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Chasseurs de nomades

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III
LA PORTE DU CONTROLE

A peine si j’ai eu le temps de sommeiller un peu, cette nuit. Déjà cinq heures du matin ! Ceux qui partent pour le Sud, Planier et moi, doivent prendre à six heures, au terminus, le tramway qui s’arrête à Oran, à l’intérieur de la ville. De là, on grimpe à la caserne Neuve où Mutzig, dit Affaissé, se propose de passer une de ses chères inspections.

La caserne est loin, haut perchée sur un plateau fortifié qui domine la vieille colonie espagnole et la mer. On y accède par de petits chemins où des voies tournantes compliquées d’escaliers, servent de raccourcis.

En route, avec Planier, nous passons non loin de la ruelle où Mercédès séjourne. Toutefois, ce n’est pas une heure raisonnable pour déranger une femme qui vient peut-être de se coucher. Pas de halte. Ayons le courage de ne pas nous arrêter. Comme mes pieds sont lourds ! Comme mon cœur chavire tout d’un coup ! C’est si près d’ici !… Non, il ne faut pas. Comment serais-je reçu d’ailleurs ! Et puis que découvrirais-je ? De cette passade, j’emporterai un souvenir poudré et repeint, celui qu’il me plaît de mettre sur un nom à trois syllabes…

Le limousin Planier intervient à propos :

— C’est Wassermann, tu sais, qui a inscrit ton nom sur la liste de départ. Sans lui, on t’oubliait et moi aussi.

— Pas pour longtemps, dis-je, m’accrochant au dérivatif de cette conversation.

— Est-ce qu’on sait ? Et puis, un mois à vivre, ça fait toujours un mois…

— Il a tant d’influence que ça, ce Wassermann !

Je parle les lèvres closes sans presque ouvrir la bouche, car nous sommes plus près que jamais de la maison de Mercédès et je sens bien que c’est la dernière fois, la suprême occasion. Après, ce sera fini…

— Il fait ce qu’il veut, assure Planier, comme tous les scribes. Bah ! on le retrouvera. Son tour viendra. Mais tu n’avais pas de lettre à mettre à la poste ?

— Précisément, nous sommes près de la maison où ma lettre doit être remise.

— C’est loin ?

— A trois pas de la mosquée du Pacha…

— Oui, c’est un peu loin. On serait en retard.

Excellent Planier ! Il ne dit pas « nous serions… » ni « tu serais en retard » ; mais il a trouvé une réponse qui me laisse libre d’aller seul faire ce détour. Minute grave pour moi. Mais non, je ne céderai pas.

— Je mettrai le tout au courrier. Marchons…

C’est ce que j’ai déclaré à haute voix, d’un air résolu ; mais tout bas, j’ajoute, en regardant le minaret qui surgit parmi les arbres étranges de la promenade : « Adieu, Mercédès… »

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