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Souvenirs du célèbre marcheur Gallot, le roi des marcheurs. Première partie

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VI
LE CHANT DE MORT

Musique étrange. — Quel est ce chant. — L'explication de Natos-Apiw. — Hymne de guerre et de mort. — Le texte exact. — Ma fantaisie poétique.

Un jour, nous devisions avec mon ami Natos-Apiw, quand j'entendis, dans le lointain, un groupe de Pieds-Noirs qui chantaient une sorte d'hymne dont, à cause de l'éloignement, je ne pouvais saisir les paroles.

Le rythme était solennel, d'abord calme, puis s'accentuant comme dans un mouvement de colère. Je fus saisi et ne pus m'empêcher de demander à Natos-Apiw :

— Quel est donc ce chant qui vient de si fortement m'impressionner, je ne m'explique pas pourquoi.

— C'est vrai, me répondit-il, vous ne le connaissiez pas encore.

Et il ajouta :

— C'est à la fois un chant de guerre et un chant de mort. C'est celui que chantent tous les guerriers indiens, non seulement de la tribu des Pieds-Noirs, mais de toutes celles qui existent encore dans le Nord-Amérique. On l'apprend aux enfants dès leur plus tendre jeunesse. C'est une mélopée d'abord lente, puis énergique et saccadée. Alors, ce n'est plus un chant, mais un cri dans lequel vibre toute la puissance de notre haine pour l'étranger envahisseur, tout notre amour de la liberté, toute notre foi dans une vengeance future alors que nous retrouverons nos ennemis dans le Paradis réservé à ceux qui sur terre auront toujours vaillamment et noblement combattu pour la défense de leurs frères opprimés et l'indépendance de la Patrie.

— Je voudrais bien le connaître! insistai-je.

— Qu'à cela ne tienne, me répondit mon interlocuteur.

Je pris un crayon et sur un morceau de papier j'écrivis sous la dictée même de Natos-Apiw, l'hymne indien que je traduis aussi fidèlement que possible en français.

Le voici :

I

« Libre, fier, à travers les vastes forêts j'allais
Suivant le sentier de la guerre. Au milieu des lianes, caché
Aux yeux de tous, je priai le Grand-Etre de livrer nos ennemis
En notre pouvoir.

II

« J'allais en avant quand l'étranger m'a surpris.
Il va me livrer au supplice. Je n'en ai pas peur. Je ne dirai
Jamais où sont nos wigwams, jamais l'étranger n'y pourra
Pénétrer.

III

« Ils ont des cœurs mous, ces hommes au
Visage pâle. Oui! vous pouvez déchirer mes chairs, faire craquer
Mes os sous la tenaille, les tortures me seront douces venant
De vous.

IV

« Vous pleurez vous autres, mais nous Indiens!
Jamais nous ne versons une larme. Torturez! meurtrissez mes
Membres. Plus tard, dans le ciel des guerriers nous vous reverrons
Et nous scalperons vos crânes pour y boire votre sang. »

J'ai cru devoir d'abord en donner le texte exact. Maintenant — que mes lecteurs me pardonnent — je me suis livré à une petite débauche poétique. J'ai essayé de mettre en vers français ce chant indien. J'ai fait de mon mieux. Ai-je réussi? je l'ignore. Toutefois, je livre à la publicité mon factum tel qu'il a jailli de mon cerveau. Aux autres à le juger.

I

Fier et libre, j'allais naguère
A travers les vastes forêts
Suivant le sentier de la guerre
Pour moi si beau, si plein d'attraits,
J'allais invoquant le Grand-Etre
Et le priant en fils soumis
De faire à jamais disparaître
Le dernier de nos ennemis.

II

J'allais et précédais mes frères
Pour les prévenir du danger
Quand, dans les forêts solitaires
Je fus surpris par l'étranger.
Ma mort maintenant est certaine
Mais que m'importe le trépas
Notre retraite est trop lointaine
L'ennemi ne l'atteindra pas.

III

Hommes au visage de femme!
Au cœur mou : vous pouvez bientôt
Me mettre à la torture infâme
Clouer mes membres au poteau.
Broyez mes os dans vos supplices!
Déchirez, tenaillez mes chairs
Je n'y trouverai que délices
Car vos supplices me sont chers.

IV

Indiens, nous n'avons pas de larme
Comme vous que l'on voit pleurer,
Nous! votre cruauté nous charme
Et vous pouvez nous torturer
Mais plus tard, dans les empyrées
Lorsque nous nous retrouverons
Alors, de vos chairs déchirées
Nous! C'est le sang que nous boirons.

Et voilà ma modeste poésie. Est-elle bonne? mauvaise? Que m'importe! Je crois qu'elle exprime bien le chant des Pieds-Noirs et de toutes les tribus éparses qui végètent encore sur le sol américain.

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