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Le roman de Confucius

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LE LIVRE SUPRÊME

Tout droit se tenait Lao-Tseu pendant que Confucius saluait, droit comme le cyprès qui pousse, droit comme la pensée qui s’élève, droit comme la conformation osseuse de l’homme.

Il avait été misérable dans son enfance ; il avait gardé les troupeaux dans les plaines désolées du royaume de Thsou ; il avait erré sur les routes, attendu aux portes des villes que le gardien soit endormi pour entrer. Toujours il s’était tenu droit.

Il avait marché dans des déserts avec ses jambes de petit garçon, marché de longs jours sans boire et sans manger. Et il avait aperçu dans la tristesse des sables les formes silencieuses des Koei qui l’avaient fixé avec leurs prunelles laiteuses, et tenté de le saisir entre leurs antennes d’insectes. Il avait regardé ces démons en face et, sous les nuages qui descendaient, au milieu des sables qui montaient, toujours il s’était tenu droit.

Un marchand de buffles s’était mis à le haïr à cause de la bonté de son âme et l’avait attaché à un poteau par une chaîne pour ne pas se séparer de lui et le faire souffrir à son aise. Car si les bons attirent les bons, si les mauvais attirent les mauvais, les parfaits attirent les plus mauvais et exaspèrent le mal en eux. Mais, devant le marchand de buffles et sous les coups de son bambou, toujours il s’était tenu droit.

Il avait connu avec l’adolescence la plus grande souffrance humaine qui est de désirer s’instruire, de sentir son esprit comme une fleur intérieure près d’éclore et de ne pas avoir les livres, les livres où la connaissance est enclose et d’être rejeté parmi les hommes inférieurs, loin de ce qui est beau et de ce qu’on aime. Mais même en regardant par-dessus les murs, derrière les jardins taillés, les lettrés au grand front lever leur pinceau et s’entretenir des choses divines, il avait empêché son cœur d’éclater, toujours il s’était tenu droit.

Car, depuis le commencement du monde, c’est une loi inexorable. Celui qui doit s’élever très haut, celui qui doit s’en aller très loin commence sa peine dans les bas-fonds. Il faut qu’il fende la terre comme le grain de blé, après y avoir pris sa substance. Il faut qu’il parcoure les cycles inférieurs de l’homme, sans père et sans mère pour le protéger. Il doit reconnaître lui-même, avec la pierre de touche de son âme, ce qui est pur de ce qui est impur. Dans le monde changeant des reflets, il doit chercher la vraie lumière qui, lorsqu’on l’a trouvée, ne s’éteint plus. Il faut qu’il apprenne sans maître, qu’il trouve son chemin sans guide. Il faut que la laideur soit son épouse, qu’il ait des poux comme les mendiants, des soulèvements de la peau comme les galeux. Toujours il doit se tenir droit.


A force de désirer lire les livres des hommes il arriva à lire un autre livre qui était devant lui. Innombrables en étaient les caractères, mais on pouvait les déchiffrer sans étude. Il lut le texte des nuages du ciel. Dans l’antiquité des montagnes il souleva la poussière des origines. Dans la fraîche jeunesse des herbes il fit craquer l’ode de l’éveil. En marchant dans l’eau des rivières, il comprit que le monde n’est qu’un miroir en mouvement.

Il apprit des secrets qu’on ne peut apprendre que lorsqu’on n’est pas aveuglé par la science trompeuse des hommes. Dans le regard des animaux il y a quelques-unes des grandes pensées qui forment le fond de la vérité unique. L’aspect de certains végétaux, certaines manières que les pierres ont d’être tristes lui enseignèrent qu’il n’y a que des différences de forme et que toutes les vies sont de même essence, à des points différents d’une course immense.

Et il lut tellement dans ce grand livre enluminé dont les feuillets n’avaient pas besoin d’être tournés, que, lorsqu’il put à loisir se pencher sur les tablettes de bambou attachées avec un fil de soie pour y lire la science des anciens sages, il s’aperçut que, cette science, il l’avait déjà lue, tracée en des caractères plus vastes, et que la seule sagesse vraie est celle que l’on découvre soi-même.

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