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Le roman de Confucius

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LE RÊVE DE CONFUCIUS

Confucius fit un rêve.

A côté de son lit, entre deux paravents qui formaient le principal ameublement de sa chambre, se tenait Lao-Tseu.

Il avait sur son visage une expression plus bienveillante que lorsque Confucius l’avait vu au seuil du palais des Esprits de la terre. Il semblait ne pas être appuyé sur le sol et flotter bizarrement. Il y avait dans sa voix une sorte de commisération.

— Ainsi, tu es ministre ! Mais ne sais-tu pas que l’homme saint ne doit pas s’attacher à ses mérites et qu’il doit considérer la gloire comme une ignominie. N’as-tu pas honte d’être ministre d’un roi, de commander à la police et de préparer la guerre ?

Confucius répondit qu’il n’avait pas honte.

— Tant pis ! C’est que tu vois les choses par en bas. C’est que tu es troublé par le bruit des passions que tu veux refréner chez les autres et que tu n’as pas conscience de l’ambition qui te dévore. Tu n’as pas développé la puissance de perception de l’âme qui permet de contempler le double aspect des choses. Ah ! si tu pouvais t’élever un peu !

Alors Confucius s’aperçut que ce qu’il croyait être les deux paravents de sa chambre étaient d’immenses ailes que Lao-Tseu avait sur son dos et qui palpitaient doucement.

Et il s’aperçut, à un petit bruit derrière lui, qu’il avait aussi des ailes, mais infiniment plus petites que celles de Lao-Tseu, des moignons d’ailes qui battaient d’une façon un peu ridicule.

Mais il n’eut pas le temps de s’étonner. Lao-Tseu avait fait un signe et Confucius volait maintenant derrière lui, dans le crépuscule qui précède l’aurore.

Sa première pensée fut que le sage avait justement choisi pour l’extravagant exercice auquel il l’entraînait l’heure où Ki-Kéou aimait jadis à jouer du luth dans son jardin.

Les grandes ailes de Lao-Tseu faisaient un bruit mystérieux et Confucius s’essoufflait derrière lui.

— J’ai peur de tomber, murmura-t-il.

Ils avaient dépassé les nuages. Ils frôlaient des pics rocheux, des sommets inaccessibles où il y avait une neige livide.

— Nous sommes trop haut, dit Confucius.

— On n’est jamais trop haut, dit Lao-Tseu. Le ciel est immense.

Ils dépassèrent ces sommets et ils en longèrent d’autres plus hérissés, plus désolés, sans végétations, nus comme l’intelligence pure.

— J’ai peur de me heurter à ces aiguilles de pierre, dit Confucius.

— Ne vois-tu pas que ce ne sont pas des rochers, mais des idées, dit Lao-Tseu. Il suffit de ne pas avoir peur pour les traverser aisément et rendre vide leur solidité.

Et Confucius le vit avec stupeur passer au travers d’une énorme montagne avec autant de facilité qu’il serait passé au travers d’une brume légère.

— Viens me rejoindre, cria Lao-Tseu.

— Comment le pourrais-je ? répondit Confucius. Je ne puis supprimer la matière.

— Alors, monte.

Confucius vit que Lao-Tseu volait très haut au-dessus de lui dans l’espace bleuissant.

— C’est impossible, mes ailes me portent à peine.

— Sois animé par le désir de l’élévation et tes ailes deviendront immenses, dit la voix de Lao-Tseu affaiblie par l’éloignement.

— Je les sens devenir plus petites à chaque minute, et, regardant par-dessus son épaule, Confucius vit qu’en effet ses ailes diminuaient de plus en plus et n’avaient plus que quelques plumes rabougries.

L’aurore naissante illuminait l’espace céleste de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

— Renonce à la terre et tu trouveras la voie divine, dit Lao-Tseu de très loin.

Mais cette parole ne fut pas perdue.

— Jamais ! Je ne veux pas renoncer à la terre bien-aimée, clama Confucius de toutes ses forces.

Et alors il tomba. Il tomba avec une vitesse vertigineuse à travers les nuages que le soleil levant colorait d’une jeune pourpre ; il tomba jusqu’à la terre uniforme, compacte, protectrice.

Il se retrouva, baigné de sueur, dans son lit d’homme sans ailes. Il se retourna avec angoisse, mais rien ne soulevait les plis de sa chemise de lin. Son dos était plat comme il convenait. Il poussa un grand soupir de soulagement et se leva pour éprouver la douceur des pieds sur le sol.

— A chacun sa tâche, dit-il. Je ne vole pas. Je marche, et j’aimerais mieux ramper que voler. Je ne suis que le pauvre homme sublime des hommes ordinaires. Cela me suffit.

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