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Voyage dans le Soudan occidental (Sénégambie-Niger)

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[Décoration]

[128]C’était là le véritable motif.

[129]Fort, selon l’expression du pays, instruit.

[130]Ahmadou, élevé à Dinguiray, était venu, sur l’ordre de son père, le rejoindre avec un autre de ses frères dès la prise de Marcoïa. C’est l’armée d’Alpha Ousman qui, depuis Mourgoula, les avait escortés ; plus tard, Aguibou et un autre fils d’El Hadj qui l’a suivi au Macina, étaient aussi venus.

[131]La Tabaski tombe aux environs du 25 juin.

[132]Les forgerons accompagnent toujours les armées pour réparer les fusils, faire des balles. Ils emportent leurs outils à bras ou sur la tête.

[133]Les Talibés du Diomfoutou sont ceux qui sont spécialement attachés à la garde du roi.

[134]Abdoul-Salam, Peuhl, comme toute la famille royale du Macina, était presque blanc de peau. C’était un oncle d’Ahmadi-Ahmadou.


CHAPITRE XVIII.

Révolte du Macina. — Les chefs du Macina sont mis aux fers. — Ahmadou rentre à Ségou. — Projet de révolte à Ségou. — Ahmadou s’empare des Kountiguis, les envoie à son père qui les tue. — Derniers événements connus du Macina. — On envoie un convoi de poudre à Ségou ; il est attaqué par les Maciniens. — La révolte du Ségou et ses motifs. — Attaque et prise de Bamabougou par les révoltés. — Révolte de Sansandig. — Supplice de Coro-Mama. — Attaque de Koghé par le Sarrau. — Victoire des Talibés à Oueïna, à Koghé, à Soukourou. — Échec des Bambaras à Fantambougou. — Prise de Ségala, de Dionkoloni. — L’armée de Nioro arrive à Ségou. — Première expédition de Sansandig. — Politique à Ségou. — Deuxième expédition de Sansandig.

Le grand marabout, si soupçonneux d’habitude, n’avait rien deviné ; ses espions, ne parlant pas la langue Sonrhay, n’avaient sans doute pas pu comprendre les palabres de Balobo ou n’avaient pu s’y glisser. Toujours est-il que son étonnement égala sa fureur. Il fit sur-le-champ battre le tabala ; toute l’armée arriva, et, quand il fut entouré de tous les chefs, que sa garde de sofas fut rangée, que Abdoul Salam, Balobo et leurs enfants furent placés près de lui, il demanda brusquement à Balobo : « Connais-tu l’écriture de Sidy Ahmed Beckay ? » et, sur la réponse affirmative de ce dernier, il lui tendit la lettre. Les Maciniens, confondus, ne nièrent même pas, ils baissèrent la tête. Alors El Hadj, après leur avoir reproché leur ingratitude, leur disant qu’il les avait comblés de bienfaits depuis qu’ils s’étaient rendus (c’était vrai), ordonna qu’on les mit aux fers tous, et, « il est bien malheureux, me dit Samba Ndiaye, qu’il ne leur ait pas fait couper le cou, car le pays ne se fût pas révolté. »

El Hadj avait d’autant moins de peine à croire à ces projets de révolte, que déjà, quelque temps auparavant, il avait reçu, m’affirma Tambo Bakiri qui se trouvait alors à Hamdallahi, une lettre de Sidy Ahmed Beckay qui l’engageait à remettre le pays à la famille de Ahmadi-Ahmadou, lettre à laquelle était joint un cadeau de sept chevaux de belle race maure (Tambo en avait eu un que j’ai vu à Ségou-Sikoro). El Hadj n’avait pas répondu, mais il avait bien reçu le messager, qui était parent de Sidy Beckay, et il l’avait renvoyé avec de très-beaux cadeaux[135].

Toujours est-il que, comprenant enfin le véritable état du pays et voyant une révolte imminente, il renvoya Ahmadou à Ségou, en lui disant de se presser, sous peine de ne plus pouvoir y rentrer, car il venait de recevoir une lettre qui l’inquiétait.

Ahmadou fit diligence et rentra à Ségou en cinq jours, et là il apprit que les chefs bambaras avaient palabré pour se révolter, et que Tierno-Abdoul, informé par ses espions, avait prévenu El Hadj au plus vite.

Lorsque El Hadj avait quitté Ségou pour le Macina, il avait emmené la plupart des Kountiguis (chefs de captifs) et entre autres Diombokené ou Dionimbokénié qui était leur grand chef ; quand le Macina fut soumis, il les renvoya à Ségou pour tranquilliser le pays et le tenir bien soumis. Il pensait que ces hommes, qui venaient de se battre pour sa cause, lui seraient dévoués. C’était bien peu connaître le cœur humain. Les Kountiguis, comme tous les Bambaras, rêvaient la vengeance et la liberté, non la liberté réelle, puisque, esclaves de père en fils, le premier emploi qu’ils en eussent fait eût été de se donner un nouveau maître, mais en quelque sorte leur autonomie, leur culte, leur Dieu, leur eau-de-vie et le droit d’en abuser. Entre eux et les chefs du Macina, il y avait des ramifications, et le complot devait éclater partout à la fois, rendant la liberté à Ali, qu’ils se proposaient de replacer sur le trône de Ségou, en même temps que Balobo serait monté sur celui de Macina.

Tout cela devait échouer.

Mars 1863.

Ahmadou, en rentrant à Ségou, affecta de ne croire à rien ; il fit célébrer une fête, et le lendemain les Kountiguis vinrent en masse le complimenter suivant l’usage. Il les reçut très-bien, leur fit de grands cadeaux de cauris et de gourous, et leur dit : « On m’a dit que vous vouliez me trahir ; mais je n’y crois pas. » Et, comme ils protestèrent de leur dévouement, il leur recommanda de venir le jour de la fête du Cauri, qui était peu après, qu’il aurait quelque chose d’important à leur dire de la part d’El Hadj, dont il lirait une lettre ce jour-là.

En effet, le 23 mars, jour du Cauri, ils étaient là, à l’exception d’un seul[136]. Ahmadou fit le palabre avec les Talibés sous les arbres, comme d’habitude ; puis après avoir palabré avec tous les Bambaras présents, il fit faire une grande distribution de cauris aux chefs et leur dit de venir chez lui, qu’il leur ferait une communication. Ceux-ci le suivirent. Ahmadou, une fois rentré, s’assit ; peu après, il rentra un instant dans son logis, pendant que les Talibés entouraient les Bambaras de tous côtés. Ahmadou sortit alors et leur dit : « Vous avez voulu me trahir, je vais vous punir. » Un seul, Sambakénié, protesta ; mais on les saisit, et on trouva que la plupart étaient armés sous leurs vêtements. Ahmadou les fit mettre aux fers dans une pirogue, et les expédia à son père, sous la conduite de Tierno Abdoul. Huit jours après, Abdoul, arrivé en face d’Hamdallahi, envoyait demander les ordres d’El Hadj. Ce dernier ne voulut pas les voir, et on les exécuta sur le bord du Niger. Abdoul, à la suite de cet événement, passa quelques jours à Hamdallahi, puis il rentra à Ségou-Sikoro, en mai 1863. Il rapportait la nouvelle que Balobo, Abdoul Salam et son fils avaient réussi à briser leurs fers et à s’échapper, et qu’El Hadj, furieux, avait fait tuer tous les autres princes qui étaient en son pouvoir, ainsi qu’Ali, de façon à ce qu’ils ne pussent pas s’échapper. Ainsi mourut obscurément le dernier roi bambara de Ségou.

Le Macina n’était pas encore révolté, mais peu s’en fallait. Quelques jours plus tard, un certain nombre de ceux qui restaient fidèles vinrent demander à El Hadj une armée pour réduire un village qui se fortifiait et était mourti (révolté). Ce dernier consentit à donner cinq cents Talibés, et la colonne partit.

Arrivés devant l’ennemi, le Maciniens, au nombre de mille, se joignirent aux révoltés et assaillirent les Talibés, dont quelques-uns à peine se sauvèrent en se jetant dans un petit village. Deux ou trois, montés sur des chevaux rapides, allèrent pendant la nuit prévenir El Hadj.

Celui-ci fit alors sortir une grande armée sous les ordres d’Alpha Oumar ; il lui confia deux petits canons en cuivre (pierriers pris à bord d’un brick de commerce français au Sénégal) ; et, le même jour, craignant de manquer de poudre, il envoya un Talibé, nommé Amadi Daouda, que j’ai connu à Ségou et dont je tiens une partie de ces détails, pour demander de la poudre au plus vite. On partit tout de suite, et cent cinquante somonos se mirent en route, chargés de barils qui variaient de cinquante à soixante livres ; ils étaient conduits par trois cents Talibés.

Ils arrivèrent sans encombre jusqu’au Bourgou[137], mais là, attaqués près de Jenné, ils virent les porteurs jeter leurs barils par terre ; les Talibés prirent la fuite, poursuivis tous par les cavaliers lanciers qui en firent un grand massacre. J’ai bien souvent vu un muet, esclave bambara, qui en réchappa, nous représenter par une mimique très-expressive cette scène d’un affreux carnage. Les Pouls du Macina ne le cèdent en rien aux Toucouleurs pour la cruauté. Quand ils avaient blessé un homme, ils s’amusaient à le piquer de petits coups de lance jusqu’à ce qu’il ne donnât plus signe de sensibilité. C’est ce que notre muet exprimait d’une façon aussi énergique qu’intelligente.

Ce massacre est de la fin de mai 1863. Depuis cette époque les communications naturelles étaient fermées avec le Macina. Pendant quelque temps encore Ahmadou avait reçu des lettres de son père ; mais à mon arrivée, en février 1864, bien qu’on prétendît que des courriers secrets lui arrivaient, bien que je l’aie moi-même souvent cru, me laissant prendre à tous les subterfuges auxquels on avait recours pour répandre cette opinion, il me paraît assuré que depuis sept mois il n’avait plus de nouvelles du Macina que par des déserteurs de l’armée paternelle ou par des captifs du Macina s’échappant ; et quant aux espions, les plus courageux dépassaient rarement les premiers villages ennemis. Il est facile de comprendre pourquoi dans cette situation politique Ahmadou ne pouvait nous laisser aller en avant et pourquoi il nous retenait sous prétexte de nous envoyer à son père, voulant laisser supposer à tout le monde qu’il avait des nouvelles du Macina et qu’El Hadj s’y trouvait toujours en bonne position.

Ce fut de cette manière qu’après plusieurs mois de séjour à Ségou nous étions encore dans l’incertitude sur le compte d’El Hadj. Au début, tout le monde nous disait que chaque jour arrivaient de Sansandig des femmes, qui annonçaient que l’armée d’Alpha Ousman venait vers Ségou ; une autre fois, c’était Alpha Oumar ; on disait que les communications étaient fermées par ordre d’El Hadj qui voulait empêcher les Talibés de revenir à Ségou, où la plupart avaient leur famille et leur maison ; que, du reste, il était maître de tout le Macina, et que s’il n’intervenait pas dans les affaires de Ségou, c’est qu’il voulait voir si, après lui, ses fils seraient capables de se diriger tout seuls.

Ces versions n’étaient pas à notre adresse ; elles émanaient du palais d’Ahmadou et se répandaient au milieu des Talibés, qui les acceptaient, ou feignaient de les accepter comme vraies.

Pendant que El Hadj était ainsi dans le Macina, occupé par la révolte du pays, voyons ce qui se passait à Ségou. En y rentrant, Ahmadou, ayant sans doute besoin de ressources, frappa un impôt sur Sansandig. Il demanda qu’on lui livrât 500 pagnes ou dampés[138]. Les gens de Sansandig vinrent le trouver et lui adressèrent quelques humbles prières pour qu’on diminuât un peu cette charge. Au lieu de leur accorder leur demande, Ahmadou leur dit : « Ce ne sera pas 500, ce sera 1000. Allez. » Et les mille pagnes furent livrés. Mais au mois d’août 1863, les Bambaras séparèrent leur cause de celle d’Ahmadou. Déjà depuis quelque temps les Talibés chargés de percevoir les impôts dans le Kaminian Dougou, avaient été obligés de rentrer à Ségou. Ils avaient signalé à Ahmadou la fermentation du pays, en demandant une armée, qui alors fût venue facilement à bout des révoltés. Ahmadou, s’appuyant sur les ordres de son père, refusa, poussé à cela par Mohammed Bobo, disent les Talibés. Enfin, après quelques mois de séparation, on entama les hostilités. L’armée du Kaminian Dougou se rassembla et vint tomber sur Bamabougou, qui, surpris sans défense, fut enlevé. Une quarantaine de Talibés qui s’y trouvaient furent mis à mort, et on prit tout ce qu’on trouva, femmes, enfants et bestiaux. Trois jours après, Sansandig se révoltait. Voici dans quelles conditions eut lieu cette révolte. J’ai recueilli ce récit au mois de septembre 1865, au siége de la ville, de la bouche de gens du village qui avaient assisté à la tuerie et au martyre qui furent la conséquence de ce soulèvement.

La révolte de Sansandig n’est pas un fait isolé. Tous les Soninkés du pays de Ségou avaient conféré entre eux, et voyant qu’El Hadj était enfermé dans le Macina et que sous le commandement du marabout ils avaient vu leurs charges augmenter au lieu de diminuer, ils avaient décidé de se révolter et de forcer Ahmadou à quitter le pays. L’impôt arbitraire levé par Ahmadou fut le dernier coup. Quelques jours avant la révolte, Koro Mama, le marabout qui avait livré la ville à El Hadj, envoyait son griot prévenir Ahmadou que la révolte était imminente et que s’il n’envoyait pas du renfort il ne répondait de rien. Koro Mama, qui avait le moins souffert de l’occupation des marabouts, était entièrement dévoué au gouvernement d’El Hadj, et il prenait des mesures pour dominer cette révolte. C’est ainsi qu’il envoyait dire à tous ses captifs, au nombre de plusieurs milliers, et composant de nombreux villages dans l’intérieur, de prendre les armes et d’arriver en ville au plus tôt. Mais il était trop tard ; le soir même où le griot arrivait à Ségou, deux armées entraient à Sansandig, appelées par Boubou Cissey. L’une était de Kalaris[139], commandée par Souqué ; l’autre venait de Sokolo, commandée par Dougaba, et en même temps les captifs de Boubou Cissey, chef du village, prenaient les armes et attaquaient les Talibés dans les rues. Quelques-uns, sous le commandement de leur chef Bakar Taco, se réfugièrent dans une maison où ils tinrent longtemps, mais où enfin ils furent tous massacrés. Après cela restait Koro Mama. Les chefs du village, réunis à ceux des deux armées de renfort, lui firent dire de venir palabrer avec eux. Il s’y refusa, et il était si bien gardé dans sa maison qu’on n’osait pas aller l’attaquer ; mais deux de ses parents, Abderhaman Couma et Baba Couma, chef des Couma, famille à laquelle appartenait Koro Mama, allèrent le trouver et le trahirent[140]. Amené devant les chefs, Koro Mama refusa de s’associer à la révolte. Musulman fanatique, il leur reprocha leur manque de religion, l’usage des boissons fermentées[141], et, menacé de mort, ne trahit pas un seul instant sa cause. Alors on décida qu’on allait le tuer.

On le mit en pirogue et on le descendit sur l’autre rive, presque en face du village de Médina, sous un groupe de beaux arbres. Il demanda qu’on lui laissât faire le salam, dire son chapelet, et cela lui fut accordé. Puis après il dit qu’il était prêt. Alors on lui coupa un poignet, puis l’autre ; et pendant ce temps on ne put lui tirer d’autres plaintes que le mot suprême des musulmans : Lahi, Lahi, Allah. Mahammed Raçould y Allah[142]. On lui trancha ensuite les bras, puis les épaules, puis les pieds, les genoux, et enfin, voyant qu’il était sans connaissance, on lui coupa le cou, après quoi on lui ouvrit le corps et on en retira le cœur, encore palpitant, qu’on porta aux chefs ; l’un d’eux prit son petit doigt pour en faire un gris-gris. Quant à ses biens, on les partagea, et sa famille en eut la plus grande partie.

