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Le penseur et la crétine : $b récits

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A L’ÉCART

Ce sont les conditions exceptionnelles qui créent l’artiste : tous les états intimement liés aux phénomènes maladifs, de sorte qu’il ne semble pas possible d’être artiste sans être malade.

(Nietzsche, la Volonté de Puissance.)

Les artistes ne sont pas les hommes de la grande passion, quoi qu’ils s’imaginent et quoi qu’ils nous disent.

(Id. Ibid.)

I

Je fis sa connaissance au deuxième relais de la route de Laghouat au M’Zab. Je roulais depuis neuf heures à travers la Daya, dans le coupé de l’énorme voiture. J’étais descendu péniblement, en chancelant dans la nuit. La diligence dételée semblait une épave du désert. Un Arabe était étendu sur le marchepied arrière, blanc et immobile comme un cadavre sous son drap. Un bref tourbillon de poussière se soulevait parfois, au-devant du fanal. On se sentait rejeté du monde, vomi au hasard, en un point quelconque de l’immensité plate et morte.

Pourtant, un rectangle de lumière, dressé sur l’obscurité, attestait l’existence d’une maison. J’entrai dans une pièce où s’entendaient le tic-tac d’un réveil et la respiration d’hommes endormis. Un feu de tourbe éclairait suffisamment. Le cocher buvait du café, accroupi devant la flamme. Des Arabes étaient allongés sur la terre battue. Au fond de la chambre, adossé au mur, un Européen me regardait. Je lui offris une cigarette, qu’il accepta avec une espèce d’empressement inquiet.

Dès les premières paroles, il me fut évident qu’il n’appartenait pas aux catégories humaines le plus souvent rencontrées dans ces parages : officiers en tournée d’inspection, ou fonctionnaires civils rejoignant leur poste. Je lui demandai s’il descendait au M’Zab avec moi. Non, il venait d’errer à cheval parmi les tribus et il regagnait Laghouat en flânant.

Au bout d’un quart d’heure de causerie, il me dit, à brûle-pourpoint :

— D’ailleurs, vous ne trouverez rien, là-bas.

Je le regardai avec surprise.

— A quel point de vue ?

— Musique, sourit-il brièvement, en baissant les yeux.

— Mais je suis peintre, protestai-je.

— Oui… Vous devez être mieux doué pour la musique.

C’était cruellement exact. Je le regardai avec stupeur.

— Et vous ? questionnai-je.

— Moi ?… Je m’occupe de musique.

On avait attelé des mules fraîches. Nous nous séparâmes sur des paroles banales et je continuai mon voyage.

Trois semaines plus tard, je le retrouvai dans la salle à manger de mon auberge, à Ghardaïa. Il était arrivé de nuit. Je lui demandai s’il comptait rester longtemps dans le M’Zab.

— Je ne sais pas, hésita-t-il. Je n’ai pas de projets… Je suis tout à fait libre… et… Eh bien, coupa-t-il d’une voix forte, dites-moi donc que j’avais raison. Vous n’avez rien trouvé, n’est-ce pas ?

— En effet.

— C’est fini. Voilà douze siècles qu’ils dorment. Il y a d’autres races qui dorment aussi… Mais elles chantent quelquefois en rêve… Celle-ci, non… D’ailleurs, ajouta-t-il, je ne m’en plains pas… Ils ont tout de même une musique… Regardez-les bien… et… vous l’entendrez peut-être.

— Vous composez ? questionnai-je.

Il me jeta un regard fuyant et répondit, comme la première fois :

— Je m’occupe de musique.

Je demandai son nom à l’hôte, après le déjeuner : Michel Sarterre. Je me souvins, tout à coup, que six ans auparavant, tandis que je voyageais en Orient, les artistes de Paris s’étaient émus à l’apparition d’un jeune musicien de ce nom. Il avait fait exécuter un ballet d’une conception si originale, d’une audace harmonique si grande, que le public s’était révolté. Entré dans la gloire à coups de sifflet, il n’avait pas profité de cette exaltation de colère et d’enthousiasme. Au lieu de produire, suivant l’usage des habiles, une seconde œuvre, aux violences calculées pour le scandale, il s’était fait oublier. Je ne doutai pas que le hasard ne nous eût réunis, mais sa réserve me conseillait de n’en rien témoigner.

