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Souvenirs épars d'un ancien cavalier

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II
SERVICE EN CAMPAGNE

Un jour, on annonça à la décision que le peloton allait, le lendemain matin, faire son premier exercice de service en campagne.

C’était toute une série de grands espoirs qui s’ouvrait devant le jeune dragon.

Au point de vue strict de l’équitation, ses ambitions avaient été déçues.

Mais on peut être un grand conquérant sans être un cavalier de premier ordre.

L’exemple de Bonaparte était rassurant. Paul avait lu, non sans un certain plaisir, dans un livre d’anecdotes historiques, que Napoléon, bien que pourvu de montures soigneusement assouplies et dressées, ne s’était pas toujours entendu avec elles. Or, ces petits ennuis n’avaient pas entravé sa carrière militaire.

Le service en campagne allait sans doute montrer à l’univers qu’à défaut d’aptitudes physiques spéciales, il possédait les qualités intellectuelles extraordinaires qu’exige le métier de conquérant.

Il ne savait pas exactement en quoi consistait le service en campagne.

Mais il lui semblait qu’il inventerait des ruses de guerre géniales et que, dès le premier jour, il allait faire un grand nombre de prisonniers parmi ceux de ses camarades qui représenteraient l’ennemi.

Cette première campagne devait lui ménager une grande déception.

En effet, il n’était pas question d’ennemis.

On forma simplement de petites équipes de deux hommes, dont chacune eut pour mission d’aller reconnaître 500 mètres de route, avec l’ordre de rapporter un petit croquis.

Il était bien difficile de prouver sa valeur de grand capitaine au cours d’une aussi modeste expédition.

Mais je dois dire que, lorsque son camarade et lui se détachèrent du peloton pour commencer leur exploration, il ressentit une impression de surprise et de contentement en constatant un grand changement dans l’attitude de la jument Bretagne.

Du moment qu’il ne s’agissait plus de tourner autour du manège ou d’un carré du terrain de manœuvre, ou encore de suivre le peloton, Bretagne s’en remettait à son cavalier pour lui indiquer la route à suivre.

Cette preuve de confiance le remplit d’une fierté un peu troublée.

Et tout de suite, ses ambitions de centaure de renaître…

Il n’était pas un écuyer de manège, soit ! Mais il allait peut-être se révéler un reître de grande route.


La rencontre d’un petit omnibus rabaissa à nouveau ses prétentions.

C’était un petit omnibus de banlieue, qui n’avait rien en lui-même de terrifiant, et il était étonnant que Bretagne, cheval de troupe, et même, comme son poil gris l’indiquait, ancien cheval de trompette, manifestât un tel effroi à la vue d’un si paisible véhicule.

Mais enfin, le fait était là : Bretagne, à tort ou à raison, ne supportait pas la vue d’un omnibus. Elle monta sur un talus, socle improvisé, et se cabra, elle, dont la spécialité était plutôt de ruer. Et les voyageurs de l’omnibus purent contempler un bleu du 21e dans la posture adoptée sur la place des Victoires par S. M. Louis XIV (dont le cheval du moins est métallique et de tout repos).

Heureusement, un omnibus, si lent qu’il soit, finit toujours par s’écouler. Et Bretagne et Paul purent descendre de leur pendule.


Paul, cependant, rejoignit son camarade. Ils arrivèrent tous deux à la portion de route qu’ils devaient explorer.

Il y avait de quoi faire un joli croquis. La route était traversée de deux étroits chemins et, sur un côté, se trouvait une petite auberge où ils pourraient établir leur quartier général.

A quelques centaines de pas, ils aperçurent sur une route parallèle deux camarades du peloton. Malheureusement, le thème des opérations ne permettait pas à notre jeune homme de leur courir sus et de les faire prisonniers.

Le mieux était d’aller s’asseoir dans l’auberge et d’y exécuter le croquis.

L’opération cependant, n’allait pas sans un certain danger.

La route était découverte sur la gauche, mais, sur la droite, il y avait un chemin touffu d’où pouvait surgir l’officier ou le sous-officier.

Les deux cavaliers n’avaient soif ni l’un ni l’autre.

Ils avaient sur eux du papier et des crayons, et ils auraient pu parfaitement dessiner leur croquis sur un des bords de la route.

Mais rien au monde ne peut empêcher un troupier, à pied ou à cheval, d’entrer dans une auberge, quand il en trouve une sur sa route.

Et puis, quand on est dragon, ce sont des gestes si avantageux de s’arrêter à la porte d’une hôtellerie rustique, de sauter à terre, d’attacher son cheval à quelque anneau de fer, et de commander fièrement de quoi se rafraîchir !


— Ah ! les soldats ! dit l’aubergiste… Hé bien ! vous arrivez à point !… Attendez un peu…

Et il alla chercher, dans un petit cabinet sombre, un vagabond à cheveux gris, mal coiffé, pas très propre, et dont l’œil unique ne pétillait pas d’intelligence…

— Voilà un client que j’ai pincé en train de me voler des poules. C’est un mauvais sujet bien connu dans les environs. Il est plus souvent à l’ombre qu’au soleil. J’irais bien le conduire à la maison d’arrêt, mais je ne peux guère quitter d’ici. Vous allez me l’emmener à la ville. Je vais vous verser une bolée de cidre pour la peine.

… Que devaient-ils faire ? Ni Paul, ni son camarade n’étaient renseignés… Cet aubergiste avait-il qualité nécessaire pour requérir leur aide ? Ils étaient en képi et en bourgeron, mais un sabre accroché à la selle semblait leur imposer le devoir de défendre la paix publique.

Et puis l’aubergiste, un vigoureux quinquagénaire, ancien bistrot à Bois-Colombes, parlait avec une autorité absolue…

Toujours est-il que l’ambition de Paul se trouva réalisée au delà de ses rêves timides, et qu’ils ramenèrent à la ville un prisonnier authentique. Ils n’en étaient pas plus fiers pour ça.

… Il lui semblait que la question de droit n’était pas résolue. Avaient-ils bien fait, oui ou non, de se laisser requérir ?

A l’heure actuelle, Paul n’est pas encore fixé sur ce point.

Tout ce qu’il sait, c’est que l’interprétation du lieutenant fut très nette. Ils écopèrent chacun quatre jours de boîte pour ne pas avoir exécuté leur croquis, et pour s’être mêlés — c’était l’avis de l’officier — de ce qui ne les regardait pas.

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