Quelques jours après, le Sarraudougou (province de Sarrau), voyant le succès obtenu par le Kaminiandougou, rassemble son armée et vient tomber sur le village de Koghé. Pendant que cette attaque se prépare, Ahmadou, pour venger le massacre de Bamabougou, a envoyé contre Oueïna une armée commandée par Alpha Abdoul Belnabé, qui, après avoir emporté ce village de vive force, se retire et reçoit l’ordre de camper à Marcadougouba. C’est en ce moment que l’armée de Sarrau tombe sur Koghé. Le village est à demi pris, lorsque, au bruit du tam-tam et de la fusillade, arrive l’armée d’Alpha Abdoul Belnabé, qui rentre dans le village à la suite des assaillants, dont un petit nombre échappe.

Quelque temps après, Ahmadou fait sortir une armée, commandée par Tierno Alassane (Torodo)[143]. Elle va attaquer Soukourou, village du chef du Kaminiandougou, qu’elle emporte, et Soukoro Kari, le chef, et son frère Bilama, tombent en son pouvoir et sont exécutés.

Grâce à ces coups frappés rapidement et tous dans la même direction, en vue de dégager la route du Macina, Ahmadou a repris un peu de prestige, même aux yeux des Bambaras. C’est alors que Dougaba, chef de Sokolo, sort de Sansandig et vient faire diversion en pillant impitoyablement les Bambaras encore soumis à Ahmadou. Il tombe à Fantambougou, village peuhl sur la rive gauche, à hauteur de Sama Marca. Il rencontre là une armée, envoyée en toute hâte par Ahmadou, sous le commandement de Sirey Moctar[144]. Elle attendait à Sama Marca ; an premier coup de fusil, elle se jette sur les Bambaras, et Dougaba avec cent cinquante au moins des siens paye de la vie son imprudence.

Alors les Pouls, trop exposés, quittent leur village et vont camper à Kalabougou, en face de Ségou Bougou. Les Bambaras reviennent les attaquer, sont encore battus, et cette fois les Pouls eux-mêmes organisent une armée pour aller détruire Kaba, village de l’intérieur (rive gauche), à la hauteur de Sérékhalla.

Comme on le voit, c’est dans les Peuhls et les esclaves qu’Ahmadou trouva un appui.

Nous sommes au mois de novembre 1863.

Ahmadou apprend que le roi de Ségala (Sarnari), nommé Alahi, a rassemblé une armée pour attaquer Gouloumba, village du Fadougou, demeuré fidèle à El Hadj. Sans perdre un instant, il envoie une armée pour attaquer Ségala. Elle l’emporte, tue le chef et prend son frère et son forgeron, qu’on emmène à Ségou.

Quatre jours après cette nouvelle, Ahmadou reçoit un courrier de l’armée de Nioro, qui est venue attaquer le village de Dionkoloni et l’a emporté le même jour que celle de Ségou emportait Gouloumba. Sur-le-champ, il envoie porter à cette armée l’ordre de venir à Ségou pour une expédition, et reçoit ainsi un renfort important de talibés ; car, dès cette époque, Moustaf, l’esclave d’El Hadj, chef à Nioro, a su, par une politique habile, se faire une véritable armée. Les émigrants du Fouta, tous les chefs qui ont eu maille à partir avec l’autorité française et qui pourraient craindre d’être pris, se sauvent à Nioro, et s’y trouvant bien accueillis, la plupart s’y établissent, s’y marient et fondent une nouvelle famille.

L’armée de Nioro, forte de plus de deux mille hommes, arrive donc ; on la fait camper hors de la ville, où Ahmadou va la recevoir en grande pompe, et le lendemain même, réunie à l’armée de Tierno Alassane, qui déjà a combattu à Soukourou, elle va attaquer Sansandig.

A cette époque, Sansandig n’avait pas les murailles que j’y ai vues plus tard ; son tata irrégulier n’avait guère en beaucoup d’endroits que deux mètres de haut ; les portes de la ville, qui, quelques mois auparavant, n’existaient pour ainsi dire pas, n’étaient guère redoutables. C’étaient quelques planches réunies à la hâte, avec une mauvaise construction en terre à peine séchée.

Aussi, dès le premier assaut donné avec des troupes fraîches et enivrées de la double victoire qu’elles avaient remportée, on entra dans le village presque sans résistance et malgré l’armée de Bambaras qui s’y trouvait retenue par Boubou Cissey. On attaqua par l’extrémité occidentale de la ville, point faiblement défendu, parce que toutes les maisons riches sont à l’autre extrémité. Une colonne de cavalerie avait été envoyée surveiller ce qui se passait à l’autre bout du village, et une réserve restait sous le commandement de Tierno Alassane pour garder les poudres, les bagages, les chevaux des assaillants et les nombreux ânes qu’on avait amenés, malgré les ordres d’Ahmadou, pour les charger de butin.

En effet, les Talibés se répandent dans le village, et, trouvant des cases gorgées de ce qu’ils appellent des richesses, ils ne peuvent résister à la tentation et s’arrêtent à piller ; ils ramassent des pierres de sel, des cauris, des gouroux, des pagnes, du coton, des captifs, tout leur est bon, et pendant ce temps les Bambaras effrayés sortent par l’autre extrémité du village, pour s’ouvrir un passage ou pour revenir prendre les assaillants par derrière. Au premier coup de fusil des Bambaras, qui en effet reviennent attaquer par derrière, la colonne de cavalerie qui surveille cette extrémité prend la fuite au galop et retourne vers Tierno Alassane. La réserve s’effraye et s’enfuit en désordre. Au bruit que cela fait, les Talibés qui sont dans le village montent sur les toits, et, voyant l’armée en fuite, abandonnent le village avec ce qu’ils ont pris de butin et, attaqués par les Bambaras dans leur fuite, laissent plus d’un des leurs sur le théâtre du combat. L’armée rentre à Ségou dans le plus grand désordre, abandonnant en route bon nombre de captifs et surtout des fusils qu’on a jetés dans le fleuve pour pouvoir le traverser plus vite. Cette expédition est de décembre 1863.

Ce fut un grand découragement à Ségou au retour de cette colonne si maltraitée. On ne pouvait s’y dissimuler de quel puissant effet serait cet échec dans le pays. En effet, les Bambaras commencèrent à se remuer de plus belle, et beaucoup désertèrent.

Quant au combat lui-même, il fut naturellement l’objet de bien des commentaires. Chacun le racontait à sa manière, attribuant la faute à son voisin. Dans le vulgaire on la jeta sur ceux qui, s’arrêtant à piller au lieu de chasser les Bambaras, avaient permis à ceux-ci de former une attaque contre l’armée. Mais il paraît démontré que la véritable cause fut la mauvaise volonté de la cavalerie composée de Foutankè (hommes du Fouta central), qui, mécontents de voir que plusieurs fois de suite on donnait le commandement de l’armée à un homme du Toro, avaient pris la fuite après avoir refusé de se battre, disait-on.

Pour bien comprendre ce fait, qui est une de ces questions de politique intérieure si importante dans les pays nègres, il faut savoir que le Fouta sénégalais est divisé en trois parties, dont l’une, le Fouta central, commandait les deux autres, le Toro et le Damga, lesquels, bien qu’indépendants, étaient en quelque sorte vassaux. El Hadj, né dans le Toro, tâcha de relever au milieu de ses bandes le Toro ; mais s’il fut lui-même accepté par les gens du Fouta central (Lao, Ebiabé, Irlabé), il ne put jamais faire prévaloir le parti Toro sur celui du Fouta. Quand il les traitait sur le même pied, tout allait bien ; mais dès qu’il voulait deux fois de suite donner le commandement au Toro, le Fouta ne marchait pas et entraînait souvent le Damga à sa suite. De là des difficultés sans nombre dont El Hadj, profond politique, était venu à bout par la ruse et par l’appui que lui donnait Alpha Oumar Boïla, descendant d’une famille d’Almamis et qui, à ce titre, était universellement respecté.

Ahmadou, plus entêté, lui, dans ses idées, poussé d’ailleurs à la fermeté excessive et souvent maladroite par son ami Mohammed Bobo, le Fouta Diallonké, imposait Tierno Alassane comme chef. Tierno avait commandé avec succès à Soukorou, à Ségala ; on lui avait encore obéi. Mais à Sansandig on en était las, et, d’ailleurs, disons-le, car nous avons connu une grande partie des personnages qui sont en scène, Tierno Alassane, marabout dans toute la force du terme, ne savait pas se faire aimer. Il donnait peu. En outre il était mou au combat, et quoique brave il passait son temps à marmoter son chapelet, sans donner un seul ordre et laissant faire. S’il eût voulu commander d’ailleurs, il n’eût pas été écouté et il eût entendu bien des voix lui répondre qu’on était d’aussi bonne, de meilleure famille même que lui.

Comme on le voit, dans la république religieuse du Fouta il y a un grand esprit aristocratique, ou pour mieux dire, il y a cet esprit de caste qui a bien longtemps régi l’Europe et qui y a encore tant d’influence en dépit des idées modernes.

Cependant, si entêté que fût Ahmadou, il ne pouvait refuser de se rendre à l’évidence, et il fut bientôt clair pour lui que la cause de sa défaite était le mauvais vouloir des Talibés mécontents.

Il eût renvoyé le lendemain une armée sous les ordres d’un autre chef plus sympathique, qu’il eût sans doute obtenu une victoire. Mais avec la lenteur, qui, dès ce moment, caractérisa toutes ses actions, il réfléchit et réfléchit si longtemps qu’il laissa aux Talibés de l’armée de Nioro le temps d’avoir à souffrir de toutes les misères de la vie de Ségou.

A Ségou tout s’achète : pas de cauris, pas de mil, pas de viande : rien à manger.

Vainement Ahmadou donnait des captifs et un peu de sel. Ses cadeaux étaient vite dévorés par les grands ou donnés par eux aux petits, et il restait des mécontents.

De plus, Sansandig, instruit par l’expérience et s’attendant à ce qui allait arriver, se fortifiait, élevait ses murailles, perçait des meurtrières, et, qui plus est, appelait du Macina un renfort de troupes que Boubou Cissey, réuni aux principaux habitants, prenait à sa charge pour la nourriture, les habits, les esclaves, les femmes et toutes fournitures.

En février 1864, Ahmadou, après de nombreux palabres et des préparatifs qui avaient dû être, par leur longueur, connus de tout le pays, confiait enfin son armée, renforcée de celle de Nioro, à Alpha Abdoul Belnabé, qui alla de nouveau attaquer Sansandig. L’attaque fut conduite de la même manière, mais on trouva une plus grande résistance. A peine était-on entré dans le village, que tout à coup une véritable armée, non pas de fuyards cette fois, mais de gens disposés à l’attaque, sortit, comme la première fois, de l’extrémité opposée du village et, se précipitant avec force sur la réserve de l’armée, la culbuta. Tout lâcha pied, et vainement Alpha Abdoul Belnabé déploya un courage surhumain, vainement il mit pied à terre pour rentrer dans le village, vainement quelques chefs imitèrent son exemple et se firent tuer à ses pieds, vainement enfin lui-même trouva la mort : l’armée poursuivie rentra, en déroute complète, sans son chef, laissant cette fois bien plus de morts et de blessés sur les chemins et ne rapportant aucun butin.

Ce fut cette expédition dont la nouvelle me parvint dans le Fadougou. Ahmadou a cassé (détruit) Sansandig, disait-on alors. C’est à cette défaite autant qu’à la révolte du Bélédougou qu’était due la fermentation à laquelle le Fadougou était en proie au moment de mon passage. Voilà quelle était la situation quand j’arrivai à Ségou, et on comprendra pourquoi Ahmadou se souciait peu de me la faire connaître.

Le trait saillant du caractère des noirs étant l’insouciance, il faut bien se persuader qu’il y avait fort peu de gens à Ségou qui appréciassent bien la position du pays. Quand ils sortaient d’un palabre d’Ahmadou, ils étaient tout à fait sous l’influence des louanges qu’un griot lui avait données, ou d’une nouvelle apportée par quelque femme qui, prise au Macina, et revenue par Sansandig, avait eu sa leçon faite à l’avance, et se serait bien gardée de dire un mot de vérité. De là ces nouvelles qui nous induisaient sans cesse en erreur et qui si longtemps nous ont caché ce qui se passait vraiment dans le pays. Si on ajoute que la plupart des Talibés ne connaissaient pas le pays, que je ne pouvais qu’à la longue savoir où étaient situés les villages dont on me parlait, on comprendra combien la connaissance de tous ces faits et de l’esprit du pays a dû être pénible à acquérir.

[Décoration]

[135]Il est curieux de rapprocher cette version de celle qui a été donnée par les Maures. (Voyez le premier chapitre : Instructions.)

[136]Un de ceux qui s’étaient soumis, car un certain nombre avaient fui et ne s’étaient jamais rendus à El Hadj.

[137]Le Bourgou est le pays marécageux compris entre le Bakhoy, le Niger, le marigot de Djenné et celui de Diakha ; il est très-peuplé et très-riche en cultures.

[138]Valeur de 800000 cauris au moins. Le moindre pagne vaut de 1200 à 1500, les dampés de 4000 à 8000.

[139]Kalaris, tribu bambara, au nord de Sansandig.

[140]Je n’ai pu savoir comment.

[141]L’eau-de-vie de mil.

[142]Dieu est Dieu, Mohammed est son prophète.

[143]Tierno Alassane était à poste fixe chef de l’armée pendant mon séjour à Ségou-Sikoro.

[144]Frère de Sirey Adama, tué à Guémou en 1859, neveu d’El Hadj, fils de Sirey Torodo et d’Adama, sœur d’El Hadj.


CHAPITRE XIX.

Séjour à Ségou-Sikoro. — Palabre avec Ahmadou. — Le carême musulman. — Fête du Cauri. — Ahmadou et sa toilette. — Son cheval. — Son palabre. — Ahmadou me fait appeler. — Mon désappointement. — Visite d’un ancien soldat français aujourd’hui Talibé. — Partage des captifs. — Évaluation de la population de Ségou-Sikoro et des partisans d’Ahmadou. — Je ne peux acheter de chevaux. — Accident sans suite. — Le mot d’un musulman ayant passé vingt ans à Saint-Louis. — Nouveau palabre avec Ahmadou. — Le salpêtre impôt. — Bruits inquiétants. — Colère de Quintin. — Bruits favorables à notre départ. — Je me décide à attendre encore. — Ahmadou nous envoie deux esclaves. — Impossibilité de partir. — Nos dépenses.

1er mars 1864.

Le premier mars je fis demander à Ahmadou de me recevoir pour parler d’affaires. Il était deux heures de l’après-midi, c’est l’heure du salam ; il me remit à plus tard. Vers quatre heures je renvoyai de nouveau Samba N’diaye et à cinq heures seulement Ahmadou me fit dire de venir.

Je le trouvai chez lui, entouré d’une assez grande foule. Aussitôt les politesses échangées, j’insistai pour lui parler d’affaires. Il ordonna alors à tout le monde de sortir, ne gardant qu’un petit nombre d’intimes. C’étaient Sidy Abdallah (Maure), Mohammed Bobo, Oulibo, Tierno-Abdoul, et quelques autres, puis Samba N’diaye et enfin Samba-Yoro, mon interprète.

Je pris la parole et lui dis :

« Depuis Guémou, il n’y a plus eu de guerre entre nous. Cependant nous savions qu’il y avait des Talibés à Kouniakary, à Koundian, et il nous eût été facile d’aller les chercher. Si nous ne l’avons pas fait, c’est qu’on a dit au gouverneur qu’El Hadj avait déclaré qu’il ne voulait plus faire la guerre aux blancs. Le jour où le gouverneur a su cela, il a voulu envoyer quelqu’un à ton père, car si nous faisons la guerre à ceux qui nous offensent, nous désirons la paix avec tous les gens de bien. Mais El Hadj était loin, nous étions souvent sans nouvelles de lui. Les routes n’étaient pas sûres, il n’y avait pas moyen d’envoyer un officier. Maintenant le gouverneur, qui était allé en France, est revenu ; on lui a assuré que tu étais roi de Ségou, que ton père était maître du Macina ; il m’a envoyé te parler et m’entendre avec toi ; il ne te veut que du bien, et comme preuve il t’a envoyé deux officiers. Maintenant que je suis arrivé, je te demande : Peux-tu m’envoyer à ton père ? ou veux-tu que je te dise ce que j’ai à lui dire, et si je parle, peux-tu me donner une réponse ? »

Ahmadou me parla avec une grande simplicité ; il répondit à mes questions sans se compromettre, comme on va le voir :

« Depuis que le monde est monde, me dit-t-il, on s’est fait la guerre et après cela on est devenu amis. Chaikhou (El Hadj) ne travaille que pour la gloire de Dieu. S’il avait le désir de s’enrichir ou de commander, il pourrait se reposer et jouir de tout ce qu’il a acquis. Ce n’est pas là ce qu’il veut. Il veut faire la guerre pour arranger le pays, en chasser les keffirs et les mauvaises gens. Quant aux bons, il ne veut pas leur faire la guerre. Ce sont de méchantes gens qui ont brouillé ses affaires avec vous. Maintenant tu es venu de France[145] jusqu’ici, nous en sommes heureux, bien heureux. Si je pouvais te donner moi-même une réponse dès ce soir, nos affaires seraient arrangées suivant tes désirs, autant que je pourrais le faire. Mais, tu sais, les vieilles gens aiment bien le respect. Chaikhou vit encore, il est très-bien portant, et je ne puis par respect rien terminer sans le prévenir. Si je le faisais, ce que j’aurais fait serait fini, car il m’a tout laissé entre les mains. Mais je ne dois pas agir ainsi. D’ailleurs il y a longtemps qu’il m’a dit : « Les blancs viendront me trouver et j’aurai besoin de parler avec eux. »

Enfin, quant à mon départ, il me dit qu’il ne pouvait me fixer d’époque, mais qu’il le presserait le plus possible dès que la route serait praticable.