Nous causions, un soir, sur le seuil de l’auberge, à cette heure bienheureuse où la ville blanche devient rose, où une voix s’échappe de son bizarre minaret, dressé comme un pistil noir sur le couchant, où tout un peuple en burnous commence sa rumeur. Il y avait des formes claires couchées à même la piste. Un crapaud donnait ses deux notes. Dans un café, les chocs sourds des tambours et les broderies obsédantes de la flûte annonçaient la volupté renaissante de la nuit.

Mon compagnon me désigna une fillette qui passait devant nous :

— Regardez.

Elle portait un turban orange d’une si riche nuance, qu’il semblait distiller de la couleur. Le kohl entourait ses yeux d’un ovale bleu. Deux signes bleus sur le front, drapée avec mollesse dans une robe indigo, elle marchait fièrement, une agrafe d’argent posée sur l’épaule nue.

— C’est pourtant vrai, dis-je. Il leur reste cette musique-là. Mais qui peut la noter ?

Il sourit vaguement, suivant des yeux l’enfant, qui se balançait dans la cendre pourpre du crépuscule.

Quelques instants après, un garçon au burnous en loques, à l’œil impudent, passa nonchalamment près de nous. Avant de disparaître, il se retourna et fit un signe impatient à Sarterre, qui devint nerveux, puis me quitta, sous un prétexte quelconque.

Vers deux heures du matin, je prenais l’air sur ma terrasse. Un grand vent doux faisait lever des nuages bleuâtres, qui couraient timidement vers l’ouest, comme avertis que bientôt le soleil jaillissant les dévorerait.

Quelqu’un pénétrait dans l’auberge. Je me penchai et reconnus Sarterre. Il me vit, leva vers moi une face illuminée par je ne sais quelle ivresse et me fit un geste familier de la main.

Après le déjeuner, il s’approcha de ma table.

— Je ne vois pas, dit-il, pourquoi je ne vous raconterais pas ma nuit.

Je lui offris une chaise. La salle était presque fraîche. Ali, le domestique, une grande brute arabe à la voix retentissante, allait et venait.

— Vous avez remarqué cette fillette, hier au soir, n’est-ce pas ? C’est une amie de la petite crapule au burnous déchiré qui venait derrière elle. Treize ans… l’âge des entremetteurs, ici. Celui-là m’a conduit par un détour jusque dans l’oasis. On peut y aller en traversant la ville, mais celle-ci n’est pas éclairée et ses rues voûtées, ses impasses, ses recoins souterrains conseillent à l’Européen de ne pas s’y risquer le soir. D’ailleurs, dans les jardins, on peut recevoir le coup de fusil destiné au maraudeur ou à l’adultère. C’est peut-être pour cela qu’ils sont si beaux. Ah ! je suis sûr que ce vieil âne de Rimsky les aurait aimés !

J’avais remarqué déjà sa coutume d’injurier affectueusement ses maîtres les plus chers.

— La nuit, continua-t-il, la palmeraie sent l’eau et les roses mouillées. On y marche sous une mer de verdure, à cause des vignes que les Mozabites font courir d’un tronc à l’autre. Une fraîcheur faible et sentante vous monte à la tête. Mais la plus grande ivresse, c’est encore celle qu’on porte en soi… Le désir de cette enfant farouche, la pensée qu’elle vous échappe de jardin en jardin, l’incertitude de la poursuite… Oui, c’est plus fort que leur lagmi !

