Voyage d'un faux musulman à travers l'Afrique: Tombouctou, le Niger, Jenné et le Désert
FEZ ET MÉQUINAZ.
Le 12 août vers midi, il entre à Fez avec les Juifs qui se rendaient au marché en grand nombre. Les deux jours que le voyageur passe en cette ville (la plus belle, dit-il, qu’il ait vue en Afrique), il couche à l’écurie, seule hôtellerie des étrangers, à côté des ânes et des mulets, et va prendre ses repas à la mosquée.
Sans nous arrêter davantage à Fez, prenons le chemin de Méquinaz, où M. Caillié se rend sous prétexte de parler à l’empereur. Partis le matin à sept heures (14 août), nous arrivons à cinq heures du soir, en compagnie de deux Mauresses à demi voilées, très-blanches et très-rieuses. M. Caillié en avait une en croupe sur sa mule. La journée avait été assez gaie : le pauvre cavalier avait vu ses soins payés d’une tranche de melon et d’un morceau de pain.
Repoussé de l’écurie sur la paille de laquelle il demande la permission de s’étendre, enviant son gîte à la mule qui l’avait porté, le voyageur s’était établi pour sa nuit dans la maison de Dieu ; étendu à terre, il commençait à goûter du repos, quand le portier du saint lieu vint le pousser rudement du pied et lui crier d’une voix rauque de se lever et de sortir ; prenant son sac de cuir, il sortit sans savoir où poser sa tête. Il pensa tristement aux pièces d’argent et aux quatre boucles d’or de Bouré qui lui restaient, et qu’il était obligé de cacher. Il était si faible qu’à la vue de tant d’humiliations et de fatigues, il ne put retenir ses larmes. Un marchand de légumes lui permit à grand’peine de s’abriter sous sa boutique : mais le froid ne le laissa pas dormir.
Le lendemain matin, M. Caillié, son sac sur le dos, se dirige à pied vers Rabat[34] ; mais ses jambes refusent de le porter, il revient à Méquinaz. Cette fois, un bon barbier lui donne hospitalité. Le 16, il repart, sur un âne : si faible qu’il ne peut y monter seul. Le 17, halte, vers midi, au milieu d’un camp militaire, qu’il quitte le 18, à trois heures du matin ; le même jour, nous arrivons à Rabat.
[34] Ou Arbate.
Les Maures, à qui le voyageur présente quelques pièces anglaises à changer, le renvoient aux chrétiens, et lui indiquent le Consul de France : « Je frappai à la porte, et le cœur me battit, en pensant que j’allais voir un Français. »
Le consul où plutôt l’agent consulaire pour la France, à Rabat, était un Juif. Ce Juif fait subir un interrogatoire au voyageur, lui donne quelques sous sur ses pièces anglaises, lui recommande la prudence, et l’envoie dîner dans la rue et coucher à l’écurie. Mais, la prudence elle-même interdit ce gîte à M. Caillié. Les chiens qui font la nuit la police de la ville, le forcent d’aller chercher le repos dans un cimetière au bord de la mer. Ses repas consistaient en pain et raisin : quelquefois, ajoute-t-il, je me permettais d’acheter un morceau de poisson frit.
M. Caillié avait vu avec douleur un brick portugais partir pour Gibraltar, sans avoir pu obtenir de l’agent consulaire la faveur d’y être embarqué. Le 2 septembre, après quinze jours de ce fatigant vagabondage et de vaine attente, M. Caillié écrit au vice-consul de France à Tanger, et, pouvant à peine se tenir, se met lui-même en route pour cette ville. L’âne qui le porte enfonce jusqu’aux jarrets dans un sable mouvant, le long de la mer, et l’oblige à descendre. Dans une halte, le voyageur, enveloppé de sa vieille couverture, essuie un violent accès de fièvre.
A Larache, il voit deux bâtiments français en croisière. Cette vue lui donne des forces. « Les montagnes, qui avoisinent Tanger, me furent, dit-il, bien pénibles à gravir. Enfin, malade et exténué de fatigues, j’atteignis cette ville le 7 septembre à la nuit tombante. »