J’insistai à mon tour, car toutes ces réticences ne me semblaient pas de bon augure, et pensant que cela pourrait être d’un bon effet, je lui déclarai que je ne pouvais rester longtemps chez lui, et que le 20 mai je renoncerais à aller à Hamdallahi parce que je désirais rentrer à Saint-Louis avant les pluies. Enfin je demandai à faire partir deux courriers pour annoncer au gouverneur que j’étais arrivé.

Il remit la réponse au lendemain.

En effet, le lendemain matin il me reçut en petit comité dans la cour intérieure où j’étais entré la première fois ; il me promit d’expédier mes courriers, mais non tout de suite, et me dit de préparer mes lettres.

Puis il causa de nos usages, ainsi qu’il l’avait déjà fait à chaque visite, me questionnant beaucoup sur des choses dont on lui avait parlé, sur les divers peuples de l’Europe, leur force, leur gouvernement, leur religion ; la guerre de Crimée, Stamboul[146], les chemins de fer, les télégraphes, l’armée. On conçoit que la conversation ne pouvait guère languir. J’essayai de lui glisser quelques idées pratiques et je lui insinuai que si, dans tout son pays, il y avait des routes droites, larges de cinq à six mètres (dix à douze coudées), cela abrégerait les distances et que bientôt il y aurait des voitures. Puis il me demanda à voir mes dessins, et si les paysages ne le frappèrent que médiocrement, les figures et les types l’étonnèrent au dernier point.

En rentrant chez moi, je reçus un mouton et un bœuf.

6 mars 1864.

Je ne revis Ahmadou que le 6 mars, le docteur venait d’avoir la fièvre ; comme dans tout le cours de notre voyage, après les grandes fatigues, nous subissions le contre-coup. Ahmadou remarqua l’altération de ses traits. J’insistai pour expédier nos courriers, pour partir nous-mêmes, mais je n’obtins que ces réponses exaspérantes avec lesquelles il me fallut si longtemps satisfaire mon impatience : « Tout à l’heure, Ché Allaho. Bientôt, etc. »

Je lui demandai s’il pensait que la chose fût possible dans huit jours, et il me répondit : « Peut-être, Ché Allaho ; » et moi, peu habitué encore à ces réponses, j’eus la simplicité d’y voir une espérance.

Comme je questionnais au sujet des nouvelles qu’on me donnait du Macina, il me répondit du bout des lèvres qu’El Hadj avait cassé tout le Macina. Et de fait, chaque jour on annonçait que des villages du Macina étaient venus se réfugier du côté du Kalari, province habitée par des Bambaras Kalaris au nord de Sansandig.

Rentré chez moi, j’employai mes loisirs à faire le tracé du fleuve, de Yamina à Ségou, d’après mon levé en pirogue, et à prendre des renseignements sur la famille d’El Hadj. La chaleur était accablante, le thermomètre ne montait qu’à 38° ; mais dans notre cour, carré de 6 mètres de côté, entouré de murailles en terre, l’air ne circulait pas ; dans notre case, la chaleur était encore plus fatigante et il s’y joignait les émanations des fosses d’aisances et de la cuisine.

Nous étions en plein mois de Ramadan, ou carême musulman ; les Talibés jeûnaient ponctuellement pour la plupart. On sait en quoi consiste ce jeûne : on ne doit pas manger du lever du soleil au coucher et on ne doit ni boire, ni avaler sa salive, ni se rincer la bouche, ni fumer. Aussi, pendant ce temps et surtout lorsque le carême tombe en pleine saison sèche, comme cette année, les musulmans dorment une partie du jour et restent le plus longtemps possible dans leurs cases. Le 8 mars on guettait l’apparition de la lune qui devait terminer ce jeûne, si rigoureux et si pénible, que la plupart le rompent plusieurs fois, sauf à restituer ensuite les jours de jeûne non observés. Mais la lune ne se montra pas. En revanche, on nous apporta la nouvelle suivante : « Une femme est arrivée chez Ahmadou ; elle s’est enfuie de Sansandig où ses maîtres se sont réfugiés parce que son village a été cassé par Alpha Oumar. Pendant ce temps, Alpha Ousman opère sur la rive droite. Ahmadou a donné l’ordre à l’armée campée à Koghé d’envoyer 40 chevaux en éclaireurs. »

Le lendemain, c’était un homme qui apportait des nouvelles analogues, et toutes ces nouvelles, j’en ai eu la preuve plus tard, étaient inventées pour ranimer l’espoir chez les Talibés, pour leur faire croire, à l’approche de la fête du Cauri, que bientôt El Hadj serait au milieu d’eux, et surtout pour écarter l’idée de sa mort, que quelques-uns commençaient à soupçonner.

Le 9 mars, la lune montra son croissant argenté mince comme un filet, et tout aussitôt, en dépit des ordres qu’Ahmadou avait fait crier dans le village par les griots, une salve de coups de fusils partit de tous les toits pour saluer l’apparition de l’astre des nuits et la fin du jeûne. Mes laptots avaient aussi préparé leurs fusils, mais je voulus donner l’exemple de l’obéissance, et je défendis de tirer.

Cependant je désirais savoir le motif de la défense, et je le demandai à Samba N’diaye, qui répondit que c’était pour ne pas gaspiller de la poudre, car, quoiqu’on en fabriquât beaucoup, on en consommait davantage encore.

Ce même soir, l’armée de Koghé, qui était placée depuis longtemps comme armée d’observation dans ce village, rentrait pour la fête. Il y avait à peu près cinq cents chevaux.

9 mars 1864.

Le lendemain, 10, était donc la fête du Cauri. Dès le soir, j’envoyai en cadeau à Ahmadou une pièce de mérinos bleu de ciel, d’environ douze mètres. C’était une étoffe très-belle de nuance et de qualité. C’était d’ailleurs le premier présent que je lui faisais, car le gouvernement n’ayant pas jugé à propos de lui en envoyer, je n’avais pas voulu avoir l’air d’offrir des bagatelles qui, dans ma pacotille, étaient des objets d’échange, et qui eussent passé dans l’opinion publique pour le cadeau du gouverneur, qu’on eût trouvé à coup sûr très-mesquin.

Ce cadeau, qui ne dépassait pas une valeur de 60 francs, fit plaisir à Ahmadou ; il fit tailler deux boubous, en prit un pour lui, et donna l’autre à son frère Aguibou. La nuance était de son goût. Cette étoffe légère, chaude et simple, lui convenait. Mon messager interrogé lui dit que cela valait 20 francs la coudée[147], que je l’avais apporté pour lui, qu’il n’y avait que les gens très-riches qui en eussent, et comme ce n’était pas un des objets ordinaires de traite au Sénégal, aucun des Toucouleurs ne s’inscrivit en faux contre ces assertions. Ahmadou fut content et me fit remercier. J’avais témoigné le désir d’assister à la fête, on mit à ma disposition le cheval de Samba N’diaye et un autre pour le docteur.

10 mars 1864.

Vers huit heures, le tam-tam de guerre ayant battu la marche annonçant la sortie d’Ahmadou, nous montâmes nos coursiers et nous nous rendîmes hors de la ville, passant par la grande porte du marché, accompagnés des sofas qui avaient été depuis notre arrivée affectés à notre service.

Le docteur allait à une allure paisible comme en voyage ; quant à moi, habitué depuis l’enfance à monter à cheval, et sentant pour la première fois depuis mon départ de Saint-Louis un cheval vigoureux entre mes jambes, je rendis la bride et je franchis au galop le kilomètre qui sépare la porte de l’extrémité du village des Somonos, étonnant considérablement les noirs qui s’extasiaient de voir un blanc savoir faire courir aussi bien qu’eux un cheval, et monter sur une selle sans y être emboîté, comme ils le sont sur leurs selles indigènes.

Il y a à l’extrémité Est du village des Somonos un vaste emplacement où le terrain sablonneux a une teinte rouge que je crois due à un oxyde de fer, et est à peu près dépourvu d’herbes, tant à cause du ravinage qu’y opèrent les eaux de pluie, qu’à cause du piétinement continuel dont il est l’objet ; de grands arbres, benténiers (fromagers), figuiers à racines pendantes, et quelques doubalels ombragent une partie de cette place. C’est là qu’on fait la fête du Cauri et en général toutes les fêtes religieuses et les grands palabres.

Ahmadou, arrivé avant nous, était en grande toilette ; par-dessus son costume habituel il avait un boubou blanc brodé, un superbe bournous arabe, de drap bleu de ciel, garni de passementeries d’argent, dont les pans relevés sur les épaules montraient une doublure de soie jaune, verte et rouge, du plus bel effet (pour les noirs) ; un turban noir, du plus beau tissu indigène, garnissait sa tête sans être d’une dimension trop exagérée. Il avait aux pieds des bottes vernies à tiges rouges, imprimées en or, dépouille ramassée à l’affaire de Ndioum avec les canons de Bakel, et qui sans doute avaient fait partie de la toilette de quelque traitant volontaire de l’expédition ; enfin il tenait à la main le bâton des rois bambaras, canne en bois, de 1m,25 de long, garnie de cuir, à la façon dont Malinkés et Bambaras garnissent leurs fourreaux de sabres.

La pointe des Somonos, à Ségou-Sikoro.

Un sabre, dont le fourreau de cuir à large palette avait été travaillé avec beaucoup de soin par quelque artiste cordonnier, était sa seule arme. Il s’était placé au pied du plus bel arbre, dont les racines entremêlées formaient une espèce de siége. On avait depuis le matin couvert cette place avec du sable de rivière bien fin et de couleur rouge. Autour d’Ahmadou étaient Aguibou son frère, Mahmadou Abi, Alioun, Mustaf, ses divers cousins, en grande toilette, plus les chefs et ses intimes habituels. Derrière lui en demi-cercle se tenait sa garde de sofas, dont l’un portait le fusil d’Ahmadou, fusil français à deux coups garni d’argent.

S. M. Ahmadou, roi de Ségou.

Tous étaient en habit de fête et présentaient l’aspect d’une mascarade : les uns en robe de chambre de lampas jaune, les autres avec des tuniques de velours vert doublé de soie rouge, d’autres en étoffe de cretonne, à grands ramages, couverte d’oiseaux de couleur ; puis d’autres enfin en lomas brodé de soie qu’ils portaient avec une élégance qui faisait contraste avec l’air gêné qu’avaient les premiers sous des ajustements auxquels ils ne sont pas habitués. Toute cette défroque sort les jours de fête, des magasins d’Ali, qui sont devenus ceux de El Hadj.

Enfin, autour de ces principaux acteurs se tenait la foule des Talibés, dont les groupes furent bientôt si serrés qu’on ne pouvait plus circuler, et tout à l’entour de ce vaste cercle, les chevaux qui avaient amené leurs maîtres, les uns piaffant, tenus en brides par de jeunes sofas, d’autres hennissant, entravés et rongeant leur frein. Un peu à l’écart, le cheval d’Ahmadou était maintenu à grand’peine par deux hommes qui avaient eu soin de faire écarter les juments.

C’était un cheval entier du Macina, superbe bête au poil noir luisant, sans autre tache qu’à l’un des pieds. Sous la selle du Macina, était un tapis marocain. La tétière de la bride, garnie de drap rouge, avait été couverte de pendeloques d’étain ou de fer-blanc, de ronds de cuivre, assez analogues aux harnachements des mules espagnoles et sous lesquels disparaissait plus de la moitié de la tête. La bride elle-même était plate, tressée en cuir mince, avec une régularité parfaite : aux crochets qui la réunissaient avec le mors était une chaîne de fer, et au point de jonction pendaient des glands en une espèce de passementerie de cuir.

Quant à la selle, j’ai dit que c’était une selle de Macina. Ce genre de selles diffère de celui que nous voyons aux Maures et qui est en usage dans tout le Sénégal, en ce que la palette de l’arrière est beaucoup plus large et plus haute, ressemblant aux anciennes selles à la française, à cette différence près que celles du Macina sont plus grandes et ont la palette de devant plus élevée. A celle d’Ahmadou étaient suspendus quatre sacs de cuir contenant des pistolets d’arçon garnis de cuivre, d’origine anglaise. Je contemplai longtemps ce spectacle bien curieux. Dans la plaine arrivaient en groupes les compagnies de sofas, musiciens et griots en tête, marchant pas à pas, puis les retardataires courant au galop. Les Talibés avaient revêtu leurs plus beaux vêtements, tous blancs ou bleus avec des turbans blancs ou noirs. Au milieu de toute cette foule criaient et gesticulaient les griots du roi, Samba Farba et Diali Mahmady, vêtus de soie, d’or et d’écarlate, ordonnant le silence, se démenant, criant de s’asseoir, de tenir les chevaux ; plus loin quelques sofas du roi, armés de fouets en cuir, couraient autour du cercle pour imposer le silence aux réfractaires et aux jeunes esclaves. Enfin, sur le toit des cases du village des Somonos, hommes et femmes étaient juchés pour contempler ce spectacle. Tel était l’aspect général de cette fête, dans laquelle, presque seul avec le docteur, je m’abstenais de prendre un rôle actif.

Ahmadou, dès que l’assistance lui parut suffisamment nombreuse, se leva pour le Salam, qui fut prononcé par Tierno Alassane.

Tierno était placé devant Ahmadou, aux côtés duquel se tenaient ses frères, ses cousins et ses plus intimes, sur deux rangs ; en face de lui était sa garde de sofas, immobile ou à peu près.

Tous les Talibés, après avoir déposé devant eux leurs fusils et leurs sabres, suivaient la prière ; et le spectacle de ces quatre ou cinq mille hommes se prosternant ensemble et par des gestes identiques, ne manquait pas de cet air imposant qui se remarque dans tous les actes de la vie privée aussi bien que dans les cérémonies religieuses des musulmans, et auquel on peut se laisser prendre quand on ne perce pas au delà de toutes ces apparences.

Dès que le Salam fut terminé, Ahmadou vint reprendre sa première place. Les Talibés qui s’étaient mis en rang pour le Salam se groupèrent de nouveau en cercle, tenant chacun leur fusil haut entre leurs jambes. Quand le silence fut établi, Ahmadou se leva. Il commença son palabre aux Talibés, et ainsi qu’on me le dit plus tard, il leur lut d’abord un manuscrit de quelques pages qu’il tenait à la main, texte arabe, qu’il traduisait en peuhl en le commentant, et qui était l’historique des guerres de Mahomet. Puis après, il leur fit une longue allocution, leur reprochant de n’être pas assez braves, de s’être laissé chasser par les Bambaras, et les traitant fort durement. Les principaux chefs répondirent par l’intermédiaire de Samba Farba, rejetant l’accusation et se défendant de leur mieux.

Ahmadou, reprenant la parole, devint plus mordant encore, et il termina en demandant qu’on lui fournît tout de suite une armée. Nous verrons ce que tout de suite signifie.

Ce palabre avait duré jusqu’à onze heures et demie ; j’étais resté jusqu’à la fin. Mais voyant les Bambaras et les sofas venir se grouper pour palabrer à leur tour, je me rappelai les exigences de mon estomac, et je rentrai à la maison, où était déjà le docteur, qui n’avait pas eu ma patience.

