Souvenirs du célèbre marcheur Gallot, le roi des marcheurs. Première partie
UNE LETTRE
EN GUISE DE PRÉFACE
A mon ami Gallot,
Vous avez bien voulu, mon cher ami, me charger d'écrire quelques lignes pour servir d'introduction à vos « Souvenirs du Marcheur Gallot ». Toutefois, je ne vous ferai pas de préface et me bornerai à une simple lettre que je vous autorise à publier en tête de votre ouvrage.
Je vous remercie tout d'abord de cette preuve de votre confiance en ma sincère amitié et je vous dirai tout de suite, sans préambule, ce que je pense et que je résumerai en trois mots. La publication de vos souvenirs est UNE ŒUVRE UTILE.
En librairie, l'éditeur recherche non seulement ce qui peut contenir des renseignements profitables pour les lecteurs, le moyen d'augmenter la somme de leurs connaissances, mais surtout ce qui présente un intérêt tel que dès qu'un d'entre eux a lu entièrement le volume, il le recommande, il en conseille l'achat à ses amis en leur faisant part du plaisir qu'il a éprouvé à sa lecture.
Cela devient alors ce qu'on appelle un succès de librairie. « Beatus qui scit miscere utile dulci ». Bienheureux celui qui sait mêler l'utile à l'agréable, a dit le poète latin.
Eh bien! c'est ce que vous avez su faire, mon cher ami, dans votre intéressant volume.
Je l'ai lu du premier au dernier feuillet et je n'hésiterai pas à dire qu'il m'a instruit, charmé, et que surtout ce qui m'a le plus séduit, c'est sa forme simple et sans recherche.
Vos souvenirs constituent un document vécu. C'est ce que l'on désire à l'heure actuelle. On sent, quand vous racontez une anecdote, qu'elle est vraie ; quand vous citez un fait, qu'il est exact, car votre style que vous prétendez naïf, a du moins le mérite de traduire les accents d'une complète vérité.
J'ai l'intime conviction que votre œuvre est appelée à un très grand avenir, car elle possède toutes les qualités qui en sont les éléments premiers : Vérité, sincérité, simplicité.
Il va sans dire que je m'en vais après ces éloges sincères, non pas vous adresser des critiques, bien que connaissant votre modestie je sache que votre amour-propre d'auteur ne s'en trouverait nullement offensé, surtout venant de ma part, mais vous signaler quelques remarques que vos lecteurs ne manqueraient pas de se faire en eux-mêmes. Elles seraient, certes, fondées si vous n'aviez le soin prudent de les prévenir en exposant les raisons qui vous ont engagé à écrire votre ouvrage tel que vous l'avez fait éditer.
On pourrait vous reprocher tout d'abord la brièveté de certains récits qui eussent certes gagné à être développés. A cela, vous m'avez répondu d'une façon péremptoire.
— Je le sais bien! Mais que voulez-vous, j'ai bien été contraint d'écourter mes récits puisque même j'ai été obligé d'en supprimer d'excessivement intéressants mais que le défaut d'espace m'empêche de publier en un volume forcément restreint malgré son apparente étendue.
Devant cette raison précise, j'ai dû m'incliner. Elle était juste et vraie et j'ai compris tout ce que renfermait de promesses votre mot « plus tard pourra-t-on peut-être faire plusieurs volumes, et alors… »
Cela voulait assurément dire : Je vous donnerai des renseignements inédits et vous narrerai une série d'anecdotes et de faits que le manque d'espace me contraint à garder en réserve.
Je ne doute pas que ce serait une bonne fortune pour vos lecteurs qui, séduits par votre premier volume, n'hésiteraient pas à acquérir ceux que vous pourrez publier par la suite.
La seconde remarque que je vous faisais, consistait en l'anomalie qui paraît résulter des mœurs de la vie indienne que vous dépeignez avec la conversion des Indiens au Christianisme qu'ils ont embrassé avec ferveur.
A cette objection vous m'avez encore répondu d'une façon péremptoire en me dépeignant, sous les plus chaudes couleurs, le tempérament vrai des derniers descendants de ces jadis grandes et puissantes tribus qui peuplaient les vastes territoires de l'Amérique.
Si je m'en souviens bien, vous m'avez dit, en substance, ceci :
— L'Indien, par l'essence même de sa nature, est porté au mysticisme. Tout ce qui paraît posséder un caractère secret le charme, le séduit. Il adore, comme les anciens habitants du globe, toutes les forces dont les sciences ne lui ont pas révélé les origines. Il concrétise l'abstrait en le divinisant. Il est reconnaissant envers le soleil, dont la chaleur féconde vivifie la terre et lui donne sa puissance de fertilité et de production.
Le Christianisme avec ses mystères l'a subjugué, mais seulement en partie, car il n'a pu déraciner en son âme les vieilles et antiques traditions des aïeux. Ils possèdent donc une doctrine mitigée dans laquelle ils ont fondu, mêlé, amalgamé toutes les douces superstitions de leurs croyances passées.
Les missionnaires l'ont très bien compris et après de multiples, mais infructueuses tentatives pour essayer de déraciner des… ce qu'ils considèrent comme des erreurs, ils ont laissé les Indiens suivre leurs coutumes religieuses d'antan et se sont bornés à y adjoindre des dogmes principaux du culte nouveau.
Ils ont bien fait, car sans cette concession absolument indispensable, jamais ils n'eussent pu implanter la foi chrétienne, jamais trouvé un seul Indien qui consentît à devenir leur prosélyte.
Voilà pourquoi ce qui peut paraître bizarre en Europe semble au contraire tout naturel à celui qui a été en contact avec les Indiens et comme moi a vécu de leur vie.
Devant cette explication si nette et si sensée, je me suis incliné, mais je crois qu'il est indispensable que vous la fournissiez à vos lecteurs pour qu'ils comprennent l'apparence d'anomalie que je vous avais indiquée.
S'il vous en souvient, je vous disais encore :
— Mais, mon cher ami, vous n'avez pas toujours exactement suivi l'itinéraire de votre marche à travers les régions américaines que vous avez explorées.
Et vous m'avez fourni l'argument suivant qu'il vous faudra de même exposer à vos lecteurs.
— Votre réflexion est juste ou du moins le serait si j'eusse voulu faire une œuvre essentiellement didactique. Au contraire, j'ai voulu écrire un ouvrage pittoresque et coloré. Si j'eusse suivi l'ordre chronologique de mes excursions, je n'eusse pas atteint mon but.
« La classification sèche et froide qui vous paraît manquer eût entravé la marche des récits, ralenti l'intérêt en le subdivisant et en empêchant ainsi le groupement de faits ayant entre eux une certaine connexité.
« Pris isolément, ils n'auraient qu'un attrait restreint ; rapprochés, soudés pour ainsi dire ensemble, ils se complètent et forment un tout qui augmente leur intérêt. »
Après ces explications, j'ai dû me déclarer satisfait. Il eût, certes, fallu être bien difficile pour ne l'être pas, mais comme il était bon que je ne fusse pas le seul à les connaître, à nouveau je vous engage à les répéter à vos lecteurs.
Si vous croyez qu'il suffira pour cela de reproduire cette lettre, je vous laisse libre d'en décider et n'ayant plus autre chose à vous dire, je termine en vous serrant la main.
Ex imo corde.
A. P.