Une année au désert : $b Scènes et récits du Far-West américain
CHAPITRE XIV.
La Californie, notions générales, productions et climat. — Son avenir.
Le climat de la Californie est beaucoup plus tempéré que dans les contrées de l’Europe comprises sous les mêmes latitudes, et y est d’une salubrité remarquable. Les épidémies y sont inconnues, ainsi que les fièvres, qui règnent généralement dans les pays où l’on défriche des terres. Il n’y pleut jamais pendant l’été, mais alors la fraîcheur des nuits y supplée, et rend la terre assez humide pour que la végétation ne souffre pas. La pluie commence vers la fin de janvier et dure jusqu’à la fin de mars ; quelques ondées en avril terminent la saison pluvieuse.
La Californie renferme beaucoup de vallées, quelques-unes d’une très-grande étendue, et dont le sol est excellent pour la culture des céréales. Au commencement de l’émigration, la population se porta d’abord vers les mines, dont le travail offrait d’autant plus d’attraits qu’il était accompagné de l’espoir de riches découvertes ; mais aujourd’hui, que les chances de fortune sont moins grandes pour le mineur, beaucoup de bras se livrent à la culture du sol.
Outre le blé, la Californie produit beaucoup d’orge et d’avoine. On peut supposer que, lorsque sa population sera plus en rapport avec les ressources qu’elle offre et que la main-d’œuvre sera à meilleur marché, la Californie pourra exploiter le commerce des grains avec avantage. Le climat et le sol conviennent pour la culture de tous les légumes connus en Europe. Ils y atteignent une grosseur considérable et poussent avec rapidité. Cette culture est presque exclusivement exploitée par des Français, dont quelques-uns ont gagné beaucoup d’argent dans cette industrie. Ils se sont également adonnés à la culture des fleurs de jardin, qui était presque inconnue dans le pays avant l’occupation américaine.
Les plantes des régions méridionales s’accommodent très-bien du sol du sud de la Californie, comme celles des régions plus tempérées trouvent dans le nord une terre et une atmosphère en rapport avec leurs besoins. Du nord au sud, tous les arbres à fruits des régions tempérées et méridionales y sont cultivés avec le même succès, depuis le pommier et le poirier jusqu’à l’oranger et la vigne. Il n’est donc point étonnant qu’une terre aussi riche et aussi féconde voie augmenter chaque jour le nombre de ses habitants.
Mais, en même temps que nous sommes témoins du mouvement incessant qui amène sur les rives du Pacifique le trop plein du vieux monde, me disait un homme auquel la Californie est redevable d’une partie de sa prospérité, un autre et douloureux spectacle nous frappe en sens contraire : c’est celui de la vieille race californienne battant en retraite devant l’émigration. C’est par bandes plus ou moins nombreuses qu’on voit ces primitifs possesseurs du sol abandonner successivement leurs pénates pour se replier sur la Sonora. Là, leur nature indolente espère retrouver cette morne quiétude qu’est venu troubler l’élément étranger.
Il est profondément triste de voir s’éloigner ainsi de leurs foyers ces caravanes émigrantes. Depuis la conquête américaine, elles se sentent comme débordées, et prennent en dégoût leur propre sol, au moment où l’activité venue du dehors est en voie de le féconder. Elles ferment les yeux devant toutes ces prospérités incomprises, et croient fuir une terre maudite.
Avec son beau climat, ses riches productions, ses vallées fertiles, la Californie est une terre d’avenir, qui n’attend que des bras pour la rendre féconde. Située presque à égale distance de l’Indo-Chine et des archipels océaniens, elle deviendra, entre l’Europe et ses antipodes, le vaste entrepôt des cinq mondes, le point de transit du commerce universel. Ses rivages, aimés du soleil, se livrent mollement aux baisers de cette mer que les navigateurs ont nommée la Mer-Vermeille, lorsque leurs yeux éblouis contemplèrent pour la première fois l’azur de ses flots. Avec le railway du Pacifique, la Californie ne sera plus qu’à trente-cinq jours de l’Europe ; avec l’électricité, quatre heures seulement la sépareront du vieux monde.
Vous, les déshérités de la fortune, vous sur qui pèse la misère ou le malheur, vous aussi qui vous étiolez sans espérance et sans but au milieu de la vie énervante et des mesquines passions des cités, suivez ce flot humain qui roule vers l’Amérique, rompez avec courage ce lien qui, vous attachant au sol natal, y enchaîne tristement votre destinée. Là-bas aussi, on peut être heureux ; là-bas, une terre jeune et fertile n’attend que votre travail et votre intelligence pour vous donner, sinon la fortune, du moins le bien-être, la liberté et ce souverain contentement que procure le devoir accompli. Au milieu de la grande nature américaine, vous vous relèverez plus forts, plus courageux, plus dignes de vous et du rôle que l’homme est appelé à remplir au sein de la création.
Châlons, imp. T. Martin.