A peine avais-je commencé à déjeuner que Samba N’diaye vint me chercher à cheval, me priant de venir avec tous mes hommes parler à Ahmadou. Je crus un instant qu’il s’agissait de quelque nouvelle importante, qu’Ahmadou allait profiter de ce jour solennel pour régler mon départ pour le Macina. Mais en arrivant sous le soleil de midi au lieu du palabre, je fus étrangement désappointé quand je vis qu’il ne s’agissait que de me faire voir aux Bambaras, auxquels on venait sans doute de dire que le gouvernement avait envoyé faire Toubi (demander pardon), et qui, n’ayant jamais vu de blancs, croyaient peut-être que j’étais un Maure. Pour achever de me mettre en belle humeur, Ahmadou me demanda de faire faire une décharge par mes hommes à la mode des blancs. — Je fis faire un feu de peloton ; après quoi, voyant que je n’avais rien à attendre, je prétextai un mal de tête et rentrai ; puis, une fois à la case, je ne cachai pas ma mauvaise humeur à Samba N’diaye, le priant de dire à Ahmadou que je n’aimais pas à être dérangé pour rien en plein soleil. Je suis sûr qu’il n’aura jamais fait ma commission.

Samba N’diaye, ingénieur en chef d’Ahmadou.

Pendant ce temps, les sofas et une partie des jeunes Talibés se livraient à la fantasia dans la plaine. J’avais vu aux pieds d’Ahmadou quelques barils de poudre et plusieurs sacs de balles dont il se fait accompagner dans ces occasions solennelles. Il avait distribué quelques-uns de ces barils et on les brûlait consciencieusement, cassant des fusils qui éclataient sous l’effort des charges démesurées, et souvent estropiaient ceux qui les tiraient. Ce fut tout ce que je vis de cette fête ; j’y avais gagné un violent mal de tête, mais le soir, j’appris différents détails ; entre autres, que les Bambaras avaient refusé de faire le Salam ; puis je reçus ce même jour la visite d’un ancien soldat noir de la compagnie indigène du Sénégal ; il se nommait Ahmadou. D’abord esclave à Saint-Louis, puis soldat pendant quatorze ans pour se racheter, il avait été domestique des commandants de Bakel, MM. Hecquart et Rey, et enfin, en 1845, lorsque M. Rey, pour lequel il professe un attachement sans bornes, quitta ce poste, il alla se joindre aux bandes d’El Hadj. Il n’y a pas fait fortune, malgré sa bravoure ; il est très-pauvre, et vit de son travail avec sa femme, la seule qu’il ait eue. Il parle bien le français et vient de temps à autres causer avec Samba N’diaye des beaux souvenirs de la vie d’autrefois, qu’ils regrettent sans vouloir se l’avouer.

Il me raconta les deux attaques de Sansandig, auxquelles il avait reçu plusieurs blessures. Il me montra quatre blessures de balles, dont deux avaient traversé son bras droit ; sur deux autres qui avaient frappé la cuisse, une avait pénétré.

Mais il ne put me dire, pas plus que personne, pourquoi Ahmadou demandait une armée et de quel côté elle devait opérer.

13 mars 1864.

Les jours suivants, les nouvelles du Macina qu’on m’avait annoncées, se confirmaient de plus en plus. Deux sofas, prisonniers à Sansandig depuis la dernière affaire, s’en étaient échappés et rapportaient ces bruits. Enfin le 13 mars, nous fûmes réveillés par le tabala battu à la mosquée ; l’armée sortait : on disait que les Bambaras révoltés, commandés par Mari, le dernier frère d’Ali et prétendant à la couronne de Ségou, s’étaient emparés d’un village distant de quatre à cinq lieues.

Ce fait, qui dénotait le fâcheux état du pays, m’inquiéta, bien que le même jour les cavaliers fussent rentrés, disant que tout était pour le mieux. Aussi, le 15, je tentais une démarche près d’Ahmadou pour qu’il me laissât partir. — J’insistai par cinq ou six fois, mais sans pouvoir obtenir aucune promesse. — Ahmadou craignait pour moi, disait-il, — et, quant à faire partir mes courriers pour Saint-Louis, il craignait pour eux. Il fallait attendre.

Les choses en restèrent là jusqu’au 22 mars. Pendant ce temps, Ahmadou s’occupait de faire le partage du butin ramassé à la première expédition de Sansandig. Ce butin était encore assez considérable ; car on partagea à raison de deux captifs (femmes) pour 850 hommes, et à ce moment je fis ce calcul que 500 captifs ainsi partagés portaient à 170000 environ le nombre des partageants, c’est-à-dire des partisans d’El Hadj, tant Bambaras que Talibés et Sofas, puisque sur tout le partage de ce genre, Ahmadou a d’abord le cinquième. — Je retrouve sur mes notes cette évaluation, que vingt mille au moins des partageants sont de Ségou, dont huit à neuf mille intrà muros et le reste dans le Goupouilli, le village des Somonos, ou même les villages voisins, tels que Ségou-Koro, Ségou-Coura, etc. Cela porterait la population de Ségou-Sikoro à au moins 36000 âmes dans les murs et à plus du double en tout. Aujourd’hui je pense que cette évaluation est peut-être trop forte de moitié, quant aux hommes, et que toute la ville de Ségou-Sikoro avec ses faubourgs ne contient guère plus de dix mille hommes ou enfants mâles adultes.

La chaleur augmentait, la contrariété altérait ma santé, de tous côtés je ne voyais que des obstacles. Je cherchais à me prémunir contre tout événement, et dans cette vue je demandais à acheter des chevaux ; mais soit mot d’ordre donné, soit qu’il n’y en eût réellement pas à vendre, toutes mes tentatives à cet égard étaient vaines. Je tombai sérieusement malade et il me fallut, pour éprouver un peu de soulagement, venir m’installer sous la vérandah de notre cour, car la case n’était plus habitable. Je profitai de ce moment pour envoyer Samba Yoro faire visite à Ahmadou et le presser un peu. Il fut très-bien reçu, et Ahmadou nous envoya du sucre et des gourous, mais Samba Yoro n’obtint rien relativement à mon départ. Dès que je fus un peu mieux, je commençai quelques promenades sur le cheval de Samba N’diaye ; j’éprouvais ainsi le plaisir de me soustraire à tout contact, d’être seul. Je réfléchissais alors profondément à ma situation. Dans une de ces promenades, j’étais tellement préoccupé de mes pensées que je laissais galoper tout doucement mon cheval sans faire attention aux personnes que je rencontrais et qui se garaient, ainsi que c’est l’habitude dans ce pays. Je ne vis pas une vieille femme, à demi aveugle et sourde, qui marchait appuyée sur un bâton, et j’arrivai sur elle sans qu’elle m’entendît. Mon cheval se détourna naturellement, mais la vieille, effrayée et perdant la tête, se jeta dans ses jambes et tomba à terre sans connaissance. Bien que le choc eût été très-léger, je crus à quelque grave accident. Des femmes qui revenaient du marché essayèrent de la remuer, mais évanouie ou non, elle ne bougeait plus. Je courus aussitôt vers le village pour chercher mes laptots et le docteur afin de lui porter secours. J’en rencontrai quelques-uns qui partirent tout de suite pour relever la vieille, mais qui la trouvèrent debout. Il paraît qu’en me voyant m’éloigner, elle avait repris connaissance. On me l’amena, ainsi que j’en avais donné l’ordre, et je lui fis présent de mille cauris. Elle s’en alla enchantée ; elle n’avait peut-être plus que quelques jours à vivre. Le lendemain son maître, car c’était une esclave, vint chercher à m’extorquer aussi quelque chose, sous prétexte que j’avais détérioré son bien. Je le reçus assez mal. Le soir, comme je causais de cela avec Samba N’diaye et que je lui exprimais combien j’eusse été désolé d’avoir causé une mort aussi malheureuse : « Bah ! s’écria-t-il, et quand même tu l’aurais tuée, ce n’est qu’une Kefir ! »

Voilà encore un effet de la religion musulmane, et l’homme qui proférait ce mot avait été élevé par les blancs pendant vingt ans !

Le lendemain de cet incident, je fis deux fois demander à parler à Ahmadou, et chaque fois on me répondit qu’il était sous les arbres de la porte de son père. Je voyais là une fin de non-recevoir, et j’allai le trouver pour lui demander une audience qu’il me promit pour le lendemain.

25 mars 1864.

Je me présentai donc le 25 mars dans l’après-midi. Ahmadou était dans la première cour de sa maison, entouré d’une assez nombreuse compagnie, dans laquelle je remarquai quelques Maures et entre autres, Sidy Abd Allah, qui, à cette époque, d’après Samba N’diaye, se déclarait ouvertement l’ennemi des blancs.

Tout d’abord, je fus interrompu par une affaire de Bambaras qui dura assez longtemps. Ils venaient apporter des paniers de salpêtre et de charbon pour la fabrication de la poudre, ce qui est un des impôts en nature qu’ils payent. Ce salpêtre était blanc, très-pur et bien cristallisé. On le recueille sur de vieux tatas, où, selon toute probabilité, il vient en efflorescence par suite de la décomposition des matières animales qui ont servi à la construction ; on le lave pour l’isoler de la terre, et on fait épaissir la solution, qu’on laisse cristalliser. Quant au charbon, il est fabriqué à l’air libre, un peu avec toutes espèces de bois taillis.

Le palabre dura longtemps. Ahmadou, interprété par Diali Mahmady, le griot mandingue, reprochait à ses sujets de se relâcher dans le payement de cet impôt, de n’apporter qu’une faible partie de ce qu’ils devaient fournir.

Les chefs, vieillards blanchis par l’âge, la tête rasée et découverte, baissaient la tête et s’excusaient humblement, disant que les jeunes gens avaient fui, qu’ils n’étaient plus nombreux et faisaient ce qu’ils pouvaient, que bien des villages refusaient l’impôt, ne les écoutant pas.

Toujours est-il qu’au lieu de cinquante charges qu’il eussent dû fournir ils n’en apportaient que vingt-neuf.

Dès que ce palabre fut fini, j’insistai pour parler confidentiellement à Ahmadou. Il renvoya alors tout le monde, à l’exception de sept à huit personnes, et je lui rappelai aussitôt que l’époque que j’avais fixée pour mon départ approchait, qu’il n’y avait plus que quatre jours, et que je venais savoir s’il pouvait me donner une réponse. Je lui observai que mes instructions me recommandaient de rentrer avant les pluies, et je terminai en lui disant qu’il fallait dans quatre jours partir pour Hamdallahi ou n’y pas aller. Sa réponse fut toujours la même : « Ton affaire est entre mes mains, expression dont alors je ne comprenais pas la portée, mais qui signifie : Tu es à ma discrétion, puisqu’on t’a envoyé à moi. Je m’en occupe. Bientôt, si le bon Dieu le veut, tu iras. Mais je te demande un peu de patience. » Pendant plus d’une heure, ce fut le même thème soutenu de part et d’autre. Je ne cédai rien ni lui non plus. Cependant, en réponse à de gracieuses paroles que je lui adressai relativement à son hospitalité (qui cependant commençait à se ralentir), il me dit que tout cela n’était rien, et que quand il nous mettrait en route, alors seulement il ferait quelque chose pour nous.

A toutes mes instances pour traiter avec lui les questions dont j’étais chargé, il répondit que quand il serait sûr que nous ne pourrions pas aller à Hamdallahi, il serait temps de causer de cela ; que Dieu pouvait tout, et que même avant quatre jours la route pouvait être ouverte.

Mal interprété par Samba Yoro, qui, intimidé, n’osait insister comme je l’aurais désiré, je ne pus rien obtenir de plus. Néanmoins, j’étais assez satisfait de l’ensemble de cette entrevue, dans laquelle Ahmadou avait toujours parlé avec courtoisie et calme, lorsque, en sortant, Sambo Yoro me dit qu’il avait entendu des paroles inquiétantes, d’après lesquelles il était sûr qu’on nous retiendrait de force, si nous voulions partir ; qu’on avait dit à Ahmadou de le faire, parce que si nous partions, c’est que nous n’étions pas venus pour le voir, mais bien pour espionner ce qui se passait.

Ces propos étaient absurdes, mais ce n’était pas la première fois que nous les entendions. N’était-ce pas avec de semblables paroles que Diango à Koundian, et Dandangoura à Guémoukoura, avaient tenté de me faire dévier de mes projets ? Elles me causèrent cependant une véritable colère. Sans réfléchir qu’Ahmadou, auquel seul nous avions affaire, n’avait pas dit un mot de cela, je m’en affectai et je secouai vigoureusement Samba Yoro pour n’avoir pas interpellé ceux qui parlaient en présence d’Ahmadou, pour ne m’avoir pas prévenu au moins pendant le palabre. Au reste, je l’ai dit, Samba Yoro se laissait intimider par les attitudes essentiellement musulmanes, par le grand air d’Ahmadou. Il était sous le charme de l’islamisme. D’ailleurs, peu communicatif et quelquefois menteur, comme presque tous les noirs, il ne m’inspirait alors que peu de confiance : il en inspirait encore moins au docteur Quintin, qui en arrivait à le croire capable de s’entendre avec Samba N’diaye, non pour nous trahir dans un dessein hostile, mais pour nous faire rester en nous intimidant.

Nous finîmes donc par croire qu’il avait inventé tout cela sous l’empire de la peur que lui avait causée quelque mot malveillant prononcé par un de ces Toucouleurs toujours disposés à faire le mal.

Vers le soir, il y eut une scène qui sembla donner raison à l’opinion du docteur. Samba N’diaye essaya de m’arracher une promesse de rester, et, pour cela, il se fit l’écho du bruit d’après lequel on prétendait que nous étions venus comme espions.

Mais, chose à laquelle il ne s’attendait pas, pendant que moi, calme, j’écoutais, réfléchissant à la gravité sans cesse croissante de notre position, le docteur, si doux, si calme d’habitude, s’emporta, et, le menaçant d’aller se plaindre à Ahmadou si un tel propos était encore répété, il le chassa presque de notre hangar. Samba N’diaye rabattit aussitôt de son dire et, par une de ces manœuvres auxquelles les noirs excellent, il donna des explications incompréhensibles.

Quant à moi, je le répète, j’avais gardé mon sang-froid, et je me bornai à lui dire que le jour où je serais décidé à partir, si quelqu’un s’avisait de m’arrêter, je lui ferais sauter la cervelle, par la simple raison que, comme envoyé (ambassadeur), j’étais inviolable, et qu’au lieu d’arranger les affaires, celui qui voudrait me retenir ne réussirait qu’à faire recommencer la guerre avec le gouverneur du Sénégal ; que si sincèrement il voulait le bien, il pouvait dire cela à Ahmadou par opposition aux conseils qu’on semblait lui donner.

Cette scène était terminée, mais je passai une partie de la nuit à méditer. Il était évident que bon nombre de gens (et à cette époque, bien à tort, j’accusais surtout les Toucouleurs), cherchaient à me nuire dans l’esprit d’Ahmadou, et je me demandais si réellement on me laisserait partir. D’un autre côté, j’avais presque fixé un ultimatum en donnant une date : revenir sur une promesse était grave ; mais s’attirer un conflit l’était encore plus.

On peut concevoir mes inquiétudes.

Le lendemain et le surlendemain de ce jour, les affaires semblèrent tourner au mieux. Un de nos voisins, marabout du Fouta-Djallon, m’affirma que dans un palabre Ahmadou avait reçu le jour même le conseil des Torodos de me faire partir le plus tôt possible.

Le surlendemain encore, un des guides venus avec nous depuis Dianghirté, nous dit qu’Ahmadou avait demandé aux chefs du village une armée qui, réunie à celle de Koghé, me conduirait à Hamdallahi. Il ajoutait que les chefs avaient refusé, disant que si l’armée partait pour le Macina, les Bambaras se révolteraient, et prendraient la ville en tuant tout le monde ; qu’on était convenu d’attendre une nouvelle armée demandée à Nioro, qui devait arriver avant quinze jours et qui garderait le village pendant qu’on nous conduirait.

Ces bruits, confirmés par d’excellentes nouvelles du Macina qui arrivaient chaque jour, me donnèrent de l’espérance. Comment ne pas y croire, d’ailleurs, lorsque tout le monde me disait la même chose et qu’on m’amenait un homme qui, arrivé depuis cinq jours du Macina, me promettait de me conduire à Hamdallahi sans accident ?

1er avril 1864.

