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Les aventures du jeune Comte Potowski, Vol. 2 (of 2): Un roman de coeœur par Marat, l'ami du peuple

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LIII
DU MÊME AU MÊME.

A Pinsk.

Ah! cher Panin! il semble que les dieux irrités aient épuisé leur haine sur ma tête dévouée. Hélas! tout est mort pour moi.

Les confédérés ont fait des incursions dans la grande Pologne, et partout où ils ont passé, on ne trouve que dévastation.

Le joli bourg de Baranow a même été réduit en cendres; les flammes n'ont épargné que quelques édifices incombustibles. Au milieu des masures consumées, on voit encore, d'espace en espace, un temple, une tour, dominer tristement sur les ruines de son enceinte désolée.

Hier, j'eus toute la journée devant les yeux cet affligeant spectacle.

A Sandomir, je quittai la route de Radom pour prendre celle d'Osselin. Je ne pouvais me résoudre à passer si près de Lucile sans la voir. J'avance à grands pas vers ces lieux où était mon trésor. A mesure que j'approche, mes noirs soucis disparaissent, la joie renaît dans mon cœur. Je ne me sens pas d'impatience; je brûlais d'arriver.

Déjà je découvre de loin ce charmant séjour; tout me rappelle un doux souvenir, ces bosquets enchantés où je me promenais avec Lucile, ces bords fleuris où je reposais sur son sein, ces berceaux délicieux où je la couronnais de fleurs, et, dans les transports de mon âme, je croyais déjà la voir et la presser dans mes bras amoureux.

J'arrive enfin.

Ciel! quel spectacle s'offre à ma vue! Tout est désert; partout a passé le fer et le feu.

Je parcours, avec une surprise mêlée d'effroi, ces belles campagnes, que je reconnais à peine. Je vole vers le château, et je ne trouve que des masures.

A cet aspect, mille idées funestes s'offrent à mon esprit troublé et déchirent mon cœur. Je me représente Lucile écrasée sous ces ruines; j'éprouve d'avance toutes les horreurs du désespoir, et contemple dans un étonnement stupide toute l'étendue de mon malheur.

Je sors enfin de cette espèce d'ivresse, pousse de tristes gémissements et cours éperdu, cherchant vainement de tout côté quelqu'un qui m'apprenne ce que sont devenus les maîtres infortunés de ces lieux.

O fortune! ô revers! ô ma Lucile! seule espérance qui me restait ici bas, où as-tu donc été entraînée? où as-tu fui loin des ruines de ce palais embrasé? Et c'est moi qui t'ai conseillé d'y venir. Malheureux! qu'ai-je fait? Quel repentir cruel déchire mon sein! Mais où la douleur m'égare.

Ah! c'est vous, c'est vous, barbares ennemis qui avez causé mon malheur. Puissent toutes les horreurs de la guerre, tous les fléaux qui affligent les hommes, retomber sur vos têtes criminelles; puissiez-vous être réservés à la plus horrible vengeance; que jamais vous ne trouviez d'asile nulle part, qu'un implacable ennemi vous poursuive sans relâche, qu'il vous atteigne, vous égorge et se baigne dans votre sang.

Ce monde où je vivais autrefois, enivré d'une folle joie, qu'est-il devenu? Un séjour de deuil rempli d'emblêmes funèbres que la mort a tracés et suspend autour de moi.

Cruel destin! ne pouvais-tu te contenter de tant d'autres victimes? Fallait-il que ta haine s'attachât à moi, et me choisît pour s'épuiser sur ma tête? Ne te suffisait-il pas que cinq de tes traits m'eussent atteint coup sur coup sans m'en décocher un sixième!

O Lucile, Lucile, ma chère Lucile! Est-il bien vrai que je t'ai perdue? A cette idée mon être entier se dissout et s'écoule.

O mort! viens à mon aide: hâte-toi d'arriver; tous les liens qui m'attachaient au monde sont rompus, ton glaive n'a plus qu'à trancher le fil de mes jours.

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