la jeune Lacédémonienne, vêtue seulement d'un tissu transparent commençant sous les seins et laissant les jambes entièrement découvertes. Elle conserve, dans ce costume primitif et biblique, toutes les grâces provocantes de son sexe. Un bas à passer, la chevelure à relever, une épingle à ramasser motivent immédiatement des mouvements de Diane au bain, évoquent le souvenir des Muses de Raphaël, des Aurores du Guide, des Grâces de Jean Goujon ou des Nymphes de Carrache. En pantalon, au contraire, la vraie femme, celle qui n'a rien de commun avec la poupée de Jeanneton, qui, en un mot, a des rondeurs, des saillants et des rentrants, paraît toujours basse sur pattes et ridiculement callypige. Le pantalon est difficile à enlever, compliqué à remettre, et, posé sur un fauteuil, produit l'effet le plus piteux. Il faut donc absolument le condamner avant, pendant et après.

«Et, quant à moi, je ne serai satisfaite que quand J.-J. Weiss pourra chanter triomphalement à Étincelle:

Adieu paniers, vendanges sont faites,

air auquel je répondrai par ce simple vers d'un opéra connu:

Bonsoir, monsieur Pantalon!»[385]

L'on ne saurait mieux dire.

Le Journal des Demoiselles trouvait jadis le pantalon inconvenant pour une première communiante. Il en est de même—mais les raisons diffèrent—pour une femme, quand elle porte des chaussettes.

«Les jours où on met les chaussettes, édicte Jo, (ce ou plutôt cette Jo ne fut jamais ministre que de nos plaisirs), ces jours-là, petite Lo, on ne met pas de pantalons»[386].

La chaussette est en effet bien masculine, le pantalon exagérerait le travestissement. Jo était dans le vrai et la jeune américaine qui refusait au cher Alphonse Allais de bostonner avec lui le «Washington Post», la «new dance» qui allait faire fureur, partageait cette théorie et la pratiquait:

—Et vous, miss, vous ne dansez pas ce soir?

—Non, pas ce soir.

—Pourquoi cela, miss?

—Parce que j'ai des chaussettes et pas de pantalon.

—Quelle blague!

—Voyez plutôt, répondit-elle en souriant[387].

Sans aller jusqu'aux chaussettes qu'une connaissance imparfaite de la langue fait prendre à d'aimables enfants que la comparaison effraie, pour le féminin de chausson, combien, et tout ce qu'il y a d'honnêtes, ne portent pas de pantalon l'été, simplement parce que c'est trop chaud et qu'elles éprouvent un bien-être indicible à n'en pas avoir.

C'est l'Évangile de Colombine mis en pratique et ses disciples sont innombrables.

«Il y a tant de Parisiennes, en cette saison, déclarait le Fin de Siècle, qui se passent de pantalon»[388].

Ce qui était vrai au déclin du XIXe siècle, ne l'est pas moins au XXe. Conteurs et romanciers ne pouvaient omettre ce détail nouveau de nos mœurs et ont eu soin de le noter.

«Eliane, qui était une personne vertueuse, portait toujours des pantalons, de jolis pantalons en toile fine avec un frémissement de dentelles sur le rose des jarretières. Mais, ma foi, elle était chez elle, et il faisait une chaleur si étouffante, vraiment, qu'elle avait cru pouvoir supprimer sans inconvénient ce vêtement intime»[389].

Mme de Ponticello, une héroïne de Richard Cantinelli est dans le même cas. Seulement elle n'est pas chez elle, comme Eliane, mais à la campagne, où elle suit à la lettre, la chaleur aidant, les conseils d'Ernest d'Hervilly, et offre ainsi à l'innocent Pamphile un tableau d'une simplicité antique:

«Le bruit de ses pas était assourdi par le tapis continu dont les aiguilles tombées des pins couvraient le sol. Il crut entendre un léger murmure de source, il se pencha, regarda et vit rose. Jamais fut-ce à Bruxelles, jamais artiste n'avait imaginé un aussi audacieux, réjouissant et troublant motif de fontaine. Mme de Ponticello, qui ce jour-là, à cause de la chaleur n'avait pas de pantalon, sentit ce regard ardent sur sa nudité d'une minute. Elle tourna la tête, aperçut Pamphile...»[390]

Il n'est jusqu'à cette bête de Marie Belhomme, qui, à l'école, à Montigny, l'été, «ne portait pas de pantalon, pour sentir ses cuisses faire doux en marchant».