Cependant le 1er avril, dernier jour de mon ultimatum, je demandai à voir Ahmadou. Ce jour et les suivants, il me fut impossible d’arriver jusqu’à lui. J’étais très-malade depuis quelque temps ; c’est à peine si j’avais la force d’écrire mes notes, et le massage seul me faisait éprouver un peu de bien-être et me donnait du sommeil. Le docteur n’était guère mieux que moi. J’employais quelques braves femmes à cela, en les payant de quelques cauris ou d’un peu d’ambre menu. Ahmadou en fut instruit et, saisissant ce prétexte, il nous envoya deux esclaves, nous disant que, dans le pays, il savait qu’on ne pouvait se passer des soins d’une femme et que, quand nous partirions, si nous ne voulions pas les emmener, nous n’aurions qu’à les lui laisser. Mon premier mouvement fut de refuser ce présent, si contraire à nos mœurs ; mais Samba N’diaye m’affirma que je blesserais Ahmadou, qui ne comprendrait pas nos susceptibilités. En outre, je souffrais depuis longtemps de la difficulté de me faire servir[148], et imitant l’exemple de Richard Lander, je finis par accepter.

Coiffures et anneau nasal des femmes bambaras.

Ces filles de races bambara et soninké mélangées, étaient-elles jolies ? Telle est la question qui m’a été souvent posée. — Non.

L’une, Fatimata, était une assez jolie négresse si on veut, mais très-maigre quoique musclée. Les membres inférieurs, les pieds et les mains étaient affreux. L’autre, mieux faite, était plus laide de figure. Du reste je saisis cette occasion de dire que si rien n’est plus rare qu’une jolie négresse, il en existe cependant de positivement jolies et de très-remarquables par la douceur de la physionomie, par la perfection des formes et la délicatesse des attaches. Sans doute leur beauté n’est pas le type conventionnel de la beauté européenne, on chercherait vainement un profil grec. Mais si dans un salon d’Europe je pouvais transporter telle Gada (esclave fille de service) du palais d’Ahmadou dans ses vêtements de fête, couverte d’or et de soie et qu’elle pût se produire sans être embarrassée, je le mets hors de doute, tous ceux qui sont artistes admireraient presque sans restriction.

Dans le courant d’avril, on renforça l’armée de Koghé de nombreux contingents. Il devenait évident qu’il se préparait quelque chose. Diverses personnes annonçaient que l’armée de Nioro approchait ; je me décidai à attendre son arrivée. Du reste, les nouvelles arrivaient de tous les côtés, variant du tout au tout du jour au lendemain, mais révélant une situation impossible d’anarchie, qui ne pouvait me laisser aucun espoir de me mettre en route sans être sous la protection d’un guide officiel connaissant mieux le pays que moi. Je ne pouvais d’ailleurs songer à partir sans chevaux, et Ahmadou seul pouvait m’en donner ou m’en céder. En dépit de son hospitalité, qui quelquefois éprouvait des hauts et des bas, je dépensais plus de mille cauris[149] par jour. Il nous fallait acheter le bois de la cuisine, notre nourriture propre, du poisson, de la viande fraîche, le savon pour laver le linge de tout le monde, quelques ustensiles, tels que des vases de terre pour cuisine ou pour tenir l’eau fraîche, le mil ainsi qu’un peu de paille pour les mules et pour Farabanco, notre unique cheval.

Puis enfin, de temps à autre, j’étais obligé de faire aux laptots une distribution de cauris pour leurs besoins personnels, et quelque parcimonie que j’y apportasse, les marchandises que je vendais s’épuisaient petit à petit. C’étaient surtout les étoffes de coton qui avaient cours, mais l’ambre, le corail étaient dépréciés à cause de la misère générale ; le gros ambre seul se vendait chez les chefs et encore avec peu de bénéfices.

En dehors de ces dépenses, j’avais mille petits cadeaux à faire : d’abord aux mendiants qui abondent là plus que partout ailleurs, et auxquels il fallait donner, ne fût-ce que pour ne pas se déconsidérer, et ensuite aux gens auxquels je demandais des renseignements sur le pays et qui ne venaient le plus souvent me les donner bons ou mauvais qu’après promesse d’un cadeau.

Tout cela m’obligeait à songer au départ, et si je me décidai à attendre l’arrivée de cette armée de Nioro, c’était parce que je reconnaissais l’impossibilité de partir. Bien souvent depuis, le docteur et moi avons regretté de n’avoir pas alors tenté de partir à tous risques ; nous ne fussions pas partis, mais nous aurions avancé de quelques mois une scène violente, et par suite de ces quelques mois d’avance, nous serions partis peut-être quinze ou dix-huit mois plus tôt de Ségou.

[Décoration]

[145]J’appris quelques jours après qu’on disait dans le pays que le roi de France avait fait demander la paix à El Hadj.

[146]Nom sous lequel tous les Musulmans désignent Constantinople.

[147]On mesure toutes les étoffes à la coudée.

[148]On sait l’invincible répugnance des noirs à accomplir certains soins domestiques indispensables près des malades, et qui, chez eux, sont exclusivement réservés aux femmes.

[149]Mille cauris, environ 3 francs.


CHAPITRE XX.

Le bruit court que Sansandig va se rendre, qu’El Hadj est vainqueur au Macina. — On bat le tabala. — Extrait du journal de voyage. — Deux types de griots : Diali Mahmady et Sontoukou. — Menaces des Bambaras sur divers points. — J’obtiens de faire partir mes courriers. — Envoi d’une lettre au gouverneur. — Les parents chez les Toucouleurs. — Tierno-Abdoul. — Alpha Ahmadou.

Avril 1864.

Pendant ce mois, Ahmadou passait toutes ses journées sous les arbres de la maison de son père.

Il palabrait. De tous côtés arrivaient des renseignements. Le 4 avril des villages bambaras de la rive droite venaient faire leur soumission. Le même jour on apprenait que des Maures de Tichit, retournant dans leur pays après avoir vendu leur sel à Yamina, avaient été attaqués et pillés par les Bambaras révoltés ; on disait cette fois que l’armée de Nioro était rassemblée à Touroungoumbé et qu’elle attendait des contingents de Koniakary.

Le 5 avril, une femme arrivée de Sansandig annonçait qu’une foule de gens du Macina étaient venus s’y réfugier, et qu’on avait palabré pour renvoyer à Ahmadou tous les captifs qu’on avait pris sur lui, et que Boubou Cissey (le chef du village) s’y était seul opposé.

Le 6 avril on commença à faire des razzias. Cinq cavaliers allèrent du côté de Sansandig et ramenèrent un troupeau de cent bœufs et quatre prisonniers. Les bœufs furent réclamés par des villages qui s’étaient rendus ; mais ils n’étaient pas près de les avoir. Quant aux hommes, deux furent immédiatement décapités par ordre d’Ahmadou. Ils étaient de Sansandig. C’étaient des keffirs : c’est tout dire.

Le 7 avril, trois cavaliers de Koghé prirent sept femmes près de Sarrau et tuèrent deux hommes. Le soir on les interrogea ; elles confirmèrent le bruit des succès d’El Hadj au Macina et dirent que Mari, le frère d’Ali, était à Holocouna près de Sarrau ; elles affirmèrent qu’il n’avait que peu de monde et que ce village n’avait pas voulu le laisser entrer dans ses murs.

Le 8 avril on annonça que les cavaliers de Koghé, au nombre de cent vingt, avaient pris quarante personnes aux environs de Sarrau : on leur avait tué deux chevaux.

Enfin, le 9 avril, on battit le tabala à la mosquée, et les griots parcoururent la ville en criant à l’armée de sortir, d’aller à Koghé, que l’armée de Sansandig était sortie et avait traversé le fleuve.

En effet, un assez grand nombre de Talibés sortirent. Quant à Samba N’diaye, qui, aux termes des ordres d’El Hadj, ne devait jamais quitter Ségou, il avait depuis quelques jours envoyé un de ses captifs, Diatourou, rejoindre l’armée ; mais il ne croyait pas à cette nouvelle de la sortie de l’armée de Sansandig, et était convaincu qu’Ahmadou disait cela pour faire sortir les Talibés, qui ne se souciaient pas d’aller à l’armée.

Comme je plaisantais à ce sujet, il me dit : « Ce n’est pas manque de courage, mais nous sommes fâchés contre Ahmadou ; nous manquons de tout ; il ne donne rien, pas même des fusils. Il y a beaucoup d’hommes qui n’en ont pas, et quand ils vont en demander, Ahmadou, qui en a plus de mille dans ses magasins, répond : Qu’as-tu fait du tien ? — Je l’ai vendu pour manger, pour nourrir ma femme. — Eh bien, vends ta femme, tu achèteras un fusil ! répond Ahmadou. » Or, bien qu’il s’agisse de femmes esclaves, cela blesse ; car chez les noirs il est rare qu’une fois qu’une esclave a eu les faveurs du maître, il la chasse ou la vende si elle ne se conduit pas mal, et depuis le moment où elle devient mère, sa liberté lui est acquise et elle ne peut plus être vendue. Elle peut en revanche être battue, et cela lui arrive.

En résumé je reconnus, d’après cette conversation, qu’il y avait un mécontentement assez vif contre Ahmadou, une jalousie contre ses sofas qu’il soigne bien, et surtout contre ses intimes, Mohammed Bobo, Sontoukou, Sidy Abdallah et autres, qu’il comble de cadeaux et qu’on accuse de toutes les fautes qu’il fait.

Samba N’diaye me disait : « Si Ahmadou voulait, avec un seul des toulons d’or ramassés dans les magasins de son père, il pourrait faire vivre l’armée pendant dix ans. Au lieu de cela, il nous laisse mourir de faim, et tous les six mois à peu près il fait un présent qui, une fois partagé, donne à chacun six cents cauris au plus et un morceau de sel. Que veux-tu qu’on fasse de cela ? Ce n’est pas ainsi qu’El Hadj agissait, il était très-généreux, et quant à moi, sans ce qu’il m’a donné, je ne sais comment je vivrais. »

En effet, Samba N’diaye, qui touchait la ration, comme il dit (c’est-à-dire cent moules de mil par mois et une pierre de sel tous les deux mois), ne se donnait pas la peine d’aller faire sa cour et ne recevait que fort peu de cadeaux d’Ahmadou.

10 avril 1864.

Le 10 avril, on apprenait que l’armée n’était pas sortie de Sansandig, mais qu’elle existait toujours ; et comme preuve, quand on la croyait dans l’Est, elle passait dans l’Ouest et allait piller Faracco.

Le même jour on exécutait sept prisonniers au marché, et je m’écriais : Si l’armée de Nioro ne nous dégage pas, que devenir ? Tout autour de nous la guerre, et pour nous protéger un pouvoir mal établi.

Comme on le voit, il ne pouvait plus être question de partir.

11 avril 1864.

Le 11 avril, on apprenait que l’armée de Nioro approchait.

13 avril 1864.

Le 13 avril, on expédiait en toute hâte trois cents hommes à Yamina qui avait voulu se révolter. On disait que cette troupe devait envoyer au-devant de l’armée de Nioro pour faire hâter son arrivée.

14 avril 1864.

Le 14 avril, on ramenait cent cinquante captives ; la plupart des hommes pris avaient été exécutés. Ces malheureux avaient tous été ramassés aux environs de Sarrau. Sept hommes pris vivants furent tués. On disait qu’un courrier d’El Hadj était en route.

15 avril 1864.

Le 15 avril, des prisonniers affirmaient que l’armée d’El Hadj s’était avancée jusqu’auprès de Sarrau, où elle avait brûlé un petit village. L’armée de Koghé avait reçu l’ordre de suspendre ses razzias, et tout le monde disait, même Samba N’diaye, qui jusqu’alors s’était tenu sur une grande réserve, que, dès que l’armée de Nioro arriverait, nous partirions.

Ce même jour, je reçus la visite de Diali Mahmady, avec toute sa troupe de griots ; il s’était mis en grande toilette.

Diali Mahmady était un griot dans toute l’acception du mot, capable de chanter pour n’importe qui, de faire de la musique sur la grande guitare mandingue pendant toute une journée pour obtenir un cadeau.

Combien de fois ne l’avons-nous pas vu aller donner une bamboula (fête et danse nègre) à la porte d’Ahmadou, accompagné de ses sept femmes et de toutes ses griotes ou amies de la maison, et cela pendant six et sept jours de suite, pour obtenir un bambou richement brodé en soie, ou quelque autre chose qu’il convoitait !

Dès mon arrivée, il avait voulu me faire de la musique ; mais Ahmadou, qui avait placé une garde à ma porte pour empêcher qu’on m’importunât, le lui avait défendu. Cette fois il venait me faire une visite.

Il portait un bonnet de drap vert de la forme ordinaire des bonnets mandingues, par-dessus lequel il avait enroulé un turban de soie du Levant brochée d’or. Un manteau de soie rouge et jaune, sur un boubou de soie jaune et bleue brochée, complétait ce costume. Il demeura longtemps assis, et voyant que je ne lui faisais pas de cadeau, il finit par me demander un bonnet de velours brodé d’or. J’en avais déjà donné deux à Ahmadou ; je m’empressai de le satisfaire et je le renvoyai content : j’étais sûr qu’il ne me serait pas hostile.

Diali Mahmady était, du reste, un homme intelligent, qui avait voyagé sur toute la côte ; il avait été à Sierra Leone, où il avait séjourné. Il comprenait un peu l’anglais, il avait le goût du luxe très-développé, et sa maison en témoignait. Il était libre ; mais c’était le plus riche des griots libres, parce qu’il gagnait beaucoup à donner ses fêtes.

Lorsque je quittai Ségou, il me confia vingt-huit gros d’or[150] pour lui envoyer une paire d’épaulettes, un chapeau à claque, un habit d’uniforme, un pantalon et des souliers vernis. C’était une preuve de confiance bien peu commune de la part d’un noir.

J’avais reçu le matin même la visite de Sontoukou, qui, quoique griot et esclave, est vraiment le plus grand seigneur de Ségou. Non-seulement sa maison, située près de celle d’Ahmadou, étonne, mais il y a un cachet de propreté et même de luxe dans son habillement, et de douceur dans ses manières, qui surprend de la part d’un noir qui n’a jamais vu de blancs. Il ne demandait jamais de cadeau, mais (pour un griot c’est extraordinaire) il donnait beaucoup et ne venait jamais chez moi sans m’apporter quelques gourous ; quand j’allais le voir, il m’offrait aussi, soit une poule grasse, soit autre chose. Je ne manquais pas, en retour, de lui faire quelques cadeaux d’ambre ou d’argent. En somme, il ne perdait pas au change, mais, je le répète, il n’agissait pas dans des vues intéressées et donnait beaucoup à tout le monde. C’était, du reste, un de mes plus gros acheteurs, et il payait à terme, très-régulièrement pour Ségou.

16 avril 1864.

Le 16 avril, on annonçait que l’armée de Nioro approchait, qu’une armée de Dinguiray était en train d’opérer dans le Foula Dougou, et en même temps que les Bambaras venaient d’attaquer, dans le sud de Ségou, deux petits villages de Bambaras soumis, Minianka et Nagassola ; mais on ajoutait que les Talibés, accourus au secours, avaient tué trente-cinq hommes. Le 17, on disait que l’armée de Nioro avait dû passer Damfa, et en même temps que des courriers envoyés par Tidiani, neveu d’El Hadj et chef de son armée, arrivaient de Say.

Le lendemain, ces courriers n’étaient plus que des Diawandous qui arrivaient de la frontière du Macina.

J’envoyai Samba N’diaye demander à Ahmadou ce qu’il en était ; et en même temps, rappelant que la saison des pluies était venue, je demandais à partir.

En effet, les orages et tornades étaient arrivés.

Maison du griot Sontoukou, à Ségou-Sikoro.

Samba N’diaye revint avec une troisième version. Ahmadou lui avait répondu que, d’après ses nouvelles, El Hadj serait sorti d’Hamdallahi avec une armée, et qu’il aurait battu l’armée du Macina à Mopti ; les Touaregs Bourdamé seraient venus le trouver en ce lieu pour dire qu’ils cernaient Cheick Ahmed Beckay de Tombouctou, et qu’il pouvait envoyer une armée, qui le prendrait. Alors il aurait envoyé Tidiani avec une armée, accompagné du fils de Galadjo[151]. Ils auraient remporté une victoire, et Cheick Ahmed Beckay serait pris ou mort. El Hadj serait à Conna où il attendrait.

Voilà les nouvelles que m’apportait Samba N’diaye ; mais, pour mon départ, rien. Il ajoutait qu’au Macina on avait fait un grand massacre de prisonniers, de Peuhls particulièrement, et que dans une seule journée on en avait exécuté mille.

Ici, écrivais-je alors, on est plus modeste ; on ne les tue que par petit nombre, et ce matin encore quatre ont succombé. Je ne prévoyais pas alors à quels massacres j’assisterais.

