Léon Bloy : Essai de critique équitable
LÉON BLOY
PREMIÈRE PARTIE
Un homme tout en contradictions. Un orgueil formidable, une humilité touchante. Parfois aux confins du désespoir, parfois rayonnant d’espérance céleste. Bon par intervalles, avec un sourire d’enfant. Haineux à certaines heures, et crachant du fiel sur quiconque lui avait déplu. Le plus tendre des amis ; le plus inique des ennemis. Vivant presque toujours dans le paroxysme et l’hyperbole.
Sa sensibilité fut telle que le contact de son siècle lui produisait le même effet que du poivre de Cayenne répandu à profusion sur la chair sanguinolente d’un écorché vif. Et, à travers tant de disparates, il demeurait passionnément épris de Jésus-Christ, parce que Notre-Seigneur fut, sur la terre, le Pauvre absolu.
Lui-même, Bloy, se voulait, se disait, prétendait qu’on le définît un homme d’Absolu. C’est un peu comme s’il avait déclaré : « Je suis le Fils de Dieu ! » Mais ses contemporains se chargèrent de lui apprendre qu’il ne l’était pas. Alors, semblable à un Croisé de saint Louis, il dégainait cette épée : son verbe acéré, pour tailler en pièces les Bourgeois comme s’ils eussent été de vils Sarrasins. Eux fuyaient et, une fois à l’abri de ses coups, lui criaient d’un ton goguenard : « Rien n’est absolu ! »
Il le constate, avec quelle amertume ! Il écrit : « La plupart des hommes de ma génération ont entendu cela toute leur enfance. Chaque fois qu’ivres de dégoût nous cherchâmes un tremplin pour nous évader en bondissant et en vomissant, le Bourgeois nous apparut armé de ce foudre. Nécessairement alors, il nous fallait réintégrer le profitable Relatif et la sage Ordure » (Exégèse des lieux communs, première série)[1].
[1] La plupart des livres de Léon Bloy, sauf trois ou quatre, ont été édités ou réédités à la librairie du Mercure de France.
Il les réintégrait. Mais le fait d’être le forçat à perpétuité du Relatif ne cessa de lui infliger de fatidiques tortures. Ce lui fut une géhenne continuelle où ses souffrances lui arrachaient tour à tour des imprécations et des sanglots, des rires farouches et des prières résignées d’une poignante beauté. Comme Baudelaire, il devait s’écrier :
Vaine plainte : la mort bienfaisante ne vint le délivrer que très tard. Il vécut soixante-dix ans pour invectiver la bassesse et le matérialisme suffoquant de son siècle et pour s’appliquer la loi de souffrance rédemptrice. Malgré tant d’impatiences, de révoltes convulsives, de rancunes trop humaines, il eut l’intuition que, seule, cette loi donne un sens surnaturel à notre vie transitoire sur la terre. Il comprit que Notre-Seigneur aide à porter leur croix ceux qui, Cyrénéens persévérants, l’aident à porter la sienne dans la Voie douloureuse.
Voilà, comme on le développera plus loin, la clé mystérieuse de son œuvre.
On étudiera, d’abord, ci-dessous, l’écrivain tel qu’il se comporta parmi la gent de lettres. On résumera la portée de quelques-uns de ses livres ; on définira les qualités de son style.
Ensuite on tentera d’expliquer le christianisme de Bloy et de démontrer que, tout pesé, il fut un bon serviteur de l’Église.