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Pensées, maximes et fragments

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V
L’HOMME ET L’ANIMAL.

La volonté dans l’homme a exactement le même but que la volonté dans la bête : se nourrir et se reproduire. Mais que de préparatifs compliqués et artificiels de la part de l’homme, quels stratagèmes pour arriver aux mêmes fins, que d’intelligence, de réflexion, de finesse, d’abstraction l’on applique même dans les affaires journalières de la vie commune. Et pourtant le but poursuivi et atteint n’est autre que celui de l’animal. C’est comme si l’on offrait le même vin tantôt dans un vase de terre, tantôt dans une coupe travaillée avec art : le vin reste le même, de même que la lame de l’épée reste la même, que la poignée soit en or ou en cuivre. — (M. 352.)


Autant la bête est plus naïve que l’homme, autant la plante est plus naïve que la bête. Dans la bête nous voyons la volonté de vivre pour ainsi dire plus nue que dans l’homme qui cache ses instincts sous son intelligence, et qui a tant de moyens de dissimulation que sa véritable nature n’apparaît guère qu’accidentellement et par endroits. Cette volonté se montre tout à fait nue, mais beaucoup plus faible dans la plante, comme une pure impulsion aveugle vers l’existence, sans but ni fin. La plante manifeste tout son être au premier regard, et, avec une innocence parfaite, expose indifféremment à tous les yeux au point le plus élevé de sa tige les organes de la génération, qui chez toutes les bêtes sont placés à l’endroit le plus secret. Cette innocence des plantes tient à leur défaut de connaissance : ce n’est pas dans le vouloir, mais dans le vouloir avec connaissance que réside la faute. — (L. 43.)


Toutes les fois qu’un homme meurt, c’est un monde qui disparaît, le monde qu’il portait dans sa tête ; plus la tête est intelligente, plus ce monde est distinct, clair, important, et vaste : d’autant plus affreuse est sa disparition. Avec l’animal c’est une misérable rhapsodie ou une esquisse d’un monde qui disparaît. — (N. 412.)


L’homme est une médaille qui porte d’un côté cette inscription « moins que rien », et de l’autre, « tout dans tout ». — (N. 411.)


La profonde douleur que nous éprouvons à la mort de tout être ami naît de ce sentiment que dans tout individu il y a quelque chose d’inexprimable, qui n’est qu’à lui, quelque chose d’irréparable. Omne individuum ineffabile. C’est même le cas de la personnalité des bêtes. On le sentira, si l’on a blessé à mort sans le vouloir une bête que l’on aime, et reçu le regard d’adieu qu’elle vous adresse ; c’est une douleur déchirante. — (P. II. 621.)


Le chien, l’unique ami de l’homme, a un privilège sur tous les autres animaux, un trait qui le caractérise, c’est ce mouvement de queue si bienveillant, si expressif et si profondément honnête. Quel contraste en faveur de cette manière de saluer que lui a donnée la nature, quand on la compare aux courbettes et aux affreuses grimaces que les hommes échangent en signe de politesse : cette assurance de tendre amitié et de dévouement de la part du chien est mille fois plus sûre, au moins pour le présent. — (L. 53.)

Ce qui me rend si agréable la société de mon chien, c’est la transparence de son être. Mon chien est transparent comme un verre. — (M. 140.) S’il n’y avait pas de chiens, je n’aimerais pas à vivre. — (M. 170.)


La pitié, principe de toute moralité, prend aussi les bêtes sous sa protection, tandis que dans les autres systèmes de morale européenne, on a envers elles si peu de responsabilité et d’égards. La prétendue absence de droits des animaux, le préjugé que notre conduite envers eux n’a pas d’importance morale, qu’il n’y a pas comme on dit de devoirs envers les bêtes, c’est là justement une grossièreté révoltante, une barbarie de l’occident, dont la source est dans le judaïsme…

Il faut leur rappeler, à ces contempteurs des bêtes, à ces occidentaux judaïsés que, de même qu’ils ont été allaités par leur mère, de même aussi le chien l’a été par la sienne.

La pitié envers les bêtes est si étroitement unie à la bonté du caractère, que l’on peut affirmer de confiance que celui qui est cruel envers les bêtes ne peut être un homme bon. — (L. 169.)


La bonté du cœur consiste dans une pitié profonde universelle pour tout ce qui a vie ; mais tout d’abord pour l’homme, parce qu’à mesure que l’intelligence s’accroît, la capacité de souffrir augmente dans la même proportion. — (L. 171.)


Je dois l’avouer sincèrement : la vue de tout animal me réjouit aussitôt et m’épanouit le cœur ; surtout la vue des chiens et puis de tous les animaux en liberté, des oiseaux, des insectes, etc. Au contraire, la vue des hommes excite presque toujours en moi une aversion prononcée ; car ils m’offrent à peu d’exceptions près le spectacle des difformités les plus affreuses et les plus variées : laideur physique, expression morale de passions basses et d’ambition méprisable, symptômes de folie et de perversités de toutes sortes et de toutes grandeurs ; enfin une corruption sordide, fruit et résultat d’habitudes dégradantes ; aussi je me détourne d’eux et je fuis vers la nature, heureux d’y rencontrer les bêtes. — (N. 451.)

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