Au courant de cette particularité, ses «gobettes» d'amies, pour rompre l'ennui pesant d'un lourd après-midi, lui jouent la «méchante farce» de lui faire prouver jusqu'à l'évidence que... le capucin n'avait pas son capuchon:

«Nous étions quatre, une après-midi, assises sur un banc, dans l'ordre que voici:

Marie, Anaïs, Luce, Claudine.

«Après s'être fait dûment expliquer mon plan, tout bas, mes deux voisines se lèvent pour se laver les mains, et le milieu du banc reste vide, Marie à un bout, moi à l'autre. Elle dort à moitié sur son arithmétique. Je me lève brusquement; le banc bascule. Marie, réveillée en sursaut, tombe les jambes en l'air, avec un de ces cris de poule égorgée dont elle a le secret, et nous montre... qu'effectivement elle ne porte pas de pantalon. Des huées, des rires énormes éclatent; la Directrice veut tonner et ne peut pas, prise elle-même d'un fou rire; et Aimée Lanthenay préfère s'en aller, pour ne pas offrir à ses élèves le spectacle de ses tortillements de chatte empoisonnée»[391].

Ce serait pour certaines, un véritable bien-être que de pouvoir passer la journée chez elles sans pantalon, un bien-être dont on rêve:

«On assure que l'eau du bain est parfumée et qu'en sortant elle pourra s'étendre sur un canapé de soie brochée, en peignoir de soie et sans pantalon, bien à l'aise enfin...»[392]

Et en chemin de fer, donc, quand il faut passer la nuit en wagon. S'il en est qui ne perdent pas de vue la sonnette d'alarme, d'autres ne songent qu'à retirer leur pantalon, sans que les tentent en rien l'imprévu et les dangers d'une passade par trop brève:

«Ces dames, durant ce temps-là, avaient pour moi des regards obliques, lesquels voulaient dire certainement: sans cet animal-là, comme nous retirerions nos pantalons!»[393]

«Le pantalon, a dit justement Colombine, est difficile à enlever (et) difficile à remettre». Gauche et un peu embarrassée, une débutante aura peine à ne pas côtoyer le ridicule—sans compter celui du pan de chemise que laissera souvent échapper la fente—tandis que la femme qui n'en est pas à son premier déshabillé, saura trouver les gestes qui conviennent et leur prêter sa grâce.

Qui sait si cet intrus, qui, quand on le retire, vient toujours à l'envers et qu'il faut ensuite retourner avant d'en réintégrer la batiste, n'a pas maintenu dans l'étroit sentier de la vertu des hésitantes qui «sans l'ennui humiliant de sortir en détail de ses pantalons» se seraient volontiers attardées à grappiller les églantines du chemin, pour prendre goût ensuite au porto blanc des garçonnières?

Nous côtoyons là les bords fleuris et le tabac blond de l'adultère, revenons aux pantoufles et au scaferlati ordinaire du mariage. Il est également sujet à surprises et change bien des choses. C'est beaucoup de savoir plaire à l'époux et de savoir flatter ses goûts, aussi en verra-t-on se plier à la gêne du pantalon, qui, jusque-là n'en avaient pas porté, alors que d'autres en feront le sacrifice à leur initiateur, s'il a contre cette lingerie les préjugés et les préventions d'une autre époque.

Laissant à Mme Desnou et aux dames de Chauny ou de Villers-Cotteret de n'en porter que leurs jours de grande toilette, «aux grandes fêtes et au jour du saint patron de leur mari»[394]: en général la femme de la bourgeoisie en porte et elle ne laissera jamais apercevoir, pour une raison ou pour une autre un peu haut ses jambes, sans qu'apparaisse timide le poignet ou le sabot du pantalon.

A Trouville, c'était la pêche aux équilles. Elle fournissait aux contemporaines de Bertall une excellente occasion de montrer leurs jambes si elles étaient bien faites et elles ne s'en privaient pas:

«La pêche aux équilles est la pêche favorite sur les plages de sable. C'est une pêche qui prépare adroitement les autres, et qu'affectionnent particulièrement les belles pécheresses, auxquelles les équilles servent de prétexte pour exhiber sous les yeux de jeunes pécheurs, et de pécheurs endurcis, les fines bottines à barrette à talons d'argent, les fins bas de soie à broderies de couleur, et les dentelles affriolantes des jupes nuageuses et des prestigieux pantalons»[395].

