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Souvenirs épars d'un ancien cavalier

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VII
HÔTEL RECOMMANDÉ

Les heures, un peu vides, de cette permission, lui parurent lentes… Mais les jours mal remplis passèrent vite. Il aurait dû être attiré par une certaine curiosité vers sa garnison nouvelle. Mais il était ainsi fait que, tout en se lassant promptement de ce qu’il connaissait et tout en souhaitant juvénilement du nouveau, il craignait ce nouveau quand il était tout proche.

Il regrettait, au fond, ce grand quartier de cavalerie d’Évreux, où il avait passé des heures pénibles, mais qui était devenu pour lui une source d’ennuis familiers.

Son père lui conseilla de repartir une demi-journée d’avance afin d’arriver dans la soirée, plutôt que de passer la nuit en chemin de fer. De la sorte, après avoir bien dormi à l’hôtel, il arriverait tranquillement au quartier le matin à 9 heures. C’était vers ce moment que le régiment y ferait probablement son entrée. En s’y trouvant au besoin une demi-heure plus tôt, il aurait la satisfaction de connaître avant ses camarades leur installation nouvelle.

Dans le compartiment de seconde classe où il était monté, se trouvait précisément un brigadier en congé de convalescence, qui « comptait » au régiment qu’ils allaient remplacer. Ce brigadier, qui portait sur sa manche l’insigne des maréchaux, et sur son visage tanné la forte moustache celtique des travailleurs du fer, était originaire de l’Artois et retournait quelques jours dans son ancienne garnison pour y régler des affaires de famille.

C’était, il faut le dire, un terrible bourreur de crânes ; mais, n’ayant pas discerné dès l’abord ce trait de son caractère, Paul fut assez fâcheusement impressionné par ses tuyaux.

Il représenta le quartier de cavalerie comme une réunion de taudis datant du moyen âge, et si étroit qu’on ne pouvait faire un pas dans la cour sans se cogner contre un officier. Cette assertion frappa d’autant plus le jeune Paul que les maréchaux ont une situation assez indépendante pour ne pas être terrifiés par les « huiles ».

Les chambres se trouvaient au-dessus des écuries ; ce qui entretenait, dès la belle saison, un effectif très complet de mouches sur les lits et les planches à pains.

— Et puis, la nuit, tu seras à ton aise pour roupiller avec le bruit des chevaux qui tapent, des chaînes qui grincent, des bat-flancs qui remuent…

(Tant de sensibilité chez un forgeron, habitué pourtant à l’enfer des enclumes et des marteaux !)

— Et le manège ? hasarda Paul.

— Oh ! tout petit, mon vieux…

… Tout petit… il n’aimait pas ça. Quand on commandait : Partez au galop ! il devait y avoir de l’encombrement.

— Et puis, le manège, continua le brigadier-maréchal, il est tout de suite en entrant dans le quartier, à côté de la salle de rapport. Alors, si les classes à cheval se passent le matin, le colo ne manque pas de s’arrêter pour vous regarder tourner.

… Encore une perspective désagréable. Paul ne tenait pas à avoir des spectateurs de marque pour ses exercices de haute école.

Il était assez déprimé par les révélations du brigadier, mais tout de même un peu flatté qu’il le tutoyât. Il faut dire que le double galon lui était toujours apparu comme un honneur inaccessible. Il était bien persuadé qu’une fois cet échelon franchi, il parviendrait très vite à des degrés plus hauts de la hiérarchie. Mais l’impossibilité de conquérir ce grade entrava sérieusement sa carrière.

Quand il eut dit encore que le terrain de manœuvre était abominablement pierreux, que le commandant d’armes était si rosse pour la tenue, qu’il lui arrivait souvent d’interpeller un dragon qui se trottait en permission et de lui faire faire demi-tour, le bon brigadier jugea qu’il avait assez bourré le crâne de son compagnon.

Il changea de conversation et voulut bien lui indiquer, pour y passer la nuit, un hôtel vraiment épatant et parfaitement tenu, disait-il, bien qu’il ne figurât pas parmi les hôtels réputés qui ont un omnibus à la gare et qui écorchent les voyageurs…

— D’ailleurs je passe devant pour aller chez mon oncle, où j’habite. Je te l’indiquerai. Tout seul tu ne trouverais pas.

Paul renonça, pour suivre ce guide despotique, à prendre à la gare un de ces omnibus si tentants pour le porteur d’une assez lourde valise. Ils firent une quantité de tours et de détours pour atteindre, dans une petite rue, une façade qui, avait annoncé le brigadier, ne payait pas de mine. Il faut reconnaître que, sur ce point, il avait tout à fait raison.

Le veilleur de nuit était un jeune somnambule qui suivait son rêve et ne paraissait pas entendre les questions. Il enfonça une allumette dans le fond d’un bougeoir pour y atteindre une bougie tout près de sa fin. Puis, toujours sans mot dire, il entraîna le voyageur à sa suite dans une complication redoutable de petits escaliers obscurs qui montaient, redescendaient, tournaient, et n’arrêtaient pas de crier sous les pas. Les portes ornées de numéros s’ornaient sur leur paillasson de souliers boueux. On arriva dans une anfractuosité. Le somnambule fit entrer Paul dans une chambre très fraîche. Puis, il le laissa seul.

Paul vit à côté de lui un fauteuil mal équilibré, d’un reps trop gras pour qu’on y pût frotter des allumettes. Dans le lit, on avait mis à sécher une paire de draps qui venaient de la lessive, et l’on comptait sur la chaleur animale du voyageur pour mener cette opération à bonne fin.

Le garçon l’avait laissé aux prises avec les rideaux de la fenêtre, séparés de longue date, et bien décidés à ne se joindre jamais.

En remuant la table de nuit, il constata qu’elle renfermait un objet sans doute très précieux, car il lui fut impossible d’ouvrir la serrure qui devait être à secret comme celle d’un coffre-fort.

Heureusement le seau de toilette n’était pas absolument plein, et il put voir, en soulevant le couvercle, que le précédent ou l’un des précédents voyageurs s’était honorablement débarbouillé.

Cependant, l’autorité du brigadier-maréchal baissait peu à peu dans l’esprit de Paul, et le fer à cheval, qu’il avait vu brodé sur sa manche, ne lui semblait plus un signe d’universelle compétence.

Ajournant au lendemain, ou à jamais, la suite de l’inventaire, il se mit rapidement au lit, plongeant jusqu’au cou dans les draps humides. Et il tâcha de s’endormir, après avoir entrevu au plafond, avant de souffler sa bougie, un certain nombre, aimable gage d’espérance, d’araignées du soir.

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