Je crois qu’elle nous guidait, tout en paraissant nous fuir, car, arrivée près d’une porte pratiquée dans un mur de terre, elle nous attendit et le marchandage commença. Il y eut de longs chuchotements passionnés et gutturaux. A la fin, le petit Arabe me dit : « C’est oui. »

La porte s’ouvrit et nous pénétrâmes dans un jardin. Une forme bleue faisait le guet. Je sentis le contact d’un bras noir et maigre cerclé d’argent. Nous traversâmes un carré d’orge et trouvâmes une vieille, assise près d’un gourbi. Les chuchotements recommencèrent. On paraissait craindre l’arrivée de quelqu’un. Puis l’enfant se mit à avoir peur de moi. La vieille lui fit honte de sa timidité. Le jeune entremetteur l’encouragea en riant. Finalement, elle pénétra dans une espèce de cave, où la guetteuse nous rejoignit avec une bougie allumée. Je vis une tête noire au nez crochu, des pommettes saillantes, un œil gauche vitreux. La pièce n’avait pas de meubles ; rien qu’une natte et une toile brune. Des babouches minuscules traînaient. La guetteuse proposa du café, que je refusai, puis nous quitta.

La fillette se tenait debout, la tête un peu penchée. Elle toucha sa robe d’un geste mutin, pour dire : « Faut-il l’enlever ? »… Ah ! comme cette palpitation du désir est plus forte que la tendresse ! L’amour que nous imposent les femmes civilisées m’a toujours paru maladif. Il naît, se développe et meurt dans une brume de sentiments. Et si je n’ai plus de sentiments, moi ? Si les mots qui les expriment me font défaillir de honte et d’écœurement ? Si je suis devenu pareil à un chacal ? Faut-il encore mentir ? Qui donc y gagnera ?

Cette enfant avait un corps brun, très clair, presque blanc ; non point potelé, mais ferme comme la terre. Elle était docile et grave. Elle ne prononça que deux mots : merci, quand je jetai cinq francs sur le sol et demain, quand je la quittai.

Vous êtes-vous jamais senti libre, auprès d’une femme d’Europe ? Moi pas. Je ne parle pas de celles qui nous aiment. Mais les filles elles-mêmes nous enchaînent, par leur bavardage et leur comédie du plaisir. Ce prétendu partage de la volupté nous oblige à une sorte de reconnaissance, au mensonge de la camaraderie ou de la pitié. C’est un poids à traîner en commun, une complicité de tristesse et de joie. Au contraire, avec ces petits démons bruns, je me sens divinement seul. Elles sont inertes et aussi privées de sentimentalité qu’une pierre polie. Leur obéissance est servile, mais glaciale. C’est pour cela qu’elles m’enivrent. Elles me haïssent peut-être : elles ne contrecarrent jamais ma folie de liberté. Elles ignorent les gestes qui emprisonnent. Combien de fois, — du temps où je me croyais capable d’aimer, — combien de fois n’ai-je pas fait sournoisement glisser le bras qu’une femme arrondissait autour de mon cou !

Je retrouvai mon jeune Arabe dans le jardin. La guetteuse à l’œil mort nous ouvrit la porte et nous vagabondâmes de nouveau dans l’oasis.

Mon guide mordait une rose. Il voulait me conduire chez un de ses petits amis, beau comme la lumière, disait-il. Je préférai visiter une Ouled-Naïl qui habite hors la ville, en haut d’un roide escalier de faïence. C’est une fille de seize ans, de la couleur du cuivre rouge. Ses bras fluets pendent, sans vouloirs ; son corps semble ramolli par le fleuve de débauche qui, sans cesse, déferle sur lui. Ses seins renflés résistent pourtant. Son visage, à la lèvre inférieure saillante, fait songer à la tête d’un poisson qu’on tiendrait par les ouïes. Elle est primitivement bestiale et ne prononce que de rares syllabes enrouées. Je sortais de chez elle, quand vous me vîtes rentrer. J’étais ivre et je n’avais pas bu.

Il se tut, inconscient de la gêne que ces confidences me causaient. Il n’y attachait évidemment aucune importance. Mais sa pudeur était ailleurs : je crus pouvoir lui dire, un instant après, que j’avais entendu parler de sa première œuvre ; aussitôt, il rougit, balbutia un acquiescement et, pivotant sur ses talons, me demanda si je connaissais un débit d’excellent vin de palme, à la porte du midi.