Je ne sais si ce sont des équilles que l'on cherche aujourd'hui aux Roches-Noires, mais la qualité des pécheresses semble avoir terriblement baissé. Plus de dentelles affriolantes, de jupes nuageuses, ni de prestigieux pantalons, oh! nullement prestigieux, par contre, ils sont ouverts et leur fente bâille parfois bien indiscrètement.

Edmond de Goncourt a noté d'autre part ce dîner à la campagne, précédant une partie de pêche aux écrevisses, qu'il devait utiliser dans Chérie[396]:

(1878) «Samedi 3 août.—Mon cousin Marin a invité les femmes de la magistrature d'ici (Bar-sur-Seine) à une pêche aux écrevisses, à la tombée de la nuit. On doit pêcher au-dessus de Polisot, et la pêche est le prétexte d'un dîner-souper en plein air. On monte en voiture par une pluie battante, et, au bout d'une heure, on est à destination et on se met à table.

«La nuit est venue. Huit torches, fixées à huit piquets, sont allumées, éclairant le repas de leurs lueurs balayées et fuyantes. Un grand feu flambe au milieu du pré, où, de temps en temps, les trois femmes vont sécher les semelles de leurs bottines mouillées, montrant des bas écossais et des pantalons brodés, en se soutenant par la taille, avec des gestes de caresse; groupe au milieu fait par la charmante Mme G..., dans une de ces blanches toilettes anglaises, que Gravelot donne, en ses vignettes, à ses héroïnes de romans»[397].

La femme ne pêche pas, en effet, qu'aux flambeaux. Supprimez l'adultère et vous supprimerez du coup le roman contemporain. L'électricité remplace, pour l'ordinaire, les torches de Bar-sur-Seine, mais le rôle du pantalon n'est pas moindre, au contraire. Les déshabillés extra-conjugaux ne sauraient se passer de ce piment. Les soigneuses, comme Mme de Gromance le plient, après l'avoir retiré; les impulsives le laissent, elles, traîner, à demi retourné, où il est tombé: un de ces riens par lesquels se trahit la femme.

Celui-ci une fois enfilé et attaché sur une agrafe du corset de soie «en pantalon de foulard rose à fleurs, elle allait, se baissant, se levant, se baissant, encore agile et prompte, par la chambre, à la recherche de son jupon perdu dans la chiffonnerie de ses vêtements épars»[398].

Ce spectacle donne au jeune mâle satisfait de graves pensées guère coutumières à sa cervelle d'oiseau.

Il a allumé une cigarette et se souvient:

«Après avoir longuement noué sa cravate devant la glace et allumé une cigarette, il s'amusait à suivre des yeux les mouvements de Mme de Gromance, dans ce costume qui exagérait joliment tout le féminin de ce corps de femme. Il ne savait pas si c'était gracieux ou ridicule. Il ne savait pas s'il fallait trouver ces aspects-là vraiment pas beaux, ou en éprouver une toute petite joie d'art. Sa perplexité venait de ce qu'il se rappelait une longue discussion soulevée à ce sujet, l'hiver précédent, chez son père, un après-dîner, au fumoir, par deux vieux connaisseurs, M. de Terremondre qui ne savait rien de plus adorable qu'une jolie femme en corset et en pantalon, et Paul Flin qui plaignait au contraire la disgrâce d'une dame à ce point précis de sa toilette. Philippe avait suivi la dispute qui était amusante. Il ne savait à qui donner raison. Terremondre avait de l'expérience, mais il était vieux jeu et trop artiste; Paul Flin, passait pour un peu bête, mais très chic. Philippe inclinait, par malveillance naturelle et affinités électives, au sentiment de Paul Flin, quand Mme de Gromance mit son jupon rose à fleurs roses»[399].

Drame ou comédie, que le quatrième acte tourne au Bernstein ou au Courteline, il n'est jusqu'à la table des pièces à conviction—Thémis, à toi la pose!—où le pantalon féminin ne vienne jeter sa blancheur tragique ou comique.

Ainsi, au lendemain du drame fameux qui par delà l'azur de la Méditerranée passionna à un si haut point l'opinion publique et dont M. Paul Bourget ne sut tirer qu'un médiocre parti, put-on voir les dessous de Mme G., chemise, corset et pantalon, livrés aux regards du public et aux mains pataudes des jurés[400].

Pauvre femme, n'aurait-on pu lui éviter cette suprême honte?... et Henri Chambige fut condamné: il coûte moins cher d'aller vider son browning à bout portant sur un journaliste sans défense, dont le seul tort fut de recevoir, par galanterie, une femme venue pour tuer.