Le même jour, on battait le tabala à la mosquée, et une armée allait en toute hâte secourir Dougassou, qu’on disait attaqué par l’armée de Mari, qui avait abandonné Holocouna et était de l’autre côté du Bakhoy, à Touna.

19 avril 1864.

Le 19 au soir, je reprochai à Samba N’diaye, qui me faisait des protestations de dévouement aux blancs, l’apathie qu’il montrait pour nos affaires ; je récapitulai tout ce qui s’était passé, et lui montrant que l’hivernage était arrivé, qu’on pouvait passer sans grand danger dans les broussailles, je demandai au moins à faire partir mes courriers pour Saint-Louis : d’autant plus que l’armée de Nioro étant en route, si ce qu’on m’affirmait était vrai, elle devait laisser un chemin ouvert.

Samba N’diaye promit de s’en occuper, et en effet, dès le lendemain, il obtenait d’Ahmadou une promesse de départ pour les courriers et une audience pour le lendemain.

Mais le lendemain Ahmadou était occupé sous ses arbres. On apportait des nouvelles de révolte dans le Birgo. On disait Mourgoula pris. Voyant que je ne pouvais lui parler, je lui fis dire par Samba Yoro que s’il voulait seulement me donner un guide j’allais expédier mes courriers moi-même. A mon grand étonnement, il y consentit, et dit que le lendemain il fournirait le guide et le laissez-passer. Je mis alors mes lettres au courant, j’y ajoutai quelques post-scriptum, et, après bien des allées et des venues, le 23 avril au soir mes courriers étaient prêts à partir. Seulement l’un d’eux, Ibrahim, étant malade et surtout effrayé de l’état du pays, avait refusé le service, et je l’avais remplacé par Yssa, l’un de mes hommes. A partir de ce moment Ibrahim, qui non-seulement avait refusé de marcher, mais avait même cherché à détourner de son devoir Seïdou, son compagnon, cessa de compter parmi les miens. Je le chassai et défendis qu’il entrât dans ma maison.

Dès que j’eus l’assurance que mes courriers partiraient, je fus content, car j’allais enfin donner de mes nouvelles à ma famille, et quelle que fût l’incertitude qui planait sur l’époque de mon retour, ce seul fait de me permettre d’écrire témoignait une certaine confiance de bon augure. Je résumai ces impressions dans ma lettre au Gouverneur, dont je reproduirai un passage qui mieux que ce que je pourrais ajouter aujourd’hui, montrera quelle était alors ma situation d’esprit.


« Il me devient impossible, dans l’état actuel du pays, de rien vous dire relativement à mon retour ; je crois que je serai forcé de passer ici presque toute la saison des pluies. Cette idée m’effraye bien un peu, mais j’y gagnerai de compléter une foule de renseignements et peut-être d’entrer au Macina en qualité d’Européen, ce qu’on n’a jamais pu faire jusqu’ici.

« Quoi qu’il en soit, je me hâte de profiter de la permission d’expédier les courriers, de peur qu’une mauvaise nouvelle ne fasse changer d’avis. Quoique la position d’El Hadj ne soit pas aussi belle qu’on voudrait me le faire croire, il dispose encore de forces considérables, et je ne mets pas en doute qu’il n’ait la possibilité de réunir quarante mille fusils[152]. En outre, il a à Ségou-Sikoro un trésor, c’est tout l’or ramassé par les rois bambaras, sur lequel il a fait main basse, et qui, même en faisant la part de l’exagération très-large, dépasserait une valeur de vingt millions[153], sans compter les marchandises et cauris, le sel, etc. En outre, il a à Koundian tout l’or amassé dans les divers pillages du Bambouk. Vous voyez, Monsieur le Gouverneur, qu’il est loin d’être aux abois.

« Toutes mes demandes pour aller en avant échouent devant la protection dont on me couvre. « Nous ne voudrions pas qu’il t’arrivât rien, me dit-on ; s’il t’arrivait du mal en route, El Hadj serait bien en colère, » etc., etc. Mais quand je leur dis que l’inaction me rend malade, eux qui ne conçoivent pas de plus grand bonheur que de ne rien faire, ne répondent rien et se mettent à rire. En somme, personne de nous n’est sérieusement malade[154]. Il est impossible de se dissimuler l’affaiblissement que nous ressentons, qui est l’effet de plusieurs indispositions et d’une trop grande fatigue jointe à de grandes privations. Il y a quatre mois aujourd’hui que nous sommes privés de lit, de pain et de vin !

« Une chose que j’oubliais de vous dire, c’est que je crains fortement que nous ne soyons à tout jamais retenus ici, si le bruit venait à se répandre que l’on construit un fort à Bafoulabé. Plusieurs fois on m’en a parlé avec inquiétude, et cependant je suis très-convaincu qu’El Hadj, quand je l’aurai vu, n’y fera pas d’opposition, tandis qu’actuellement vous auriez certainement l’armée de Koundian et celle de Kouniakary contre vos projets. »


24 avril 1864.

Le 24 au matin le vieux Tierno-Abdoul, qui avait été, comme chef des Peuhls, chargé de nous fournir le guide de nos courriers, termina enfin cette grande affaire, et, vers midi, mes hommes étaient en route.

Je pouvais à peine le croire, tant j’étais habitué à la lenteur des noirs pour les moindres choses ; il me semblait que cette affaire avait marché avec une rapidité effrayante.

Dès que Seïdou et Yssa furent en chemin, chacun se vanta de m’avoir aidé, mais en somme, avec Samba N’diaye, il n’y avait eu que Tierno-Abdoul dans cette affaire, ainsi que quelques vieux Toucouleurs, entre autres Alpha Ahmadou, cousin germain d’El Hadj par sa mère, qui demeurait dans notre voisinage. Il était, bien entendu, désigné sous le nom de frère d’El Hadj, et Ahmadou l’appelait son père ; c’est à la mode des noirs, qui ne connaissent que fort peu de degrés de parenté. Voici comment on les désigne en Peuhl :

Père, ba ; mère,  ; frère aîné, maono ; frère cadet, minié ; sœur du père, gourgoul ; grand-père, mama ; frère de la mère kaw.

En dehors de ces parents (legniol, tous les parents) les cousins et oncles se désignent sous le nom de grand frère, petit frère, petit père, etc.

Cet Alpha Ahmadou ne jouissait pas d’un grand crédit auprès d’Ahmadou, vis-à-vis duquel il ne se gênait pas beaucoup pour exprimer son opinion, avec cette indépendance de caractère qui est le propre des Toucouleurs dans les relations de famille ; mais ses avis, s’ils n’étaient presque jamais écoutés, étaient souvent désagréables, et alors Ahmadou s’en vengeait à sa manière habituelle. Il faisait la sourde oreille, quand son vieux cousin venait lui demander un captif ou une bafal[155] de sel pour nourrir sa maison. Le vieux était du reste assez mendiant, j’en ai eu souvent la preuve, et il m’a fallu quelquefois répondre par des refus à ses demandes un peu trop indiscrètes. Néanmoins nous étions bien ensemble.

[Décoration]

[150]Le gros vaut environ 12 fr. 50 c.

[151]Galadjo, chef du Macina avant la conquête de Mohammed Amat Labbo.

[152]Je le croyais alors ; mais mon opinion à cet égard a été complétement changée depuis.

[153]C’est encore aujourd’hui, suivant moi, une estimation très-restreinte.

[154]Le docteur Quintin relevait de maladie.

[155]Pierre de sel de Tichit, décrite plus haut.


CHAPITRE XXI.

L’hivernage arrive. — Samba N’diaye est malade et a peur. — Je suis malade du foie. — Les exécutions et le champ des exécutés. — Les morts et les enterrements à Ségou. — Nouvelle tentative infructueuse pour aller au Macina. — L’hospitalité d’Ahmadou se ralentit. — Les nouvelles s’améliorent à l’approche de la Tabaski. — Tierno-Abdoul, ses confidences et ses mensonges. — L’armée se rassemble. — Exécutions nombreuses. — Expédition de Fogni. — Visite d’Aguibou. — Première visite de Sidy Abdallah. — Fête de la Tabaski. — Exécution de trente-sept prisonniers et de deux enfants. — Arrivée de l’armée attendue de Nioro. — Nous recevons une lettre du commandant de Bakel et des instructions nouvelles du Gouverneur.

Cependant l’hivernage était arrivé, le temps était gris, la température, quoique ne dépassant pas 38 degrés, était écrasante — et nombre de noirs eux-mêmes ressentaient l’influence de la saison. Samba N’diaye, notre hôte, fut pris de maux de ventre et j’eus l’occasion de voir combien sa religion, dont cependant en temps ordinaire il était un sectaire fanatique, et qui, en raison de ses doctrines, eût dû lui fournir de grandes consolations, lui donnait peu de courage. Il se croyait mort, et même après avoir été guéri, il se regardait encore comme malade.

Moi, je me sentais attaqué du foie, j’avais par moments une vive oppression, des douleurs lancinantes dans le côté droit ; c’était, à n’en pas douter, une reprise d’hépatite ; heureusement elle fut légère et quelques purges de calomel[156] me soulagèrent promptement. — Je repris le plus tôt possible mes promenades à cheval.

Dans l’une d’elles, revenant vers le marché, je traversai le champ des exécutions. C’était la première fois.

Dans un rayon de cinquante mètres, situé à moins de cent pas des boucheries du marché, où j’apercevais des bœufs vivants, gisaient plus de cinquante squelettes incomplets, étendus sur le sol, blanchis par le soleil. Plus de deux cents crânes éparpillés, avec des masses d’ossements et les cadavres des gens tués tous les jours précédents étaient à demi-rongés par les hyènes la nuit, et le jour par les vautours et les corbeaux, qui, à mon approche, s’élevèrent de dessus ce festin dégoûtant. A ce moment ce coup d’œil me révoltait, je n’y étais pas fait, mais c’est l’usage dans tous les pays musulmans du Soudan de ne pas enterrer les corps des ennemis tués, soit à la guerre, soit en leur qualité de prisonniers.

Quant aux morts de maladies, les Talibés enterrent les leurs, selon les rites musulmans, dans des fosses étroites, où le corps, placé sur le côté et enseveli, est tourné vers l’Est ; mais, faute de creuser suffisamment ces sortes de fosses, les hyènes, lorsque les cadavres manquent au champ des suppliciés, viennent les déterrer et les enlever. On peut le remarquer en passant dans le cimetière placé sous les murs de la ville, à Ségou-Sikoro, entre les deux portes du marché.

Quant à ce qui est des keffirs esclaves chez les Talibés, on les traîne simplement dans la plaine ou au bord du fleuve, et tout est dit.

Quelquefois les Bambaras, esclaves de Bambaras, sont enterrés par leurs maîtres, mais alors c’est le plus simplement du monde. Rien n’indique leur sépulture, et il peut arriver de passer dessus sans s’en apercevoir.

Nulle part dans mon voyage je n’ai rien vu qui ressemblât à un cimetière. Dans quelques villages de Soninkés musulmans, j’ai remarqué au milieu du village des tombes sur lesquelles on avait fait un tas de sable et placé d’énormes pierres debout ; mais à l’exception de ces tombeaux, de marabouts pour la plupart, je suis porté à croire que c’est dans leur maison même que les Bambaras enterrent leurs parents.

29 avril 1864.

Le 29, je profitai d’un moment où Samba N’diaye allait prévenir Ahmadou que le dernier bœuf qu’il m’avait donné était mangé, et je le chargeai de faire une nouvelle démarche pour obtenir qu’on me laissât partir pour le Macina, non avec une armée, mais incognito avec deux ou trois de mes hommes.

Ahmadou donna l’ordre de délivrer un bœuf vivant aux laptots, mais il rejeta ma seconde demande. J’en fus d’autant plus fâché que les nouvelles n’arrivaient plus. On n’entendait rien d’aucun côté. Même en ce qui touchait l’armée de Nioro, qui, depuis le temps qu’on en parlait, eût dû être arrivée, tout était muet.

L’hospitalité d’Ahmadou, si large au début, se ralentissait. Les bœufs qu’il me fournissait et que les laptots découpaient en lanières de viande qu’ils faisaient sécher au soleil pour leur nourriture, n’arrivaient plus régulièrement, et souvent pendant deux jours, trois jours même, j’étais obligé de pourvoir à la nourriture de tous mes hommes dans l’intervalle qui séparait deux envois. Sans refuser tout à fait, Ahmadou se faisait tirer l’oreille lorsque, d’après ses ordres, Samba N’diaye allait l’avertir que nos provisions étaient épuisées.

Aussi, je le répète, je fus quelques jours sous l’empire d’un accablement moral — auquel venait se joindre la fatigue écrasante d’une température qui atteignait 40 degrés. Je passais toute la journée sur mon tara[157], épuisé, haletant, ne me dérangeant que pour vendre de temps en temps quelque morceau d’ambre ou de corail aux acheteuses qui venaient nous trouver. — Le temps d’ailleurs se soutenait beau en dépit de nuages. On se hâtait dans tous les coins de la ville de passer de nouvelles couches de pisé sur les terrasses, car il était évident que l’hivernage approchait.

Mai 1864.

Le 7 mai les nouvelles recommencèrent à arriver avec l’approche de la fête de la Tabaski[158] : Samba N’diaye se nourrissait de l’espoir de voir subitement arriver El Hadj pour célébrer cette fête, qui est, on le sait, une grande fête chez les musulmans. Mais sur quoi se fondait cet espoir ? Nous l’apprîmes le soir même. On disait qu’un ancien captif d’Ahmadi Ahmadou[159] était arrivé à Sansandig, et avait raconté que Tidiani avait pris à Tombouctou Cheick Ahmed Beckay, Balobo et deux autres chefs. Il les avait ramenés à El Hadj, à Konna ; et celui-ci, après être rentré à Hamdallahi, avait envoyé Alpha Oumar et Amat Tamsir son fils (neveu), chacun avec une armée, l’un à Jenné, l’autre à Faraméqué (Ferma-gha). On ajoutait qu’un homme du Macina, qui était à Sansandig, était parti à cette nouvelle pour s’en assurer et avait trouvé son village détruit. Alors les chefs de Sansandig, disait-on, avaient fait un palabre et l’un d’eux avait proposé de venir se rendre à Ahmadou en ramenant tous les captifs qu’on lui avait pris. — On prétendait que, cette fois, Boubou Cissey avait accepté et que l’envoyé de Sansandig était à Koghé. On ajoutait que tous les gens du Macina réfugiés à Sansandig en étaient partis à cette décision.

Cette nouvelle était évidemment fausse et je commençais à être exaspéré, à ne plus croire à rien et à vouloir obtenir une solution coûte que coûte, quand nous fûmes arrêtés dans ce projet par une série de mensonges si bien préparés que je ne crois pas que l’individu le plus fin ne s’y fût, comme nous, laissé prendre.

Le docteur Quintin soignait depuis quelque temps le vieux Tierno-Abdoul, qu’on appelle aussi Abdoul Ségou, à cause de son long séjour dans ce pays et pour le distinguer d’un autre Tierno-Abdoul, Torodo de distinction, avec lequel nous aurons l’occasion de faire connaissance.

Ce vieux chef qui, en sa qualité de chef des Pouhls, était nécessairement au courant de ce qui se passait, puisque pour tout départ de colonne ou de courriers, c’est lui qui est chargé de fournir des guides[160], confia de lui-même au docteur que nous allions partir pour le Macina après la Tabaski, que dans ce moment Ahmadou s’occupait beaucoup de nous. Le 8 mai, il ajoutait qu’un courrier d’Hamdallahi était arrivé dans la nuit et qu’on en attendait un autre, et il disait au docteur de revenir le lendemain matin, qu’il saurait alors les nouvelles arrivées par ces courriers.

Il recommandait le plus grand secret, disant que c’était par suite de son amitié pour les blancs qu’il nous confiait cela : qu’Ahmadou était un enfant qui ne connaissait pas nos usages, mais que lui était là, et que nous pouvions avoir confiance en lui ; que pour Samba N’diaye[161] notre hôte, ce n’était pas un bon homme et qu’il ne ferait rien pour nous servir, parce qu’il était de son intérêt que nous restassions chez lui : en effet, il avait des profits considérables sur les vivres qu’Ahmadou nous envoyait, surtout sur les bœufs et moutons que nous abattions, sans compter les cadeaux que je lui faisais de temps à autre.

9 mai 1864.

Le 9 mai, le vieux Tierno reprenait ses confidences. Suivant lui l’armée de Koghé était partie la nuit pour opérer sa jonction avec l’armée de Tidiani[162] à Sansandig.

