Le roman de Confucius
LE RÈGNE DE LA VERTU
Confucius vérifia la force de la règle, des innombrables règles qu’il édicta et qu’il répandit dans le royaume de Lou comme le flot d’une eau amère mais vivifiante.
Les récompenses parèrent les règles d’une apparence de joie, les châtiments leur donnèrent l’autorité nécessaire pour qu’elles soient respectées.
Confucius créa une grande administration comportant des centaines de fonctionnaires pour la publication des règlements et la surveillance de leur exécution.
Tout fut réglé. Les heures de travail et celles du repos, le temps que l’on devait consacrer au repas et celui qui était permis pour le sommeil. Chacun, selon sa fortune, devait brûler une certaine quantité d’encens sur l’autel des ancêtres. Chacun, selon son aptitude, devait s’adonner à un art, mais cela à une certaine heure. La musique était rigoureusement proscrite après le coucher du soleil à cause de l’action qu’elle avait sur les passions sensuelles. Pour la même raison il y eut des impôts considérables sur les épices et certaines herbes auxquelles on attribuait des effets aphrodisiaques.
De la sensualité naissait, d’après Confucius, une foule de maux : L’oubli des devoirs filiaux, l’incapacité à comprendre les livres sacrés, une lenteur de l’intelligence et certains mouvements passionnels qui jetaient le désordre dans les familles et détournaient de la vertu les adolescents.
Les danses furent censurées. Les pères de famille reçurent la liste des fautes que couvre l’ombre du foyer et la description de ces dangereuses familiarités du frère à la sœur, du cousin à la cousine, qu’ils devaient défendre. Les jeunes gens et les jeunes filles n’eurent pas le droit de marcher de compagnie sur les routes, et les époux eux-mêmes, quand ils sortaient ensemble, devaient laisser entre eux un intervalle assez large pour qu’un char y pût passer. Une réunion de savants fixa pour les étreintes conjugales un nombre qui conciliait les désirs de la nature humaine, la nécessité de la reproduction et le souci du législateur qui redoute l’excès sexuel comme le plus destructeur des excès.
Le royaume de Lou fut d’un bout à l’autre mesuré, canalisé, administré. Une hiérarchie compliquée de fonctionnaires le recouvrit, le surveilla, l’organisa et, au sommet de cette hiérarchie, se tenait Confucius, exact comme la justice, froid comme la morale, inexorable comme l’ennui.
Et sous ce régime le royaume de Lou prospéra matériellement. Le travail plus régulier fit des récoltes plus abondantes ; la police mieux faite donna la sécurité aux voyageurs ; la vie fut moins chère pour les pauvres à cause des peines qui frappaient la spéculation des marchands. L’honnêteté générale augmenta. Si un objet était perdu dans une rue, nul n’osait le ramasser dans la crainte d’être accusé de vol. Aucun baiser n’était échangé en dehors du mariage et, même quand le mariage était consommé, les époux hésitaient à rapprocher leur visage et demeuraient chastes longtemps après, tellement ils avaient été habitués à considérer leur désir comme coupable.
La finesse des traits s’atténua, les hommes grossirent. Chacun reporta sur la nourriture, qui demeurait un plaisir permis, sa faculté de jouissance. Le bonheur diminua en proportion du bien-être et de l’étroite moralité qui régnait. L’ennui, le manque d’initiative et l’absence d’une haute espérance engendrèrent la stupidité. La vertu régna dans le royaume de Lou.