Chasseurs de nomades
XII
MÉDITATION SOUS LE MIMOSA
C’est à Gabès que se termine mon voyage circulaire. Je reviens dans cette ville avec quelque retard, mais c’est bien mon tour. Celui qui m’a précédé, Maurice Thuaire, s’y ennuie. Un peu plus que dans le Sud où, du moins, il était requis par les événements. Mais il demandait le repos. Il l’a. Si bien que dans son oisiveté, il se lamente et cherche à se créer des besoins, des occupations, de menus travaux, toutes choses qui constituent un simili de vie régulière et des habitudes.
Je suis allé aussi à la recherche de celui que j’étais à mon arrivée dans ce pays que je considérais comme le point terminus du Monde. Aujourd’hui, il m’apparaît comme le seuil du Paradis.
— Vous regretterez Gabès, car on peut s’y laver, me prévenait Marcel Allix dans les premiers temps de mon séjour.
J’ai repris contact avec la vie civilisée, les ablutions, les douches, les boissons fraîches, une nourriture qui ne se compose pas uniquement de conserves.
Et moi aussi, j’ai des loisirs que je n’ai pas connus lorsque je suis arrivé ici. Mais cet homme-là, où le retrouver, avec ses regrets et sa nostalgie ?
Il regrettait Mercédès qu’il venait de quitter et il aspirait à une nouvelle inconnue. L’une et l’autre histoires sont à présent terminées.
Voici précisément l’endroit où je dormais, ce mimosa pleureur dont les branches me protégeaient contre les moustiques et l’humidité de la nuit. J’y reposerai ce soir. Peut-être que les anciennes pensées surgiront, comme autrefois, pour barrer la route du sommeil.
Le grouillement du vaste camp me parvient tamisé par la distance. Je suis à l’abri de la grande route passagère où les rondes nocturnes se saluent, où les relèves de sentinelles marchent au pas, où les convois des permissionnaires et des malades, les colonnes de renfort finissent par échouer.
Dans ce coin discret, assez loin du mur, à cause des scorpions, je me tourne sur ma paillasse, non plus en quête du passé, mais soucieux de ce qui se produira demain.
L’oubli, toujours l’oubli. Ainsi, la formule du bonheur est-elle négative : ne penser à rien, ne rien souhaiter, le calme par le vide, dormir…
Mais tout d’un coup, contre ce mur lui-même, pareil à une digue, vient finir le cri d’un train qui annonce son arrivée dans la gare de Gabès. Ce train, quel déchirant appel d’alarme ! Il descend de Sfax où il prit la suite du train de Sousse qui, lui, était parti de Tunis où il a pu voir le courrier maritime, lequel, il y a quatre ou cinq jours, a quitté la terre de France.
Alors, voici que se répondent en moi les noms de Mercédès et de Gâtouse. Elles comparaissent toutes les deux, associées par l’éloignement et si j’ai voulu échanger une peine contre une autre, je n’ai réussi qu’à me donner la fièvre d’un nouveau malaise.
Comme la nuit sur ce camp perdu dans les sables, est lourde et chaude ! Premières heures nocturnes étouffantes d’angoisse, de regrets, de souvenirs transfigurés par le mirage. Pourquoi est-on porté à aimer ? La raison de cet élan ? Qu’est-ce que cela cache ? Et puis après, qu’y a-t-il donc ? Pourquoi cette poussée d’un être vers un autre, cet absurde, cet insensé désir de confusion ?
Ainsi, à cause d’une insomnie qui se prolonge, surgissent près de moi les ombres des grands problèmes que les hommes se transmettent et qu’ils laissent derrière eux sans réponse.