Le vaudeville n'est pas moins révélateur. Qui se souvient de l'affaire Humbert, cette gigantesque escroquerie, à laquelle notre jobardise nationale dut d'être une fois de plus citée comme exemple.

Pourtant tout ce joli monde, la grande, ou plutôt la grosse Thérèse, son frère Raymond Daurignac, la sœur Maria, aussi effacée que le mari, et la fille Ève, défila devant un tribunal auquel on n'était pas parvenu à le soustraire, et l'on rit jusqu'aux larmes. L'épargne française avait bu un bouillon sérieux, mais, en revanche, on lui offrait une pinte de bon sang plutôt tassée.

Après tout le linge sale du ménage lavé en public, ce fut le tour du linge propre d'être vendu à l'hôtel Drouot, défroques dont quelques pièces avaient «un caractère fort suggestif, pantalons de dentelles à entre-deux, chemises de soie à jour, etc.»[401]. Thérèse ne prévoyant pas le très sommaire trousseau de la maison centrale, en vérité se mettait bien.

La vente eut un succès à la fois d'argent et de gaîté. Les enchères furent poussées, les chemises se vendirent bien et les pantalons se tinrent fermes. J'emprunte au Journal des Débats ces détails oubliés. Que tout cela semble déjà loin de nous:

«L'on attendait avec impatience la mise aux enchères de la lingerie et ce furent de francs éclats de rire, quand apparurent les chemises et les pantalons. Tout le monde voulut voir et toucher ces reliques intimes. Consciencieusement le commissaire étalait les dessous de formes et de tailles diverses.

«Notons quelques chiffres. Sept chemises en dentelles, 465 fr.; sept matinées, 347 fr.; un pantalon, une chemise, 294 fr.; etc.»[402].

Ce fut pour Abel Faivre l'occasion d'un bien amusant croquis dans le Journal.

Toutefois, les pantalons sont, loin de fournir à la Préfecture de Police (bureau des objets perdus), un contingent aussi considérable que les corsets. Si en taxi, ces Cythères roulantes, «garnis» des petites bourgeoises qu'effraient, à leurs débuts, l'hôtel et le sourire obséquieux et sournois du garçon, ces dames retirent volontiers leur corset, elles conservent pour l'ordinaire leur pantalon. Plus ou moins froissé ou mis à mal, c'est toujours autant de sauvé.

Pourtant, cela peut arriver de perdre son pantalon, même en plein concours hippique—n'est-ce pas Nelly?[403]—voire sur le warf de Tanger la bleue, sans que l'on puisse attribuer aux frères Manessmann ou au champion de Mamers cette rupture de cordons, ou même à une première de Romain Coolus au Théâtre Antoine.

Deux faits divers; ils ont leur saveur:

«Une jeune femme, sans rêve, sans passion, une bonne petite bourgeoise d'épouse débarque à Tanger. A son premier pas un crac significatif lui annonce une avarie (oh! Madame!) dans une partie de sa toilette, et soudain sur ses bottines, son pantalon vient choir. Que faire? Le remettre en plein warf, il ne fallait pas y songer. Marcher tout de même? Cela risquait de devenir grotesque. D'un geste sec, la jeune femme arracha la légère batiste et l'envoya par-dessus bord»[404].

Une façon de jeter son bonnet par-dessus les moulins à laquelle n'avait certainement pas songé Mimi Pinson.

Cela n'explique pas le mystère du Théâtre Antoine: il n'y avait pas de pas au plafond, mais un pantalon de femme oublié aux fauteuils d'orchestre. A quels tripatouillages, ô Caliban, avait donc donné lieu la pièce nouvelle de Coolus?

Sous la plume de Palémon, le Figaro a gaîment conté ce menu fait de la vie parisienne:

«Un incident des plus singuliers et des plus inattendus a donné à la première représentation de la nouvelle pièce de M. Romain Coolus, au théâtre Antoine-Gémier, une note comique infiniment pittoresque, et qui d'ailleurs n'a nui en rien à cette belle œuvre, puisque le fait se produisit après le baisser du rideau.

«Tandis que la salle se vidait lentement, un spectateur découvrit devant un fauteuil d'orchestre un chiffon d'élégante lingerie finement brodée, délicatement ajourée, un de ces vêtements légers qui semblent se faire gloire d'être inutiles. Un mouchoir? Non pas. Une écharpe? Pas davantage. Une mantille? Point du tout.