Ahmadou voulait, disait Tierno, attaquer les rebelles, mais El Hadj n’avait pas voulu et déjà il était mécontent qu’on eût été deux fois attaquer ce village, et il avait envoyé avec Tidiani le frère de Boubou Cissey (qu’il avait emmené au Macina), afin de tâcher d’arranger les affaires à l’amiable.

El Hadj, d’après Abdoul, savait notre arrivée[163], mais il croyait que nous étions quatre. Il avait demandé si nous étions des blancs de France ou des blancs de Saint-Louis (mulâtres). Il avait aussi entendu parler de notre canot, resté comme on le sait à Bafoulabé.

Le docteur demanda alors au vieux noir pourquoi on ne nous avait pas envoyés avec l’armée, et il lui répondit avec un calme imperturbable, que l’ordre était arrivé trop tard, puis il se leva en disant qu’il allait voir Ahmadou à ce sujet. D’après Abdoul l’armée de Koghé avait fait un tour pour traverser le fleuve au-dessus de Ségou-Sikoro à un gué, et il ajoutait que maintenant nous n’aurions plus besoin d’attendre l’arrivée de Nioro.

Le même soir, Samba N’diaye nous annonçait, et c’était vrai, que l’armée de Koghé avait campé à Cochonna, que l’armée de Ségou se rassemblait à Soninkoura, où Ahmadou avait passé toute la journée, et qu’on faisait le plus grand mystère de sa destination. Il y avait bien eu un mouvement fait par l’armée de Koghé, mais ce n’était qu’une bande de cavaliers qui avaient traversé le fleuve à Sama Bambara, avaient fait des prisonniers, et on venait de les exécuter au nombre de dix-huit. Déjà la veille on en avait tué plusieurs.

11, 12 et 13 mai 1864.

Le 11 mai, on battait le tabala et l’armée se rassemblait. Le 12 mai cela continuait encore. Enfin le 13, à deux heures, l’armée partait et personne ne savait où elle allait, ou du moins ceux qui le savaient ne le disaient pas ; mais nous, tout entiers sous l’inspiration de Tierno-Abdoul, nous pensions qu’on allait attaquer Sansandig.

Le soir, cependant, Ahmadou appelait les chefs et demandait cent hommes de bonne volonté pour aller défendre Koghé pendant cette expédition, disant qu’il craignait Sansandig. Cela paraissait incompatible avec ce que nous croyions savoir ; aussi nous supposâmes que c’était une ruse pour cacher la direction de l’armée.

14 mai 1864.

Le 14 mai au soir, on eut enfin des nouvelles de l’armée, et le 15 on nous faisait le récit de ses exploits. Elle était allée à Fogni et l’avait détruit après un combat meurtrier. Voilà ce qu’on nous raconta. Il y avait quelques jours qu’un marabout venant de Yamina était allé à Fogni changer de piroguiers, comme nous l’avions fait nous-mêmes en venant à Ségou. Il attendait, quand des Bambaras révoltés, qui se trouvaient dans le village, s’emparèrent de lui et lui coupèrent le cou. Depuis lors, le village était révolté. Pendant que l’armée de Ségou s’y rendait, forte de douze à quinze mille hommes, les contingents de Yamina (les Sofas) arrivaient de leur côté les premiers en présence du village, qui fit sortir son armée des quatre tatas composant l’ensemble de Fogni[164]. Mais quand ils virent arriver l’armée de Ségou, commandée par Tierno Alassane, les révoltés se dépêchèrent de rentrer. L’assaut fut donné aussitôt et le village emporté. Ceux qui tentèrent de s’échapper à la nage furent presque tous tués dans l’eau ou se noyèrent ; Tierno Alassane, prévenu, alors qu’il était déjà maître du village, qu’une bande de cavaliers et de fantassins bambaras traversait le fleuve pour venir au secours des défenseurs, envoya ses cavaliers pour les cerner. Malheureusement ceux-ci se pressèrent trop d’attaquer, avant que les Bambaras ne fussent en présence du gros de l’armée. Les Bambaras se débandèrent, on les poursuivit, mais quelques-uns purent échapper. La plupart se jetèrent dans le fleuve pour le traverser ; ils tombèrent dans un endroit profond, où beaucoup se noyèrent, blessés par les balles des Talibés qui les tiraient comme à la cible.

Ainsi Tierno-Abdoul nous avait joués : cependant il soutenait au docteur que tout ce qu’il avait dit était vrai, mais que cette expédition avait été nécessaire et qu’Ahmadou avait dû la faire avant d’aller à Sansandig, afin de donner du courage à l’armée intimidée par ses deux derniers échecs.

En réalité, Ahmadou, ainsi que je le sus plus tard, venait de jouer là une partie considérable. Fogni révolté pouvait lui couper ses communications par eau avec Yamina, c’est-à-dire lui ôter l’espérance de recevoir des renforts de Nioro. Du reste, Souqué, le chef bambara, que nous avons vu à Sansandig lors de la dernière expédition et qui venait de périr à Fogni, était doublement dangereux, d’abord à cause de ses forces, mais aussi parce qu’il annonçait la mort d’El Hadj, dont il promenait, prétendait-il, un bras. Il n’en avait pas fallu davantage dans un pays disposé à la révolte pour lui attirer promptement de nombreux auxiliaires. Il pillait d’ailleurs impitoyablement tous ceux qui ne se révoltaient pas. Aussi les habitants de quatorze villages étaient-ils renfermés dans Fogni, et on peut prévoir ce que fût devenue la situation si on n’y eût pas remporté la victoire.

Le lendemain 16 mai, Ahmadou sortait à cheval en grande pompe avec les princes, les griots et tous les chefs, précédé du tabala, pour aller au-devant de l’armée victorieuse qui rentrait un peu à la débandade, chacun ramenant ses captifs. Les chefs arrivaient par groupes, entourés de leurs esclaves ; deux compagnies seulement étaient en ordre et avançaient méthodiquement, avec la musique en tête, précédée de quelques cavaliers faisant de la fantasia : c’était la compagnie de Tierno Alassane, le chef de l’armée, et celle des griots. Dès que ces compagnies eurent rejoint Ahmadou, qui eut à donner autant de poignées de main qu’il y avait d’hommes dans l’armée, chacun rentra chez lui.

Aussitôt on entendit les pleurs redoubler dans les cases : c’étaient les veuves et les parents des victimes qui témoignaient de leur peine par des sanglots et des cris lamentables. Il est difficile de savoir au juste ce que coûtait à Ahmadou cette expédition, mais dans la compagnie de Nioro on comptait huit tués, cinq chevaux tués et trente hommes blessés.

Ce même soir, on faisait courir une nouvelle qui ranima notre espoir : on disait que l’armée n’était rentrée que pour la Tabaski et qu’elle allait repartir tout de suite ; aussi, en écrivant cette bonne nouvelle, je disais : Sera-ce enfin pour Sansandig ?

Pendant ces quelques jours, j’avais fait la connaissance assez intime d’Aguibou, le frère d’Ahmadou ; il était venu me voir plusieurs fois et passer d’assez longues heures près de moi. La curiosité entrait pour beaucoup dans ses visites, car après avoir vu lui-même, il tenait à faire voir aux jeunes Talibés qui formaient sa suite habituelle, sorte de parasites qui, tout en faisant près de lui le métier de domestiques, de commissionnaires, lui racontent, en le massant, toutes les nouvelles fausses ou vraies et souvent dénaturées qui circulent dans la ville, lui extorquent tout ce qu’il a et vivent à ses dépens. Mais c’est la mode chez les princes africains, et celui qui vit autrement est mal vu et taxé d’avarice. De plus, j’avais eu une visite importante, celle de Sidy Abdallah, le maure de Tichit, qui jusqu’alors avait dédaigné de venir nous voir, ce dont il s’était excusé en entrant. J’avais pu me convaincre de son intelligence en lui montrant mes cartes, dont il avait compris aussitôt l’usage. Je l’avais interrogé sur la route de Nioro à Tichit, qu’il me dit être barrée par les Ouled Mbariks et Ouled Naceurs.

17 mai 1864.

Le 17 mai était la fête de la Tabaski ; ce fut, comme cérémonie, la répétition de la fête du Cauri. Le palabre fut court. Après avoir vu égorger le mouton par Tierno Alassane, Ahmadou demanda une armée, qui lui fut promise, mais avec peu d’empressement, comme cela arrive chaque fois qu’il y a du butin en provision. Pendant le palabre deux hommes vinrent d’un village du bord du fleuve dire que les Bambaras se montraient de l’autre côté ; on fit partir sur-le-champ trente-cinq cavaliers.

La fête fut terminée par l’exécution de trente-sept Bambaras pris à Fogni ; on les avait interrogés longuement : la plupart avaient été à Sansandig et en étaient venus avec l’armée de Souqué.

Un peu plus tard, on exécuta deux jeunes enfants de quinze à seize ans, et le soir les cavaliers expédiés pendant le palabre rentrèrent et dirent que les Bambaras avaient attaqué un petit village soumis, auquel ils avaient pris deux femmes et tué deux hommes.

18 mai 1864.

Le 18, la fête dura pour la ville ; les griots et griotes, cordonniers et forgerons réunis en bandes, allaient de case en case demander leur fête. Les femmes dansaient dans les cases et emportaient toujours quelques cauris.

Ces danses chez quelques-unes avaient un caractère tout spécial que je n’avais jamais vu au Sénégal. C’étaient des griotes Soninkés, et pendant qu’elles battaient des mains, une esclave de la maison se mettait à danser un pas violent. Elle sautait d’un pied sur l’autre, alternativement, en avant et en arrière, projetant ses deux bras avec violence en sens inverse du mouvement des jambes. Ainsi, quand elle faisait un pas en avant, ses deux bras lancés impétueusement en arrière, venaient, par une espèce de dislocation, se rejoindre ; et, si elle ressautait en arrière, ses mains venaient se frapper devant elle ; pendant ce temps, grâce à une souplesse de cou incroyable, la tête se balançait avec une force telle que, comme dans les danses des Khassonkés, son casque de cheveux allait lui frapper le dos.

Après cette danse, une vieille griote, ayant son enfant attaché dans un pagne sur le dos, comme toutes les négresses, dansa un pas, peut-être un peu moins violent, mais rendu plus cynique par les gestes dont elle l’accompagnait.

Le soir de ce jour on annonçait l’arrivée de l’armée de Nioro si impatiemment attendue ; on la disait forte de seize mille hommes, qu’on décomposait ainsi : mille Khassonkés, deux mille maures Sidy Mahmoud, trois mille Talibés des bords du Sénégal et dix mille Bambaras, Djawaras, Peulhs, etc.

Bien que nous fussions assez habitués aux exagérations des noirs, nous espérions que nous allions voir une force respectable ; aussi fûmes-nous bien détrompés quand le lendemain, Ahmadou étant sorti avec tous ses frères, les chefs, les sofas et une partie des Talibés, pour recevoir cette armée, qui, comme on le voit, arrivait rapidement, nous vîmes arriver non pas seize mille hommes, mais peut-être seize cents, et encore dans le nombre y avait-il des sofas de la garnison de Yamina qu’on avait rappelés. Cette armée était conduite par un cousin d’Ahmadou nommé Seïdou Dalia Touré. J’étais monté sur nos mules pour aller assister à la fantasia habituelle et indispensable en pareille occasion ; j’y rencontrai Samba N’diaye, qui me dit : « Je viens de voir un homme qui a une lettre du gouverneur ; cette lettre a été portée à Nioro par des gens des environs de Bakel. L’homme qui la porte va la remettre à Ahmadou. »

Cette nouvelle m’étonnait beaucoup ; que signifiait cette lettre du gouverneur ? Mon esprit se mit à travailler. Je me persuadai qu’il n’avait pas reçu mes lettres de Koundian et, qu’inquiet de mon sort, il écrivait à Ahmadou. Je craignais que cela ne compliquât ma situation et que surtout, si la lettre était menaçante, cela ne me fit retenir indéfiniment.

Cependant il était tard et d’ailleurs cette lettre était pour Ahmadou. Il me fallut attendre au milieu de mes inquiétudes, augmentées par le tabala de guerre qu’on battait à coups redoublés pour faire sortir l’armée, pendant que les griots parcouraient la ville et ses faubourgs, en criant d’aller à Koghé.

A quatre heures du matin le tabala cessa ; on disait que les Bambaras menaçaient Koghé, mais personne n’y croyait.

20 mai 1864.

Avec le jour j’envoyai Samba N’diaye à la recherche du porteur de la lettre ; il revint vers dix heures, me disant qu’il l’avait vu, qu’il y avait tout un paquet. Alors mes craintes furent calmées, ces lettres étaient pour moi sans doute, et j’allais recevoir des nouvelles de ma famille. L’impatience me gagna, je ne pouvais plus tenir en repos. On me disait qu’Ahmadou était en palabre avec Oulibo et que le courrier ne voulait pas remettre les lettres à d’autres qu’à lui. Mais je ne pouvais rester ainsi ; nous passions, le docteur et moi, de la plus extrême confiance aux plus graves appréhensions ; trois fois, je renvoyai Samba N’diaye, et enfin, à cinq heures du soir, vingt quatre heures après l’arrivée du courrier il m’amena celui-ci qui me remit une lettre, la seule qu’il eût. Elle était du commandant de Bakel, le capitaine Faliu, qui m’envoyait une copie d’instructions du gouverneur. Je reproduis ces deux documents.

LE COMMANDANT DE BAKEL A M. MAGE.

« Mon cher Mage[165],

« J’adresse cette copie d’une lettre du gouverneur, au chef de Koniakary pour qu’il vous la fasse parvenir : deux copies de cette lettre ont été, par mes soins, envoyées au commandant de Médine, qui vous les adressera par deux voies différentes.

« L’original, qui se trouve entre mes mains, vous parviendra par un courrier que je vous expédie directement.

« Le gouverneur recommande ces précautions, afin que vous ayez connaissance le plus tôt possible de ses vues pour étendre nos relations commerciales vers le Niger.

« Bonne santé à vous et à M. Quintin, bonne réussite et prompt retour.

« Tout à vous,

« Faliu.

« Notre pauvre docteur Lequerré vient de mourir. »

A cette lettre était jointe celle-ci :

« Mon cher capitaine,

« Je viens de recevoir votre lettre, datée de Koundian le 6 janvier, m’annonçant que le surlendemain vous deviez partir pour Bamakou. J’ai lu avec le plus grand intérêt tous les renseignements que vous m’avez envoyés jusqu’à présent ; nous les conservons avec soin et ne publions de vous que des nouvelles tout à fait sommaires. On s’occupe beaucoup en France de votre voyage. J’ai été heureux d’apprendre que vous et M. Quintin jouissiez d’une bonne santé. Le succès de votre mission me semble comme à vous presque assuré aujourd’hui. Je vous envoie des lettres de Mme Mage, qui se porte très-bien.

« L’occupation sérieuse par El Hadj de Koniakary et de Koundian[166] m’a donné à réfléchir.

« Nous établir à Bafoulabé, comme si c’était chez nous, n’avancerait guère la question commerciale ; cela ne ferait que reculer notre frontière de quarante lieues, sans nous ouvrir une voie commerciale vers le Niger.

« La rive droite du Bafing étant à El Hadj d’après nos conventions, admettons que Bafoulabé est sur son terrain et établissons-nous-y aux mêmes conditions qui pourraient être ensuite admises pour nos deux ou trois autres établissements et ensuite pour Bamakou.

« Je suppose que tous ces points dépendent du royaume de Ségou ; c’est donc au roi du Ségou que nous aurions affaire directement. Tâchez de bien disposer pour nous le fils d’El Hadj, qu’on dit capable.

« A quelles conditions se feraient ces établissements, que nous appellerions comptoirs français dans l’empire d’El Hadj Omar ? Voilà ce que vous aurez à débattre.

« 1o Je suppose qu’on nous délimite un terrain assez vaste pour faire une enceinte fermée (sans canons s’il le faut), qui renfermerait le personnel du poste, les traitants et leurs magasins, et en outre, en dehors de l’enceinte fermée, des jardins ou lougans. A Bafoulabé il nous faudrait toute la Pointe, dix hectares au moins, puisque le terrain est inoccupé.

2o El-Hadj nous louerait à perpétuité.

3o Le pavillon français flotterait sur nos comptoirs, mais seulement, comme signe de nationalité et de protection, comme El Hadj a pu voir flotter tous les pavillons européens sur les consulats au Caire et même à Djedda.