Je ne le vis pas le jour suivant.

Le surlendemain, je le trouvai hors des murs de la ville, dans un ravin de sable désolé par la lumière. Il était échoué sur un talus où s’étalaient des ordures, non humiliées et croupissantes, comme aux pays humides, mais rutilant impudemment derrière un rideau de flamme. Il y avait eu là, jadis, un cimetière et les immondices débordaient sur les tombes en miettes. On foulait pêle-mêle des mâchoires de bêtes, des débris de cruches, des déchets de nourriture et des stèles éclatées. Des morceaux de fer-blanc étincelaient comme le diamant. L’astre de midi trempait tout d’un feu jaune et rouge, qui vous revenait à la face et vous mordait les yeux.

Sarterre était assis sur un crâne de mouton et son talon martelait une boîte à conserves défoncée. Il me regardait approcher d’un œil lourd. Je ne savais comment l’aborder.

— Vous vous demandez probablement ce que je fais là ? me dit-il enfin. Ce matin, vers dix heures, je suis sorti… J’ai vu, sur la route, une tache mauve qui dansait dans la lumière. J’ai pressenti un corps de femme. Je l’ai suivie… dépassée… Elle m’a regardé d’un air farouche. Elle allait à Melika. Je l’ai vue entrer par la porte à cinq dents qui ouvre sur une voûte noire. Elle m’aurait griffé, si j’avais pénétré dans les murs. Je me suis assis au pied du rempart. Une jeune nomade est sortie de la voûte. Je l’ai suivie jusqu’aux tentes en loques de sa tribu. Les chiens aboyaient ; les hommes me surveillaient obliquement. Je suis revenu vers Ghardaïa. J’avais encore dans la chair cette promesse d’un bonheur inouï, dans l’esprit ce chaud engourdissement lumineux qu’une joie soudaine, aiguë comme l’éclair, va déchirer tout à coup… Je suis allé… je suis venu… j’ai relevé des traces de pas… poursuivi des silhouettes lointaines… Peu à peu, ma nuque et mes reins se sont appesantis… J’ai viré… guetté, sous le soleil de plus en plus lourd… Et me voici… Ma nuque s’est tout à fait prise… mon pouce se retourne… Je sais qu’il n’y a rien… que l’heure est vide… la piste déserte… mais j’attends… Ce n’est pas très intelligent, n’est-ce pas ?… Je ne sais rien faire d’intelligent…

— Je m’étonne, dis-je, qu’une vie comme la vôtre ne vous remonte pas quelquefois à la gorge.

— Oh, je connais le dégoût, reprit-il sourdement. L’ivresse est brève, incapable de délivrer un peu longuement cette carcasse. Le frisson du désir passe comme une brise du nord. Il ne rafraîchit ni la pensée ni la chair. A l’heure du plaisir, presque tout est bu d’avance. La lampée me semble courte et fade. Elle est à peine engloutie que la machine reprend sa poursuite. L’esprit pèse vainement cette folie. Quand je recompte les secondes de joie et les heures d’angoisse… oui, la nausée m’envahit. J’étouffe.

Je me taisais. Je venais de m’apercevoir avec émotion que celui qui me parlait dans une si inquiète misère était un enfant. Il ricana :

— Vous n’allez pas vous apitoyer, n’est-ce pas ?

Je posai ma main sur son bras :

— Excusez-moi si la question vous blesse, mais pourquoi n’avez-vous rien produit, depuis six ans ?

Il serra les lèvres, le regard fuyant :

— Un jour… je vous dirai ce qui m’est arrivé.

— En ce moment, insistai-je, pourquoi ne travaillez-vous pas ?

