Les aventures du jeune Comte Potowski, Vol. 2 (of 2): Un roman de coeur par Marat, l'ami du peuple
LXVI
DE LA MÊME A LA MÊME.
Ah! Rosette, je l'ai vu ce cher ami. Mais qu'il m'a paru changé! Son teint se ressent du hâle. Il n'a plus ces grâces délicates qui sont comme la fleur de la première jeunesse. A cet air ouvert et riant qu'il portait partout, a succédé une douce langueur qui lui donne un air plus tendre. Il est moins beau, mais il est plus intéressant.
A sa vue j'ai senti les plus vives émotions. L'idée de tout ce qui pouvait retarder mon bonheur m'était insupportable: mais plus mon impatience était grande, plus je sentais la nécessité de dissimuler.
—C'est à Rosisce, disais-je, que l'amour m'attend. Là, comme seuls dans l'univers, nous serons tout l'un pour l'autre. Il m'a toujours témoigné de l'amitié; et de l'amitié à l'amour, le pas est glissant à notre âge. Mais il faut lui cacher mon dessein; s'il le pénètre je suis perdue. Le conduire dans mes terres? L'entreprise est délicate et pleine d'obstacles.
Après avoir mis mon esprit à la torture pour trouver des expédients, je m'avisai enfin de celui-ci:
—Brunissons un peu ce teint de lys, ce cou d'ivoire, ces mains blanches; imitons une moustache naissante, prenons un nom qui puisse lui être connu, allons le chercher sous cet habit militaire, et tâchons de lier avec lui. Il est malheureux, son cœur a besoin de consolation; en flattant sa douleur, nous pourrons réussir à gagner sa confiance: et puisqu'il ne porte les armes qu'à regret, affectons la même aversion pour le métier de la guerre.
Dès le lendemain je mis mon plan à exécution.
J'épiai Gustave, et saisis toutes les occasions de me trouver sur ses pas. Il avait coutume d'aller seul promener dans un petit bois hors la ville. J'y allai aussi.
L'image de l'affliction a des charmes pour les malheureux. Je pris un air triste, Gustave le remarqua, et bientôt il rechercha lui-même ma compagnie. Je parvins à la lui rendre agréable; puis nécessaire. Prenant conseil de la situation de son âme, j'affectai du dégoût pour le métier des armes. Il me confia le dessein qu'il avait de se retirer: je lui fis un pareil aveu.
Je l'invitai à venir avec moi passer quelques jours à la campagne d'un proche parent. Je lui dis que cette campagne se trouvait sur sa route, et je l'engageai enfin à m'y suivre.
Nous voilà en chemin; mes gens étaient prévenus, nous arrivons, on nous sert quelques rafraîchissements; et comme il me paraissait fatigué, je l'ai pressé de prendre un peu de repos jusqu'à l'heure du souper. En attendant j'ai fait mes préparatifs. Tout a été bientôt en ordre.
Quoique fatiguée moi-même, je ne puis fermer l'œil; les moments qui me restent jusqu'à ce qu'il descende, je ne saurais mieux les employer qu'à t'informer de mon équipée: un peu de patience et je t'en apprendrai le succès.