« 4o Nous payerions un loyer annuel pour le terrain, soit mille francs par an et par comptoir.

« 5o Personne n’aurait le droit d’entrer sans notre permission dans nos comptoirs.

« 6o Les contestations entre un sujet français des comptoirs et un sujet d’El Hadj demeurant au dehors seraient réglées contradictoirement par le chef du comptoir et le chef territorial du lieu.

« 7o Les marchandises que nous enverrions à nos comptoirs payeraient, à leur entrée dans le comptoir où elles doivent être mises en vente, cinq pour cent au percepteur préposé sur place par El Hadj ou par le roi.

« 8o El Hadj percevrait, en outre, s’il le voulait, cinq pour cent de la part de ses sujets, ou bien sur les produits qu’ils apporteraient. Cela ferait donc en tout la dîme qu’il perçoit, dit-on, aujourd’hui sur les caravanes.

« Nous ne pourrions pas supporter seuls le droit de dix pour cent d’entrée sur nos marchandises sans savoir même si elles seraient vendues ensuite.

« 9o La plus entière sécurité serait assurée à nos caravanes de marchandises et de produits.

« Voilà les bases qui me paraissent acceptables.

« Si le pouvoir d’El Hadj était renversé dans le Macina et lui-même tué, comme on le croit ici, vous pourriez entamer cependant les mêmes négociations avec le roi de Ségou ou autre chef partiel, dans le cas d’un démembrement complet.

« Agréez, mon cher capitaine, ainsi que M. Quintin, l’assurance de mes sentiments les plus affectueux.

« Le gouverneur du Sénégal,

« Signé : Faidherbe. »

Il est facile de se rendre compte des impressions que nous causèrent ces deux lettres. Au lieu des lettres que le gouverneur nous annonçait, qui nous eussent apporté des nouvelles si impatiemment attendues depuis le mois d’octobre, je ne recevais qu’une lettre insignifiante d’un camarade qui, n’espérant peut-être pas me la faire parvenir, ne m’écrivait que quelques lignes et qui m’annonçait la mort d’un collègue de Quintin, d’un de ses amis même.

Ainsi, pendant que nous, exposés à toutes les rigueurs du climat africain, manquant de tout, même des choses les plus habituelles à un Européen (le pain et le vin), nous nous soutenions en bonne santé ou du moins encore robustes, un de nos camarades, entouré de tout le bien-être de la vie des postes, d’un confortable relatif, avait succombé à la fièvre. N’y avait-il pas là quelque chose d’extraordinaire, de fatal ou de providentiel, une protection miraculeuse ou divine qui nous accompagnait et n’a cessé à travers toutes nos épreuves de nous soutenir et de nous donner la force de les traverser ?

Après le dépit de ne pas recevoir d’autres lettres, tempéré chez moi par l’espérance de santé que contenait, relativement à ma femme, la lettre du gouverneur, ce furent ces pensées qui nous assaillirent.

Puis après, je me livrai avec soin à l’étude de ces nouvelles instructions. Elles facilitaient ma mission, en ce sens qu’elles accordaient à El Hadj un terrain (la pointe de Bafoulabé) que nous lui avions contesté jusque là, bien qu’il l’occupât, sinon de fait, au moins moralement, par suite de la proximité de sa forteresse de Koundian ; mais elles me créaient une difficulté dont j’appréciai de suite la valeur, en me fixant un tarif de droits d’entrée contraires aux usages du pays, qui sont de toucher un dixième, comme droits réguliers, sur toute espèce de produits importés par caravane.

Les instructions données à mon départ de Saint-Louis, que j’ai rapportées au commencement de cette relation, laissaient un champ plus large aux stipulations du traité. Elles s’exprimaient ainsi :

« Si considérables que fussent les droits qu’il (El Hadj) percevrait sur son territoire.... »

Et aujourd’hui je me trouvais limité à un droit d’entrée de cinq pour cent.

Cela était tout différent, et je ne voyais guère de chance de le faire accepter.

[Décoration]

[156]Le calomel, administré à doses convenables, est efficace dans la plupart des maladies des pays chauds, notamment dans l’hépatite et la dyssenterie, et contre les suites des fièvres bilieuses.

[157]Lit fait de bâtons croisés recouverts d’une natte.

[158]Fête des moutons. Après le Salam d’usage, on égorge un mouton, et quiconque a le moyen en tue un chez lui.

[159]Ahmadi Ahmadou, le roi du Macina, tué par El Hadj.

[160]Les guides sont presque toujours des Pouhls, qui, en raison de leur existence nomade au milieu des troupeaux, connaissent le pays mieux que personne.

[161]En le calomniant, Tierno-Abdoul voulait sans doute nous mettre en défiance et nous empêcher de lui communiquer ses confidences.

[162]Neveu d’El Hadj, chef d’armée, disait-on.

[163]Cela répondait à une question que je faisais souvent : « El Hadj sait-il que nous sommes ici ? »

[164]Ces quatre tatas sont situés à quelques mètres les uns des autres.

[165]J’étais lié depuis plusieurs années avec le capitaine Faliu.

[166]On ne soupçonnait pas avant mon voyage l’occupation de Koundian.


CHAPITRE XXII.

Je vais voir Ahmadou. — Notre départ devient de plus en plus problématique. — Tentative près d’Ahmadou par l’intermédiaire d’Alpha Ahmadou, son cousin. — Insuccès. — Partage des prises de Fogni. — Bases du partage. — Nouveaux mensonges de Tierno-Abdoul. — On désarme le pays. — Bamabougou est attaqué par l’armée de Mari. — Scène entre Diali Mahmady et Alpha Ahmadou. — Les coups de corde de la justice musulmane. — L’éducation musulmane chez les nègres.

20 mai 1864.

Néanmoins, ne prenant ces propositions que pour ce qu’elles devaient être et étaient en effet, un désir dont il fallait se rapprocher le plus possible, je n’hésitai pas à aller voir Ahmadou pour lui faire proprio motu les compliments du gouverneur, qui ne gâtaient rien à la chose, et lui dire qu’en réponse à mes lettres de Koundian, dans lesquelles j’avais fait savoir la bonne réception qui m’y avait été faite, le gouverneur améliorait encore les propositions que j’étais chargé de lui soumettre ; qu’il me disait de rentrer avant la saison des pluies, mais que puisque l’armée de Nioro était arrivée, j’allais sans doute partir pour le Macina, et que je demandais à partir le plus tôt possible.

J’avais, en effet, toujours considéré l’arrivée de l’armée de Nioro comme notre port de salut, relativement à notre départ. Samba N’diaye m’avait affirmé de la manière la plus péremptoire que, dès qu’elle serait là, nous partirions, et comme j’avais hésité à le croire, il m’avait dit qu’il ne pouvait me citer celui de qui il le tenait, mais qu’il n’en doutait pas et ne pouvait en douter. La veille encore il me l’avait répété à peu près dans ces termes : « Eh bien, tu dois être content, voilà l’armée de Nioro, tu vas partir. »

Aussi je disais cela avec confiance, mais je n’obtins pas de réponse, et en sortant de l’audience j’appris qu’Ahmadou, en m’entendant lui dire que l’on m’avait affirmé que l’armée de Nioro arrivée je partirais, avait demandé très-bas à Samba N’diaye : Qui lui a dit cela ? — Moi, dit Samba. — Pourquoi te mêles-tu de mes affaires ? avait répondu Ahmadou. — Parce que Bo (Oulibo) me l’a dit, avait répondu Samba N’diaye. Et ce petit entretien avait échappé pendant que je terminais ce que je lui disais. Ensuite Ahmadou avait paru embarrassé, ses réponses avaient été pleines de réticences et il m’avait congédié, sous prétexte que l’heure du salam était arrivée (le salam du soir se fait entre cinq et six heures).

Le soir je reçus la visite du Peuhl qui avait conduit Seïdou et Yssa jusqu’à Damfa, où il les avait laissés. En route, ils avaient rencontré un parti de Bambaras au nombre de quinze. En voyant les marques du passage des chevaux tout le monde avait voulu, disait le guide, se jeter dans les broussailles ; mais Yssa s’y était refusé, et, après avoir préparé ses cartouches, il s’était assis au pied d’un arbre, en disant : « Si vous vous cachez, moi, j’attendrai là. » Alors ils étaient revenus et avaient continué leur route sans être inquiétés. Tout le monde admirait ; mais ce qui m’importait le plus c’est que mes envoyés étaient en route, et je calculais déjà le moment où des nouvelles certaines de notre situation viendraient rassurer le gouverneur et nos familles. Quant à cette jolie histoire d’Yssa, j’appris plus tard qu’elle n’était vraie qu’approximativement et qu’elle avait été embellie, augmentée pour me faire plaisir afin d’exciter ma générosité en vantant la bravoure de nos hommes, ce qui ne pouvait que m’enorgueillir. Pour un noir, pour un de ces individus auxquels certains esprits malades ont voulu retirer la qualité d’homme, et qu’on a placé à un niveau inférieur au nôtre dans l’échelle des êtres, il faut avouer que ce n’est pas trop mal.

21 mai 1864.

Le lendemain, 21 mai, je fis demander à Ahmadou d’aller de nouveau lui parler, ainsi que nous en étions convenus la veille avant de rompre le palabre. Mais bientôt Samba N’diaye, qui, depuis notre arrivée à Ségou, avait toujours été notre intermédiaire pour ces sortes de demandes, revint me dire qu’Ahmadou ne voulait pas encore me mettre en route.

Comme on le pense, je n’acceptai pas cette réponse avec plaisir ni avec calme, et puisque Samba N’diaye était intermédiaire, je le chargeai, en termes très-vifs, de dire à Ahmadou que j’étais loin d’être satisfait de ses procédés.

En effet, il nous devenait de plus en plus difficile de voir Ahmadou ; nombre de fois j’avais demandé jusqu’à trois et quatre jours de suite à le visiter, sans obtenir d’audience. Il refusait pour un motif ou pour un autre.

Un jour il palabrait sous les arbres de son père au milieu d’une foule telle que je ne pouvais lui parler d’affaires, ou bien il était chez les femmes de son père, ou dans ses magasins, etc., etc.

De guerre lasse, fatigué de lutter contre cette force d’inertie qui est la grande force des noirs en toute circonstance, j’avais plusieurs fois renoncé à ces audiences. Ma fierté d’Européen se révoltait à l’idée de faire antichambre à la porte d’un noir et de ne pouvoir obtenir d’être admis. Hélas ! par la suite j’ai dû en rabattre et apprendre à mes dépens qu’en pays nègres, quand on n’est pas le plus fort il faut être humble, et tâcher seulement, ce qui n’est pas facile, de l’être sans bassesse.

Samba N’diaye, bien entendu, ne fit pas ma commission. Cela devait être. Aussi, un peu plus tard, en y réfléchissant, je fis demander au vieil Alpha Ahmadou, notre voisin, de venir me parler en confidence. Il n’était pas chez lui ; il se tenait généralement une bonne partie de la journée sous un doubalel[167] magnifique, situé près la porte de l’Ouest et à l’ombre duquel il dissertait et commentait le Coran en présence de vieux talibés et de quelques élèves, parmi lesquels était son fils Ousman. Il y avait près de là une mosquée en plein air, c’est-à-dire un espace entouré de branchages secs, bien nettoyé, sablé, ayant du côté de l’Est une saillie pour le marabout qui fait la prière, et à côté un cimetière sans aucune autre indication que le relief des buttes de terre qui recouvrent les tombes et quelques épines posées sur les plus récentes, pour les garantir des griffes des hyènes et des souillures des animaux domestiques.

Peu après que je l’eus fait demander, le vieux marabout arriva avec un empressement de bon augure. Il marchait encore d’un pas allègre bien qu’âgé de soixante-sept ans à cette époque ; mais par contenance bien plus que par nécessité, il s’appuyait sur une grande canne à grosse pomme de fer ressemblant beaucoup à une canne de tambour-major, mais dont le bout qui touche à terre était garni d’une douille terminée par un morceau de fer plat[168]. Un vieux bonnet rouge très-sale couvrait son chef religieusement rasé ; le reste de ses vêtements, semblables à ceux de la foule (c’est un boubou et un toubé[169]), étaient propres quoiqu’en mauvais état. Alpha Ahmadou était fils d’une sœur de Seïdou, le père d’El Hadj.

Je le fis entrer dans ma case, et là, seul avec le docteur et Samba Yoro, je lui expliquai ma position. Je lui dis que son âge et sa parenté lui donnaient le droit de parler sévèrement à Ahmadou, qui ne se conduisait pas bien à notre égard : que j’étais malade, fatigué, et qu’il me fallait une réponse ; que je le priais, lui qui avait vécu parmi les blancs, de mener cette affaire à bien.

Le vieux marabout entra avec zèle dans notre cause, promit d’admonester Ahmadou, qu’il blâma hautement de sa manière d’agir ; disant de lui-même que dès notre arrivée on eût dû envoyer des courriers au Macina demander des ordres à El Hadj relativement à nous, et nous renvoyer à Saint-Louis ou traiter avec nous.

Puis il me dit, comme Tierno-Abdoul, de me méfier de Samba N’diaye, qui avait tout intérêt à nous garder pour vivre sur nos ressources et d’ailleurs n’osait pas parler franchement à Ahmadou.

Comme on le voit, le marabout, tout en entrant dans notre parti, nous disait qu’on eût dû envoyer des courriers au Macina. Selon lui, qu’il le crût ou affectât de le croire, El Hadj était donc là, il était donc possible d’y aller. Et le soir, pour fortifier cette opinion, on venait d’autre part nous dire que le palabre de la veille entre Ahmadou et Oulibo avait pour cause l’arrivée de deux courriers du Macina.

22 mai 1864.

Aussi nous espérions toujours. Le 22 mai, le docteur, qui continuait d’avoir confiance en Tierno-Abdoul, alla le relancer, et, trouvant chez lui Alpha Ahmadou, chercha à leur faire combiner leur influence en notre faveur.

Ces deux individus allaient s’entendre comme larrons en foire ou plutôt en vrais Toucouleurs ; c’étaient d’ailleurs deux vieux roués qui avaient couru un peu le monde, et l’un d’eux au moins, Tierno-Abdoul, avait pris part à la tentative de Dilé[170], ce marabout, qui, après avoir tenté de jouer, en 1839, le rôle qu’El Hadj joua plus tard avec succès, fut pendu dans le Cayor, et avant son supplice, but un verre d’eau-de-vie, comme un simple griot.

Abdoul prétendit qu’Ahmadou ne nous voulait que du bien, qu’il s’occupait de notre départ, que (Che Allaho) nous allions partir bientôt, que les nouvelles du Macina étaient des meilleures, que les courriers arrivés l’avant-veille devaient repartir le jour même, mais qu’avant leur départ, Ahmadou, pour un motif qu’on ignorait, voulait rassembler une armée qui serait prête dans deux jours.

En dépit des promesses, des espérances, non-seulement Ahmadou ne rassemblait pas d’armée, mais il s’occupait simplement de faire le partage des prises de Fogni. Voici sur quelles bases s’opèrent toujours ces partages.

L’armée est composée de Talibés, de Sofas et de Toubourous (on nomme ainsi les Bambaras, Djwaras, Massassis, Khassonkés, Peuhls et autres qui se sont soumis contraints par la force).

Dans chacune de ces compagnies on calcule le nombre d’hommes et de chevaux, en comptant un cheval pour deux hommes. De là une première base d’appréciation qui fournit un partage en trois parts proportionnelles aux nombres ainsi trouvés. Alors sur la part des Talibés, Ahmadou prélève un cinquième, sur celle des Toubourous la moitié, et le tout sur les Sofas, qui sont ses esclaves personnels.

Quant aux Sofas ou esclaves appartenant aux Talibés, ils comptent parmi les Talibés et marchent avec eux en compagnie.

Après ce partage, il y a la répartition entre les divers groupes de Talibés dont se compose l’armée, Toro, Irlabés, Gannar, pour le Fouta, puis les Soninkés, Khassonkés, Yoloffs ; puis les Maures de Sidy Abdallah, l’armée de Nioro, les Fouta Diallonkés de Boubakar Mahmady Diam et de Bobo, etc., etc.

On opère de même entre les groupes de Toubourous ci-dessus mentionnés ; après quoi dans chaque groupe on fait le partage par case, après avoir généralement prélevé sur le tout un cadeau pour le chef du groupe, qui, malgré cela, touche sa part proportionnelle aux nombres d’hommes et de chevaux sortis de sa case.

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