— Ah, je vois ! s’écria-t-il avec une espèce de gaieté. Vous vous imaginez que la vie que je mène a détruit mon talent ? Vous croyez que j’ai sombré « dans la débauche » ? Détrompez-vous. D’abord, je travaille. J’écris une symphonie. Ensuite, je ne sache pas que ses vices aient jamais entamé le pouvoir créateur d’un artiste, à condition qu’il ne devienne pas leur esclave. Ils sont la goutte de poison toujours en suspens dans son rêve. Si le poison déborde, le rêve s’alourdit… Les miens ne sont pas assez grands pour m’apaiser, mais ils colorent féeriquement ma musique. Longs désirs, voluptés brèves, tourments absurdes, voilà la source de mes plus beaux songes.

— Je ne sais si je vous comprends, interrompis-je.

— Écoutez, reprit-il, c’est de nuits comme celle que je vous ai contée, c’est de matinées comme celle-ci, qu’a jailli le meilleur de ma pensée. Qu’y a-t-il là d’incompréhensible ? La beauté peut sortir de l’ordure. Une vie pure peut mener au desséchement. Un cœur sec peut épancher les harmonies les plus chargées de tendresse. Le vice, engendrer la fraîcheur. L’amour, venir de la haine et l’impuissance de la bonté. L’agitation sans but conduit parfois à la plénitude et le dégoût aride à la joie impétueuse. A chacun sa loi. La mienne m’a été lentement révélée. Pendant les heures amères de la poursuite, ou dans l’étreinte d’une chair inconnue, j’ai compris que, pour moi, l’inquiétude et le désir étaient créateurs.

Il réfléchit un instant, sous le soleil pesant, puis reprit :

— J’avais tort de me plaindre, tout à l’heure. Le plus libre génie doit payer son inspiration, comme l’ouvrier paie son pain… On paie de sa raison, de son bonheur, quelquefois de sa vie. Moi, j’ai payé de ma paix et de ma substance. J’ai accepté ma loi. Ce que j’endure ne compte pas. Ma personne est sans importance. Je crois même… oui, je suis presque heureux d’être aussi misérable !… Avez-vous remarqué cette grosse fille du café des rouliers, avec sa tête de bœuf et son souffle asthmatique ? J’étais avec elle, l’autre jour, dans une mansarde envahie par les cafards, sur un grabat. Sa peau est rugueuse comme l’écorce ; elle sent mauvais… Eh bien, j’étais content qu’elle fût si repoussante, comprenez-vous ? Je l’aurais souhaitée plus hideuse encore ! Je ne veux pas de l’amour ! Je ne veux pas du bonheur ! Je hais tout ce qui m’arracherait à moi-même ! Je crains d’être assouvi. J’ai peur de la jouissance. J’aime mes tourments ! Je ne demande qu’à rester ce que je suis. Oui, aussi mesquin, aussi ridicule que vous me voyez, pourvu que je puisse continuer à produire ! Pourvu que ce paradis, qui est à moi seul, ne me soit jamais repris !

Il s’était levé. Le soleil brûlait nos pieds, à travers la toile des souliers. Une vague d’air chaud traversa le ravin.

— Vous ririez, ajouta-t-il, si je vous disais sincèrement ce que je pense de mon œuvre. Je donnerais ce pays et la vie de ses habitants pour une seule de mes pages !… Voilà l’homme que je suis.

Je me tus. Je réfléchissais au mystère que sera toujours pour moi l’artiste de notre temps. Celui-ci croyait m’inspirer de l’horreur ; peut-être le souhaitait-il… Non… Non. Je le trouvais jeune, maladif et d’une loyauté émouvante, comme la musique de son époque. J’éprouvais pour lui la plus tendre curiosité. J’avais envie de le serrer dans mes bras.

Nous rentrâmes en longeant les hauteurs teintées de noir, comme goudronnées, qui dominent la Chebka. De là, on découvre un grand pays mort de lumière, des houles de pierres jaunes, à l’infini.

En contournant la ville, nous vîmes, le long d’un mur, une dizaine de prostituées au repos. Elles étaient accroupies, silencieuses, drapées d’étoffes multicolores : on eût dit une rangée de beaux insectes venimeux.

— La voilà, ma symphonie, dit Sarterre, avec un geste qui englobait la Chebka, les femmes et la cité bruissante.

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