«C'était ... il me faudrait pour nommer ce coquet accessoire de l'ajustement féminin les ressources du lyrisme le plus discret et de la poésie la plus intime... c'était... ce vêtement auquel l'un des plus célèbres personnages de la comédie italienne a donné son nom... c'était... mon Dieu, il faut bien l'appeler par son nom... c'était un pantalon.

«Ce fut dans la salle un immense éclat de rire et tous les spectateurs qui venaient d'être violemment émus par les belles situations de Cœur à cœur connurent là quelques instants de gaieté folle... irrésistible...

«D'où venait ce sournois, cet imprévu, cet incroyable pantalon? comment était-il là? quelle main irrévérencieuse ou maladroite l'avait jeté à cette place? Distraction? fumisterie? On ne sait... ne le saura jamais. Il y a ainsi de petits mystères qui ne seront jamais éclaircis. Celui-ci est parmi les plus irritants. Les ouvreuses interrogées ne purent donner aucun renseignement; ce genre d'objets ne relève point de leur vestiaire.

«Je sais bien que Béranger, considérant le pantalon comme l'un des signes du développement de l'esprit républicain en France, s'écriait au lendemain d'un événement réactionnaire:

Les anciens préjugés renaissent,
On va quitter les pantalons.

«Mais il ne semble point que ces deux vers d'une médiocre envolée, puissent ici trouver leur application.

—Et dire, soupirait un spectateur, qu'elles ne veulent pas retirer leur chapeau!»[405]

Un bouton, sans doute, qui avait sauté ou un cordon qui avait craqué,... à moins que la défaillance due à une émotion trop vive, ait fait craindre à une pauvre dame de s'enrhumer, si elle conservait sur elle le témoin bon à tordre, ou plutôt la victime, d'un oubli de quelques secondes.

Dans un cas comme dans l'autre, il faut admirer l'adresse et les ruses dont on avait su user une femme pour dépêtre, en pleine salle de théâtre, ses jambes de l'importune lingerie et la retirer.

Mauvais présage d'autre part, pour une jeune mariée de sentir, le jour de la cérémonie, craquer son pantalon, en montant les marches de l'église. Le ménage est appelé à craquer, lui aussi. «Petite superstition française» a soin d'ajouter Maurice Donnay, dont Le retour de Jérusalem nous a révélé ce détail de mœurs assez ignoré—des hommes, tout au moins:

—J'ai une amie, le jour de son mariage également, en montant les marches de la Trinité, son pantalon a craqué. Elle s'est dit: Ça y est, je tromperai mon mari.[406]

Non moins mauvais pour une pauvre petite femme venue dans un ministère pour y appuyer le Mérite Agricole ou les Palmes de son époux, d'oublier dans le cabinet du chef du bureau compétent, son pantalon que l'examen attentif des titres du candidat lui aura pu faire retirer. Les hommes sont si mufles que, quelques jours plus tard, le mari pourra le recevoir avec, épinglés, la carte du bureaucrate et un compliment de sa façon.

Il n'en faut pas plus pour jeter le trouble dans un ménage parfaitement uni: les hommes comprennent si rarement le dévouement de l'épouse.

Il vaut mieux qu'il soit perdu tout à fait en voyage de noces. La jeune femme n'en est pas à cela près, puis cela a si peu d'importance au milieu des roucoulements de la première semaine.

Après un long arrêt qu'ils ont mis à profit pour dîner en cabinet particulier, les tourtereaux sont remontés en wagon. Monsieur semble fatigué, presque triste, et Madame est encore très rouge. Le train vient de repartir. (Auteur du scénario: Auguste Germain):

M. Omer (très tendre).—Cette fois, j'espère que tu n'as rien oublié?

Alexandrine.—Oh! non!

M. Omer.—Tu n'avais plus rien à perdre, d'ailleurs.

Alexandrine.—Oui.

M. Omer.—Tes cartons à chapeaux sont à Paris; ton sac, ton ombrelle et ton parapluie à Chartres. Notre voyage se finira tranquillement.

Alexandrine.—Oui.

Mais tout à coup elle s'agite, blêmit, ses yeux deviennent hagards, ses mains tremblent.

M. Omer.—Qu'est-ce que tu as?

Alexandrine.—Dans le restaurant, à Saintes.

M. Omer.—Quoi?

Alexandrine.—J'ai oublié mon pantalon[407].


A TRAVERS LE ROMAN CONTEMPORAIN

Les maîtres de l'archet subtil et titillant dans l'art de bien exciter et bien dire.

Jean Lorrain.

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