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Le roman de Confucius

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LE PALAIS DES DÉLICIEUSES PENSÉES

A Lo-Yang l’empereur King-Wang, de la dynastie des Tchéou, possédait un antique palais de pierre qu’il trouvait trop vieux et trop triste pour lui servir d’habitation. Ce palais s’appelait le palais des Esprits de la terre. Il y avait, à ses quatre points cardinaux, quatre grands blocs de marbre noir sur lesquels le nom de Fo-Hi était gravé. Il était entouré d’un jardin où ne croissaient que des buis et des cyprès.

De l’autre côté du fleuve Hoang-Po, face au palais des Esprits de la terre, l’empereur King-Wang fit construire le palais des Délicieuses Pensées, dont le toit était fait de tuiles bleues, les murs extérieurs recouverts de faïences colorées et qui avait cinq terrasses superposées en marbre blanc veiné d’azur avec des colonnettes légères comme des étamines de fleurs.

L’empereur fit entourer le palais des Délicieuses Pensées d’un jardin renfermant toutes les variétés de fleurs connues dans la Chine et même des fleurs singulières rapportées d’Occident par des voyageurs.

Il fit parsemer ce jardin de kiosques délicats pour la rêverie et de bassins de jade dallés de cristal pour la réflection du visage. Et ce jardin était entièrement composé de bouleaux blancs et de citronniers dorés.

L’empereur King-Wang avait rêvé dans sa jeunesse de ramener à l’obéissance tous les rois feudataires de la vaste Chine et de rendre l’empire puissant comme au temps des premiers Tchéou, ses aïeux. Mais, par une inexplicable évolution, son esprit était devenu futile, un peu plus futile chaque jour, et il ne pouvait plus s’occuper que d’insignifiances et de futilités. Il se passionnait pour les querelles des joueuses de luth, la qualité du papier des éventails, une forme nouvelle des étuis pour les ongles. Il en était arrivé à avoir mal à la tête par la seule vue des grandes lamelles de bambous où les rois instructeurs avaient tracé le cérémonial, les hymnes religieux, les chroniques des guerres et des travaux. Et il se couchait quand, par mégarde, ses doigts avaient rencontré un livre sur une étagère, à cause de la fatigue communiquée à son corps par l’occulte influence du livre.

De l’autre côté du fleuve Hoang-Po, dans le palais des Esprits de la terre, derrière les sombres files de cyprès et l’amoncellement des buis, il fit transporter les archives de l’empire, les livres sacrés, les ouvrages des philosophes anciens pour ne plus les voir et n’en plus entendre parler. Mais les grands lettrés de son entourage déclinèrent le titre de gardiens des Trésors littéraires, pensant, s’ils acceptaient, encourir une sorte de disgrâce et ne plus être admis à s’entretenir de futilités avec leur maître.

L’empereur King-Wang connut la souffrance de l’hésitation. Cette souffrance lui était particulièrement cruelle. Elle s’aggrava de l’insistance que mirent quelques mandarins à obtenir de lui Une audience promise depuis très longtemps. Il s’agissait de recevoir un homme d’une grande sagesse qui vivait misérablement à Lo-Yang et qui s’appelait Lao-Tseu. Cet homme, qui n’avait pas la culture des écoles officielles, professait sur les origines du monde des idées personnelles d’une grande profondeur. Ces mandarins allaient l’écouter souvent et l’admiraient beaucoup. Ils pensaient dans leur zèle que l’empereur ne pouvait pas ignorer un personnage aussi remarquable et être privé du plaisir de l’entendre.

King-Wang était futile mais ne l’avouait pas. Il savait qu’un souverain n’est grand que s’il favorise l’intelligence parmi ses sujets. Ainsi avaient agi les Tchéou et avant eux les Tchang et avant eux les Hia et tous ceux qui avaient gouverné la Chine depuis Hoang-Ti. Ainsi il agissait lui-même. N’avait-il pas installé les livres dans l’antique palais des Esprits de la terre ? Il ne pouvait, pour le moment, accorder l’audience à l’homme remarquable appelé Lao-Tseu. Une collection de chenilles l’occupait entièrement. Mais il voulait honorer pourtant un esprit qui s’était développé loin des écoles. Le poste de gardien des Trésors littéraires était vacant. Il le donnait à ce sage. L’audience était inutile. Il irait le visiter en personne à une époque non fixée. O joie de s’occuper des chenilles, après avoir écarté la menace de deux ennuis !

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