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Pensées, maximes et fragments

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III
PENSÉES SUR LA POLITIQUE.

L’État n’est que la muselière dont le but est de rendre inoffensif cette bête carnassière, l’homme, et de faire en sorte qu’il ait l’aspect d’un herbivore. — (M. 302.)


Partout et en tout temps il y a eu beaucoup de mécontentement contre les gouvernements, les lois et les institutions publiques ; cela vient de ce qu’on est toujours prêt à les rendre responsables de la misère inséparable de l’existence humaine, car elle a pour origine, selon le mythe, la malédiction que reçut Adam et avec lui toute sa race. Jamais pourtant cette tendance injuste n’a été exploitée d’une manière plus mensongère et plus impudente que par nos démagogues contemporains. Ceux-ci, en effet, par haine du christianisme, se proclament optimistes : à leurs yeux, le monde n’a point de but en dehors de lui-même, et, par sa nature même, il leur semble organisé dans la perfection ; un vrai séjour de la félicité. C’est aux seuls gouvernements qu’ils attribuent les misères colossales du monde qui crient contre cette théorie ; il leur semble que si les gouvernements faisaient leur devoir, le ciel existerait sur la terre, c’est-à-dire que tous les hommes pourraient sans peine et sans soucis se gorger, se soûler, se propager et crever : car c’est là ce qu’ils entendent quand ils parlent du progrès infini de l’humanité, dont ils font le but de la vie et du monde, et qu’ils ne se lassent pas d’annoncer en phrases pompeuses et emphatiques. — (P. II. 275.)


Le roi, au lieu du « Nous par la grâce de Dieu » pourrait dire plus justement : « Nous de deux maux le moindre. » Car sans roi les choses ne sauraient aller, il est la clef de voûte de l’édifice qui sans lui s’écroulerait. — (M. 198.)


L’organisation de la société humaine oscille comme un pendule entre deux extrêmes, deux pôles, deux maux opposés : le despotisme et l’anarchie. Plus elle s’éloigne de l’un, plus elle se rapproche de l’autre. La pensée vous vient alors que le juste milieu serait le point convenable : quelle erreur ! Ces deux maux ne sont pas également mauvais et dangereux ; le premier est infiniment moins à craindre : d’abord les coups du despotisme n’existent qu’à l’état de possibilité, et quand ils se produisent en actes, ils n’atteignent qu’un homme entre des millions d’hommes. Quant à l’anarchie, possibilité et réalité sont inséparables : ses coups atteignent chaque citoyen et cela chaque jour. Aussi toute constitution doit se rapprocher beaucoup plus du despotisme que de l’anarchie : elle doit même contenir une légère possibilité de despotisme. — (N. 381.)


Rois et domestiques ne sont désignés que par leurs petits noms, voilà les deux extrêmes de la société. — (N. 383.)


Les républiques sont en général faciles à établir, mais difficiles à maintenir : pour les monarchies, c’est juste le contraire. (P. II. 273.)


Voulez-vous des plans utopiques : la seule solution du problème politique et social serait le despotisme des sages et des nobles d’une aristocratie pure et vraie, obtenue au moyen de la génération par l’union des hommes aux sentiments les plus généreux avec les femmes les plus intelligentes et les plus fines. Cette proposition est mon utopie et ma république de Platon[41]. — (P. II. 273).

[41] M. Renan expose une idée analogue dans ses Dialogues philosophiques.


La race humaine est une fois pour toutes et par nature vouée à la misère et à la ruine ; quand bien même par le secours de l’État et de l’histoire on pourrait remédier à l’injustice et à la misère au point que la terre devienne une sorte de pays de cocagne, les hommes en viendraient à s’entre-quereller par ennui et tomberaient les uns sur les autres, ou bien l’excès de la population amènerait la famine et celle-ci les détruirait. — (M. 302.)


Il est extrêmement rare qu’un homme voie toute son effroyable malice dans le miroir de ses actions. Ou bien croyez-vous vraiment que Robespierre, Bonaparte, l’empereur du Maroc, les assassins que vous voyez sur la roue, soient seuls si mauvais entre tous ? Ne voyez-vous pas que beaucoup en feraient autant, si seulement ils le pouvaient ? — (M. 303.)


Bonaparte n’est pas à proprement parler plus méchant que beaucoup d’hommes, pour ne pas dire que la plupart des hommes. Il n’a que l’égoïsme tout à fait commun qui consiste à chercher son bien aux dépens des autres. Ce qui le distingue, c’est uniquement une plus grande force pour satisfaire cette volonté, une plus grande intelligence, une plus grande raison, un plus grand courage ; et le hasard lui donnait en outre un champ favorable. Grâce à toutes ces conditions réunies il fit pour son égoïsme ce que mille autres aimeraient bien à faire, mais ne peuvent faire. Tout méchant gamin qui, par sa malice, se procure un mince avantage au détriment de ses camarades, si faible que soit le dommage qu’il cause, est aussi mauvais que Bonaparte. (M. 301.)


L’homme est au fond une bête sauvage, une bête féroce. Nous ne le connaissons que dompté, apprivoisé en cet état qui s’appelle civilisation : aussi reculons-nous d’effroi devant les explosions accidentelles de sa nature. Que les verrous et les chaînes de l’ordre légal tombent n’importe comment, que l’anarchie éclate, c’est alors qu’on voit ce qu’est l’homme. — (L. 139.)


L’exagération en tout genre est aussi essentielle au journalisme qu’à l’art dramatique : car il s’agit de tirer de chaque événement le plus grand parti possible. Aussi tous les journalistes sont alarmistes de profession : c’est leur manière de se rendre intéressants. Par là ils ressemblent aux roquets, qui, dès que le moindre mouvement se produit, aboient aussitôt à tout rompre. Il faut régler là dessus l’attention que l’on prête à leur trompette d’alarme afin qu’ils ne vous troublent pas la digestion. — (L. 137.)

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