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Souvenirs épars d'un ancien cavalier

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MAXIME

Il faut vraiment faire une place à Maxime dans ces souvenirs militaires, étant donné surtout que sa personnalité, déjà considérable au quartier, prit une ampleur extraordinaire à certains moments de la vie de grandes manœuvres. Maxime, que tout le régiment connaissait par son petit nom, était le plus âgé des volontaires, c’est-à-dire un vieux lascar qui allait sur ses vingt-deux ans. Avant de revêtir l’uniforme de dragon, il avait eu le temps d’hériter de sept à huit oncles, tous dépourvus de progéniture avouée. Le jour de l’arrivée au corps, il avait étonné tout le monde par sa pure élégance et ses cigares hors de prix. C’était un patricien frisé, vernissé, passé à la pierre ponce.

Or, les exigences de la vie militaire, les programmes de dressage un peu rude qui leur prenaient toutes les minutes du jour, n’avaient pas laissé à Maxime assez de loisir pour qu’il continuât à entourer de soins aussi méticuleux sa délicate personne. Ce jeune homme ne supportait pas d’être un peu moins raffiné : il préféra se négliger carrément, et, puisqu’il lui fallait une suprématie, devenir le cavalier le plus malpropre des quatre escadrons de guerre, capable même de défier sur ce point spécial n’importe quel homme de l’escadron de dépôt.

A la vérité, on soupçonnait Maxime de s’en tenir à une saleté purement superficielle, et de se laver en secret chaque fois qu’il en trouvait l’occasion. Mais on voyait surtout de lui son pantalon de treillis et son bourgeron, qui paraissaient avoir nettoyé l’envers d’une poêle. Bien qu’on fût au régiment assez sévère pour la coupe de la barbe et des « douilles », on ne fit jamais à Maxime la moindre observation au sujet de ses cheveux blonds qui ressemblaient à un champ de blé ravagé en pleine moisson par l’orage, non plus que pour sa barbe, toujours de trois jours, par un phénomène inexplicable. Maxime était un personnage sacré, ou encore un monument historique qu’il faut se garder de recrépir.

On pensait cependant qu’il changerait d’aspect une fois en dehors du quartier, et qu’il modifierait sa toilette pour paraître dans les villages ou les bourgs. Mais il dégotta pour le voyage un treillis et un bourgeron plus noirs encore que tout ce qu’il avait déjà arboré, probablement un complet toile qu’un aide-cuisinier avait mis au rebut.

Aussitôt arrivé à l’étape, après avoir abandonné le soin de son fourbi à une demi-douzaine de brosseurs, il passait son pantalon de treillis par-dessus son pantalon de cheval, et se coiffait d’un calot d’écurie affaissé par l’usage, d’un bleu ardoise qui deviendrait gris, ou d’un gris en train de tourner au bleu.

Ainsi vêtu, il faisait son tour de village.

Un jour, un civelot à cheval, qui allait en visite dans une propriété bourgeoise, aperçut Maxime à la porte de la grille. Il lui donna sa bête à garder, et, en sortant de là, une demi-heure après, lui remit quatre sous que Maxime empocha.

Une fois à cheval, il lui dit cavalièrement :

— Tu ne sais pas où est le bureau de tabac ?

— Non, dit Maxime, je ne suis pas du patelin. Mais vous me permettrez de vous offrir un cigare.

Et il sortit de dessous son bourgeron un long étui de cuir qui contenait des cigares à trois francs.

— Prenez, prenez, dit-il au civil hésitant. Ça vient de mes parents, qui ont quelques plants de tabac…

Un soir du voyage de retour, l’escadron s’arrêta dans un village composé d’une cinquantaine de maisons groupées autour d’une allée magnifique, qui conduisait à un immense château. Ce château appartenait à de vieilles demoiselles du Sud-Ouest, qui n’y venaient jamais, et confiaient leur propriété à un régisseur.

On avait mis tous les officiers de l’escadron dans le corps de logis principal. Les hommes s’installaient un peu partout. Maxime et Paul avaient trouvé une petite remise. Mais tous les camarades, plus dégourdis, s’étaient attribué la paille disponible. Il en aurait fallu une botte aux deux compagnons. Maxime, en tournaillant autour des écuries, avisa un petit grenier, où se trouvait un peu de paille fraîche. Il s’apprêtait à la déménager pour la transporter dans sa remise, quand un petit homme au nez pointu, l’air d’une vieille fille rageuse, vint le menacer de le faire punir, et n’écouta pas les offres de Maxime, qui proposait de payer la paille.

Maxime n’insista pas. Il regarda de côté le régisseur, et s’en alla dans le pays, en marchant lentement, comme un individu qui ne veut pas dire à quoi il pense et qui d’ailleurs ne le sait pas encore lui-même.

A chaque étape, il avait l’habitude de s’occuper de ses affaires. Il passait des demi-heures au bureau de poste, à écrire des dépêches pour des gens de Paris, et des lettres à ses fermiers. Ce jour-là il entra chez le notaire, dont la maison se désignait par des affiches de ventes et des panonceaux.

Un bon moment après, Paul le vit revenir. Il marchait d’un pas plus allègre.

— On va faire nos lits, dit-il.

Il se dirigea vers le petit grenier et se chargea rapidement de la botte de paille.

— Tu n’es pas fou ? s’écria Paul. Qu’est-ce que le type va dire ?…

— J’ai le droit d’emporter cette paille, dit Maxime, et d’en faire ce que je veux.

— Comment ? Qui est-ce qui te l’a dit ?

— Le notaire.

— Le notaire ?

— Oui. Je viens d’acheter le château…

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