Le roman de Confucius
LE LUTH DE KI-KÉOU
Ki-Kéou était une jeune fille qui avait de grands rapports avec l’oiseau chanteur Tong-Hou-Fang. Elle était la fille de parents nobles et pauvres qui habitaient à quelque distance de Tséou une demeure qui se délabrait.
A l’imitation de l’oiseau Tong-Hou-Fang, qui volète d’une branche à l’autre sans raison, elle courait de ci, de là dans la maison pleine de poussière ou le jardin plein de mauvaises herbes et paraissait très occupée à de minimes choses sans importance. Elle aimait à jouer du luth avant l’aurore, et quand on lui reprochait de réveiller tout le monde sans raison, elle disait que la musique, n’est sublime qu’exactement un peu avant le lever du jour, théorie qui semblait absurde aux musiciens consultés à ce sujet.
Il y avait pourtant quelqu’un qui pensait ainsi. A l’heure où les nuits d’été commencent à blanchir légèrement, Ki-Kéou, qui jouait du luth dans son jardin, entendait un autre luth résonner et se rapprocher dans la direction de la colline de Tséou.
Sur le chemin où les pêchers avec les saules alternaient, s’avançait en boitant Mong-Pi. Il venait de jouer devant la tablette où était posé pour l’entendre l’esprit de sa mère. Et il allait jusqu’à un mur en ruine où il savait que par une brèche il pouvait voir un beau visage de jeune fille illuminé par le mystère de la musique.
Quelquefois Ki-Kéou l’accompagnait avec son luth. D’autres fois elle écoutait, immobile et elle regardait de loin l’être étrange en costume blanc qui se tenait sans bouger et jouait du luth suavement. Car jamais Mong-Pi ne bougeait. Il espérait que la jeune fille ne saurait pas comment il boitait en marchant. Et il attendait que les contours des choses fussent dessinés et que la jeune fille fût rentrée dans la maison pour repartir le long des pêchers et des saules.
Longtemps Ki-Kéou pensa que le joueur de luth vêtu de blanc était un bienveillant esprit de la campagne familière.
Mais un matin qu’elle s’était attardée, elle distingua mieux le visage de Mong-Pi et elle y vit briller une larme. Alors elle pensa que c’était un homme. A partir de ce jour elle eut du remords, mais elle s’appliqua davantage en jouant du luth.